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date dernière modification : 21/11/02

Chronique du 18 Février 1998

La résistance de Papon à travers les audiences du 18 février au 3 mars 1998

Croix de bois, croix de guerre, si je mens, je vais en enfer

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Je vous propose un résumé des témoignages sur la résistance de Papon. En fin de compte, ces résistants truffés de médailles (croix de guerre, etc.), n’ont fait qu'aggraver le cas de Papon.

Car si j'ai bien compris, aucun n'a de faits précis à rapporter si ce n'est des " on dit " ou lorsqu’il s’agit de faits prétendument précis, ils sont très vite démentis… Comme l’a dit Maître Boulanger, pour Papon "c'est celui qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l’ours résister...".

Quoi qu'il en soit, et en tout état de cause, la défense veut plaider à travers la résistance de Papon, les circonstances atténuantes, hé bien, même s’il a été vraiment résistant, cela serait au contraire des circonstances aggravantes...

Christian Lehmann, médecin, romancier, réagit à ce défilé…

Il semble qu'un énième grand résistant soit venu déclarer que personne ne savait rien sur le sort des déportés, pas même les alliés. Et que, tant qu'à attaquer Papon, on allait se retrouver à attaquer aussi la résistance, De Gaulle, les alliés, etc. Je vois, peut-être à tort, dans cette tentative d'anciens résistants dont les faits de guerre sont incontestables, et incontestés, une tentative maladroite de couvrir Papon pour couvrir son parcours politique ultérieur sous De Gaulle. En tout cas, pour ceux qui se posent, légitimement, la question de ce que les alliés savaient, je conseille un livre que j'ai lu, il y a deux ans, donc qui n'est pas tout frais dans ma mémoire mais qui est une somme aussi remarquable que bouleversante sur les efforts de quelques-uns pour alerter l'opinion mondiale, et en particulier pour sortir le Vatican de sa torpeur et de son silence d'alors. Le livre s'appelle : L'EGLISE CATHOLIQUE AU TEMPS DU FASCISME ET DU NAZISME, du Dr Jean Fabre. Il est publié par des éditions belges, EPO, que je ne connais pas, et préfacé par le sénateur Caillavet. La lâcheté du pape, puis les tentatives de réécriture de l'histoire, sont détaillées de manière terrible, saisissante. Et le livre allie une grande puissance de recherche et de travail avec une lisibilité parfaite, quoique éprouvante. Il y est établi clairement que les alliés savaient, et que certains tentèrent de faire pression sur le pape pour qu'il condamne fermement le génocide hitlérien afin de tenter de réveiller plus vite les consciences allemandes.

Jean-Pierre PAPIOn, de Meudon réagit lui aussi...

Le procès vient de traverser une période difficile à vivre pour vous, les parties civiles. A ce moment, je tiens à vous faire part à nouveau de mon soutien, et de toute ma sympathie. Pour ma part, mon opinion est faite : Papon est un haut fonctionnaire, évidemment très intelligent, et qui à su conduire sa carrière en naviguant adroitement dans la période troublée où il a débuté. Ses contacts avec la résistance, (d'ailleurs quelle résistance ! ?), à partir de 43, dénotent une stratégie bien réfléchie pour préparer la poursuite de sa carrière après le départ des allemands, qu'il n'était pas difficile à un homme de son niveau et disposant de bien plus d'informations que le Français moyen de l'époque, d'anticiper. Voila donc un homme qui, pour construire sa carrière, n'a pas hésité à participer, même si cette participation s'est limitée à des activités administratives, aux opérations de la "solution finale". Il est important que l'on finisse, dans notre pays, a dire officiellement que le personnel administratif, surtout lorsqu'il est haut placé, est responsable de ses actes. M. Papon a, en toute connaissance de cause accepté de participer aux opérations anti-juives de Vichy. Il l'a fait par carriérisme, il a su très bien négocier ensuite son "dédouanement". Il est grand temps, en 1998, de dire officiellement que tous ces hauts fonctionnaires vichystes sont la honte de notre administration, et que le fait d'avoir dirigé un "service des questions juives", ne serait-ce qu'une minute (et, dans le cas présent cela a duré suffisamment pour effectuer les rafles), entraîne la culpabilité pour participation au crime contre l'humanité. Jean-Pierre PAPIOn, Meudon

Une autre réaction de Françoise Brunet

Il semble que la mascarade atteigne son comble avec quelques pauvres vieux résistants prenant leurs rêves pour des réalités et venant acclamer Papon et la France, et quoi encore. Je crois que le prétoire n est pas le lieu idéal pour comprendre l Histoire mais certaines limites semblent dépassées. J ont honte d être française dans ces moments la ! Les "non juifs" ont décidément le cerveau très épaissi et leur responsabilité est totale dans la déportation ; l Europe est dans le même cas. On n entend plus l Eglise depuis sa repentance (quelques larmes de crocodiles...) et pourtant elle est le coupable numéro 1 depuis 2000 ans ! Françoise Brunet

Papon lui explique son épuration "un jour, Gaston Cusin m'a dit : " Vous serez mon directeur de cabinet. " J'ai dit : " Vous n'y pensez pas ! J'ai été secrétaire général de Vichy. Vous me mettrez dans une situation inconfortable. " Un beau matin, il m'a dit : " Je vous donne l'ordre, au nom du général De Gaulle. " Alors qu'est-ce que j'ai fait ? Je me suis mis au garde-à-vous. "

Ou encore, Papon "je n'ai pas tenu de journal de la Résistance, c'était la dernière faute à commettre "

En écho, Maître Blet avocat de l’A.N.A.C.R. (Association Nationale des Anciens Combattants Volontaires de la Résistance) explique l’impossibilité de l’appartenance de Papon à la Résistance "beaucoup de noms, beaucoup de dates, mais, il manque un patronyme et un chiffre : le pseudonyme de Papon dans la Résistance et son numéro de matricule d'affiliation au réseau Jade-Amicol, dépendant de l'Intelligence Service britannique. Comment se fait-il qu’un membre d'un réseau, qui plus est haut fonctionnaire de Vichy et dépendant, en dernière instance, des services de Sa Majesté britannique, n'ait pas eu une quelconque identification. "

La série des témoins qui n'ont pas connu Papon pendant la guerre est impressionnante. Pourquoi, sont-il venus témoigner ? Aucun n'a connu personnellement l'accusé. Mais chacun l'affirme, sous la foi d’un serment bien mis à mal lors du passage de ces résistants : " Papon, placé en première ligne par les patriotes de Londres, courait les risques les plus grands. " Une thèse qui n’a guère résisté et qui frise le ridicule quand Papon affirme être à la fois sous la botte allemande, une mitraillette dans le dos et tout à la fois aider la Résistance et servir le régime de Vichy. Le même ridicule, quand il affirme changer d’appartement tous les soirs pour échapper aux recherches des nazis et venir travailler la journée à la préfecture.

Quoiqu’il en soit, en 1958, après deux tentatives infructueuses, celui qui vient alors d'être nommé préfet de police de Paris voit reconnaître son appartenance aux Forces françaises combattantes. Mais comme toujours, plusieurs faux ou anomalies alimentent les doutes sur les faits de résistance de l'accusé.

Parmi les contradictions relevées, notons les plus croustillantes.

Papon "nous sommes allés au jardin public, par peur des micros dans mon bureau " pour plus tard entendre Perpezat affirmer "devant moi, Gustave Souillac a justement téléphoné à Papon pour obtenir une carte d'identité et de l'habillement ".

La déposition de Roger Samuel Bloch a été lue, il y dit que Papon n’a fait que l’héberger et qu’il avait un seul contact à Bordeaux, au Port Autonome qui lui fournissait les informations.

Pourtant ils n’ont pas hésité à affirmer :

Papon "Maisonneuve m'a envoyé un membre du réseau, Roger Samuel Bloch " ou Liliane Schroeder "Papon était l'honorable correspondant de Roger Samuel Bloch "

Et encore Christian Campet "dans les semaines qui ont précédé la Libération, j’ai eu un contact avec Gaston Cusin à Bordeaux. Il avait rendez-vous à la préfecture avec un correspondant qu'il connaissait depuis longtemps, Papon ". Toujours d’après Roger Samuel Bloch, Cusin entend parler la première fois de Papon le 6 juin 1944, jour du débarquement, à la gare de Périgueux.

Autre mensonge de Papon "  La distribution de cartes d'identité et de ravitaillement pour les agents clandestins. Le recueil des équipages américains descendus par la DCA allemande ", mais là encore, comme dirait la procureur général, la vérité des faits contredit les propos de l’accusé. Une pièce lue par Maître Lida Klarsfeld montre Papon demander aux allemands une prime pour l’arrestation d’un aviateur anglais.

Autre affabulation, Fabienne Feuillerat "entre 1942 et 1944. Un commissaire de police résistant, accompagné d'un inspecteur, m'a prévenue à son domicile, vers cette date, des intentions de la police allemande d’arrêter Papon. Le lendemain, Papon m'a pris les deux mains dans les siennes et m'a dit tout s'est bien passé. Seulement, maintenant, je changerai de domicile toutes les nuits. " Ou Jacques Monribot, "la Gestapo le recherchait. C'est lui qui l'aurait planqué, hors de la ville, le temps d'une nuit. C'est encore lui qui, une fois l'alerte passée, aurait raccompagné le secrétaire général de la préfecture à son bureau, dès le lendemain. " Même un enfant de 5 ans trouverait un mensonge plus crédible ou alors c’est du Bourvil et De Funès : Papon travaille le jour tranquillement à la préfecture de la Gironde et la nuit il joue aux gendarmes et aux voleurs avec les nazis.

La première pièce donnant acte d'une participation de l'accusé à la résistance est datée du 25 octobre 1944, elle est signée colonel Ollivier, pseudonyme du lieutenant-colonel Claude Arnould. Elle indique : " monsieur Papon a contribué en tant qu'agent, depuis janvier 1943, au travail effectué par le service. " Gérard Boulanger avait montré dans son livre qu’il s’agissait d’un faux intellectuel. Mais, là encore, l’oralité des débats démontre que ce document est un faux pur et simple. Il n’est pas conforme aux attestations datant de la même époque, absence de numéro d’immatriculation et de double signature, mais surtout la signature est un faux maladroit. C’est que prouvent simplement les documents. Papon, qui avait qualifié Michel de faussaire, fait maintenant le dos rond...

Le jury d’honneur, Jean Pierre-Bloch dans son témoignage montre qu’elle doit en être la bonne lecture. Voir plus bas, la déposition de Jean Pierre-Bloch.

La veille des dépositions des témoins, le président Castagnède et l'avocat général Marc Robert avait soulevé le problème de la présence sur la liste des personnes sauvées par Papon, de Léonce Léon, un infirme de guerre de 14-18, que Papon avait fait déporter, mais qui avait été libéré à Drancy par les Allemands. Voyant les événements se gâtaient, la défense demande à Perpezat de dire qu’il ne s’agit pas de Léonce Léon mais de Léon des Landes. Malheureusement, pour eux, on apprendra les jours suivants que Léon Dussarat, alias Léon des Landes n’a jamais été arrêté et encore moins libéré. Alain Perpezat "Léonce Léon, en réalité c’est Léon des Landes."

Lors de l'instruction, Papon avait présenté Yvette Chassagne, ancienne rédactrice auxiliaire comme un de ses contacts qui, au service des Questions juives, auraient été chargé d'organiser les fuites permettant de saboter les rafles. Or il n'en est rien. Non seulement Yvette Chassagne n'a jamais travaillé au service des Questions juives, mais encore, elle n'a jamais rencontré son responsable, Pierre Garat

Jacques Monribot cite "le nom de deux femmes - dont l'une était condamnée à mort - et qui ont été sauvées, dit-il, grâce au secrétaire général " Mais trop, c’est trop, on apprendra plus tard que ces deux femmes travaillaient  pour la Gestapo

A trop vouloir en faire et loin de blanchir l'accusé, leurs dépositions ont semé le doute sur l'ensemble de la résistance et du processus d'épuration de Papon.

