date
dernière modification : 22/07/02
Chronique du
19 Janvier 1998
Bergès
: néo - révisionnisme et paponisme
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L'audition de Michel Bergès tant
annoncée dans la presse comme le tournant de ce procès n'aura finalement
rien donné, c'est le vide total, mise à part le fait que son allégeance
à Papon est maintenant évidente. Bergès a choisi son camp. Je reprends
les propos de nos avocats « il n'y a rien de nouveau, c'est un pétard
mouillé, il n'y a aucune nouvelle pièce, en 1990, elles accablaient
Papon aujourd'hui elles le disculpent, ce n'est pas sérieux, c'est une
baudruche dégonflée, il n'y a rien que le vide ». Michel Bergès s'est
montré finalement à son image, après un cours magistral, bien monté,
assez intéressant, on le voit reprendre point par point les arguments de
Papon. Ses explications sont par moment croustillantes, par exemple, Papon
n'est jamais cité. Pour Bergès aussi, Papon est le fantôme de la préfecture.
Il n'avait aucun pouvoir, vers le bas, Garat traitait directement avec les
allemands, vers le haut, Sabatier avait tous les pouvoirs. Papon n'a
jamais signé que des pièces de régularisation ou des comptes rendus
pour les ministères. Papon avait bien une mitraillette dans le dos. Le
grand Rabbin Cohen en prend aussi pour son grade. En conclusion de son témoignage,
voulant trop en faire pour Papon, il tombe dans le néo - révisionnisme,
il nous ressert la théorie du seul Hitler est coupable, c'est du mauvais
Amouroux, du Eichmann ou du Barbie quand il affirme « les fonctionnaires
sont pris dans des séquences divisées, éclatées, il y a des
incertitudes, ils ne sont pas coupables. Seuls les allemands sont
coupables. »
Un juré toujours le même, a la question juste « Vous êtes toujours en
période d'interrogation, pourriez-vous encore changer d'avis ? » Puis
finalement l'avocat général Robert s'étonne de son manque de
responsabilité citoyenne et son absence d'objectivité scientifique quand
lors de la première instruction, il verse spontanément des pièces, et
que lors de la deuxième, il omet de le faire, pour ne le faire que
maintenant, en cours de procès. Puis lorsque l'avocat général lui
explique que ses propos dans la presse pourrait entraîner des poursuites
pour injures à magistrats, il nous refait du Papon et accuse lâchement
les journalistes de déformer ses propos. L'avocat général termine en
lui expliquant qu'il n'a jamais été un historien, éventuellement
sociologue et qu'une instruction judiciaire n'a rien à voir avec son
travail. Ce que confirme Bergès quand il s'étonne qu'une instruction
pour crime contre l'humanité se fasse à charge de l'accusé.
Le président Castagnède
" Le témoin [Michel Bergès ] a fait parvenir à la cour un courrier
avec un certain nombre de pièces [ environ cinquante ]. La plupart sont
connues, d'autres sont nouvelles, je les verse au débat. » Le président
lit sa lettre, « ce sont des pièces servant à la démonstration de mon
témoignage . »
Maître Klarsfeld
« Papon a affirmé jeudi dernier qu'il y avait deux réalités. La réalité
des souvenirs, éphémère, (...). Et la réalité des archives
administratives qui répondent à une certaine logique. Aucune période de
l'histoire de France, n'a été autant décrite que celle de 1940 - 1944.
En 1942, la théorie du fusil dans le dos et l'impérium allemand
n'existent pas, il n'y a aucun fonctionnaire arrêté, fusillé, déporté
en 1942. Par contre, l'été 42, ce sont les années noires, l'été 42
c'est le travail volontaire de l'administration française, les archives
le prouvent, des archives surgit la vérité de l'époque. Eté 42, c'est
le no man's land d'où personne ne revient. De ce surgissement historique,
la vérité est implacable. »
Maître Touzet
demande d'avoir les pièces, et finalement, après un tour des parties
civiles, le président Castagnède suspend la séance pour faire diffuser
les photocopies.
Maître Jacob
« Le procès a commencé en octobre, je constate que le témoin verse
samedi... »
Le président Castagnède " Non, vendredi soir »
Maître Jacob « Si vous voulez, je constate que le témoin verse vendredi
des nouvelles pièces. Je souhaite qu'il soit demandé au témoin pourquoi
il ne les verse qu'aujourd'hui ? Je juge le procédé inacceptable, les pièces
demandent un examen sérieux, je m'étonne, je le déplore et je pense que
derrière tout cela, il y a une manoeuvre... »
Le président Castagnède " J'ai reçu ces pièces, et je suis obligé
de les verser, le témoin est acquis au débats. Faites entrer le témoin
»
Michel Bergès arrive, à son passage jette un regard incroyablement
haineux à Michel Slitinsky, quand Bergès passe devant nous, il est à
quelques mètres. Une voix lance « Salaud ». Depuis la dernière fois
que j'ai vu Michel Bergès, je dois dire qu'il a pris de l'embonpoint. Sa
prise de poids est proportionnellement inverse à la perte de son crédit
scientifique.
