date
dernière modification : 21/11/02
Chronique du
15 Janvier 1998
René
Panaras « Je me réjouis que tous les hommes qui ont du sang sur les
mains soient toujours rattrapés par la justice des hommes. »
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L'audience commence par
l'interrogatoire du le procureur général Desclaux,
Le procureur général Desclaux
« L'interrogatoire très précis, très détaillé du président nous a
apporté des révélations importantes. Première révélation, ni la
S.E.C. [Section d'enquête et de contrôle] ni la police des questions
juives, n'a joué un rôle dans la réalisation de cette rafle. Les
instructions viennent de la préfecture, service des questions juives et
de Garat son porte parole. Les instructions de la préfecture et de Garat
suivent avec respect celles du gouvernement et de Bousquet, notamment la
suppression de la police des questions juives en juillet 1942. Le
professeur Baruch a d'ailleurs insisté sur ce point quand il est venu à
la barre et nous en avons là la preuve. Je voudrais maintenant examiner
deux pièces complémentaires. La première est une pièce remise par une
des parties civiles Un procès verbal d'arrestation du 20 10 1942 à 16
heures, la gendarmerie d'Arès, procède à l'arrestation... Le président
Castagnède feuillette le livre de Michel Slitinsky, « Le pouvoir préfectoral
» avec mon père, on se dit quand même il a de bonnes lectures, puis ne
trouvant pas, tout le monde se met à chercher, même Papon ou son conseil
Vuillemin se mettent à feuilleter le livre de Michel.
Maître Varaut toujours de manière insidieuse et pas très franche du
collier remet en cause la pièce, vous comprenez, elle vient de Slitinsky,
etc.
L'avocat général Robert ironique
« Vous avez eu dix ans pour contester les pièces du dossier et vous ne
l'avez jamais fait ? »
Enfin, le document est projeté à l'écran. procès verbal d'arrestation
du 20 10 1942 à 16 heures, la gendarmerie d'Arès, procède à
l'arrestation de madame Chatounet (on lit mal le nom) Silva, épouse
Prigogine. La gendarmerie agit sur réquisition de Monsieur le préfet régional.
Madame Prigogine est conduite rue du maréchal Joffre et le procès verbal
est adressé à la préfecture. Papon, s'agit-il bien d'une arrestations
effectuée part la gendarmerie français ? »
Papon « J'ai eu le livre aujourd'hui, J'aurai dû le lire plus tôt. Oui,
je suppose que ce sont des gendarmes français. »
Le procureur général Desclaux « On ne voit pas apparaître d'ordres
allemands ? »
Papon « Non »
Le procureur général Desclaux « Voit-on un ordre de l'intendant régional
de police ? »
Papon « Pourtant, cela doit être l'intendant régional de police. »
Le procureur général Desclaux « Non, ce n'est pas l'intendant régional
de police, alors que vous nous avez toujours dit que c'est l'intendant régional
de police qui réquisitionne la gendarmerie. »
Papon « Non, j'ai toujours nuancé mes réponses. »
Le procureur général Desclaux « Oui, pour nuancer , vous nuancez, vous
mettez beaucoup de nuances. C'est bien la préfecture qui requiert, c'est
bien rue du maréchal Joffre qu'elle est conduite, c'est bien à la préfecture
que l'on rend compte. A quelle date a lieu l'arrestation ? »
Papon « Si le document dit vrai, c'est le 20 octobre. »
Le procureur général Desclaux « On le voit bien, l'arrestation
intervient le lendemain de la rafle avec une extrême urgence, pourquoi ?
»
Papon « Je ne sais pas »
Le procureur général Desclaux « Parce que vous avez besoin du maximum
de juifs. J'ai une autre pièce à vous montrer, c'est un document que
nous avons déjà vu, une liste manuscrite sur en-tête du secrétaire général,
le nom de Prigogine Silva, apparaît avec la mention non juive, à vérifier.
Pourquoi l'arrêter, alors que l'on constate le 22 qu'elle est non juive.
»
Papon « Je me borne à constater les contradictions. »
Le procureur général Desclaux « Et moi je me borne à constater que
vous ne répondez pas à mes questions. Un autre document. La liste des
femmes du convoi. On y trouve Prigogine Silva née le 08 novembre 1899 à
Kiev. Alors pourquoi la déporter si elle est non juive, s'il y avait un
tel doute ? Pourquoi le service des questions juives n'a pas vérifié
avant de l'arrêter ? »
Papon « Oui, mais on marque non juive, à vérifier. »
Le procureur général Desclaux « Vous savez pourtant la gravité de tels
actes, cela l'a conduit à Drancy et de là à la mort. »
Papon « Vous vous savez, mais ce n'est pas moi le responsable. »
Le procureur général Desclaux « Je veux montrer un autre document, »
Papon le coupe « L'équation préfecture = Papon est fausse. »
Le procureur général Desclaux « On verra après le rôle de chacun et
de Pierre Garat et de Papon. Voici le document le commissaire de police de
Libourne écrit, sur réquisition du sous préfet de Libourne, il rend
compte au service des questions juives le 22 octobre que l'arrestation des
juifs étrangers s'est bien faite la veille. Je vous rappelle qu'il y a eu
13 arrestations. Alors il s'agit bien d'une deuxième rafle organisée à
Libourne le lendemain de la rafle de Bordeaux. Comment expliquez vous cela
? »
Papon « Libourne, c'est pas moi. »
Le procureur général Desclaux « Non, et vous l'avez dit vous même,
toutes les questions juives de la région dépendent de vous et de votre
service des questions juives. ET là encore, il n'y a pas d'ordre des
allemands mais bien un ordre du service des questions juives transmis par
le sous préfet. A qui est adressé le compte rendu de l'arrestation ? »
Papon « Ce n'est pas la première fois que l'on voit ça. »
Le procureur général Desclaux « Effectivement, ce n'est pas la première
fois que l'on voit cela. Et cela prouve bien que le service des questions
juives est en charge de ce problème-là. »
Papon nie, conteste l'équation, dit qu'il y a les ordres allemands.
