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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 27 Janvier 1998

A la mémoire du Docteur Schinazi, le médecin du peuple

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Maître Varaut entame l'audience « Je souhaite déposer une pièce, il s'agit d'un livre d'A. Frossard » en réponse aux dépôts de pièce de Maître Levy de la veille. Maître Varaut se plaint que Maître Levy se répète, re dépose ou relise plusieurs fois les mêmes pièces. Déclare que si Papon a lu un tract de l'humanité, c'est surréaliste. Il y reva de son couplet anti communiste. « Pourquoi « L'humanité » ou « Le Franc Tireur » n'ont jamais évoqué l'extermination pendant la guerre ? Parfois on savait, mais on ne croyait pas . » Il rajoute que si l'Angleterre avait su, les alliés auraient bombardé les chambres à gaz ou aurait dit qu'ils bombardaient Dresdes en représailles des chambres à gaz. Puis déclare de façon assez surprenante que s'il y avait un autre procès pour crime contre l'humanité, il serait du côté des parties civiles. Puis Maître Varaut lit le texte de Frossard.

Maître Lévy

« Suite aux questions posées hier, je dépose un certain nombre de pièces, des tracts du journal « J'accuse » »


Maître Varaut

« Déjà déposés »


Maître Levy continue à déposer et à citer des documents d'époque de « Notre Voix » et enfin répond à l'interrogation de Maître Varaut « Si Maître Varaut cherche à rejoindre le rang des parties civiles, c'est qu'il tente à titre personnel de s'excuser d'être avocat de la défense dans ce procès, mais il est bien au rang de la défense. »


Maître Jakubowitz

« Depuis 1942, vous avez vu partir des enfants, des vieillards, des femmes, mais surtout des enfants seuls, depuis 1942 il y en a eu beaucoup. Vous êtes-vous jamais inquiété de leur sort ? »


Papon

« Tout à fait »


Maître Jakubowitz « Sous quelle forme ? C'est un fait nouveau, en 15 ans de procédure, vous n'en avez jamais parlé ? Comment expliquez-vous cela ? »


Papon « Garat et Dubarry ont essayé, on leur a dit qu'ils étaient partis en Allemagne de l'Est. »


Maître Jakubowitz « Pour faire un lien avec les propos de Maître Varaut, je connais bien le dossier de Lyon, à la baraque aux juifs il n'y a n'a jamais eu de femmes ni d'enfants. Ce que dit Frossard n'a rien à voir. Vous avez toujours cru que les enfants et les vieillards partaient en camp de travail ? »


Papon « C'est ce que disait la propagande nazie. »


Maître Jakubowitz « En 1942, je veux bien, mais en 1943, vous restez toujours sur la même position. »


Maître Zaoui

veut évoquer le cas de l'UGIF, malgré l'absence du grand Rabbin Sitruk, il demande au président Castagnède s'il peut poser des questions à Papon,


Maître Varaut s'y oppose, « On est déjà revenu hier sur des points déjà traités... »


Maître Zaoui « Le code de procédure pénal permet de revenir en arrière... »


Maître Varaut « Le code pénal, oui mais la loyauté non. »


Le président Castagnède intervient " De toute façon, s'il y a eu décalage, on a pas décalé les thèmes. »


Maître Zaoui pose ses questions sur l'UGIF, se dit surpris par une déclaration de Papon qui a dit « Il faut identifier et connaître l'UGIF » d'autant que Papon a été l'auteur de notes à ce sujet quand il était au ministère de l'intérieur. « Vous connaissez donc bien le sujet, je souhaite avoir votre regard sur l'UGIF ? »


Papon répond en faisant part de son expérience à Bordeaux, il n'a connu l'UGIF qu'à travers le grand Rabbin Cohen et plus tard avec madame Ferreyra.