On trouve aussi des réponses qui fleurent bon le vrai et la bonne France, comme comme celle d'Hubert de Beaufort qui n’hésite pas à dire "plus on montait dans la hiérarchie, moins on savait… " Quelle honte pour la mémoire de sa famille…et pour la vérité...

Tout commence le mercredi 18 février,

Maître  Varaut revient sur " les pressions externes et internes, impunies, exercées sur le cours de la justice. Bien que des magistrats aient demandé des poursuites contre Maître Klarsfeld, qui avait accusé le président Castagnède d'avoir menti au sujet de son lien de parenté avec des victimes des faits qu'il a à juger, il n'y a pas eu de suites, depuis le 10 octobre, nous pensions nous battre à armes égales. Les choses ne sont plus les mêmes ".

Puis, il renonce à demander le retour de l'historien Jacques Delarue, dont la déposition a été interrompue, la veille, à la suite d'un malaise.

Le président Castagnède " Les pressions sont dans la nature des hommes, a répondu le président Castagnède. Ce qui compte, c'est de savoir quels effets elles ont. C'est ce à quoi nous veillons ici. Je n'y reviendrai pas. "

Papon, entame le chapitre de sa résistance " l'heure est enfin venue de feuilleter les pages du livre, bien modeste en ce qui me concerne, de la Résistance. " Pour la circonstance, il reste debout, il parle de " sa " résistance.

Le président Castagnède rappelle qu'elle donne lieu " à une controverse ". Le mot est faible.

Papon " La Résistance, on ne s'y inscrit pas comme dans un club de bridge ou de football ! " Il détaille les quatre volets de son action résistante.

" L'adhésion au réseau Jade-Amicol, tout d'abord, en tant qu " agent occasionnel. En juillet 1942, peu après mon installation à la préfecture de Bordeaux, je reçois la visite d'un ami, Jean Poitevin " une connaissance d'avant-guerre au ministère de l'intérieur. " Nous avons d'emblée été d'accord sur les valeurs qui avaient été les nôtres et nous avons réfléchi aux moyens de s'opposer à l'imperium allemand. Monsieur Poitevin avait un ami, Gustave Souillac, qui était l'un des pôles essentiels du réseau Jade-Amicol. Ce réseau trouvait ses ressources auprès de l'Intelligence Service (...). Il était cloisonné. Et on l'avait super cloisonné en ce qui me concerne. " Rires et sourires chez les résistants, eux authentiques de la partie civile, je cite Germaine Bonnafon, Slitinsky, Maurice et Paulette Matisson, Tarif, Chassaing.

Papon poursuit "j’étais honorable correspondant du réseau Marco Kléber. Un ami, Maisonneuve, est venu me voir courant 1943. Nous sommes allés au jardin public, par peur des micros dans mon bureau. J'ai pensé qu'il n'était pas contradictoire de travailler pour Jade-Amicol, dont les objectifs étaient militaires, et Marco Kléber, plutôt administratif. Il m'a envoyé un membre du réseau, Roger Samuel Bloch, qui s'intéressait aux fortifications du mur de l'Atlantique. Je l'ai reçu et caché plusieurs fois chez moi. J’étais en liaison avec le Docteur Poinot, chirurgien résistant de l'hôpital Saint-André ". Puis Papon explique la façon dont il a organisé le séjour clandestin, à Bordeaux, de Gaston Cusin, futur commissaire de la République de Bordeaux, dont il deviendra le directeur de cabinet pendant les trois mois qui précédèrent la Libération. " Je ne me présente nullement en un héros de la Résistance ", conclut Papon. " J'ai fait ce que j'ai pu là où j'ai pu, en travaillant sous les ordres de chefs dont le souvenir reste dans mon âme une flamme inextinguible. "

Le président Castagnède " Pour ce qui est des actions, qu'y a-t-il à mettre dedans ? "

Papon "  La distribution de cartes d'identité et de ravitaillement pour les agents clandestins. Le recueil des équipages américains descendus par la DCA allemande. Le sauvetage de réfractaires au service du travail obligatoire (STO). J'essayais aussi de tirer des renseignements de mes contacts avec la Feldkommandantur. "

Le président Castagnède " Quel type de renseignements ? "

Papon " Essentiellement des déplacements de troupes. " " Un jour, Gaston Cusin m'a dit : Vous serez mon directeur de cabinet. J'ai dit : Vous n'y pensez pas ! J'ai été secrétaire général de Vichy. Vous me mettrez dans une situation inconfortable. Un beau matin, il m'a dit : Je vous donne l'ordre, au nom du général De Gaulle. Alors qu'est-ce que j'ai fait ? Je me suis mis au garde-à-vous. "

Le président Castagnède, aborde la validation controversée des titres de résistance de l'accusé. Papon s'est vu délivrer une attestation d'appartenance aux Forces françaises combattantes (FFC), avec attribution de la carte de CVR (combattant volontaire de la Résistance), le 19 juin 1958, alors qu'il venait d'être nommé préfet de police de Paris. Cette reconnaissance officielle avait été demandée le 7 septembre 1952.

Papon "  Je sais qu'on a créé sur cet écart de date des commentaires aux termes desquels cela traduirait une résistance fictive. Pourquoi ne l'ai-je pas demandée avant ? Parce que je n'y ai pas pensé. C'est un collaborateur qui me l'a fait remarquer. "

Le président rappelle "la procédure de reconnaissance longue et chaotique. Bien qu'en possession d'une attestation datée d'octobre 1944 du lieutenant-colonel Claude Arnould, commandant le réseau Jade-Amicol, la première demande d'affiliation au FFC de 1952 est rejetée en 1953. " On verra par la suite, que l’attestation n’est qu’un faux. Première pièce donnant acte d'une participation de l'accusé à la résistance, elle est datée du 25 octobre 1944, elle est signée colonel Ollivier, pseudonyme du lieutenant-colonel Claude Arnould. Elle indique : monsieur Papon a contribué en tant qu'agent, depuis janvier 1943, au travail effectué par le service.

 

La première démarche de Papon pour obtenir la carte de combattant de la Résistance est effectuée en septembre 1952. Elle reçoit un avis défavorable en décembre 1953, au motif qu'on ne trouve rien au dossier. Un recours contre cette décision est déposé en octobre 1954, appuyé par une nouvelle attestation du colonel Arnould (novembre 1954) qui, cette fois, donne un certain nombre de détails sur les services rendus par Papon. Puis, apparemment, il ne se passe rien jusqu'en 1958.

Le procureur général Desclaux "le 27 septembre 1956, la commission ad hoc avait, pour la seconde fois, rejeté la demande de carte de combattant de Papon.

Au printemps 1958, l'affaire est relancée et le lieutenant-colonel Arnould rédige une nouvelle attestation. En juin de la même année, Papon, qui entre-temps est devenu préfet de police, obtiendra enfin l'attestation désirée, juste avant la date de forclusion pour la reconnaissance des qualités de combattant volontaire de la Résistance.

Sur les listes du réseau, ne figure pas le nom de Papon, sauf sur un exemplaire, dressé en 1945, mais qui domicilie l'intéressé à Lyon, à moins plus vraisemblablement qu’il ne s’agisse d’un homonyme. Un recours est formé en 1954. Rejeté. Une troisième demande est formulée en 1958. Le commandant Arnould atteste alors qu'il y a identité de personne entre le Papon de Lyon et celui qui devint entre-temps préfet de police de Paris.

Mais, le président Castagnède insiste sur les anomalies du dossier. " Le chef de Jade-Amicol, signataire d'une attestation de 1944, indique curieusement, en 1958, que le cas de Papon ne lui a été signalé par Gustave Souillac qu'en 1954.

Quant aux actions avancées pour accompagner les demandes, elles sont chaque fois plus étoffées et révèlent quelques surprises parmi la quinzaine de libérations de résistants ou de réfractaires au STO alors revendiquées.

En 1944, rédigeant à la demande de Gaston Cusin, dont il était devenu le directeur de cabinet, une notice biographique, Papon avait signalé qu'il avait contribué à la libération de treize Français incarcérés et soustrait neuf personnes à la déportation. Dans la note du colonel Arnould de 1954, le nombre de libérations passe à quinze et le total des personnes exemptées de déportation passe à dix. Et, là, dans ces listes figurent, à l'étonnement du président Castagnède et du procureur général, deux noms. " Papon a fait valoir l'exemption du STO ! ! un certain Jacques Dubarry, rappelons pour ceux qui ont raté le début du film que Jacques Dubarry a été le secrétaire personnel de Papon puis le responsable du service des questions juives à partir d'août 1943 !. Là, c’est la franche rigolade dans les rangs des parties civiles.

Papon "j’ai effectivement empêché qu'il parte au STO. "

Ou encore retrouve-t-on sur la liste des résistants libérés par Papon, comme agent permanent du réseau Jade-Amicol, Léon Léonce. Léonce Léon, mutilé de guerre juif, présenté comme résistant, qui on l’a vu, a été sorti des hôpitaux bordelais par le zèle de Papon, raflé en 1944 et déporté à Drancy par Papon, puis libéré de Drancy par les allemands. Le président Castagnède le fait remarquer : " Léon Léonce n'a jamais été arrêté comme agent de la Résistance. Alors que fait son nom ici ? "

Papon "je suis moi-même surpris. Je reconnais ces anomalies, c'est une sombre pagaille. je suis un très mauvais bureaucrate pour moi-même. "

Le procureur général Desclaux "mais comment le colonel Arnould, qui n'était pas à Bordeaux et qui ne connaissait pas Papon, a-t-il pu citer les noms de Dubarry et de Léonce Léon ? L'accusé assure n'en rien savoir. Mais Maître Boulanger verse au dossier deux lettres qui révèlent que le colonel tenait ses informations de Papon lui-même.

Le point suivant aborde le sauvetage de juifs, ni dans la notice biographique de 1944 ni dans les trois attestations de l'ancien responsable du réseau Jade-Amicol ne figure un seul nom de juif que Papon aurait pu sauver. Or le jury d'honneur que le fonctionnaire vichyste avait convoqué en 1981 fait état de tels sauvetages.

Papon hausse les épaules et ne répond rien.

Maître Lévy "quels sont les éléments d'information concrète que vous avez fournis à ces résistants qui leur permettent de dire que vous avez sauvé des juifs ? " Dans le box règne le silence de mort des mauvais jours, on est sûr que Varaut ne fait pas le pitre avec Vuillemin.

Alors on se demande pourquoi la Commission de l'office des anciens combattants a par deux fois rejeté la demande de Papon pour enfin y faire droit. " Quel est le renseignement qui lui manquait ? Sur les listes, fort détaillées, des membres du réseau Jade-Amicol, établies dès la Libération par Pierre Moniot, véritable patron du réseau à Bordeaux, ne figure pas le nom de Papon ".

Papon "le colonel Arnould l'aurait trouvé sur une liste nationale de son réseau : Papon, Lyon. Et on aurait établi que ce Papon de Lyon était le même que celui de Bordeaux... " ?

Maître Blet s'étonne, de son côté, que Papon ait été un résistant sans pseudonyme ni numéro d'immatriculation et qu'il n'ait pas été dûment habilité par la Résistance à se maintenir à son poste.