Michel Bergès, 45 ans, professeur à l'institut d'études politiques. «
Je viens, ici, pas en tant que témoin, mais plus modestement en tant que
chercheur universitaire qui a travaillé sur les faits que vous avez à
juger. La dernière fois que je suis venu devant une cour de justice, c'était
devant la 17° chambre correctionnelle de Paris en 1990 dans le cadre de
l'affaire « Papon contre le Nouvel Observateur », j'étais à l'époque
témoin du Nouvel Observateur. Dans cette affaire, je n'ai ni à attaquer
ni à défendre l'une ou l'autre des parties et j'aurais pu être cité
par les parties civiles tout aussi bien. Je vais vous expliquer tout
d'abord comment j'ai connu le dossier Papon, puis ma méthodologie et
ensuite j'aborderai trois parties, premièrement, qui a le pouvoir à
Bordeaux ? Deuxièmement, comment a été persécutée la communauté
juive à l'époque. Et, troisièmement, je parlerai des hommes de l'époque,
leur incertitude et leur réaction face au génocide qui fut l'événement
le plus dramatique de l'histoire contemporaine, et de façon plus générale
de l'histoire de l'humanité. Malraux disait « Pour une fois, c'est
l'homme qui a donné une leçon à l'enfer. ». J'en ai souvent parlé à
Jacques Ellul, qui était mon voisin (...). »
Bergès fait alors son exposé à la fois de façon très docte, très
universitaire, certains méchants diront ce fut un bon cours de CM 2, mais
surtout vis à vis des juges très donneur de leçon, « vous auriez du
faire ceci, j'aurais été à votre place, j'aurais fait ainsi, etc. » Ce
qui est sûr, c'est que la tête très expressive du président Castagnède
montrait qu'il n'appréciait guère... Quant à l'avocat général Robert,
ses vertes questions ne laisseront aucun doute sur la façon dont il
considère Bergès.
Michel Bergès « Comment j'ai connu le dossier ? - Un travail de quinze
ans - Je recherche toujours la vérité - Mon travail n'est pas fini, ce
qui est courant pour un universitaire il doit prendre son temps, il vit
hors du temps et de l'espace. - J'ai rencontré le dossier Papon à
travers les archives départementales de la Gironde, par hasard avec mon
ami Cavignac, décédé aujourd'hui. - Derrière les archives, j'ai vu
surgir la mort, les listes, l'ordre noir des SS, la police - Ce dossier
est devenu comme un objet - Je suis un cherchant - Cet objet, je le porte
en moi depuis 15 ans sans en venir à bout, sans l'avoir terrassé - Il
est très difficile de bien le cerner, de le comprendre.
Deuxième grande découverte, les sacs de la correspondance passive et
active entre les allemands et la préfecture - En 1984, une découverte
m'a bouleversé, celle des archives de l'intendance régionale de police,
que j'ai pu faire grâce à de nombreux fonctionnaires de police - J'avais
idée que derrière tout ce processus, se cachait la police, j'étais spécialiste
du syndicalisme dans la police. - En 1985, J'ai découvert les archives du
SRPJ, et les pièces des procès Dehan, Luther... - En 1990, j'ai découvert
l'intérêt des archives parallèles, celles du grand Rabbin Cohen, de l'UGIF,
je recherche encore des documents d'organismes extérieurs à la France
qui ont observé Bordeaux pendant cette période. Ensuite en 1983, j'ai
lancé une grande enquête pour recueillir des témoignages, j'ai rencontré
Madame Mallat, la secrétaire de Sabatier, Gaston Cusin, des policiers,
des victimes, etc. - Je fus un de ceux, au début qui furent des plus sévères
contre Papon, sans complaisance. -
Le deuxième point, ma méthode historique, je vous renvoie au dossier «
Falk contre L'express » toujours devant la 17° chambre correctionnelle
qui définit la charte de l'historien - On nous demande de tenir compte de
toutes les opinions, d'être objectif, mesuré, prudent »
Le président Castagnède tord du nez, fait la moue, apparemment, il apprécie
pas la leçon gratuite du professeur.
Michel Bergès « « La méthode historique, c'est : 1/ Trouver les
archives, les classer. 2/ Faire une analyse critique. 3/ Interpréter les
documents. - Dans votre dossier, il y a d'énormes lacunes documentaires.