Puis Maître Zaoui reprend des propos de Papon, celui-ci a déclaré que les juifs s'occupaient du triage, « Pour vous, les juifs sont responsables de la déportation des juifs ? »


Papon « C'est ce que Garat a déclaré à son retour de Drancy. Mais à Bordeaux, cela ne s'est pas passé comme ça. »


Maître Zaoui « Estimez-vous que les juifs sont responsables de leur propre déportation ? »


Papon « Naturellement, non. »


Maître Zaoui « Mais ce sont vos propres paroles. »


Papon « Oui, mais sur Drancy, il est évident que les juifs ont été victimes de Vichy et des allemands de manière secondaire et militaire. Mais je reconnais que le choix de faire choisir les juifs par d'autres juifs est indigne. »


Maître Zaoui « Nous prenons acte de votre réponse. Vous ne soutenez plus que ce sont les juifs qui sont responsables de la déportation des juifs. Vous dites plus tard que l'administration n'est pas responsable de la déportation des juifs... »


Papon « Je suis fier de la représenter ici, seul peut-être, l'administration n'est pas responsable de la déportation géographique. »


Maître Zaoui « Vous ne reconnaissez pas que l'adm est complice de la déportation, des arrestations, des séquestrations et des internements entre Mérignac et Drancy ? »


Papon « Non, ce n'est pas l'administration, mais qui appelez-vous l'administration ? »


Maître Zaoui « C'est à vous de le dire. »


Papon « Ce n'est pas l'administration, l'administration ce n'est pas la police, ce n'est pas la gendarmerie. »


Maître Zaoui « Mais alors, c'est qui l'administration si ce n'est pas la police, si ce n'est pas la gendarmerie, ce sont les bureaucrates ? »


Papon « Non, ce ne sont pas les bureaucrates.... »


Maître Zaoui « Votre réponse ne peut pas satisfaire intellectuellement les parties civiles il y a eu des déportations, des séquestrations, des internements des convoiements faits par la police et la gendarmerie. Alors qui sont ces bureaucrates qui ont agi mais qui d'après vous, ne sont pas responsables. »


Papon « Ce que vous dites, c'est tout à fait mon avis. »


Maître Zaoui « Qui est cette administration, une fois elle est responsable, une autre fois, elle n'est pas responsable, vous dites pourtant, on sauve, on aide, même si vous n'en apportez aucune preuve. Donc d'après vous l'administration n'est responsable de rien. L'accusé peut mentir c'est son droit, la cour appréciera. »


Papon « La cour appréciera aussi les autres pays d'Europe, les administrations n'ont rien fait et il y a eu plus de razzias. »


Maître Zaoui « Lorsque nous avons parlé des accords Oberg Bousquet, vous avez reconnu les francs - maçons, les juifs, les communistes et les gaullistes sont nos ennemis communs... »


Maître Varaut rugit hors de sa cage, il s'emporte « Non ce n'est pas ce qu'a dit Papon », il se montre très violent. Rouge comme une tomate.


Maître Zaoui « Je commence à comprendre votre tactique, chaque fois, que Papon est en difficulté, vous créez un incident... » La polémique continue entre Maîtres Varaut et Zaoui. En tout cas, Maître Zaoui a raison, Papon a eu le temps de souffler de reprendre ses esprits. Varaut que ce soit volontaire ou non a réussi à casser l'effet Zaoui...


Papon « J'ai l'habitude depuis trois mois et demi d'entendre Maître Zaoui parler pour moi, de penser pour moi, si cela doit continuer, s'il persiste à agir ainsi, alors je dirai que c'est de la déloyauté et la déloyauté est mal venue dans un temple comme celui-ci. Je veux élever les débats » - « Fallait-il rester ou partir ? » - « Fallait-il déserter ou se battre ? » - Il faudrait savoir si vous me reprochez d'intervenir ou de ne pas intervenir ? »


Le président Castagnède " Il n'y a pas contradiction quand vous dites que l'administration était là pour adoucir et sauver, il est donc naturel qu'on vous reproche de ne pas en avoir fait assez. C'est naturel, c'est la suite logique de vos déclarations. »