Papon "j’étais doublement protégé pour des raisons de super sécurité ",

Maître  Lévy rappelle alors la sentence du jury d'honneur constitué à la demande de Papon en 1981 qui concluait, que l'ancien secrétaire général de la Gironde, bien que résistant à ses yeux, aurait dû démissionner, rédaction balancée à l'extrême," dès juillet 1942 "

 

Hubert de Beaufort, soixante et onze ans, économiste,

parle au nom de son père, Guy de Beaufort, chef du cabinet militaire du général De Gaulle en 1958. Sa famille, installée à Vichy pendant la guerre, s'est illustrée par une résistance héroïque. Notamment à travers trois réseaux : l'ORA (Organisation de la Résistance de l'armée), le BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) et le SOE (Spécial opération exécutive). Sa famille a payé un lourd tribut à la guerre. Ses trois oncles, actifs dans différents réseaux de la Résistance, ont été fusillés ou déportés ; les deux beaux-frères de son père périrent dans des unités combattantes. Seul son père survécut. Il assure que De Gaulle savait très bien dans quelle situation travaillait Papon. Mon père, ancien membre de l'Organisation de la résistance de l'armée (ORA), avait été chargé, en 1958, de trier les hauts fonctionnaires appelés à servir l'appareil d'État gaulliste. " Pour le général, il fallait des qualités professionnelles et un passé irréprochable. S'il y avait la moindre faille sur Papon, croyez-vous qu'il l'aurait maintenu ? " " Mon père a toujours considéré que Papon avait fait ce qu'il devait faire dans cette période difficile à traverser " "après guerre, il m’a raconté les conséquences du séisme qui, en juillet 1943, avait décimé les milieux résistants de Bordeaux l'affaire Granclément. Dès janvier 1944, le général De Gaulle sait ce qui se passe à Bordeaux. La Résistance officielle dans cette région lui semble tellement peu sûre qu'il prend des mesures très sévères. Le SOE [services secrets anglais] envoie [l'officier britannique] Roger Landes, qui va exécuter tout ce qui lui paraît suspect dans les réseaux, jusqu'au chef Grandclément, qui avait été retourné par la Gestapo. Il n'y a alors plus de direction de la Résistance officielle à Bordeaux. Quand Michel Debré demande à Gaston Cusin de prendre la direction de la région, il lui transmet une instruction claire du général De Gaulle : La résistance bordelaise est devenue un nid de vipères. N'y mettez pas les doigts, aurait dit De Gaulle au commissaire de la République Gaston Cusin, avant de l'envoyer à Bordeaux. Sur place, ce dernier s'appuie sur Papon : C'était la seule personne en qui il pouvait avoir confiance ! Il n'y a pas d'autre explication à cette saga. Papon, qui n'avait ni connaissance ni pouvoir, courait de grands risques : Il avait un revolver sur la tempe droite. Un revolver sur la tempe gauche. Et un fusil à lunette pointé sur lui " "le général De Gaulle, Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas, savaient très bien dans quelle situation travaillait Papon qui était connu pour ses sympathies avec la Résistance ".

Maître  Lorach s'inquiète de savoir s'il est " sérieux " de penser qu'un fonctionnaire résistant ait pu ignorer le contenu de certaines émissions de Radio Londres dès juillet 1942 concernant le sort des juifs.

Hubert de Beaufort " Vous m'obligez à faire une analyse assez pénible à entendre, répond le témoin. Il est exact que, dès 1942, certaines émissions font dire que les exterminations de juifs ont commencé. Mais ces informations, noyées dans un flot, seraient passées de l'inconscient au conscient si elles avaient été suivies par les responsables de la Résistance et les hauts responsables des Alliés. Ça n'a pas été le cas. Il n'y eut d'instructions ni de Londres ni d'Alger. Pour moi, avec le recul, c'est ça le véritable drame. Pourquoi aucun train de déportés n'a été arrêté jusqu'à juin 1944 ? " " La vraie raison tient en ceci que, autant à la base il y avait une sensibilité, le sentiment qu'un drame couvait, autant, lorsque vous remontiez la hiérarchie, il y avait une chape de plomb sur ces informations. Et la politique cynique des Alliés sur ce point. " Plus la guerre va avancer, moins le problème juif va être évoqué, (...) pour éviter des conséquences diplomatiques nuisibles. " " Ce n'est pas Papon qui pouvait faire quelque chose. Ce n'est pas lui le coupable, c'est la situation. "

 

Léon Boutbien, quatre-vingt-trois ans, Ancien résistant déporté en 1943 au camp du Struthof en Alsace, président de l'Union internationale des résistants, président d'honneur des Médaillés de la Résistance, grand croix de la Légion d'honneur,

" je fais part de mon indignation à voir un camarade de combat poursuivi pour crimes contre l'humanité. Il est toujours difficile de démontrer l'évidence je témoigne de mon étonnement d'avoir sur le banc des accusés Papon. Déjà témoin à cinq procès de crimes contre l'humanité après guerre " la différence entre " les bourreaux qu'il a fallu aller chercher très loin " et " un homme qui est venu (aux assises) spontanément pour demander justice ". " L'administration préfectorale a rendu de grands services à la Résistance, et a permis la permanence de la République. " " S'il y avait un lien de causalité entre signer tel ou tel papier de transport et le fait d'envoyer à la mort mille six cents personnes, je ne serais pas là. " " Nous ne savions pas. Nous ne connaissions pas l'extermination industrielle qui bouleverse les consciences. "

Le président Castagnède " Que savait-on alors ? Qu'imaginait-on à la vue de ces convois qui emmenaient des vieillards et des enfants ? "

Léon Boutbien " Nous avions tout imaginé sauf l'extermination. Nous savions très bien que dans les camps de concentration les conditions de vie étaient terribles, car on y mourait. Mais on n'imaginait pas la spécificité de ce crime. " " Si vous voulez faire un procès objectif, conclut-il, vous ne pouvez pas prendre un bouc émissaire pour le tragique destin qui a été celui de toute la France (...). Papon reste un de nos camarades. "

Maître Boulanger "le témoin pense-t-il toujours, comme il l'a écrit, il y a deux ans, que le procès Papon est celui des organisations juives contre la République ? "

Léon Boutbien "Léon Blum était témoin à mon mariage. On ne peut pas me taxer d'antisémitisme ! "

 

Roger Lhombreaud soixante-quinze ans, ancien résistant,

" interné pendant six mois au fort du Hâ en 1941, j’ai vécu à Bordeaux pendant l'Occupation, en 1943, réfractaire au STO. Mon père, fonctionnaire du ministère des finances décédé en 1977, était lui-même dans cette ville membre d'autres réseaux ou en contact avec eux : Jade-Amicol, Noyautage des administrations publiques (NAP), Marco-Kléber. Mon père nous a révélé qu'au cours du dernier trimestre 1942 il avait rencontré plusieurs fois Papon. Ces contacts concernaient l'échange de renseignements économiques, des mouvements de troupes allemandes. Quand mon père rentrait tard de la préfecture, nous disions : "Papon ! Papon !", en plaisantant sur le nom. Mon père souriait et confirmait. "

Le président Castagnède se demande pourquoi le témoin n'a révélé ces faits que tardivement.

Roger Lhombreaud " Mais j'ai écrit les grandes lignes de mon témoignage en 1991 à monsieur le procureur général de Bordeaux ! ". La lettre n'avait pas été versée au dossier.

Maître Boulanger s'étonne "le nom de votre père ne figure pas sur la liste du réseau Jade-Amicol ; le NAP n'avait aucun agent à Bordeaux. "

Roger Lhombreaud après un long silence "je dénie à quiconque le droit de trier le bon grain de l'ivraie ! "

 

Liliane Schroeder, soixante-dix-huit ans,

" Je suis ancienne membre du réseau Marco-Kléber, je viens en porte-parole  des responsables de son réseau, aujourd'hui disparus, Pierre Maisonneuve, Guy Jousselin de Saint-Hilaire, décédé à Noël dernier - ou qui ne peuvent pas se déplacer - Roger Samuel Bloch, à cause de son état de santé. Une liquidatrice, a effectivement noté à l'époque la présence de Papon, alors en contact avec Roger Samuel Bloch, qu'il a plusieurs fois hébergé. Papon a toujours été assidu à l'assemblée générale de l'amicale des anciens du réseau, fondée en 1986 : Il y avait la table des fonctionnaires de Vichy, qui se retrouvaient heureux de raconter ce qu'ils avaient pu faire comme entourloupettes aux Allemands. Dans le réseau, il y avait un noyau dur d'agents, souvent clandestins, dont on ne connaissait pas les vrais noms. Puis il y avait les honorables correspondants de chaque agent, qui apportaient des renseignements, qui avaient une couverture et rendaient des services. Papon était l'honorable correspondant de Roger Bloch. Un préfet de Vichy qui rendait des services...

Fabienne Feuillerat quatre-vingt-quatre ans,

" En juin ou juillet 1944, la Gestapo aurait voulu arrêter Papon. J’étais sténodactylo au secrétariat général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944. Un commissaire de police résistant, accompagné d'un inspecteur, m'a prévenue à son domicile, vers cette date, des intentions de la police allemande d’arrêter Papon. Le lendemain, Papon m'a pris les deux mains dans les siennes et m'a dit "tout s'est bien passé. Seulement, maintenant, je changerai de domicile toutes les nuits. A vrai dire, je sentais monter les périls. J'ai envoyé ma femme et ma fille à Salies-de-Béarn. J'ai pris mes dispositions pour faire face à toute surprise. La nuit, j'étais transformé en nomade. Le jour, j'avais pris des précautions pour que l'on me prévienne à la préfecture de l'éventuelle arrivée des Allemands. " Je me souviens de visites dans le bureau du secrétaire général qui faisait face au mien. Il y avait, l'abbé Pecquignot, curé de Cénac, curé très militariste ancien combattant, qui venait très souvent, j’ai appris plus tard qu’il était grand résistant ; un Père blanc - ou se présentant comme tel - venu faire tamponner de fausses cartes d'identité avec deux ou trois coups de tampon sur des cartes d'identité ; un dénommé Panzani, dont il était convenu que je devais faire comme si ses visites lui étaient destinées. " Elle se souvient de la grosse colère qu'aurait poussé Papon, un jour, en voyant un chef de la Milice embrasser sa secrétaire.

Le procureur général Desclaux, s'étonne " Papon, vous vous cachiez la nuit, vous veniez pourtant tous les jours à la préfecture. Si les Allemands tenaient tant à vous arrêter, ils pouvaient le faire aisément, de jour, sur votre lieu de travail !.

L'accusé hausse vaguement des épaules.

Maître  Boulanger " Je voudrais qu'on m'explique comment on peut résister le jour et déporter la nuit " puis "je ne comprends pas, les appréciations des services allemands vous décrivent comme plutôt favorable à l'Allemagne ? En juillet 1943, notamment, un rapport souligne l'attitude correcte et facilement coopérative du fonctionnaire, qualifié de rapide et sûr. "

Papon est furieux "pour prouver que j’étais recherché, voici une note allemande, en décembre 1943, elle fait état de mes sentiments pro-Américains. Vous voudriez aujourd'hui me faire passer pour collaborationniste ? Vous aurez du mal. Il y a une série de vingt-neuf documents - demandes de renseignements, rapports de synthèse - établis entre septembre 1942 et décembre 1943 qui montrent que les Allemands ont mis deux ans à savoir qui j'étais ! En janvier 1943, l'occupant me tient pour prudent, se tenant à l'écart des services officiels ; en avril 1943, pour favorable à la collaboration, on peut facilement travailler avec lui ; en juin 1943, pour anti-allemand, mais extérieurement complaisant à l'Allemagne ; en juillet 1943, pour un représentant de bonne foi de la volonté du gouvernement de Laval; en décembre 1943, pour pro-américain, on doit renoncer à un travail en commun. Quant aux visites qu'il rendait à Dohse, responsable des SS à Bordeaux, il en donne une lecture très personnelle, c'était un homme courtois. Il me disait de faire attention à moi. En fait, je le tenais. "

Maître Boulanger demande des précisions.

Papon boudeur " Cela ne vous regarde pas "

Marie-Christine Jeanniot, quarante-neuf ans, journaliste à l'hebdomadaire La Vie

parle d'une enquête qu’elle a réalisée en 1983 à Bordeaux "mon travail journalistique n'est pas exhaustif je n’ai pas rencontré ceux qui ont témoigné, jeudi 19 février, en faveur de Papon. Mais il y a eu les pressions qu'a subies, entre 1981 et 1983, Odette Marchal, la secrétaire du Père Antoine Dieuzayde, l'un des chefs du réseau Jade-Amicol, pour lui faire dire qu'il était en relation avec Papon. Madame Marchal doutait de l'appartenance de Papon au réseau Jade-Amicol, le Père Dieuzayde considérait l'ancien secrétaire général de la Gironde comme un " brave homme ", sans plus. " Brave au sens de sans importance "

Papon " C'est une expression qui m'habille très bien ".