Le procureur général Desclaux « A qui on rend compte ? Papon, je vous
rappelle qu'il s'agit de rendre compte de l'arrestation et de
l'internement de juifs à Mérignac, ils seront conduits ensuite à Drancy
avec le sort que l'on connaît. »
Papon « Il faudrait voir les listes des allemands. On ne connaît pas
leur sort ? »
Le procureur général Desclaux « Incontestablement, ces personnes ont été
déportées comme les autres. Il existe beaucoup d'autres pièces [ le
procureur général Desclaux les cite, une quinzaine ] des transports, du
bois, du charbon, les factures sont envoyées au service des questions
juives et portent la mention sur réquisition du service des questions
juives on voit les noms de Garat, de Gorge. Alors au vu de l'ensemble de
ces documents et de vos réponses, quand on procède à l'arrestation de
juifs français alors qu'on demande des juifs étrangers quand on procède
à l'arrestation d'enfants, de vieillards, alors, je trouve moi, que votre
culpabilité est accablante. »
Papon nie « Papon n'est pas égal à préfecture, je l'ai démontré et
le dossier le prouve. Faire dire à des documents inertes cela, c'est de
l'archéologie, dans le dossier, on ne trouve qu'une fois la signature de
Papon c'est dans le compte rendu adressé au ministère à Paris. »
Le procureur général Desclaux « Je voudrais préciser qu'on a passé
sous silence le service des questions juives, mais il est sous votre
autorité. Quant à Garat, il est sous vos ordres, il répond à vos
ordres. Il a même un ordre de mission permanent. Il vous rend compte
aussitôt et toujours. Vous tirez les ficelles. »
Papon répond, continue à nier, « Le procureur général continue à se
tromper. Le secrétaire général a autorité sur le service des questions
juives mais aussi sur 5 divisions. On ne me rend pas compte des factures
à payer. »
Le procureur général Desclaux « Oui, mais là, il s'agit de rafles,
d'internement et de convois, c'est grave. Et pour cela, Garat vous rend
compte en permanence. »
Papon « Non, on obéit aux allemands. On est à la botte des boches. »
Le procureur général Desclaux « Les instructions sont données par la
préfecture et le service des questions juives, c'est lui qui met tout en
branle. »
Papon « Non, vous oubliez qu'il y a les instructions des allemands. »
Maître Klarsfeld
« Vous avez dit à maintes reprises que Sabatier voulait suivre les
rafles, et entre autres celle de Libourne. Est-ce que c'est Sabatier qui a
signé ? »
Papon « Il manque l'ordre de réquisition, donc on fait le jeu des hypothèses,
en principe, c'est le préfet. »
Maître Klarsfeld « Mais si ce n'est pas le préfet, c'est donc vous. »
Papon « C'est du syllogisme, on sort des pièces, des livres douteux de
dessous la table. »
Maître Klarsfeld « A cette époque, il n'y a pas Air Inter, il n'y a pas
de navette entre Paris et Bordeaux par le train ? »
Papon « ... »
Maître Klarsfeld « Je veux verser au dossier une pièce, le 21 octobre,
Sabatier est Paris, c'est la Petite Gironde qui le dit. » Maître
Klarsfeld cite l'article. Le verse mais il est contesté par Varaut, le président
Castagnède demande à voir le document, reproche à Klarsfeld de ne pas y
voir la date, « cela pourrait être 1943 ou 1944 » Klarsfeld promet de
verser une autre photocopie complète. « Le 21 octobre, Sabatier est
Paris, alors comment fait-il pour signer un ordre de réquisition ? »
Papon « C'est le préfet délégué. »
Maître Klarsfeld « Non, vous avez dit, c'est vous ou Sabatier. »
Papon « C'est le jeu des mots croisés.
»
Maître Klarsfeld « Oui, et dans les cases noires, c'est vous qui mettez
les juifs déportés. Je voudrais vous citer une pièce, en 1942, une
organisation caritative demande à prendre en charge 500 enfants juifs
pour les conduire aux Etats Unis. Bousquet répond que ce n'est pas
possible, ils ne sont pas orphelins, les parents sont déportés, mais il
n'est pas sur de leur mort. Il ne veut pas que les enfant traversent
l'Atlantique, qu'en pensez-vous Papon ? Et répondez sans dire je ne suis
pas René Bousquet. »
Papon « Maître Klarsfeld, vous me connaissez bien, c'est ce que j'allais
dire. »
Maître Klarsfeld « A force de vous côtoyer, je commence à vous connaître.
»
C'est maintenant la parole à la défense. Maître Varaut veut éclaircir
des points et des questions. Il passe en revue le rapport de l'enquête de
1947 suite à la plainte de Slitinsky. Cite les procès du KDS de Dehan.
Revient sur Bonhomme, sur Duchon, rappelle que les ordres viennent des
allemands.
Le président Castagnède " Je vous interromps Maître Varaut pour préciser
une chose. Il est clair que nous instruisons un dossier de complicité de
crime contre l'humanité. Qui dit complicité dit implicitement qu'il y a
un auteur principal. Au niveau national, Knochen précise le rôle des
Sipo SD, ils doivent surveiller la police française, on a rien de plus
ici. »
Varaut continue d'interroger Papon, il répond parfois d'un « assurément
» ou d'un « bien sur » parfois, il se lance dans une démonstration
longue comme par exemple une explication psychologique sur le conscient,
l'inconscient ou le subconscient de l'époque et d'aujourd'hui. Ce qui
fera dire à notre dessinatrice « C'est Lacan de concentration. » Une
fois le président Castagnède l'interrompt sur les chiffres avancés,
quand Papon ou Varaut oublie de compter les arrestations de Libourne et
d'Ares. Maître Klarsfeld qui est sorti au moment où Varaut a pris la
parole, revient un document entre les dents, la chemise en flamberge, il
se rhabille, met sa robe et reprend sa place.