Maître Zaoui « La cour et les jurés se souviennent parfaitement de vos déclarations. Les jurés prennent des notes heureusement. La vérité jaillit parfois de votre bouche et vous voulez revenir dessus. Parmi les corps constitués, il y a la police, l'administration et les bureaucrates. Ce sont les bureaucrates qui ont tout organisé. Ils ont joué un rôle complet et terrible sur la déportation des 1560 Juifs de Bordeaux. »


Papon « Montrez moi une seule signature de Papon ! »


Maître Favreau « Nous sommes en 1943, Garat est parti et un nouveau responsables lui a succédé, Dubarry. Garat est mort en 1976 et ne s'est jamais exprimé. En revanche, Dubarry lui a été entendu en tant que témoin en prêtant serment, et cela est très important. Il n'est pas obligé de mentir pour sauver sa peau, il apporte des faits précis, le 8 avril 1947, il déclare « quand Garat quitte le service des questions juives, le secrétaire général s'est réservé cette question et c'est de cette manière que j'ai été amené à connaître les faits (...) Donc à partir d'août 1943, Dubarry parle de vous, il ne parle pas de Sabatier. Vous êtes d'accord ou est-ce erroné ? »


Papon « Je répondrai tout à l'heure. »


Maître Favreau « Vous avez raison d'attendre, Dubarry continue en 1949, « Je me suis occupé du service des questions juives en 1942, pendant 4 mois » c'était avant votre arrivée. « Et d'octobre 1943 à la fin de la guerre, j'étais placé sous l'autorité de Papon. » Vous êtes d'accord ? »


Papon « Je répondrai tout à l'heure. »


Maître Favreau « Autre témoin, madame Gorge, elle travaille le jour au service des questions juives et la nuit elle est artiste lyrique au grand théâtre (...) Elle a dit ceci « Si on avait tous les certificats, ils étaient automatiquement, je lis bien automatiquement déclarés non juifs, sinon, ils étaient contraints à appliquer le statut. » Dubarry sur la même question dit « C'est la préfecture qui assurait ce service et définissait qui était juif ou non juif »


Papon « Vous avez terminé ? »


Maître Favreau « Oui »


Papon à son habitude enrobe, évoque Garat le besoin qu'il avait de changer d'air, répond à côté, attaque la bâtonnier Favreau, l'accuse d'émettre des hypothèses et des allusions...


Maître Favreau « Il n'y avait aucune allusion ni aucun sous entendu dans ma question je dis simplement que Dubarry indique clairement et plus précisément que vous que le secrétaire général s'était réservé les questions juives et qu'il a travaillé sous vos ordres. Ce qui enlève clairement toute l'autonomie que vous semblez lui attribuer. »


Papon « Je conteste l'interprétation de Maître Favreau.... »


Maître Favreau « Ce n'est pas mon interprétation, je lis des dépositions... » Etc., Etc. Le débat stérile continue, je m'entends je dis que le débat est stérile, parce que rien ne déboulonne Papon de son système de défense... A un moment, le président Castagnède a une note d'humour, cela lui arrive de temps en temps. Favreau désire aborder les relations entre le commissariat aux questions juives et la SEC et la préfecture, il déclare alors « Si vous souhaitez aborder les frictions entre le commissariat aux questions juives et la SEC, il faudra attendre quelques jours, on est en avance, il faudra attendre un jour ou deux. Mais pour une fois qu'on est en avance... » Maître Varaut s'en prend encore à Maître Favreau, le coupe, le ton monte, le président Castagnède s'énerve. Le ton se calme, mais pas pour longtemps, quand Maître Klarsfeld intervient Varaut le coupe à nouveau et le président lui intime l'ordre de ne plus couper la parole et lui demande de façon très stricte de ne plus intervenir à tout bout de champ. On entendra plus Varaut. Maître Klarsfeld cite le cas de la préfecture de Limoges qui en 1943 refuse de donner aux allemands le fichier des juifs français au SIPO SD. Il cite aussi Bousquet qui refuse à Knochen de livrer des juifs français prétextant que « ce n'est pas un crime que d'être israélite français » et que finalement, il n'y a eu que deux cas en France, où la préfecture a arrêté des juifs français Rouen et Bordeaux. A Rouen, le préfet a été fusillé à la libération. Puis Klarsfeld cite un article en première page de « La Petite Gironde » qui parle clairement de l'extermination des juifs d'Europe. « Si comme l'a dit Varaut il y avait une chance sur un million que Papon lise le tract de l'humanité, il y avait une chance sur un million que Papon ne lise pas cet article de « La Petite Gironde ». Maître Blet intervient ensuite il rappelle que Papon a mis tout à l'heure au défi les parties civiles de citer une seule de ses signatures. Il en cite trois rien que sur cette période. Un ordre d'arrestation de juifs grecs, un ordre de réquisition de la gendarmerie, ces pièces sont dans le texte de Bergès que la défense a elle-même versé. Ils sont donc incontestables. Puis Maître Blet démontre que l'inaction est un crime. Quand on ne fait rien pour sortir des gens de Mérignac, c'est un crime. Puis lors de sa dernière question Maître Blet est interrompu par le président Castagnède « Ce n'est pas une question, vous êtes sur le fond. »