" En 1981, je reçois une lettre de Papon me demandant les dates approximatives entre lesquelles se situent les activités du père Dieuzayde. "

Maître Charrière Bournazel "comment pouviez-vous demander ces précisions alors que vous prétendiez agir sous ses ordres ? "

Papon se tait.

Henri Chassaing, quatre-vingt-dix ans, ancien secrétaire fédéral du Parti communiste français.

Le président Castagnède "Voulez-vous vous asseoir ?"

Henri Chassaing " Je tiens debout encore, est-ce que je suis autorisé à avoir un pense-bête ? "

Le président Castagnède " Pas vraiment, vous pouvez, mais juste pour un nom ou une date "

Henri Chassaing " Je préférais avoir la certitude de ce que j'avance, c'était une précaution, mais si ce n'est pas autorisé, je m'en passerai." [ les textes en italiques sont les textes qu'il a omis dans l'émotion de sa déposition.]

J'ai demandé à témoigner dans le procès intenté‚ à M. Papon pour crime contre l'humanité‚ car j'ai vécu la période 1935-1945 dans la réalité vivante de la Résistance populaire au fascisme en Gironde et ailleurs.

Et cette réalité vivante mettant les faits dans le contexte où ils se sont produits n'a rien de commun avec les 40 millions de Pétainistes imaginés par H. Amouroux dans une histoire écrite avec la vision de son milieu et sa sensibilité à lui, pas celle de la France laborieuse.

Je ne dirais rien de 1936 et du terrible drame espagnol mais puisque M. Papon tient à préciser qu'il a été anti-munichois, soulignant la terrible faute de Daladier et de Chamberlain lorsqu'ils signèrent un pacte dit de "bonne conduite" avec Hitler et le nazisme qui devait sauver la Paix, mais fut en réalité un des points essentiels des reculades devant le fascisme.

La guerre en résulta et si M. Papon était resté dans les actes de sa vie anti-munichois qu'il prétend avoir été, il ne serait pas aujourd'hui dans ce box, accusé de crime contre l'humanité.

C'est de ce moment-là que s'accentua le cheminement du "plutôt Hitler que le Front populaire" avec tous ses aspects antisociaux et ses flottements de division des forces démocratiques.

Il y a quelques dizaines de mois, dans une réunion organisée par M. Amouroux, un de ses amis osa encore me parler des avions sabotés par les ouvriers communistes alors que trois jours avant de rejoindre les armées, secrétaire de la Fédération communiste de la Gironde, le 1er septembre 1939, je faisais à la barrière de Bègles une réunion de cellule communiste où l'on discutait des moyens de s'opposer à Hitler.

 

C'était Deat et Bergery qui théorisaient avec Marquet sur le refus de mourir pour Dantzig tandis que les espions et les traîtres Abetz et Ferdonnet s'en donnaient à cœur joie dans les salons de Neuilly et à la radio hitlérienne. Voilà ce qui préparait la drôle de guerre.

La drôle de guerre

La "drôle de guerre" je l'ai vécue comme sous-officier de peloton antichars stationné à Landrecies et suis venu deux fois en permission en décembre 1939 et mars 1940.

 

Le Parti communiste français ayant été dissous en septembre 1939 par une décision inique, j'ai fait partie des communistes qui se sont refusés à rompre les liens d'amitié et de combat qui les liaient entre eux et rejetaient cette dissolution.

J'ai donc été contacté lors de ces permissions et ai rencontré un certain nombre de membres du Parti dissous en particulier, sur la route de Libourne, mes camarades Chauvignat père et Arthur Jonet, qui avait été évacué de Moselle en janvier 1940 avec le personnel des usines de Longwy dont je vous reparlerai plus loin.

J'ai trouvé en mars 1940 à Bordeaux une atmosphère lourde, malsaine, et avec mon camarade Marcel Chassagne, curieusement permissionnaire aussi, nous avons éprouvé le besoin de rendre visite à ma mère en Corrèze.

Cela nous a probablement évité à l'un comme à l'autre d'autres ennuis, car la drôle de guerre, c'était aussi une certaine chasse aux communistes. Nous avons rejoint l'un comme l'autre nos unités respectives. C'était la "drôle de guerre".

Je préciserai aussi que me fut remis alors l'adresse de Maurice Thorez aux armées, lequel demandait que lui écrivent les mobilisés, je le fis dès mon retour. la lettre qui fut sans doute saisie ne lui parvint pas à coup sûr, car menacé d'arrestation, le Parti lui avait demandé‚ de passer dans l'illégalité complète.

J'ai essayé de retrouver cette lettre aux archives de l'Armée à Pau. Je suis arrivé à obtenir photocopie d'une partie de mon dossier matricule mais jamais la consultation de celui-ci. Ma lettre à Maurice Thorez y est peut-être. Qu'on me permette de rappeler ici que le Général De Gaulle, au lieu de se soumettre à Pétain, prit l'avion pour Londres depuis Bordeaux deux mois après.

La drôle de guerre n'était pour moi pas tout à fait terminée. Un matin, après mon retour de permission, le lieutenant commandant le peloton vint me dire : " Chassaing, je dois aujourd'hui vous conduire à Amiens au tribunal militaire devant lequel vous êtes convoqué." Et nous partîmes.

Nous fûmes reçus au tribunal militaire par deux magistrats ou policiers qui me demandèrent ce que je pensais de l'exécution par les Rouges en Espagne de mon propre beau-frère Louis Allo.

Ma réponse : <<Jamais vous ne me ferez dire cela. D'abord parce que c'est faux et que j'en ai la preuve. Mon deuxième beau-frère, Roger Allo, lui aussi à l'époque à Albacete dans les Brigades Internationales, est allé voir son frère Louis à l'hôpital, blessé mortellement devant Huesca.>>

"Cela pourrait faire un beau scoop "un secrétaire fédéral du Parti communiste dénonce l'assassinat de son beau-frère par les Rouges en Espagne." Si je le faisais, vous me prendriez pour un lâche et vous auriez raison. C'est tout ce que j'ai à dire.>>

Nous repartîmes pour Landrecies. Quelques jours plus tard, c'était l'offensive hitlérienne, la bataille de Belgique et la défaite. Je fus fait prisonnier avec la vie des camps à supporter, ce qui n'est guère mon genre.

La Résistance des prisonniers

Permettez-moi ici, dans la réflexion générale sur le contexte de l'époque, une rapide évocation de l'esprit de Résistance chez les prisonniers de guerre français en Allemagne.

Ce sont certes des faits incontestables que la rapidité de la défaite et la terrible pagaille de la déroute de nos armées nous frappèrent durement en tant que prisonniers mais l'esprit de soumission au vainqueur n'effleura que très peu d'entre nous.

Les prisonniers avaient l'esprit de la Résistance en lui-même, la preuve en étant apportée par le nombre des tentatives d'évasions.

Un fait vécu personnellement : sous-officier, je n'étais pas - conséquence de la convention de Genève - astreint au travail, mais comme des milliers d'autres, j'aspirais à rejoindre mes camarades au combat sur le territoire national dès le premier contact avec la vie des camps.

Et témoignant sous la foi du serment, j'affirme qu'il n'est pas un camp ou un commando dans lequel ne s'affirmait plus ou moins clairement cet esprit de Résistance dès 1940, allant parfois très loin.

C'est ainsi que le 1er mai 1941, le commando de prisonniers travaillant à la fabrique de chaux de Huschberg refusa de décharger un train de charbon qui venait d'arriver. Ce n'est que lorsque la quarantaine d'hommes qu'il comprenait furent mis le dos au mur face aux armes qu'ils s'exécutèrent et que le train fut déchargé.

C'était l'époque où la Whermacht devant les milliers et les milliers de tentatives d'évasions sous des formes multiples se mit à organiser les camps de représailles pour prisonniers de guerre et en particulier celui de Rawa-Ruska où m'amena une troisième tentative d'évasion.

Et là aussi, une expérience vécue visuellement : le pogrom des Juifs de cette petite ville, les 24 et 25 décembre 1942, que nos gardiens nous faisaient voir de derrière les barbelés du camp, celui-ci étant adossé à la ville.

Le fait est qu'à cette même époque, M. Papon, depuis les bureaux de la Préfecture, faisait de la Résistance, dit-il, en collaborant aux rafles et arrestations des Juifs bordelais pour qu'ils rejoignent les camps d'extermination. Il fallait à M. Papon un sacré tempérament pour superviser cela, même s'il ne savait qu'imparfaitement ce que Londres et les Résistants français dénonçaient incontestablement comme le démontrent les tracts versés au dossier.

La Résistance en France

Le mémoire en maîtrise de droit d'un jeune étudiant bordelais, M. Jean-François Fouasson, pour l'année 1940 à 45, est de ce point de vue particulièrement évocateur, apportant d'un même jet des photocopies de textes de l'époque 1940 à 1942 et des estimations quantitatives, soulignant la formidable activité de la Résistance populaire, hantise de M. Papon.

Voici une de ces constatations appuyées par des documents et des études chiffrées.

Ainsi, après une année de recherches, il a été possible de retrouver un corpus de 322 tracts et journaux communistes distribués à Bordeaux et dans sa proche périphérie entre juin 1940 et juin 1942 (6). Il comprend 194 originaux (128 tracts et 66 journaux) et 128 tracts dont nous n'avons pu retrouver que leurs titres, styles, modes et types d'impressions, souvent évocateurs. On peut difficilement conclure toutefois à une représentativité complète de l'activité réelle.

Ils permettent malgré tout d'observer des tendances à partir desquelles, par le discours et l'activité, nous avons pu observer l'évolution de la propagande communiste à Bordeaux.

 

On y trouve aussi les documents, les preuves incontestables de la dénonciation dans la population bordelaise de l'esprit antisémite, raciste du gouvernement Pétain et de sa haute administration.

Comment le secrétaire général de la Préfecture régionale, troisième personnage de cette administration, peut-il prétendre aujourd'hui ne pas avoir eu connaissance de cette agitation et de sa répression ?

La vraie Résistance, pas celle des salons préfectoraux, celle qui travaillait à faire connaître les horreurs du nazisme, l'a payé très cher.

J'ai appris à Hirchberg que mon beau-frère Roger Allo avait été fusillé, que mes camarades de combat étaient arrêtés, internés, déportés par milliers, tout comme les Juifs, sinon vers les fours crématoires, tout au moins pour certains vers des camps d'extermination prévus par la directive "Nacht und Nehel" comme Meyroune et un certain nombre d'autres.

 

M. Papon avait aussi la responsabilité d'organiser les convois de résistants quittant Bordeaux. La question est posée.

En tout cas - et mes camarades gaullistes, les vrais, ceux de l'ORA, de l'ARMEE SECRETE du BCRA et autres réseaux clandestins de renseignements - ne seront certainement pas choqués lorsque j'affirmerai que sans l'activité de la Résistance populaire à la trahison de Munich et aux milliers de journaux et de tracts qui surgirent de celle-ci en se diversifiant peu à peu, la Résistance dans sa globalité ne serait pas devenue ce qu'elle devint à la Libération, les divisions de soldats nécessaires pour chasser l'envahisseur du territoire national.

Parler des services rendus par la Préfecture paponesque à la Résistance est une véritable insulte car en face se dressent les 300 fusillés de Souge, les déportés, les internes et les souffrances du pays tout entier.

J'ai passé la frontière - 4e évasion - à Elfringen le 27 mai 1944 et rejoint aussitôt la Résistance armée, la vraie Résistance de libération.

Je n'en dirai rien sinon que lorsque j'entendis le cheminot appeler la gare en français, j'ai failli éclater en sanglots quoique je ne sois pas très émotif.