A la fin de l'intervention de Varaut et de Papon, l'avocat général
Robert intervient « Je n'ai pas l'habitude d'intervenir après la défense,
mais je veux porter à la connaissance du jury un fait important. Maître
Varaut parle de l'enquête de 1947. Je voudrais rappeler les motifs et
l'ordonnance de non lieu du tribunal militaire. Dans cette affaire, les
inculpés, Bonhomme et Techoueyres n'ont fait qu'obéir aux ordres de leur
supérieurs hiérarchiques. Ils ont visé le commandement de l'autorité légitime,
ce ne sont pas les allemands. De plus, quelqu'un essaye de chercher en
interne, c'est le commissaire Katz. Il a fait une enquête intéressante
et très complète. Mais malheureusement, il remet son rapport le
lendemain de l'arrêt de non lieu. Pourquoi on ne le sait pas Mais il
posait les bonnes questions. Qui donnait les ordres ? La préfecture et le
service des questions juives. Qui étaient les civils ? Des membres du
service des questions juives. Et que conclut Katz ? Il conclut que
Techoueyres et Bonhomme n'ont donné aucun ordre, il faut rechercher plus
loin vers ceux qui ont donné les ordres. Et pourquoi Garat n'est pas
interrogé ? Parce que le non lieu a eu lieu la veille de la remise de ce
rapport. » Michel me dit c'est de la forfaiture, le juge c'est Bauduchon.
Pourquoi il a fait ça ? Il est militaire, il protège sa carrière et au
dessus de lui qui y a-t-il ? Sabatier, numéro deux du ministère des armées.
Maître Klarsfeld « Je remercie Maître Varaut d'être intervenu si
longuement, cela m'a permis de retrouver l'article de la Petite Gironde.
»
Maître Zaoui « Je complète la
lecture de Maître Varaut, quand on lit un document, il faut le lire
jusqu'au bout. » Varaut n'apprécie guère. Apparemment, Varaut est plutôt
du genre donneur de leçon, il n'aime guère en recevoir. « Le rapport de
Katz dit bien que c'est la préfecture qui met en branle tout le processus
d'arrestation et d'internement. Le décor est planté ce soir là, les
hommes attendent, les voitures sont prêtes, les allemands donnent les
listes mais qui donne l'ordre de départ, c'est Garat. » Ca hurle, Varaut
proteste, s'emporte, Klarsfeld, Zaoui, Levy en rajoutent.
Et quand le calme revient Papon intervient « Le dossier a des trous, des
vides. » « Papon = Sabatier ou Sabatier = Papon, Garat = Papon ou Papon
= Garat, ça ne tient pas debout. » « J'ai apprécié le président
Castagnède quand il a dit hier qu'il fallait se replacer dans le contexte
de l'époque. »
Le président Castagnède " Je vous interrompt, Quand vous dites que
je me replace dans le contexte de l'époque, c'est uniquement quand il m'a
fallu faire la distinction entre juifs français et juifs étrangers. Que
le dossier ait des trous, j'en conviens, mais le premier intéressé c'est
l'accusé et il n'a rien fait pour les combler. Je reviens sur vos propos
Garat = Papon, je laisse de côté la relation avec Sabatier. C'est votre
argument principal, votre relation avec Garat est marquée du sceau d'une
délégation spéciale. Quand vous dites c'est Garat, c'est pas moi. Moi,
je dis que si un subordonné a des droits envers sa hiérarchie, la hiérarchie
a des devoirs envers ses subordonnés. Au lieu de cela, vous mettez des
fardeaux accablants sur les épaules d'un jeune homme de 23 ans. Je veux
bien qu'on ne fasse pas de confidence à mesdames Hipolyte ou Bonnecaze.
Mais n'en faisait-il pas à son chef ? D'après vous il y avait une
cloison infranchissable entre vous et Garat, j'en doute. »
Papon répond, mais on sent bien que le coup a été dur...
Le président Castagnède en remet « Ce que je voulais dire, c'est qu'un
chef n'a pas le droit d'abandonner son subordonné. »
Intervient la pause, côté cage de verre blindée, c'est la cellule de
crise, ça discute dur... Varaut ne va sûrement pas faire son numéro
habituel devant la presse...
Le président Castagnède " J'appelle monsieur Panaras René. »
René Panaras « Je suis né le 22 janvier 1934 à Paris dans le 10° »
Le président Castagnède " Vous êtes partie civile pour votre
grand-père et votre grand-mère Timée, et Samuel Geller. Vous pouvez déposer
»
René Panaras « La première fois que j'ai vu écrit le mot Auschwitz
comme camp d'extermination de ma grand-mère Timée, née le 02 février
1882 à Tukum et de mon grand-père Samuel Geller, né le 04 Avril 1884 à
Tukum, c'était dans un acte notarié en 1965 quand on a vendu la maison
de mes grand-parents. C'était 58 cours de la somme et l'acte
administratif précisait qu'ils étaient morts à Auschwitz sans laisser
de testament. J'ai entendu l'accusé dire qu'il y avait beaucoup de trous,
beaucoup de vides. Le vide je l'ai vécu parce que mes grand-parents n'étaient
plus là et le trou je l'ai vu parce que toute la maison avait été vidée
de ses meubles et de sa vie. Mon grand-père était tailleur, il n'y avait
plus ses machines à coudre pour travailler, ses outils. Le vide était là,
les murs étaient là, tout avait été vidé, tout ce qui constituait la
maison de mes grand-parents. Mon grand-père était tailleur, la maison
avait été vidée à leur déportation, aucune scellée n'avait été
mise sur les portes, ils ne reviendraient plus jamais, cela se savait, ils
n'auraient jamais plus besoin de rien.
Ma vie professionnelle m'a beaucoup occupé, je n'ai jamais eu beaucoup de
temps pour mes affaires personnelles. En 1988, mes beaux parents qui étaient
revenants d'Auschwitz m'ont dit « tu devrais prendre contact avec Michel
Slitinsky et Gérard Boulanger. Ils nous ont montré des listes avec les
noms de tes grand-parents ». Et là, malgré mon travail, je me suis
senti le devoir et la responsabilité d'aller voir Slitinsky et Boulanger
pour me porter partie civile et m'associer à leur travail. Mes grands
parents venaient de Courlande entre la Baltique et la Dvina. Ce fut en
Pologne, en Russie puis en Lettonie. Mes grands parents en 1903, 1904, ils
avaient 20 ans et sont partis pour la Suède, leurs enfants sont nés à
Stockholm, les deux premières filles, Rosa et Dora et ma mère Ida est née
à Gelfe en Suède. Puis ils sont partis à Londres, où mon grand-père a
appris son métier de confection pour homme. De Londres ils partent à
Paris en 1913 puis ils arrivent à Bordeaux en 1916. Ma dernière tante
Berthe est née en 1916. Ils sont restés à Bordeaux jusqu'à leur déportation.