Maître Blet « Je réponds à l'accusé »


Le président Castagnède " C'est un comble, les parties civiles répondent aux questions de l'accusé. »



Après la pause, intervient Samuel Schinazi, 76 ans.


Le président Castagnède " Vous êtes partie civile aussi bien pour les faits reprochés à l'accusé concernant votre père [Sabatino Schinazi, né le 28 juin 1893 à Mehalla ] et pour votre frère [Daniel Schinazi, né le 28 jan 1924 ]. Aujourd'hui nous n'aborderons que les faits concernant votre père, nous verrons plus tard l'évasion de votre frère. »


Samuel Schinazi

« Je voudrais d'abord dire que madame Schinazi n'a jamais cessé d'essayer d'agir entre l'arrestation et la déportation de mon père, elle s'est battue avec le courage du désespoir auprès de la préfecture et des autorités allemandes qui lui ont dit « votre mari a été arrêté par les services de la préfecture de la gironde, pas par les allemands ». Quand mon père a été arrêté par les gendarmes français à son domicile, puis conduit à Mérignac. J'ai eu l'occasion de voir mon père à Mérignac. J'ai été arrêté en mars, mon père en juillet. Contrairement aux dires de Papon, il régnait au camp des conditions difficiles, c'était la misère noire, malgré tout les gens restaient dignes et courageux. Et en sept octobre 1942 deux juifs allemands sont arrivés au camp, ils nous ont alors dit « En allemagne, il se passe des choses terribles » on en parlait avec le réseau, mais pas à tout le monde pour ne pas effrayer les gens. Mais tout le monde savait que quand on partait pour l'Allemagne, on serait exterminé. Tout le monde en avait le sentiment, c'est d'autant plus vrai qu'on envoyait des enfants, des femmes, des vieillards, ils ne pouvaient pas aller dans des camps de travail. Il régnait au camp des conditions insalubres, et mon père qui était médecin intervenait souvent pour soigner les gens. On avait recours au services de mon père parce qu'il n'y avait pas de servcices sanitaires. Dans ce camp, on était gardé par des brutes, il n'y avait pas de dialogue, ils étaient prets à tirer sur nous, je me souviens d'un type, Covidou, le chef des gardiens, et de Rousseau, le directeur du camp. Nous n'avions aucun rapport. Pendant cette période, ma mère est venue s'installer à Mérignac, elle a déménagé dans une maison pour être à côté de lui. Je reviens au début, ma mère, elle est intervenue de nombreuses fois pour libérer mon père. Elle m'a dit, elle était retournée voir les allemands, ils étaient prêts à le libérer, comme le montre la liste des neuf noms, Doberschultz voulait le libérer. J'insiste sur le fait que nous savions qu'en Allemagne, il y avait des massacres des juifs, je suis témoin. J'ai été quinze mois à Mérignac, tout le monde s'en doutait. Les allemands ont dit à ma mère, ce n'est pas de notre ressort, c'est la préfecture de la Gironde et la gendarmerie qui l'ont arrêté. Mon père a été l'élève du professeur Gentès, c'était un élève brillant en médecine et dans sa profession, dévoué par ses sacrifices pour sa clientèle.