Pour le reste, je crois avoir rempli les responsabilités qui m'ont été confiées. J'ai fait mon devoir sans plus.

Bordeaux à la Libération

Je suis revenu à Bordeaux aux alentours du 1er janvier 1945, donc 4 mois après le retrait des troupes d'occupation pour y découvrir les ravages de la collaboration pétainiste ainsi que les terribles saignées dont avaient été victimes mes camarades et la Résistance tout entière.

Tout avait été pourri par vous M. Papon et vos acolytes, dans la ligne même de Dhose et de Grandclément, osant envoyer au Général De Gaulle des émissaires pour lui proposer un renversement des alliances démocratiques dans la guerre.

 

Je rappelle que celui-ci exila purement et simplement Thinières et Joubert au fond du Sahara sans autres formes de procès. Qui peut dire ce que serait devenue la guerre et la France si cette trahison avait réussi ?

J'ai été surpris, après coup, par les longues négociations dans le soi-disant sauvetage du Port de Bordeaux en contrepartie du maintien des poches de l'Atlantique ou les transactions parfois sanglantes autour de ce que vous appelez aujourd'hui à la préparation de l'insurrection nationale écartant les communistes, mais qui était tout simplement le maintien au pouvoir du maximum de ceux qui avaient collaboré avec les occupants et vous en étiez, M. Papon.

Peut-être est-ce cela qui fit dire un jour à M. Delaunay : "Ils ont été plus forts que nous. "

Je n'ai aucun souvenir personnel sur M. Papon durant la période où nous avons pu nous croiser à Bordeaux, c'est-à-dire durant le premier semestre de 1945.

 

J'étais, avec mon parti, beaucoup plus préoccupé par les difficultés énormes de la population, par les conditions difficiles des soldats sur le Front du Médoc, par la remise en route du réseau routier et de nos industries que par la fréquentation des salons préfectoraux.

Il a disparu de mon horizon sans y laisser de traces jusqu'à ce que je me préoccupe de l'hommage aux fusillés de Souge.

Je suis tombé, aux archives départementales en 1981, sur le nom et le dossier d'Arthur Jonet. Sous votre responsabilité personnelle, directe, il y avait une demande du dossier administratif de Jonet Arthur, les pièces de celui-ci, son arrestation le

même jour, son exécution le premier des 70 du 24 septembre 1942.

Ce brave Jonet, un homme en or, pris, avait été livré, dossier administratif y compris, aux fusilleurs nazis par Papon.

Voilà comment j'ai retrouvé Papon. De simples gens, beaucoup de jeunes, m'ont souvent posé la question : Ce procès va-t-il servir à quelque chose ? ajoutant parfois : N'est-il pas trop tard et Papon n'est-il pas le bouc émissaire ?

Pour moi, Messieurs les juges, Mesdames et Messieurs du Jury, comme je l'ai lu dernièrement ; juger ce n'est pas seulement et peut-être même essentiellement punir un homme. Dans une société, puisque nous vivons en société, c'est faire jurisprudence, c'est faire droit par avance à la société elle-même qui en a besoin pour exister.

Condamner l'antisémitisme, une des marques essentielles du régime Pétain et du fascisme, est déjà prémunir la société contre celui-ci.

Condamner Papon, haut fonctionnaire de Vichy n° 3 de la Préfecture régionale de Bordeaux, est aussi dire à chacun et en premier lieu aux hauts fonctionnaires de l'Etat, qu'obéir à un ordre criminel est un crime et que la désobéissance est alors un devoir.

Ce doit être une des règles du respect de l'homme, de la démocratie. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Papon "nous sommes hantés par le souvenir de ses fusillés. "

Henri Chassaing "vous pouvez l'être, en pensant à tous les juifs que vous avez déportés ! Je dirai que j'éprouve un peu de mépris et beaucoup de pitié pour l'accusé, jespère que la jury n'en montrera pas." La salle applaudit

Maître Vuillemin fustige un discours politique. La salle proteste vivement.

Le président Castagnède " Si les applaudissements continuent, cela donnera raison à la défense."

L'accusé salue le tonus du témoin et parle d'un meeting.

Henri Chassaing " Papon ose parler de meeting, quand on dit sa vie, c'est d'une singulière audace."

Irène Carbonier, deuxième assesseur, demande à Papon s'il peut étayer sur des faits précis ses actes de Résistance.

Papon cite " des renseignements politiques, administratifs, militaires, concernant la base sous-marine de Bordeaux, le mur de l'Atlantique, l'état de l'opinion, les besoins de l'armée allemande ; des renseignements économiques, à propos du ravitaillement ; une aide logistique, comme la fourniture de cartes d'identité et de "moyens divers" ". " Si, à l'occasion, des exemples concrets me viennent, je vous en ferai part, assure-t-il. Je n'ai pas tenu de journal de la Résistance, c'était la dernière faute à commettre. "

Irène Carbonier, deuxième assesseur, insiste "Vous donnez le contenu, mais à qui ? Qui étaient vos contacts ?" Dans le public, on entend " Des noms, des noms !! " ou encore " Il était tenu au secret professionnel. "

Papon "J'avais des contacts qui ne savaient pas eux-mêmes qu'ils étaient mes contacts."

Henri Chassaing " Sur la résistance de Papon, pour celui qui a vécu la résistance, c'est risible. "

Aimé Aubert, quatre-vingt-cinq ans,

" lieutenant fidèle de Marie Madeleine Fourcade, membre du réseau Alliance, directeur général du CNPF du temps où Papon officiait à la préfecture de police de Paris, je parle au nom des anciens grands résistants que j’ai connus personnellement et qui composèrent le jury d'honneur : Marie Madeleine Fourcade, Maurice Bourgès-Maunoury, Jacques Soustelle et le Père Michel Riquet. Ils authentifiaient sa Résistance et contestaient qu'il puisse être suspecté de crimes contre l'humanité. Je salue le résistant Papon. Les fonctionnaires de Vichy jouaient souvent le double jeu. J'ai moi-même été sauvé, en janvier 1944, par un commissaire de police nommé par Vichy, dit-il. La France était sous la botte allemande. On ne peut pas imaginer. Ce n'était pas un temps normal. Les choses étaient plus complexes. Il fallait trouver des renseignements. On dit "Papon aurait dû démissionner." Il aurait pu se planquer pour être tranquille ! C'était une solution de facilité que de démissionner. On était constamment dans le double jeu pour avoir des informations. "

Maître  Tubiana observe que l'appartenance de Papon aux Forces françaises combattantes (FFC) remonte officiellement au 1er janvier 1943, alors que le jury d'honneur avait estimé que celles de Papon aux Forces françaises combattantes (FFC) remonte officiellement au 1er

Aimé Auber "j’ai lu des textes affirmant au contraire que Papon avaient pris des contacts avec des résistants avant janvier 1943. Leur chef était d'ailleurs dans l'association de soutien à Papon. "

Papon cite pour sa part notamment un écrit du Père Riquet

Maître Tubiana " Mais la déportation des juifs par des fonctionnaires ne vous inspire-t-elle aucune réflexion d'ordre éthique ? "

Aimé Aubert " En ce qui me concerne, ce qui est arrivé aux juifs est une abomination indescriptible, l'un des crimes les plus abominables de ce siècle. Je n'aurai aucune indulgence pour quelqu'un qui a fait du zèle à faire arrêter ou déporter des juifs. "

Maître Tubiana insiste encore.

Aimé Aubert " C'était une affaire de conscience. Je ne peux pas préjuger de la décision du jury. "

Élise Poux-Milhat, veuve de Jean Milhat, un agent de liaison du réseau Jade-Amicol.

" Mon mari a toujours douté de l'appartenance de Papon à Jade-Amicol. Son nom n'a jamais été prononcé "

 

Alain Perpezat, soixante-dix-sept ans,

" Je suis entré en Résistance à la première heure. " Puis-je parler en toute liberté ? J'ai reçu des menaces et des insultes ".

Le président Castagnède " En principe, on fait tout en toute liberté dans le prétoire. "

Alain Perpezat "Léonce Léon, en réalité c’est Léon des Landes. " Puis il raconte la France de 1940, la défaite, les presque deux millions de prisonniers, les quatre-vingt-sept mille morts et disparus, les réfugiés qui affluaient, la " pagaille à Bordeaux. On ne peut pas comprendre aujourd'hui. " Puis, il raconte la mise en place des premiers réseaux de renseignements en 1940, ses contacts avec un officier britannique en 1941, l'Intelligence Service, sa formation par les Alliés, son entrée comme agent de liaison au réseau Jade-Amicol. " En 1942, j'ai pris la responsabilité de la région de Bordeaux. Tous les mois, je montais à Paris. On y faisait la synthèse des renseignements. En 1943, je m'aperçois que j'avais beaucoup de renseignements provenant de la préfecture de la Gironde, très précis, dans les domaines économiques et politiques. Souillac m'a dit : "C'est Papon qui nous les a fournis. J’ai entendu le nom de Papon vers mars 1943 ". Il tient de Gustave Souillac que l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, outre des renseignements, fournissait également des cartes d'identité, des vêtements pour les aviateurs américains dont les appareils étaient abattus par les Allemands. Le 4 janvier 1944 au soir, où, alors qu'il venait de rapatrier un aviateur américain, devant moi, Gustave Souillac a justement téléphoné à Papon pour obtenir une carte d'identité et de l'habillement ".

Alain Perpezat attaque Gérard Boulanger "A la page 171, 181, 183 : tout est faux. "

Maître Boulanger intervient, s'inquiète de savoir s'il est crédible d'avoir été résistant sans avoir eu de pseudonyme ?

Alain Perpezat "des quantités de gens n'avaient pas de pseudo ! Moi, j'en avais un - XP 12 - ainsi qu'un code radio pour transmettre à Londres. Mais, souvent, seuls les permanents en avaient un. Et encore. Certains, comme le numéro deux du réseau, gardaient leur prénom. "

Maître Boulanger " Vous aviez une carte du groupe Collaboration... "

Alain Perpezat "oui. Et ça m'a même deux fois sauvé la vie ! J'avais aussi une carte d'inspecteur de police de Vichy, pour tout vous dire. Les Anglais me l'avaient donnée. On faisait la guerre ! "

Maître Boulanger insiste sur la carte frappée de la marque collaborationniste.

Alain Perpezat " Vous n'avez rien compris ! Je trouve ça déplacé. "

Maître Vuillemin fait préciser le nombre d'agents comptabilisés dans le réseau.

Alain Perpezat " On ne connaît pas les chiffres précis. A la fin de la guerre, on n'a pu dresser qu'une liste de cent cinquante-trois noms. Mais nous devions être environ mille sept cents, y compris les " occasionnels ", parmi lesquels a été répertorié Papon. Un officier britannique m'a dit un jour mille quatre cents. " M. Perpezat explique qu'il y a pu avoir des erreurs dans les listes et ne s'étonne pas que le nom de Papon ait pu être domicilié en 1945 à Lyon. " Parfois, on ne connaissait même pas les adresses. Il faut s'imaginer le climat de l'époque. "

Maître  Vuillemin demande donc si cela est possible.

Alain Perpezat "le réseau était effectivement cloisonné en plusieurs groupes. "

Maître Vuillemin " Que se serait-il passé, selon vous, si des Allemands avaient découvert les activités de Papon ? "

Alain Perpezat " Il se retrouvait dans les sous-sols de Dohse. S'il survivait, il partait en Allemagne. Sinon, il était torturé à mort. Le seul fait de loger un aviateur, si vous étiez pris, on n'en parlait plus. Il suffisait d'une seule fois. "

Maurice Travers, ancien officier de carrière,

ancien adjoint du lieutenant-colonel Claude Arnould, dit Colonel Ollivier, commandant le réseau Jade-Amicol, vient témoigner de la manière dont ont été rédigées les attestations d'appartenance au réseau en octobre 1944 "celle de Papon fait état de services rendus à partir du 1er janvier 1943. " Son intervention met gravement en cause le conseiller instructeur, Annie Léotin, qui suspectait des certificats de complaisance. " Moi-même et un camarade avions la responsabilité de dresser ces listes à partir des renseignements que nous avaient fournis les responsables locaux des réseaux. J'ignorais qui était Papon, je n'avais jamais mis les pieds à Bordeaux. "

Le juge d'instruction souhaitait me faire avouer que le chef du réseau avait fait un certificat de complaisance pour Papon Ce juge avait des idées préconçues.