Mon père était Lithuanien. Il arrive en France en 1925, il est naturalisé
en 1932 et il se marie en 1932. Je suis né en 1934 à Montmartre puis
nous nous sommes installés à Bazas, mon père était ouvrier
photographe. J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour mes grands
parents et mes parents parce qu'ils avaient de grandes capacités
d'adaptation et d'intégration. Ils en ont fait la démonstration, ils
s'adaptaient partout, ils s'intégraient. Ce n'est pas comme aujourd'hui
les gens qui viennent de Belfort je ne sais pas pourquoi je dis Belfort ou
de n'importe quelle ville. Ils ont du mal à s'adapter à s'intégrer.
Alors que mes grands parents ont été partout chez eux, ils ont changé
de climat, ils ont changé de métier, de culture. A Bazas, ils ont laissé
beaucoup de bons souvenirs, les bazadais s'en souviennent de façon impérissable.
Contrairement à ce qu'a dit l'Action Française ou lors des expositions
qui avaient lieu à l'Alhambra sur les juifs inassimilables. A la maison,
on parlait neuf langues, quand à Bordeaux il y avait un étranger qui
arrivait, on disait d'aller nous voir, on l'envoyait à la maison. A la
maison, j'ai vu défiler l'Europe entière. Je voudrais montrer cette
photo monsieur le président, j'aurai des choses à dire dessus. On pourra
la voir tout à l'heure.
En 1938, ma soeur est née, en 1939 les choses se sont compliquées. Ma mère
à mal vécu la mobilisation de mon père, et elle a eu des ennuis
cardiaques et j'ai été dans une famille d'accueil extraordinaire, les
Baluteau à Saint Côme. Il y avait 6 filles, j'ai été très gâté. Ma
mère suivait des soins à la clinique à Bordeaux. Et ma petite soeur
Annette était cachée chez les Mitteau à Chambéry, près de Léognan.
Elle y est restée jusqu'à la libération. Mon père s'est porté
volontaire et il a été mobilisé sur le front, il a su ce que c'était
lui le combat, il a su ce que c'était que les boches. Ici, certains font
des effets de manche et de parole. Lui, il a connu la ligne Maginot, il
s'est battu dans les Ardennes, pas à Brest. Mon grand-père s'est engagé
lui aussi, il a vu les boches de près lui aussi, il n'est pas allé à
Brest lui non plus. Mon oncle lui aussi, il aurait pu mourir les armes à
la main, Pierre Messmer [allusion à la déposition de Messmer [ ici, lien
sur la déposition ] ] aurait été fier de lui et cela aurait mieux valu
peut-être pour lui. Ma tante vit à Bordeaux, lui, il [ Kaplanas Jankiel,
né à Kelme, Russie, le 13 juillet 1908. ] Il travaille comme tailleur,
c'est l'étoile jaune, il est dénoncé et part à Sodibor [ dans le
convoi N° 53 de 25 Mars 1943 ]. Il est exterminé, de ce convoi, il n'y a
eu que deux survivants ] . Il est mort, pas les armes à la main, mais gazé
et assassiné. Ma mère ne se sentait pas capable de tenir le commerce de
photographie de son mari, seule. Quand ma mère partait se faire soigner
à la clinique, j'allais l'embrasser. Je passais à travers les bois de
Saint Côme. Ce jour-là, on est arrivé avec cinq minutes de retard. Le
bus était parti. Je n'ai plus jamais revu ma mère. Elle est morte le 17
juin 1940. Le jour où mon père a été fait prisonnier de guerre. J'ai
souvent passé la ligne de démarcation avec Clothilde Baluteau, j'étais
le prétexte, elle portait du courrier à la résistance, En Novembre
1940, mon grand-père est allé à la préfecture, il faut croire qu'à la
Toussaint 1940, le service des questions juives ne chômait pas. Il
travaillait beaucoup contrairement à ce qu'ont dit certains témoins. .
Il a signé sa fiche de recensement
Mon grand-père ne connaissait pas le français, à partir de ce papier,
il pensait avoir la considération, être reconnu par l'administration
française, il a tout dit sur cette fiche, il a dit qu'il était israélite,
qu'il avait quatre filles, dont une décédée, ma mère. Il a dit qu'il
avait deux enfants à charge, ma soeur et moi, deux petits enfants à
charge. Dans la marge, il a indiqué que ses deux gendres, un était
prisonnier de guerre et l'autre blessé de guerre. Pour lui, c'était un
acte de citoyenneté. Je pense que ceux qui ont fait le fichier après, et
quand ils ont lu leur fiche, ils auraient dû se dire, « ce sont des gens
formidables ».
Eux, ils se sont battus contre les boches, ils ne sont pas allés se
promener à Paris comme certains, eux ils ont fini à Sodibor, cramés.
Mes grands parents ont demandé à monsieur et madame Baluteau « nous
aimerions récupérer René à Bordeaux, il n'a plus de mère, il n'a plus
de père ». Ils voulaient me récupérer moi et ma soeur. Ma soeur je
n'en ai pas de souvenir de gosse. Mes grands parents voulaient me récupérer
et paradoxe, j'ai franchi la ligne de démarcation à l'envers, de la zone
libre vers la zone occupée , tout d'un coup, il y a deux chiens et deux
allemands qui nous arrêtent. Clothilde a dit qu'elle m'amenait voir ma mère.