Le président Castagnède " Je veux vous demander la période pour laquelle, vous avez été vous même interné à Mérignac, la cour n'est pas saisie [ Samuel a été arrêté avant l'arrivée de Papon ]. Le 13 mars 1942, il y a une note de transfert de Ponsot, c'est en mars 1942, que vous arrivez au camp de concenration de Mérignac Avant, vous étiez au fort du Hâ »


Samuel Schinazi « Depuis octobre 1941. »


Le président Castagnède " Ces faits sont antérieurs à l'arrivée de Papon, et la cour n'en est pas saisie. J'ai une deuxième pièce, du 13 avril 1943, Rousseau s'adresse à Garat, Objet : Transfert aux autorités allemandes, en date du 25 mars, vous êtes remis aux allemands. Que vous est-il arrivé après ? »


Samuel Schinazi « J'ai été conduit au fort du hâ, 6 mois au secret pour faits de résistance, d'octobre 1941 à mars 1942. Je suis transféré à Mérignac. Puis de nouveau au fort du Hâ et là vers Compiègne pour être déporté vers Buc. [ Michel me glisse, et il s'est évadé du train. ] »


Le président Castagnède " Pour ce qui nous concerne, de Mars 1942 à Avril 1943, quand dans les documents, on dit Schinazi père et fils, c'est vous le fils. »


Samuel Schinazi « Oui, je veux ajouter ceci, ma mère a eu un contact avec Papon pour essayer de libérer mon père, quand mon père a été déporté, elle s'est de nouveau rendu au service des questions juives à la préfecture, et là je ne sais pas qui elle a vu, mais on l'a menacé « si vous revenez, c'est vous qu'on arrêtera et déportera, vous et vos enfants, on a tous les noms. »


Le président Castagnède " Je fais un petit retour en arrière, le 22 octobre 1942, votre père et vous êtes conservés au camp. Il y aussi la soeur de Michel Slitinsky. Avez-vous le souvenir des raisons, pourquoi ? »


Samuel Schinazi « Je croyais, on en a parlé après, mon père était libérable, mais, moi, non, on avait trop de grief contre moi. Je n'étais pas arrêté comme juif. J'ai été denoncé par une personne et condamné aux travaux forcés. Plus tard, ma mère nous a dit « ton père est libérable », moi je ne l'aurai jamais été. »


Le président Castagnède " Mais les raisons de votre maintien, votre père est déporté racial vous êtes résistant. »


Samuel Schinazi « Moi, j'ai été arrêté par la Gestapo, j'ai été surpris d'aller à Mérignac, la plupart d'entre nous étions arrêtés et conduit au fort du Hâ pour être fusillé. Après avoir été conduit à Mérignac, ils ont dû se souvenir de moi, c'est pour cela que j'ai été remis au fort du Hâ et de là à Compiègne et Buc . »


Le président Castagnède " C'est à l'occasion de ce séjour, que vous avez appris, de la bouche même de deux juifs allemands »


Samuel Schinazi « Oui, aujourd'hui j'ai oublié leur nom, l'un d'eux était le fils d'un directeur d'un grand magasin et l'autre était musicien. Quand ils ont fui l'Allemagne, ils nous ont dit ça, il y avait beaucoup de peur, on était très réservés et on ne l'a dit qu'à un petit nombre de gens. Mais je suis affirmatif, je l'ai vécu, tout le monde savait, on ignorait la solution finale, mais on savait que la mort était certaine. »


Le président Castagnède " Je relis votre déposition. » quand il a terminé « Ca c'est quand même, la solution finale si vous ne dites pas le mot, les termes que vous utilisez le disent. »


Samuel Schinazi « Je veux ajouter quelque chose sur Papon, on savait que la responsabilité des déportations et de l'organisation des convois venait de la préfecture. On avait assez d'informations, on savait que les services de Papon organisaient les convois. »