Le procureur général Desclaux, "je demande à ce que ces propos soit actés. "

Maurice Travers "je maintiens mes affirmations, j’ai été entendu par ce juge pendant plus de trois heures. Trois heures d'audience pour essayer de me faire dire ce qu'elle voulait me faire dire. C'est anormal. Elle a repris trois fois, quatre fois, ses questions (...). Si je n'avais pas eu des magistrats dans ma famille, elle aurait pris la porte. "

Christian Souillac, soixante-douze ans, fils de Gustave Souillac,

commence contre la chambre d'accusation de Bordeaux, dont il qualifie ni plus ni moins l'arrêt qui renvoie l'accusé devant les assises de " lamentable ". Les magistrats de la chambre d'accusation, présidée par Claude Arrighi, avaient estimé en septembre 1996 qu " il ne ressortait de l'instruction aucune certitude quant à l'appartenance de Papon à la Résistance. L'acte d'accusation est truffé d'erreurs et de contradictions. Je rappelle le discours prononcé en mars 1945 par mon père lors de la remise de la croix de guerre, dans lequel il remerciait Papon pour la fourniture d'habillements civils à des aviateurs américains et pour d'aides en d'autres circonstances. Papon est photographié aux côtés du lieutenant-colonel Arnould. Plus précisément, Christian Souillac la chambre d'accusation a commis une erreur en mélangeant deux procédures distinctes, les demandes d'inscription sur les listes du réseau, forcloses en 1950, et la demande d'attribution de la carte du combattant volontaire de la Résistance (CVR), dont l'obtention, à partir de lois et décrets de 1951, permettait de bénéficier d'avancements et d'avantages liés à la retraite. Si le lieutenant-colonel Arnould a pu écrire dans une attestation de 1958 que son père ne lui avait signalé le cas de Papon qu'en 1954, c'est en référence à ce point précis de l'attribution de la carte de CVR, pour laquelle des délais étaient imposés ; je précise que mon père était justement absent de France jusqu'en 1953. "

Christian Campet, soixante-douze ans, contrôleur général honoraire de la police nationale,

" 1. Je n'ai jamais eu de rapports avec Papon. 2. Mon père n'était pas juif. Il a été arrêté par Poinsot, remis à la Gestapo, transféré au fort du Hâ, et déporté dans un camp, où il avait rendez-vous avec la mort. 3. Je viens défendre l'honneur et la mémoire de Gaston Cusin. Dans les semaines qui ont précédé la Libération, j’ai eu un contact avec Gaston Cusin à Bordeaux. Il avait rendez-vous à la préfecture avec un correspondant qu'il connaissait depuis longtemps, Papon. Je suis certain que si le représentant du général De Gaulle, un ami personnel de Jean Moulin, prenait le risque de ce contact, c'est qu'il avait toutes les garanties de patriotisme sur Papon. "

Mardi 3 mars

Michel Touzet a reçu une lettre de Max Villar contestant le témoignage de Francis Tesseron. Mercredi, ce dernier avait affirmé que sa mère, Yvette Poitevin, avait " amené les enfants du professeur Villar, gynécologue juif, de Bordeaux à Mont de Marsan, à la demande de Papon ". Dans son courrier, Max Villar indique que sa sœur et lui ont été conduits de Toulouse à Montauban et que son père " n'a jamais prononcé le nom de Papon ". " Il y a eu une inexactitude " convient Papon qui refuse d'être " traité de menteur ".

Maître Gérard Boulanger dépose des nouvelles pièces au dossier et Maître Varaut évoque encore " le brouillard que l'on veut mettre autour des témoignages qui ont pulvérisé la thèse des parties civiles ".

Yvette Chassagne, Maurice Claux, Maurice Pereuilh raconte l’air de l’époque "on était étonné, on n'a jamais compris, cela nous a choqués... " L'atmosphère qui y régnait était irrespirable. Papon était craint. Il avait la manie des enquêtes. Au sein de ses services, la délation avait été institutionnalisée. On le disait pro-pétainiste... De quoi s'étonner de le voir, à la Libération, arborer le brassard des FFI

Maurice Claux, 77 ans, ancien rédacteur stagiaire, lui est colère.

" Recruté comme rédacteur en novembre 1942, j’ai été suspendu de mes fonctions quatre mois plus tard. Motif, j’étais l'auteur d'inscriptions subversives sur le mur des toilettes. " Ses croix de Lorraine, ses appels en faveur de De Gaulle n'avaient pas l'heur de plaire à monsieur le secrétaire général, résistant d’opérette "après enquête, ce dernier me convoque. m'invective. " Obtient ses aveux. Et, non content de le suspendre de ses fonctions de rédacteur, le dénonce au commissaire Poinsot, chargé de la lutte contre les gaullistes et les communistes.

" En février 1943, j'ai été convoqué et suspendu par Papon pour avoir inscrit des graffiti subversifs sur les murs des lavabos de la préfecture, des Croix de Lorraine, des V (Victoire) et des H (honneur) comme il l'avait entendu sur Radio Londres. Deux ou trois jours après sa révocation sans traitement, j'ai été convoqué par le commissaire Poinsot puis quelques jours après, j'ai reçu son ordre de réquisition pour le service du travail obligatoire en Allemagne (STO). Si Papon était un sympathisant de la résistance, il ne m'aurait pas fait révoquer pour des réflexions favorables aux Alliés, et ne m'aurait pas fait envoyer indirectement ou directement chez Poinsot. S'il avait été simplement charitable et humain, s'il avait eu un éclair de générosité, il n'aurait pas brutalement envoyé à la rue un jeune homme orphelin, sans le sou ". Finalement, Maurice Claux, orphelin et sans ressources, il attendra fin 1946 pour être réintégré. A ce moment là, Papon est en pleine ascension. Et Maurice Claux réclame en vain son dossier...

Papon n'a pas oublié cette histoire. Il s’y est même très bien préparé. Il verse le rapport envoyé par Maurice Sabatier au ministère de l'Intérieur.

Papon " J'ai fait faire une enquête et j'ai découvert qu'il faisait partie des Amis du Maréchal. Il y avait une contradiction entre le sujet et l'objet. J'ai pensé à un traquenard, pour m'éprouver, me mettre en difficulté. "

Maître Lévy bondit, "le 27 janvier 1943, vous participiez vous-même à une réunion de cette amicale. Pourquoi ? "

L'accusé, pris de court, oublie de nier "par curiosité ! Par métier ! " Sourire de l'avocat. Hilarité de la salle. On ne pleure pas que d’émotion…

Maurice Claux " J’avais l'obligation, lors de mon embauche, en 1941 d'adhérer à l'organisme maréchaliste. Je n'y ai jamais mis les pieds. " 

Papon lit le rapport de Maurice Sabatier au ministère de l'Intérieur, où il indique que Maurice Claux a fabriqué trois fausses convocations de boulangers pour partir au STO.

Maurice Claux " Je ne connaissais pas ces personnes. J'avais simplement prêté mon tampon à des collègues blagueurs ".

Papon " J'ai moi-même commis une erreur de jeunesse en révoquant ce jeune homme. Je ne le ferais plus aujourd'hui ".

Maurice Pereuilh, 87 ans, fonctionnaire en retraite,

" En 1942, j'étais rédacteur au service du ravitaillement où pendant un an, j'ai compté des œufs. Je ne sais rien du service extrêmement secret des questions juives, assure qu'à la préfecture de Bordeaux on craignait beaucoup plus le cabinet que le secrétaire général " " Je n'ai jamais pris Papon pour un grand résistant, ni pour un résistant tout court, tout en convenant qu'il a dû rendre des services à la résistance en 1944, quand l'ambiance est devenue différente. Cinquante trois ans après, cependant, je me demande toujours pourquoi on a gardé l'administration de Vichy alors qu'on était de nouveau en République et comment Papon est devenu le directeur de cabinet du nouveau commissaire de la République, Gaston Cusin. Il a du lui rendre de fiers services. Des gars comme Papon pensaient à leur carrière, à faire le moins de mal possible aux Français. Leur situation leur imposait d'obéir aux ordres de Vichy et de ne pas les contrecarrer ".

Papon " Vous aussi, vous avez servi Vichy ? "

Maurice Pereuilh " J'ai pensé à partir mais j'avais une famille. De toute façon, je n'ai rien fait contre personne." " Je me souviens très bien des dix rédacteurs auxiliaires recrutés par la préfecture. Les oreilles du pouvoir, chargées tous les deux jours de rapporter les discussions de service aux responsables de la préfecture. Jamais, je n'ai pris Papon pour un résistant. Et l'on n'a jamais compris pourquoi il est devenu le directeur de cabinet de Gaston Cusin. Et pas davantage pourquoi, de tous les responsables de la préfecture de la Gironde, seul Louis Boucoiran a été finalement sanctionné. " Interné administratif, l'ancien préfet délégué sera mis à la retraite d'office pendant que Sabatier, Papon, Garat, Chapel... connaissent de fulgurantes promotions.

Maître Favreau "pourquoi Boucoiran ? "

Papon "c’était la pagaille de la Libération. Peut-être Boucoiran avait-il le tort d'être mondain. Il a été victime de ses relations. "

Maître Favreau "le 16 mai 1944, soit trois jours après le départ du dernier convoi bordelais, Louis Boucoiran avait reçu délégation du service des Questions juives. Moins de six mois plus tard, il payait - seul - pour ses anciens collègues... " Courage fuyons, Papon le résistant a encore frappé…

Yvette Chassagne, 76 ans, ancien préfet et déléguée à la sécurité routière,

" j'étais rédactrice auxiliaire à la préfecture de Bordeaux en 43-44. Si le secrétaire général appartenait à une organisation résistance, il n'en aurait pas fait confidence aux employés de la préfecture. "

Lors de l'instruction, Papon avait présenté cette ancienne rédactrice auxiliaire comme un de ses contacts qui, au service des Questions juives, aurait été chargé d'organiser les fuites permettant de saboter les rafles. Or il n'en est rien. Non seulement Yvette Chassagne n'a jamais travaillé au service des Questions juives, mais encore, elle n'a jamais rencontré son responsable, Pierre Garat. "Je n'ai pas de réponse positive à l'esprit. Il est possible que j'aie transmis des messages du cabinet du secrétaire général mais sans les identifier comme tels ". " Si j'avais pu le faire, je l'aurais fait, mais j'ai très nettement le sentiment de ne pas l'avoir fait avec le risque d'une mémoire infidèle ". Au contraire, "je me souviens du secret qui entourait les activités de ce service. On pensait qu'il jouait surtout un rôle en matière économique. Les rafles, on était au courant, mais on ne savait pas, à notre niveau, que la préfecture y était impliquée. " Elle parle de "l’inquiétude instinctive qui soulevait son cœur de mère en voyant les enfants partir, On savait qu'ils ne survivraient pas longtemps. "

Sur l'épuration, Yvette Chassagne est formelle, "je n'ai pas eu le sentiment qu'elle ait été très sévère à Bordeaux. Mon sentiment personnel est qu'on a été bienveillant pour les personnes qui avaient manifesté une certaine sympathie pour le régime de Pétain ".

Le président lit la déposition de Fernand Sampieri, 86 ans. ancien commis au cabinet du préfet. Devant le juge d'instruction, il affirme que " l'atmosphère à la préfecture était détestable, il régnait un climat de suspicion générale " "Papon était connu pour ses sentiments pétainistes, c'était un fonctionnaire brillant et ambitieux qui souhaitait brûler les étapes ".

En fin d'audience, le bâtonnier Favreau s'étonne que le seul épuré de la préfecture de Bordeaux ait été le sous-préfet Louis Boucoiran, le plus discret de la hiérarchie.