Il manque le coffre fort du préfet régional, les archives du KDS, de la
SEC et de la police des questions juives. - La police des questions juives
n'a-t-elle pas participé au tri des personnes pendant les rafles ? - Il
faut recouper les documents - Les prendre dans le sens chronologique et
revenir en arrière - On doit analyser les documents de deux façons, une
critique interne et une critique externe. » Il cite deux exemples, le
document du 2 juillet 1942, celui du 8 septembre 1942. - Il faut relire
les documents dix fois plutôt qu'une. - Il faut faire venir les
germanistes pour comprendre les documents allemands »
Juliette Benzazon glisse « Hé, oui on n'a qu'à se faire à nouveau
occuper »
Michel Bergès « Attention à l'analyse, il y a des risques de déductivisme
et d'anachronisme. - On se projette sur des hommes d'un espace temps donné
avec des yeux d'un autre espace temps. - Qui avait le pouvoir à Bordeaux
? - Les allemands depuis 1940 déploient quotidiennement une tutelle qui
limite les libertés, circulation, couvre feu, presse - C'est une
oppression - Chaque administration est doublée, la préfecture par la
Feld Kommandentur, la police par le KDS - On a deux équipes à la préfecture
de la Gironde, l'équipe Alyppe, maréchaliste et pétainiste et l'équipe
Sabatier, technique et technocrate. Sabatier a des amitiés socialistes,
francs maçonnes, il fait venir Papon et Chapel. - Sabatier veut être le
seul chef, le seul interlocuteur des allemands - L'administration n'a
aucun pouvoir et les allemands ont le pouvoir absolu. - Avant 1986, je
pensais Garat = Papon, Papon = Garat » Derrière moi, « Hé oui, depuis
1986, il est payé par Papon ». Puis Bergès parle des listes
d'arrestation, des listes de déportation, du rôle de sabotage du service
des questions juives - Estime qu'on peut attribuer à la préfecture le
sauvetage de 150 à 175 juifs » Mais il n'en amène aucun début de
preuve, si ce n'est des statistiques à la Papon, les allemands demandent
2 000 juifs, on en arrête 200, donc on en sauve 1 800... Dit que
l'administration était solidaire des juifs. Cite Mgr Feltin et ses
relations avec le grand Rabbin Cohen. Dit que Mgr Feltin, en zone occupée
protestait avant les autres évêques de la zone libre et lui avec les
allemands sous ses fenêtres. Puis dans un lyrisme paponesque, conclut que
Papon ne pouvait pas connaître la solution finale et avec une dernière
touche néo - révisionniste « les fonctionnaires sont pris dans des séquences
divisées, éclatées, il y a des incertitudes, ils ne sont pas coupables.
Les résistants ne se sont pas posé les questions que vous vous posez
aujourd'hui. ».
Un juré « Vous êtes en période d'interrogation, pourriez-vous encore
changer d'avis ? »
Michel Bergès « Je n'ai pas évolué dans le fond, la première affaire
était contre Papon et tous autres, la deuxième s'est élargie. Ma véritable
évolution est épistémologique, méthodologique. Je ne suis pas le seul
à avoir changé, Serge Klarsfeld aussi, il pensait que Bousquet était
l'affaire principale et que l'affaire Papon était secondaire. » Ce que
d'ailleurs, Klarsfeld n'a jamais renié, pour lui, Bousquet était plus
haut placé que Papon, sa responsabilité était plus grande que celle de
Papon.
Puis finalement l'avocat général Robert prend la parole, à son
habitude, il interroge Bergès de façon précise et minutieuse, reprend
son témoignage, s'étonne de son manque de responsabilité citoyenne
quand lors de la première instruction, il verse spontanément des pièces,
et que lors de la deuxième, il omet de le faire, pour ne le faire qu'en
cours de procès. L'avocat général fait admettre à Bergès que les pièces
découvertes dès 1947 lors des procès Dehan et du KDS n'étaient que très
partielles, ce qui démolit la thèse de Maître Varaut qui prétend que
le procès Papon a déjà été instruit en 1947. L'avocat général
Robert interroge Bergès sur le nombre de pièces qu'il possède et qui
existent. Bergès affirme en posséder 2 à 3 000 sur le dossier qui nous
intéresse, mais que sur la période il en existe 200 à 300 000 en tout.
Puis lorsque l'avocat général Robert lui explique que ses propos dans la
presse pourrait entraîner des poursuites pour injures à magistrats, Bergès,
assez lâchement, nous fait du Papon et accuse les journalistes de déformer
ses propos. L'avocat général termine en lui expliquant qu'il n'a jamais
été historien, éventuellement sociologue, que son approche n'est guère
scientifique et qu'une instruction judiciaire n'a rien à voir avec un
travail d'historien. Ignorance que confirme Bergès quand il s'étonne
qu'une instruction pour crime contre l'humanité se fasse à charge de
l'accusé.
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