Le président Castagnède " Vous dites que les internés connaissaient la part prise par la préfecture ? »


Samuel Schinazi « Oui, absolument, les internés redoutaient les allemands mais d'avantage encore on redoutait les français, les fonctionnaires et les services de Papon. »


Le président Castagnède " Vous savez que vous êtes en contradiction avec d'autres témoins ? »


Samuel Schinazi « Alors, je vais vous prouver le contraire. Ma mère a toujours dit que les gens qu'elle voyait à la préfecture, elle savait bien les gens qui faisaient ça. Les autorités allemandes le lui ont dit. Et elle nous l'a dit. »


Le président Castagnède " Vous savez la déposition de votre mère lors du procès Dehan pour trahison et atteinte à la sécurité intérieure de l'état. elle dépose sous serment « Mon fils a été arrêté pour faits de résistance, il était porteur d'armes et de tracts » Elle raconte l'évasion de Samuel. »


Samuel Schinazi « Effectivement, je me suis évadé d'Allemagne, et en partant à pied pendant onze jours, pour franchir la frontière. Je suis parti de Franckort, et j'ai rejoint la Suisse. J'ai été interné et je leur ai dit, je veux rejoindre l'Italie et l'Angleterre. Les douaniers m'ont aidé à passer la frontière italienne, j'ai traversé l'Italie à pied, de là j'ai passé la ligne de feu, je me suis retrouvé sur une base aérienne de la Royal Air Force. J'ai demandé à entrer dans l'armée de l'air française. J'ai rejoint Alger, et j'ai été engagé comme pilote. Voilà, l'histoire s'arrête là. »


Le président Castagnède « Je continue la déposition de votre mère. « arrestation de votre père par les gendarmes français sur ordre des allemands (...) j'ai appris par des déportés qu'il était allé d'Auschwitz à Dachau, il y va en décembre 1944, il est parti avec 444 médecins polonais. »


Samuel Schinazi « Il est mort à côté de Dachau, dans un Kommando »


Le président Castagnède " L'acte de décès précise qu'il est mort en 1945 à Dachau. » Puis le président parle du témoignage de Daniel qui cite Dehan au service des questions juives cours du Chapeau Rouge., [pour Michel, il y a eu confusion, Daniel parle de Dehan mais il s'agit de Garat. Il est poussé dans ce sens par les policiers.] il précise que les ordres viennent de la préfecture. Il confirme les propos de Samuel. « Voilà les déclarations, on note l'espoir de revoir votre père. »


Samuel Schinazi « Je voudrais savoir pourquoi malgré les instructions de Doberschultz le 22 octobre 1942, on ne l'a pas libéré plus tôt ? Pourquoi on n'en a pas tenu compte ? La note qui dit que mon père est libérable date du 22 octobre 1942. J'ai été informé par ma mère de tout ce qui s'était passé »


Le président Castagnède " Votre mère s'est adressée à la préfecture elle a dû frapper à toutes les portes c'est évident. »


Samuel Schinazi « Il y a eu aussi des lettres que ma mère adresse à mon père, dans une elle dit « tu vas être libéré » »


Le président Castagnède " Oui, sûrement, un espoir est né. Je n'ai plus de questions, je reviens sur les raisons du maintien de votre père, il était époux d'une aryenne ? »


Samuel Schinazi « Oui »


Le président Castagnède " Vous êtes sur qu'il vous l'a dit. »


Samuel Schinazi « Oui, tout à fait. »


Maître Boulanger « Merci monsieur le président, ce qui est difficile avec monsieur Schinazi, c'est qu'il dit un centième de ce qu'il sait. Il doit être impressionné de se trouver à la barre. Je vais essayer de lui poser une série de questions courtes. Vous avez été arrêté à quelle date ? »


Samuel Schinazi « Mars 1941 »


Maître Boulanger « Où ? »


Samuel Schinazi « Perpignan »


Maître Boulanger « Pourquoi ? »


Samuel Schinazi « Je faisais une tentative de vol d'un avion militaire. »