Papon " Il est difficile de répondre dans la pagaille de la Libération. Le mot est du Général de Gaulle ".

Jean Morin

 

" Je suis entré dans l’OCM (Organisation civile et militaire - réseau de droite, dont le point commun avec les nazis est la haine du bolchevique - dont le chef bordelais n'est autre que Grandclément -) je deviens l'assistant de Georges Bidault en 1943. L'année suivante, je suis nommé responsable du personnel au ministère de l'Intérieur. A ce titre, c'est moi qui superviserai tous les travaux de la commission d'épuration. Je serai entendu par le jury d'honneur en 1981. Je veux faire un témoignage neutre et objectif : avec plusieurs membres du jury, j’ai créé l'association Résistance-Vérité-Souvenir. ( chargée de défendre Papon. Il en est aujourd'hui le président... ) Formel, Jean Morin affirme que "Maurice Bourgès-Maunoury et Gaston Cusin l'ont supplié, avant de mourir, de dire haut et fort à la cour que Papon était résistant. "

Longuement questionné par le président et l'avocat général. Le rapport du BCRA ? Celui de la mission militaire de liaison administrative ? Le répertoire de l'état-major de l'armée ? Toutes ces pièces qualifient Papon de collaborateur.

Jean Morin "la commission d'épuration ne les a jamais vues. " Il finira par reconnaître que le dossier soumis à la fin de 1944 à la Commission d'épuration était fort mince. " En fait, deux documents, le rapport de Gaston Cusin, favorable à Papon, et les résolutions du comité départemental de Résistance, défavorables à l'accusé. Il était exceptionnel que l'on reproche à un fonctionnaire les déportations de juifs. On les imputait à la Gestapo. La promotion de Papon comme préfet des Landes n'était pas régulière. Gaston Cusin n'avait pas le pouvoir de le nommer. Et il était contraire à la doctrine de conserver un fonctionnaire de Vichy sur place. " Ces irrégularités l'ont-ils étonné ? N'a-t-il pas le sentiment d'avoir été placé devant le fait accompli ? La commission d'épuration, mieux informée, aurait-elle pu invalider Maurice Papon ?

Jean Morin hésite, "une fois que De Gaulle, par décret, a confirmé Papon dans ses fonctions, notre rôle était devenu de pure forme... "

Le procureur allemand Holfort,

Papon avait prévenu "l’audition d'un Allemand ne sera pas sans conséquence en ce qui me concerne "

Le procureur général Desclaux " J'informe la cour que le procureur allemand, Rolf Holfort, ne peut pas déposer aujourd'hui devant la cour comme prévu. Il est au chevet de son fils, grièvement blessé la veille dans un accident de vélo. "

Maître Klarsfeld précise que d'après ses informations, le fils de monsieur Rolf Holfort est certainement mort cliniquement. "

Maître Varaut " Ces indications n'appellent pas les réserves que j'avais exprimées " qui, lundi, s'était opposé au " retour " de ce témoin.

Maître Blet demande ensuite à Papon de verser aux débats l'ensemble de ses carnets intimes dont il a lu un extrait la veille, afin de " mettre en perspective d'éventuelles appréciations portées sur les faits ".

Maître Levy s'associe " en pensant aux carnets de Paul Touvier qui ont révélé son antisémitisme ".

Papon s'y oppose : " C'est un journal à valeur sentimentale. J'estime que vouloir pénétrer dans les sentiments d'un individu quel qu'il soit, c'est un viol, et ce viol, je ne suis pas disposé à l'accepter, la cour et les jurés peuvent très bien comprendre ".

Robert Abdessalam, 78 ans, avocat à Paris, ancien député d'Alger de 1958 à 1962et champion de tennis

" J’ai rencontré Papon au Maroc lors d'un tournoi, sur le court privé de Mohamed 5. C’était un homme exceptionnel et formidable quand il était inspecteur général de l'administration en mission extraordinaire (Igame) pour la région de l'Est algérien à Constantine. Je veux dénoncer l'amalgame entre les faits dont Papon est accusé et les événements liés à la guerre d'Algérie, lorsque Papon était préfet de police de Paris et dont il a surtout été question au début du procès. Je rappelle également que Bourgès Maunoury m’a toujours dit combien il appréciait Papon ".

Jean Pierre-Bloch, 93 ans, président d'honneur de la Licra est entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.

 

" Je crois que je suis un résistant, j’ai organisé le premier parachutage d'armes et d'hommes en Dordogne, et j’ai rejoint Londres après avoir connu les prisons des Allemands, de Pétain et de Franco. Je suis titulaire de la Grand Croix de la légion d'honneur, de la croix de guerre avec 7 palmes, de la médaille de la France Libre et médaillé de la résistance avec rosette. Je suis entré dans l'état-major du général de Gaulle en 1942. Jusqu'à fin 1943, je suis responsable de la section non militaire du BCRA (bureau central de renseignement des armées). A ce titre, je reçois tous les dossiers, toutes les lettres, toutes les indications relatives aux réseaux de Résistance en France. Jamais, a-t-il dit hier, je n'ai trouvé le nom de Papon sur ces papiers. Nous avions une liste des préfets et secrétaires généraux qui avaient rendu des services à la résistance et pouvaient nous aider à la Libération. Il y avait le nom de Gabriel Delaunay mais je n'ai jamais vu celui de Papon. Ca m'aurait frappé, car je connaissais Papon avant guerre, il était membre du groupe des étudiants socialistes. Après le débarquement et à l'approche de la Libération, le général de Gaulle m'envoie en France procéder à l'installation officielle des nouveaux commissaires de la République, préfets et sous-préfets. J'ai moi-même débarqué officiellement à Toulouse pour nommer le commissaire de la République. J'avais beaucoup de pouvoir, j'ai même nommé un général. J'avais le nom de tous les préfets à nommer dans ma liste. Sur la liste des préfets, secrétaires généraux et commissaires de la République, visée par De Gaulle, le nom de Papon n'y figurait pas non plus. Quand je suis arrivé à Bordeaux, j'ai été très étonné de voir qu'il était devenu préfet des Landes. Mais comme il était nommé par Gaston Cusin et soutenu par Maurice Bourgès-Maunoury... "

Sur les bancs du mensonge et de l’injure (la défense), c'est la consternation. Elle l'avait annoncé en fanfare : " le vieil homme, s'il était en mesure de témoigner, allait définitivement blanchir Papon. La résistance de Papon allait enfin éclater au grand jour. "

" Pour moi, Papon n'a pas été résistant " répète plusieurs fois Jean Pierre-Bloch. Il ironise même : " Pour moi, Papon n'a jamais été résistant. S'il l'a été, c'est de manière bien clandestine. Mon étonnement a été grand de le voir préfet à Bordeaux. Cusin l'avait nommé, Bourgès-Maunoury le soutenait, il y a des choses qui m'échappaient. Mais si Papon avait été résistant, le BCRA l'aurait su ".

Sur le jury d’honneur et son unanimité, Jean Pierre-Bloch prononce un verdict sans appel. " La discussion a été très vive, confesse Jean Pierre-Bloch. Les débats avaient duré très longtemps. Les décisions, officiellement prises à l'unanimité, ont été prises en fait à trois contre deux, Marie Madeleine Fourcade, le Père Riquet et Charles Verny qui a changé d'avis, d'un côté ; Daniel Mayer et moi, de l'autre ". On comprend vite, grâce à Maîtres Favreau et Charrière-Bournazel qu’il y a eu erreur d’interprétation ou mauvaise lecture de celui-ci. La sentence par exemple n’a qu’une lecture, le jury d’honneur donne acte puis considère que, constate que, estime que pour rendre sa sentence : Conclut, néanmoins, qu'au nom même des principes qu'il croyait défendre, et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance française pour demeurer à son poste, M. Papon aurait dû démissionner de ses fonctions au mois de juillet 1942. Jean Pierre-Bloch affirme que Jacques Soustelle [ancien directeur général du BCRA à Londres] et Maurice Bourgès-Maunoury sont venus témoigner devant le jury d'honneur en faveur de Maurice Papon non sur des éléments de fait, mais surtout pour apporter leur caution morale.

De même quand, dans les attendus, le jury précise que " tous les témoins entendus, à l'exception de Maître Serge Klarsfeld, ont estimé que d'éventuelles poursuites contre les dirigeants responsables de la préfecture régionale de Bordeaux de mai 1942 à la Libération pour " crimes contre l'humanité " seraient parfaitement injustifiées ", il ne donne que l’avis des "sachant " pas celui du jury d’honneur. Voici le texte de la sentence.

" Le jury d'honneur,

" Donne acte à M. Papon de ce qu'il fut bien affilié aux Forces françaises combattantes à compter du 1er janvier 1943 et attributaire de la carte du combattant volontaire de la Résistance.

" Considère que le rôle de M. Papon comme secrétaire général de la Gironde, de mai 1942 à la Libération, doit être apprécié au regard de la conduite de la préfecture régionale de Bordeaux durant cette période.

" Constate que cette préfecture, sans faire preuve du zèle honteux de ses dirigeants précédents, a cependant exécuté les ordres du gouvernement de Vichy et des autorités allemandes, notamment en ce qui concerne les mesures discriminatoires et criminelles dont les juifs étaient les victimes, se contentant par des initiatives personnelles, et même parfois courageuses, d'en atténuer certains effets.

" Estime que M. Papon, dont la responsabilité, bien qu'elle ne paraisse pas la plus engagée, doit tout de même être retenue, a dû concourir à des actes apparemment contraires à la conception que le jury se fait de l'honneur et qui, à juste titre, choquent la sensibilité française, mais qu'il convient toutefois de situer dans le contexte de l'époque, d'autant plus que plusieurs d'entre eux n'ont pas eu la portée ou les effets que leur révélation peut laisser croire aujourd'hui.

" Conclut, néanmoins, qu'au nom même des principes qu'il croyait défendre, et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance française pour demeurer à son poste, M. Papon aurait dû démissionner de ses fonctions au mois de juillet 1942. "

Le président Castagnède puis Maître Varaut s'étonnent de certaines contradictions entre ces déclarations et la sentence prononcée à l'unanimité, le 15 décembre 1981, par le jury d'honneur de cinq anciens grands résistants, présidé par Daniel Mayer et composé de Marie Madeleine Fourcade, le révérend père Riquet, Charles Verny, et Jean Pierre-Bloch, l’unique témoin encore vivant.

Tous sont membres du Comité d'action de la Résistance. Ce jury d'honneur donnait acte " à M. Papon de ce qu'il fut bien affilié aux Forces Françaises Combattantes à compter du 1er janvier 1943 et attributaire de la carte du Combattant Volontaire de la Résistance ". Il concluait néanmoins " qu'au nom même des principes qu'il croyait défendre et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance Française pour demeurer à son poste, M. Papon aurait du démissionner de ses fonctions au mois de juillet 1942 ".

Jean Pierre-Bloch "j’ai un souvenir très ému des séances, des discussions très vives. Nous avons entendu beaucoup de témoins, Bourgès-Maunoury et Soustelle sont venus soutenir Papon, lui apporter une caution morale. Avec René Mayer, nous étions opposés aux conclusions du jury. Il y avait aussi Verny mais il est passé de l'autre côté. Au lieu d'être 3 contre 2, nous avons fini 2 contre 3. D'ailleurs, à la fin, Daniel Mayer et moi avons affirmé devant les journalistes que Papon n'était pas Résistant, qu'il avait commis des fautes contre l'honneur et aurait du démissionner en 1942. J’ai entendu Maurice Sabatier à son domicile, avec Marie Madeleine Fourcade. Il nous a affirmé qu'il ne s'était jamais occupé des questions juives, c'est Papon qui en était chargé. Or, devant le jury au complet, l'ancien préfet régional de Bordeaux a déclaré assumer l'entière responsabilité de la répression anti-juive à Bordeaux. C'est vrai, il a dit le contraire de ce qu'il nous avait dit ".