Puis elle a montré la lettre de mon père, prisonnier de guerre. Un des
soldats s'est écrié « Magdebourg, mais c'est chez moi ! C'est là que
sont mes parents ! ». Mon père était prisonnier de guerre à Magdebourg,
Stalag 2A. Le soldat regarde à droite, à gauche et crie « Snell, Snell
! » et il nous a laissé passer. J'arrive à Bordeaux en 1941, à
Bordeaux, j'ai le souvenir d'une famille heureuse. Mais 1942, ce fut une
année de grand malheur. Au printemps, un homme arrive et frappe à la
porte, « je viens porter des nouvelles de Georges », c'est mon père. Il
avait connu mon père au stalag 2A et il s'était évadé. Mon grand-père
me dit de sortir de la maison. Je suis parti, mais j'ai écouté à la
porte, il a dit, « vous savez... » »
René ne peut retenir ses larmes. Cela me fait penser à ces comparaisons
que René tente d'introduire avec Papon tout au long de sa déposition,
ses parents qui se sont battus les armes à la main pendant que Papon était
planqué. La nécessaire responsabilité du chef vis à vis de ses
subordonnés que René cite comme référence à la conduite de sa vie
professionnelle et que Papon rejette lâchement vis à vis de Garat. Mais
ce qui à mon avis est la marque la plus forte des différences entre
Papon, accusé de crime contre l'humanité et nous, parties civiles que
René en ce moment représente, est là dans cette émotion qu'il ne peut
contenir. Papon a dit une jour que son éducation lui interdisait de
pleurer en public. Et voilà que René, cet homme respectable et
extraordinaire, dans un élan d'une grande dignité humaine se met à
pleurer. Comme pour nous, parties civiles, les larmes ne sont pas
sensibleries, elles sont sa mémoire, notre mémoire d'une souffrance
vieille de cinquante ans. C'est là, le devoir de mémoire de René vis à
vis des siens. Alors à choisir entre le monstre dans sa cage de verre,
sans coeur, sans larmes ni conscience, et cet homme, digne, citoyen, bâtisseur
d'un monde meilleur et plus éclairé étreint par son émotion, il n'y a
pas l'ombre d'un doute...
Je suis parti, mais j'ai écouté à la porte, il a dit, « vous savez
quand il a appris que sa femme est morte, il s'est ouvert les veines. »
C'est à ce moment que j'ai appris la mort de mère...
En juin 1942, on a porté l'étoile jaune, c'était une année noire,
quand je pense qu'à Bordeaux des gens étaient heureux, tranquilles, aisés,
pour nous ce n'était pas le cas. C'était l'angoisse, une année
terrible. Ma tante Dora était esthéticienne, j'étais heureux d'aller
chez elle sentir le parfum, j'étais le chou chou des plus belles dames de
Bordeaux. A l'époque, son salon était très huppé. Quand on sortait
cours de l'intendance, on allait sur la chaussée, il fallait courir quand
on voyait un boche, on changeait de trottoir. Dans mon souvenir c'est le
cours de la honte. Place Gambetta, je me souviens , il y avait un café très
connu [ Le Régent ] il y avait une pancarte « interdit aux chiens et aux
juifs. ». A l'école, nous étions cinq ou six avec l'étoile jaune.
J'arrivais souvent à la maison avec le tablier déchiré, on me l'avait
arraché aux cris de « sales Youpins »J'ai le souvenir que le directeur
et les instituteurs nous défendaient, j'étais avec les enfants Stolpner
on était voisins et amis, ils habitaient cours de l'Argonne, nous cours
de la Somme. Ma tante a perdu son travail, jusqu'à sa mort, il y a 4 ou 5
ans, elle a gardé ce souvenir, elle est allée se faire coiffer cours de
l'Intendance, la coiffeuse lui lavait la tête, et elle a dit « Et puis
merde, j'en ai marre de laver les cheveux à une juive ». Ma tante est
partie avec un foulard sur la tête. Après la guerre, elle est revenue
dans le salon de coiffure, il y avait les mêmes personnes, elle s'est
fait coiffer les cheveux, elle a donné un gros pourboire et est partie
sans rien dire. C'était sa façon à elle de se venger.
1942, c'était une année d'angoisse, beaucoup parmi nous, ceux surtout
qui avaient de l'argent passaient la ligne de démarcation vers la zone
libre, ils allaient vers Pau. Nous, on n'avait pas d'argent, dans sa dernière
lettre de Mérignac, mon grand-père écrit « surtout n'oubliez pas de
donner la somme pour ma soeur ». Il fallait de l'argent.
1942, c'était une année terrible, d'angoisse. En octobre, nous nous
sommes réunis en famille. Il y avait mes tantes, mes grands parents, on a
dit il faut partir. Mon grand-père a dit alors « Non, on est trop vieux,
ils ne nous feront rien. A 64 ans nous sommes trop âgés. » J'ai le même
âge aujourd'hui, mais ce n'était pas la même chose en 1942 d'avoir 60
ans. Imaginez, ils sont allés en Lettonie, en Suède, à Londres, à
Paris puis à Bordeaux « Nous sommes trop vieux, Il ne peut rien nous
arriver. » Ma tante les suppliait de venir. Ils ne voulaient pas partir
à cause aussi de ma soeur qui était gardée à Chambéry. Je suis parti,
j'ai passé la ligne de démarcation entre Mont de Marsan et Ayres sur
Adour. Je suis arrivé dans une ferme près de Garlin, nous y sommes restés
quelques temps, il y avait beaucoup d'enfants de mon âge. Je me souviens
des canards. J'ai aussi le souvenir de la tante, elle est venue à Garlin,
puis nous sommes allés à Pau, on habitait Hôtel Central, dans une
petite chambre sous les toits. Ca c'était ma période bordelaise.
Je voudrais faire maintenant trois remarques, on parle toujours de
revolvers dans la nuque, de mitraillette dans le dos. On entend dire qu'on
ne pouvait rien faire. Je suis surpris, je connais très bien Roger Hanin,
c'est mon ami, en Algérie, les lois de Vichy étaient appliquées avec la
même sévérité et il n'y avait pas d'allemands. Voyez le film Le
soleil, les lois antijuives s'appliquaient avec la même vigueur. Il y a
toujours eu des gens viscéralement, antisémites, c'est grotesque quand
on verse une mitraillette [ Papon a versé aux débats une mitraillette
cadeau commercial en faisant croire qu'il s'agissait d'un geste de
remerciement d'Israel ] et qu'on ne sait pas s'en servir, moi je suis un
ancien d'Algérie.
Deuxième remarque, j'étais chef de service, j'ai eu sous ma
responsabilité plusieurs centaines de personnes, des chefs de service
sortis des grandes écoles, de bac + deux à Bac + neuf. Je connaissais
tout le monde, je pouvais être en vacances, quand il y avait un problème,
on savait me prévenir, on savait où me joindre. J'en assumais toujours
la responsabilité totale à mon retour. J'ai eu la chance aussi de côtoyer
les présidents de la société Elf, ils m'ont dit René, on gardera
toujours avec toi le souvenir de quelqu'un de qualité, je faisais corps
avec mes chefs, j'assumais toute la responsabilité. Quand je suis parti,
j'ai eu beaucoup de preuves d'amour. On ne charge pas ses subordonnés.