Maître Boulanger « Expliquez nous les circonstances ? »


Samuel Schinazi « J'ai été dénoncé. Je voulais voler un avion, j'ai acheté une carte dans une librairie, je voulais une carte avec les cotes anglaises. Le type s'est douté de quelque chose. »


Maître Boulanger « C'est lui qui vous a dénoncé ? »


Samuel Schinazi « Oui »


Maître Boulanger « Comment ? »


Samuel Schinazi « Par les égouts, les gendarmes se sont cachés dans les égouts et m'ont arrêté. J'étais révolté, il y avait des avions qui servaient à rien, ils étaient disponibles pour se battre. »


Maître Boulanger « Vous avez été arrêté où ? »


Samuel Schinazi « A Perpignan. 2 jours, j'étais traité de sale juif. »


Maître Boulanger « Après ? »


Samuel Schinazi « J'ai été transféré à Marseille à la prison Saint Nicolas. j'ai fait une tentative d'évasion. »


Maître Boulanger « Que vous est-il arrivé ? »


Samuel Schinazi « J'ai été battu, torturé, mon corps a été éfoncé, le nez, la machoire cassée, je suis resté enchainé à même le sol en ciment pendant un mois, j'avais un bout de pain et une gamelle d'eau tous les quatre jours. Maître Polac et un juge d'instruction qui étaient résistants sont intervenus et j'ai été libérés. J'ai pu sortir. »


Maître Boulanger « Et votre retour ? »


Samuel Schinazi « A Bordeaux »


Maître Boulanger « Vous avez été de nouveau arrêté ? »


Samuel Schinazi « Oui à Hourtin, je sabotais des hydravions. »


Maître Boulanger « Comment ? »


Samuel Schinazi « Je faisais 45 kms à vélo, je nageais jusqu'aux hydravions pour les saboter. »


Maître Boulanger « Combien de fois ? »


Samuel Schinazi « Trois fois »


Maître Boulanger « Et après, vous avez été arrêté ? »


Samuel Schinazi « Non, je volais des armes en plein jour. »


Maître Boulanger « Comment avez-vous été arrêté ? »


Samuel Schinazi « J'ai été denoncé par un ami de mon frère, Bentejac, il jouait le double jeu, il a été condamné à mort. J'ai été arrêté par la Gestapo et conduit au fort du Hâ. »


Maître Boulanger « Les jurés avaient le droit de savoir ce qu'a fait cet homme-là, c'est un héros modeste qui n'ose pas dire ses faits de guerre. Après Compiègne, comment vous êtes-vous évadé ? »


Samuel Schinazi « A compiègne, j'ai affuté une lame d'acier, et pendant deux jours, j'ai coupé une lambourde en bois. J'ai pu passer la main, et on a ouvert la porte et là on s'est évadé ? »


Maître Boulanger « Vous étiez seul ? »


Samuel Schinazi « Seul »


Maître Boulanger « Comment ? »


Samuel Schinazi « Il y avait des morts dans le wagon, il n'y avait plus de doute. Les gens mourraient dans le wagon, on marchait sur les corps. »


Maître Boulanger « Est-ce que vous diriez aujourd'hui que c'est ça le crime contre l'humanité quand on envoie les gens dans ces conditions. »


Samuel Schinazi « Oui »


Après cette admirable leçon de modestie et de courage, les avocats des parties civiles continuent à interroger Samuel Schinazi et l'accusé sur le rôle du service des questions juives, son pouvoir, son inaction, mais cela ne donne pas grand chose. Comme dirait Gérard Boulanger, ça ne sert à rien à questionner l'accusé de crime contre l'humanité.


Vient maintenant le frère de Samuel, Moïse Schinazi, son témoignage est sur un autre registre, plus émotionnel que celui de Samuel, Moïse n'avait que 12-13 ans à l'époque de l'internement et de la déportation de sa famille, mais il a été témoin de l'action de sa mère, il l'accompagnait souvent. On ressent à travers les témoignages des deux frères, un profond amour pour leur mère, un grand respect et une immense admiration pour leur père, c'était on le sent bien une famille unie et heureuse jusqu'a cette année noire, 1942. C'est ce qui ressort de beaucoup de témoignages des parties civiles, les Panaras, les Benzazon, les Librach, les Jacob, les Grunberg, les Stopnicki, étaient une famille heureuse jusqu'à cette année terrible...


Moïse Schinazi

« Je suis né le 15 juillet 1930 à Bordeaux, mon frère a dit une bonne partie des choses. Il était au camp de Mérignac, moi j'étais à la maison. Mon père est arrivé d'Egypte, en 1916, du Caïre et il a fait ses études de médecine avec trois de ses frères, tous en médecine. C'étaient quatre médecins bien connus. Ils recevaient les éloges des professeurs et des collègues. Mon père a soigné les grands blessés de guerre , il a continué à les soigner pendant que Papon les détruisait, mon père continuait à les sauver. Encore étudiant, avec ses frères, cours Portal, mon grand-père est mort. Ma mère, il l'a connu, elle était très malade c'était vant le mariage, les médecins ne pouvaient plus rien faire, leur femme de ménage leur a dit alors qu'elle connaissait un bon médecin, c'est comme ça que mon père est venu, il a sauvé ma mère et elle a demandé la main de mon père. Cela posait un problème, mais les mariages mixtes posent toujours des problèmes. Mais quand même, ils avaient l'esprit ouvert. Mes oncles sont repartis en Egypte, mais mais mon père est resté, il aurait dû repartir. Il serait reparti et sinon Papon n'aurait jamais eu l'occasion de le déporter à Auschwitz et Dachau. Mon père était un homme très charitable, très humain. Quand ma mère revenait de la préfecture, elle disait ils n'ont pas de coeur, ils ont un coeur de roc. Mon père sauvait les bébés » Moïse cite cite deux exemples. « Les gens étaient reconnaissants à son égard, il faisait les chartrons, Bacalan, Bordeaux Nord, Le Bouscat. Il avait un très bon diagnostic. Cela a été un désastre pour ma mère... » Moïse s'arrête, l'émotion est trop forte, il pleure et ne peut plus parler, la gorge nouée...


Le président Castagnède vient à son secours « Les parties civiles ont-elles des questions ? »


Maître Boulanger « Je comprends votre émotion, votre mère a fait un certain nombre de démarches ? »


Moïse Schinazi « Oui, elle a frappé à toutes les portes, cette pauvre femme » il continue à sanglote.

Maître Boulanger « Auprès de qui ? »


Moïse Schinazi « De la préfecture, de la SEC, des allemands, mon père a écrit « je vais être libéré, je n'ai pas d'argent, envoyez moi de l'argent pour prendre le tramway. »


Maître Boulanger « Votre mère est allée jusqu'où ? »


Moïse Schinazi « A -Drancy, tous les français n'étaient pas mauvais. J'accompagnais ma mère, on nous a dit « Si vous persistez, on vous enfermera » On est allé à Vichy, Hôtel du Parc, on a voulu voir Pétain, des français qui ont vendu la France, il a fait dire, on ne s'occupe pas de ces questions. »


Maître Boulanger « Mais, vous vous êtes allés à Mérignac ? »


Moïse Schinazi « Oui, le camp se remplissait, on y voyait des gens de toutes nationalités, c'était bourré de monde, c'était atroce, j'avais 12 ans, et tout à coup le camp était vide, il n'y avait même plus de gardiens. C'était atroce, c'est une honte, c'est honteux que Papon dise on ne connaissait pas le camp, c'est honteux. C'est grave c'est honteux. Il fallait démissionner. Papon a vendu la France. Il fallait partir, vous aviez des enfants, c'est un scandale. Ce que vous dites Papon, c'est mentir, c'est pas propre. Quand vous voulez vous battre contre des hommes, oui vous pouvez, mais contre des enfants, des femmes, c'est honteux. Ma vie a été brisée, La vie de ma mère a été brisée, c'est honteux de voir ça...»


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Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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