Quand je suis parti, les présidents m'ont demandé d'écrire mes mémoires.
Papon dit, « la préfecture c'est elle, c'est pas moi, moi c'est moi »
Pour moi, Elf, c'était moi, j'ai toujours étais fier d'y être. Ce n'est
pas possible de dire ça.
J'entends dans ce prétoire beaucoup de jeux de syntaxe, beaucoup de
paroles. Et on raye un mot par ci et on ajoute par là un que. C'est de la
haute syntaxe. Mais pendant ce temps, on rafle, on déporte, on tue, on
torture. « Non, non, Garat, on va mettre ça » ou à Sabatier « Non,
non, on va dire ça. » On dit ce sont des mots codés. Mais on écrit des
choses horribles « Les policiers ont eu à faire des choses pénibles,
ils l'ont fait avec beaucoup de tact, beaucoup de dévouement ». Mais
pour qui ce fut pénible ? Je le demande ? J'ai connu beaucoup de gens qui
ont témoigné de ce qu'étaient les rafles, les ramassages en voiture c'étaient
des faits horribles. Alors quand on adresse des félicitations à ces
fonctionnaires, elles sont insupportables. »
Le président Castagnède " Il faut admettre qu'elles étaient signées
Sabatier pas Papon. »
René Panaras « Je vous l'accorde monsieur le président. On dit on ne
savait pas, mais chez Elf, j'avais une revue de presse, j'étais au
courant de tout, pendant 40 ans, ça s'est passé ainsi. J'ai eu la chance
de côtoyer des préfets, des sous préfets, je sais comment cela s'est
passé. En 1939, dans les kiosques, il y avait une revue, « Question du
jour ». Je l'ai donnée à nos avocats, je l'ai donnée au ministère
public, la défense l'a. En décembre, on parle des atrocités allemandes,
on y parle d'un jeune garçon de 15 ans, il a vu ces revues,
il est bouleversé, dès qu'il a pu il s'est engagé dans la résistance.
Il écrit à sa femme, les chants que les nazis chantaient, c'était en
1933.
J'aimerai qu'il soit projeté. Monsieur le président, pour terminer tout
ceci, je voudrais dire pourquoi avoir attendu 50 ans, même 50 ans après,
j'ai été un négociateur redoutable, j'avais l'habitude de parler en
public de mener des réunions. Mais même 50 ans après, je suis toujours
étouffé par l'émotion, je ne peux pas m'empêcher de pleurer. » René
se remet à pleurer.
« J'ai eu de la famille en Lithuanie, là bas, tout le monde est mort, Un
livre noir a été écrit sur ces massacres, en 1989 il est édité en
Russie, il est traduit en 1995 en français. Je l'ai lu en 1997, j'ai passé
deux ou trois nuits, je l'ai remis à Maître Boulanger. Qu'est ce que j'y
ai vu ? La famille de mon père a été massacrée, tuée, il n'y avait
pas de fours crématoires, on mettait les corps dans les fossés. Ce qui
me rassure, c'est que le responsable qui coulait des jours heureux à
Toronto au Canada a été retrouvé en 1986. Il a été condamné à la
prison à vie. Je me réjouis que tous les hommes qui ont du sang sur les
mains sont toujours rattrapés par la justice des hommes. »
Le président Castagnède " Vous êtes partis quelques jours avant le
convoi, comment savez-vous ce qui est arrivé cours de la Somme ? »
René Panaras « Une de mes tantes, Rosa, arrêtée en passant par la
ligne de démarcation, ma cousine Céline Alisvaks, de la famille Alisvaks
qui sont aussi parties civiles, chose que j'ai découvert en étudiant les
pièces de ce dossier. Mon cousin et ma tante, passent la ligne de démarcation,
ils arrivent à Pau. Ma tante est arrêtée et conduite au camp de
Rivesaltes. Elle écrit au maire de Bordeaux. Non, non, excusez moi c'est
le maire de Bordeaux qui écrit à ma tante.
Madame Zoltobroda, camp d'hébergement de Rivesaltes Pyrénées Orient.
Le maire de la ville de Bordeaux
Vu la loi du 5 avril 1884 ;
Vu les renseignements recueillis;
Certifie que M. Geller Schumer Ascher, né le 4 mars 1884 de nationalité
russe, père de la nommée Zoltobroda actuellement au camp de Rivesaltes,
est en France depuis 1913 et à Bordeaux depuis 1916 où il habite 58,
cours de la Somme.
Fait à Bordeaux, en l'hôtel de ville, le 25 août 1942.
L'adjoint au maire.
Mon grand-père je vous signale on le voit russe, apatride, polonais, c'était
le bordel dans le service des questions juives à la préfecture, ils ne
savaient pas ce qu'ils faisaient. »
Le président Castagnède " Non, il est mentionné Lettonien » [ Je
ne sais pas d'où vient l'erreur, si c'est le président ou les documents
d'époque, mais ce que je sais c'est qu'on dit letton.]
Mes cousins Alisvaks ont fait le siège du camp de Rivesaltes pendant deux
ou trois jours, elle a été libérée et est venue à Pau. Je dis qu'on
pouvait libérer les gens si on le voulait. Elle est arrivée à Pau, on
était cinq dans la petite chambre, cela devenait invivable. Il fallait
quitter Pau, on a été pris par la gendarmerie et mis dans un village en
résidence surveillée jusqu'à la libération par le maquis. C'était à
Lacaune Les Bains, un petit village de 1500 habitants. Il y a deux ans,
avec mon épouse, je suis retourné à Lacaune, nous nous y étions en
juin 1943, de 1943 à 1996, ça fait une traite, j'ai tout reconnu, comme
si c'était hier. Quand on sort des hautes écoles, de science Po, ça
fait marcher la mécanique, la mémoire. J'ai passé la journée à
visiter le village, à pleurer, ma femme a rencontré des gens les uns
disaient, oui on se souvient, les autres disaient non, il ne s'est rien
passé. J'ai été voir le directeur du musée, je lui ai dit « comment
cela se fait-il qu'il n'y ait rien sur les 500 juifs ? » Le directeur a
dit « vous savez la population était à moitié antisémite. » (...) Il
y a eu 150 personnes qui sont parties au camp de Rivesaltes puis à
Auschwitz. Quand mon père a été libéré en 1945, le 1° mai, il est
arrivé à Paris, pour moi ce fut une émotion terrible, je ne connaissais
pas mon père. Quand il est revenu à Bordeaux et à Bazas, les gens étaient
formidables avec lui et lui ont rendu hommage. Les gens nous ont aidé,
ils nous apporté 6 cuillerées, l'un, des assiettes l'autre, un meuble,
etc. Mon père avait connu un rescapé d'Auschwitz il avait vu gazé sous
ses yeux six de ses enfants, mon père est arrivé avec une jeune fille le
crâne rasé, une des filles du camarade de mon père, « c'est ta soeur
» m'a-t-il dit, moi, je savais bien que non, mais on a été comme frère
et soeur, elle m'a appris ce que c'était Auschwitz et moi, je lui ai
appris le français. J'ai été nourri dans les récits d'Auschwitz jusqu'à
15 ans. Mon père a eu la maladie de Parkinson, il tremblait il ne pouvait
plus se servir de ses mains. Il m'a dit, je vais me suicider. On a essayé
de l'en empêcher mais il s'est renversé de l'alcool à brûler sur la tête
et a cramé une allumette. Il est mort. J'ai eu 1 frère qui est mort dans
un accident, une nièce qui est morte écrasée, mais cela n'a rien à
voir avec le drame de 1940 - 1942.
Maître Boulanger « Je remets les pièces versées par monsieur Panaras.
Il m'a demandé de lire deux documents très brefs, voici le texte du
chant nazi :
« Il faut d'abord que coule le sang juif
Pour que nous soyons libérés...
Le juif ouvrira son coffre-fort,
Adolf Hitler fera les comptes
Avec le canon de son revolver.
Quand le soldat monte à l'assaut
Il connaît la joie du courage,
Car le sang juif gicle du couteau
Et cela va alors beaucoup mieux.
Tire sur les juifs, tire sur ces chiens ;
A bas la graine de juifs
Qu'on massacre le dernier... »
Et voici la dernière carte de son grand-père écrite le 5 novembre 1942
Comment se sont faits arrêter vos grands parents ? »
René Panaras « C'est par mes tantes que j'ai eu le témoignage de
l'arrestation de mes grands parents, la police est arrivée, ils ont arrêté
tout le monde, ma grand-mère est sortie sur une civière. J'ai toujours
pensé qu'elle était morte soit dans le transport, soit à l'hôpital
Rotschild. J'ai demandé à Serge Klarsfeld s'il savait, il m'a envoyé un
fax, effectivement, elle est morte à Auschwitz le 6 novembre 1942. Quand
on a vu hier qu'il y avait une femme malade, j'ai eu un doute, j'ai cru
que c'était ma grand-mère. »
Le président Castagnède " On a au dossier des fiches du camp de
Drancy, » Il montre la photo de mariage.
René Panaras « Mon père faisait beaucoup de photos de mariage, voilà
la preuve que nous étions une famille heureuse, normale, assimilable et
non pas des rats comme il était dit dans les expositions antijuives à
l'Alhambra. Le marié est mort à Sodibor, mon grand-père est à côté
du marié, moi, je suis l'enfant de trois ans et demi, derrière les mariés
il y a ma mère et à côté mon père.... Merci monsieur le président.
»
Maître Klarsfeld « J'ai une brève question à poser à l'accusé. Il a
dit les allemands ont trompé la préfecture en disant d'emmener deux
paires de chaussure et le strict minimum de toilette. Est-ce que cela a
suffit à l'accusé pour le rassurer sur la destination du convoi, il était
évident qu'on ne ramène pas ces juifs chez eux. »
Papon « Je confirme que cela avait pour but de tromper les esprits. »
Maître Klarsfeld « Cela avait pour but, mais est ce que cela a suffit à
l'accusé pour le rassurer sur la destination du convoi ? »
Papon « J'ai déjà répondu. »
Maître Klarsfeld " Non vous n'avez pas répondu, vous avez répondu
en termes généraux. Est ce que cela a suffit à l'accusé pour le
rassurer sur la destination du convoi ? »
Papon « Ca m'a troublé. »
Maître Klarsfeld « Je note que vous en avez été troublé. »
Le président Castagnède " Je vous remercie,
j'appelle Esther Fogiel. »
Esther Fogiel, 63 ans, née le 4 août 1934, retraitée.
[ croquis d'audience d'Esther Fogiel]
Fille, soeur, petite fille, nièce, cousine
de huit personnes déportées de Bordeaux Mérignac
à Auschwitz les 15 juillet et 26 octobre 1942
1925 ma grand-mère arrive en France, avec trois de ses filles, fuyant les pogroms juifs
de Lettonie.
1928 mon père Jean Fogiel arrive en France, fuyant l'antisémitisme polonais.
Mes parents se marient en 1933. Je suis née en 1943 le 4 août. Mon petit frère Bernard
en juillet 1936.
Mes parents ont eu une vie difficile en tant qu'émigrés, ma mère devant aider son mari,
dans leur commerce. (Marchands forains) elle a dû me placer dès l'âge de 6 mois en
nourrices. Je ne peux donc donner beaucoup de détails sur eux, les ayant peu connus. Mon
petit frère à sa naissance a été en partie élevé par ma grand-mère maternelle,
venue habiter chez nous, à ce moment là.
En 1939, mon père s'est engagé volontaire contre l'occupant. Démobilisé en 1940, je
pense avoir été reprise par mes parents, à ce moment là.
De par les lois « antijuives » mes parents doivent abandonner leur ancien commerce. Mon
père sera docker jusqu'en juillet 1942. Je me souviens des restrictions alimentaires, du
port de l'étoile...
Mes parents projettent de passer en zone libre. Un
samedi, ma mère m'attend à la sortie de l'école et m'accompagne directement à Bègles
chez un jeune couple. (Je dois passer la première, la semaine suivante mon petit frère
et enfin mes parents avec ma grand-mère). Ce jour-là, à Bègles, chez ce jeune couple,
je joue à la poupée avec la petite fille de la maison. Mais je suis surprise par
l'immobilité de ma mère, qui me regarde, avec un sourire triste, elle n'en finit pas de
se décider à partir, petite fille, cela me surprend. Je n'ai jamais oublié cette
dernière image de ma mère, comme si, à ce moment là, elle pressentait ce qui allait
arriver...
Le lendemain, je pars avec une femme étrangère pour Valence d'Agen (Tarn et Garonne). Je
suis accueillie par une ancienne nourrice. Qui vit là avec son mari, (forgeron retraité)
et son amant (facteur retraité). Au bout de trois jours, ces gens là sont devenus
brutaux. J'ai subi un viol peu après mon arrivée. Très perturbée physiquement par un
tremblement spectaculaire qui ne s'atténuait pas, on a dû me cacher dans une institution
religieuse. Là, je suis désignée par une religieuse comme le « suppôt du diable »
avec interdiction de me confondre avec les autres élèves. Un mois plus tard, je reviens
chez ces gardiens où les mauvais traitements continuent : Pendaison d'une petite chienne
à laquelle, je m'étais très attachée, au-dessus de mon lit. Une dent cassée. Un ver
de terre dissimulé au fond du bol du petit déjeuner, etc.
Pour ce débarrasser du vieil homme de mari (70 ans) on me mettait dans son lit. Pas ou
très peu de scolarité... L'entretien de leur maison.
Je pense que ces gens-là ont eu une connaissance immédiate de la déportation de mes
parents et ont été dépités de n'avoir pas pu profiter de leur argent.
J'ignore quant à moi, tout des événements extérieurs, la déportation de ma famille,
de mes parents.
Je me suis crue abandonnée et même punie, puisque là on me maltraite :
- C'est l'effondrement total,
- il n'y a plus de repères,
- C'est le vide absolu...
Je tente de me suicider physiquement par hydrocution.
Je tente aussi par un effort de concentration psychique extrême (sur l'idée que la
réalité n'existe pas, que tout cela n'est qu'illusion) par « perdre conscience »
quelques secondes... c'est un exercice auquel je me soumets souvent.
En 1945, l'été, cette famille d'accueil est arrêtée puis incarcérée. Une tante très
éloignée, ayant eu cette adresse par ma mère est venue me chercher.
Je suis repassée rue de la Chartreuse, à Bordeaux dans notre ancien quartier.
Je reconnais une robe de ma mère sur le corps d'une étrangère - la cave de notre
appartement a été creusé à la recherche d'hypothétiques Louis d'Or ?
Quelques mois plus tard, un compagnon de déportation de mon père, me retrouve. Il dit le
décès de mon père le jour de la libération du camp d'Auschwitz... Ils ont fait
ensemble les mines de sel.
J'entrevois un oncle paternel, frère de mon père, Alfred Fogiel. Il se jette à mes
pieds, sanglotant, me demande « pardon ». Il s'est retrouvé avec mon père à
Auschwitz. Il s'est suicidé quelques mois plus tard, ne supportant sans doute pas d'avoir
survécu. Il a été déporté depuis Niort.
J'ai aussi ignoré la déportation de mon petit frère Bernard, avec ma grand-mère Anna
Rawdin -Tous deux sont partis par le convoi du 26 Octobre 1942 - depuis Bordeaux. Eux
aussi, arrêtés par la police française.
Aucun membre de ma famille n'est revenu, soit huit personnes.
Je n'ai aucun souvenir sur la manière dont j'ai appris la disparition définitive de mes
parents, de mon petit frère, de ma grand-mère ... (excepté mon père ?)
A 30 ans, j'ai presque réussi une tentative de suicide
- Pour avoir été confrontée au vide absolue,
- pour avoir été confrontée à la culpabilité du survivant. Culpabilité qui entrave
toute tentative de vie.
- pour avoir perdu le sommeil et usé de somnifère toute ma vie,
- pour avoir été confrontée au deuil impossible.
Je ne sais rien de l'enfance, l'adolescence et enfin de la femme qu'avait pu être ma
mère. Ma connaissance reste archaïque ?
Je suis dans l'ignorance la plus totale pour ce qui concerne mon père, Reste-t-il des
survivants en Pologne ? Avait-il des frères et des soeurs ? Qui étaient mes grands
parents paternels ?? ... Qui était ce père ?
Mon père, ma mère, des termes que je n'ai jamais pu prononcer de ma vie pour en
connaître la résonnance dans la réalité...
Pendant des années, je n'ai cessé d'effectuer inlassablement ce voyage vers « Auschwitz
», avec l'espoir insensé d'aller à la recherche de quelques Traces... De rejoindre mes
parents...Leur disparition a laissé une béance à jamais là... Cet événement a
provoqué un état de sidération tel, que rien ne peut s'élaborer à partir de lui... Il
n'a laissé que désastre et cendres...
Puisse ce procès, par la mise en question d'une période où une partie de l'humanité
est devenue folle, où le meurtre faisait loi, et s'exerçait méthodiquement,
consciencieusement...
Par la mise en question d'un fonctionnement humain, sans valeurs, ni conscience, redonner
à chacun sa juste place et permettre ainsi aux victimes, de se décharger un peu de cette
« culpabilité émissaire ».
Je pense à mes parents, mon petit frère, confrontés à la plus extrême détresse et à
la mort, dans une « absolue et total solitude ».
Le président Castagnède montre les photos de sa mère et de son père. Le père
d'Esther, d'origine polonaise est habillé en militaire, dans un uniforme français.
Michel à mes côtés, me dit « je reconnais sa mère, je l'ai bien connue, on était
voisins, je connaissais bien votre grand-mère et son frère, on jouait souvent ensemble.
Je l'appelais Albert. »
Maître Boulanger « On voit sur la photo que le père d'Esther est en uniforme français,
il était engagé dans les bataillons polonais de l'armée française. »
Le président Castagnède " Je dirai simplement un mot de la famille Plewinsky,
Emmanuel né le 23 avril 1908 et Sgajudko née le 22 septembre 1908, ils sont arrêtés à
Libourne et l'un et l'autre sont déportés par Mérignac, Drancy, puis Auschwitz le 19
juillet 1942. »
Esther regagne sa place.
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