Maître Charrière-Bournazel demande des précisions, Maître Varaut n’est pas d’accord et joue sur une mauvaise interprétation des propos de Jean Pierre-Bloch, le dialogue entre les deux avocats s’envenime et le président est alors obligé de mettre les choses au point, et fait préciser au témoin que Sabatier a chargé Papon chez lui, mais que devant le jury d’honneur, il en a assumé l’entière responsabilité.

Maître Varaut l’interroge sur Gaston Cusin et la nomination de Papon.

Jean Pierre-Bloch " Gaston Cusin était mon ami, mais je ne partageais pas du tout son point de vue. "

Maître Varaut "le général de Gaulle était-il un homme à être trompé ? "

Jean Pierre-Bloch " Non "

Maître Varaut "l’authenticité des titres de résistance de Papon a-t-elle été examinée ? "

Jean Pierre-Bloch "on n'en a pas discuté, nous n’avons pas remis en cause les titres de résistance. On était d'un côté ou de l'autre. Combien de hauts fonctionnaires ont joué le double jeu pendant que d'autres risquaient le poteau ! "

Maître Varaut "sur quels éléments de fait se sont appuyés Jacques Soustelle et Maurice Bourgès-Maunoury pour affirmer que Papon avait été résistant ? "

Jean Pierre-Bloch "ils ont surtout apporté une caution morale "

Maître Varaut "Maurice Sabatier n'a-t-il pas déclaré au Jury assumer l'entière responsabilité de la répression antijuive dans le ressort de sa préfecture ? "

Jean Pierre-Bloch "certes, mais il nous avait dit exactement le contraire lorsque nous étions allés le voir chez lui, Marie-Madeleine et moi.'

Maître Varaut "la plupart des témoins et des "sachant " entendus par le Jury d'honneur, n'ont-ils pas estimé que d'éventuelles poursuites pour crimes contre l'humanité à l'encontre des responsables de la préfecture régionale de Bordeaux seraient parfaitement injustifiées ? "

Jean Pierre-Bloch "le jury d'honneur n'était pas d'accord avec beaucoup de témoins. "

Maître Vuillemin est envoyé à la rescousse. Le jeune homme, mal à l'aise, caresse convulsivement la tige de son micro. D'une voix hésitante, quand Varaut se fâche, Vuillemin bredouille. " Je rappelle que, dans une émission de la BBC du 8 janvier 1942, le lieutenant-colonel Tissier avait invité les fonctionnaires à rester en poste. En restant aux ordres de Vichy, Papon n'aurait fait qu'obéir à la Résistance... "

Jean Pierre-Bloch, s'énerve "j’ai participé à la rédaction de ce message A vous entendre, c'était une invitation à collaborer ! Vous dénaturez complètement le message de De Gaulle ! "

Maître Klarsfeld "janvier 1942. Il n'y avait pas de rafles ! "

Le président suspend l'audience. Jean Pierre-Bloch a alors un léger malaise. Quand il revient dans la salle d'audience, les parties abandonnent leurs questions.

Papon "je tiens à lever quelques ambiguïtés et à apporter quelques rectificatifs. " Il cite le Père Riquet, "qui estimait qu'avant le 1er janvier 1943 Maurice Papon avait déjà pris contact avec la Résistance, notamment le réseau Jade-Amicol, et qui affirmait que c'était des résistants même qui, début décembre 1942, l'avaient dissuadé de donner sa démission à laquelle il songeait pour ne pas avoir à collaborer, même très indirectement, à la politique de Vichy. " Il cite aussi les déclarations de Jean Pierre-Bloch devant le magistrat instructeur en 1989 : " Il est incontestable que Papon appartenait à un réseau de résistance début 1943 ". " Je l'en remercie " conclut Papon.

Jean Pierre-Bloch "a cette époque, il nous manquait beaucoup d'éléments "

Papon jaillit de son siège "depuis 1981, il n'y a pas une pièce de plus ! " il hurle.

Le président Castagnède " Nous apprécierons "

En fin d'audience, le président lit une déposition du général de Boissieu, gendre du général de Gaulle qui évoque " la grande rigueur morale " de Papon, " grand serviteur de l'Etat en toutes circonstances ".

Pierre Somveille 

 

"en mai 1944, à vingt-deux ans, je suis embauché comme rédacteur auxiliaire à la préfecture de la Gironde. Alors que sonne l'heure de la Libération, je rédige un rapport de synthèse sur la réglementation de la pêche dans les cours d'eau de deuxième catégorie. Devenu membre d'un comité d'action, je me vois remettre trois grenades et un brassard. Tu ne risques rien, Papon est dans la résistance, me disent mes collègues. Les grenades sont restées au placard, le 28 août 1944, Bordeaux est libéré sans combat. Je n'ai personnellement aucun titre de résistance. "

De nombreuses questions se posent et sont posées. Comment cet obscur gratte-papier, entré sur le tard à la préfecture, attire-t-il l'attention du secrétaire général ? Comment cet orphelin, fils de domestique, conquiert-il la confiance du très hautain Maurice Papon ? Comment parvient-il, au terme de ses quatre mois de service, à emboîter le pas au futur ministre du Budget, qu'il suivra, vingt-deux ans durant, de l'Algérie à la Corse, en passant par la préfecture de police de Paris ?

Pierre Somveille "il faudrait le lui demander. " Sous-entendu à Papon.

Mais il y a plus comique "jusqu’à la fin de 1945, Pierre Somveille affirme qu'il ignorait tout du sort fait aux juifs pendant la guerre. Je ne savais même pas qu'il existait un service des juifs à la préfecture. "

Il est pourtant à Bordeaux au moment où les victimes de la dernière rafle sont parquées à la synagogue. Il est là quand s'ébranle le dernier convoi pour Drancy. A l'époque, pour quelques jours encore, Papon est responsable du service des questions juives... Les deux hommes, qui ont travaillé si longtemps ensemble, ont-ils un jour évoqué la guerre ? Ont-ils parlé de la période de l'Occupation à Bordeaux ?

Pierre Somveille "jamais " le regard tourné vers Papon.

Jacques Monribot, soixante-dix-sept ans, nouveau témoin de la défense vient ruiner les efforts de Papon.

 

" Entré dans la police sous l'Occupation pour échapper au service du travail obligatoire (STO), fonctionnaire de la police judiciaire, c'est lui qui, à l'été 1944, aurait fait prévenir Papon que la Gestapo le recherchait. C'est lui qui l'aurait planqué, hors de la ville, le temps d'une nuit vers un refuge à Camblanes. C'est encore lui qui, une fois l'alerte passée, aurait raccompagné le secrétaire général de la préfecture à son bureau, dès le lendemain...

Une histoire romanesque, non seulement la Gestapo n’interviendra pas la journée, mais en outre personne n'imputera à ses responsables, poursuivis à la Libération, d'avoir tenté pareille manœuvre. Affecté à la police judiciaire, distincte de la sécurité publique, chargée des rafles, j’ai été résistant au sein du réseau Brutus. De ma propre initiative, j’ai cherché à rentrer en contact avec ce haut fonctionnaire pour tester ses sentiments vis-à-vis de la Résistance et éventuellement obtenir des renseignements. Mon propre chef de réseau m’avait assuré que Papon appartenait à un réseau dépendant du War Office britannique [Jade-Amicol]. Puis il cite le nom de deux femmes - dont l'une était condamnée à mort - qui ont été sauvées, dit-il, grâce au secrétaire général " Mais trop, c’est trop, on apprendra plus tard que ces deux femmes travaillaient aussi pour la Gestapo.

L'avocat général Marc Robert "comme si ces faits n'avaient jamais existé "

Papon "j’ai toujours très mal défendu mes intérêts ! "

Jacques Monribot "on voit des choses tellement étranges pendant la guerre... "

Le président Castagnède "Parmi elles, le fait que ce résistant, policier de surcroît, déclare ignorer jusqu'au début 1944 qu'il y avait des rafles de juifs à Bordeaux... "

Jacques Maillet, quatre-vingt-quatre ans, délégué du général de Gaulle en zone sud, n'a pas connu Papon pendant la guerre.

 

" Je suis l’équivalent de Claude Bouchinet-Seureulles, délégué pour la zone Nord. La collaboration est ce vieux crime d'intelligence avec l'ennemi, judicieusement puni de la peine de mort. " Mais, ami de Maurice Bourges-Maunoury et de Gaston Cusin, il rappelle pour ces deux anciens résistants, " les poursuites contre Maurice Papon étaient une injustice. Mais je ne sais pas s'ils diraient la même chose, aujourd'hui, à cette barre... J’assure que l'on ne savait pas l'extermination scientifique de la race juive "

Maître Lorach "je m'étonne que si bien placé à Londres vous n'ayez pas eu connaissance des treize émissions de la BBC diffusées pendant la guerre faisant état des massacres de juifs. Je subodore une forme de révisionnisme "

Jacques Maillet " Maître, répond sèchement le témoin, je n'ai pas à me donner bonne conscience. Le général de Gaulle m'a donné la croix de la Libération. Ça suffit à apaiser ma conscience. "

Petite histoire de l'épuration bordelaise.

Une fois sonnée l'heure de la Libération, tous ces hommes de Vichy Sabatier, Garat, Chapel, Boucoiran, Papon... ont été promus. Avec une mention particulière pour l'un d'eux, Papon.

La ville de Bordeaux est libérée que le 28 août 1944.

Dès le 22, Gaston Cusin, le nouveau commissaire de la République, dépêché sur place par de Gaulle, prend les premières mesures d'épuration administrative.

La Résistance est décapitée...

Son premier arrêté suspend de leurs postes l'ensemble des fonctionnaires de la région qu'il administre. Papon n'est donc plus secrétaire général de la préfecture.

Le même jour, Gaston Cusin le nomme préfet des Landes. Et, dès le lendemain, le choisit comme directeur de cabinet. Deux promotions qui, le 9 novembre, seront confirmées par décret du général de Gaulle lui-même.

Le 24 octobre, le comité de libération proteste, son responsable, Gabriel Delaunay, rappelle l'avancement suspect dont a bénéficié Papon en 1942, souligne l'attachement et la fidélité de l'ancien fonctionnaire à la politique de Pétain et réclame communication de son dossier de résistant.

Dans le même temps, Gaston Cusin réclame et obtient du ministère de l'Intérieur le maintien en fonctions de son nouveau directeur de cabinet. Un mois plus tard, de Gaulle confirmera Papon.

Delaunay protestera, la décision de conserver Papon en Gironde est contraire à la philosophie de l'époque, les anciens collabos de Vichy ne sont pas conservés dans leurs anciens lieux d'activité. Il demandera l’application de la loi, mais que peuvent valoir ses protestations face au général de Gaulle ?

" Peut-on épurer un fonctionnaire que le général de Gaulle lui-même vient de promouvoir ? " résume bien l'avocat général Robert.

Les avis de la commission d'épuration sur l'ancien fonctionnaire de Vichy sont postérieurs à cette décision.

Les appréciations relatives à Papon ne sont pas bonnes.

Le 10 août 1944, la mission militaire de liaison administrative, placée sous les ordres directs du général de Gaulle, dresse un état du personnel de l'administration préfectorale en Gironde. Pour Maurice Sabatier on lit, d'autant plus mou qu'il ignore où va pencher la balance. Pour Papon, il est l'homme de son patron. Sabatier peut lui être identifié...

Après la Libération, dans le répertoire des fonctionnaires suspects et douteux établi par le ministère de la Guerre, on retrouve le nom de Papon. Le qualificatif est le même que celui utilisé par le BCRA de Londres, collaborateur.

Papon se montre à son habitude répugnant. " Pour qui prenez-vous le général de Gaulle ? Il ne signait pas les yeux fermés ! On a fait le procès de Vichy. On voudrait faire celui de l'épuration de Vichy ! Vous êtes en train de reconstruire l'Univers ! J'ai des choses à demander à Delaunay ! Si l'on veut des noms, j'en donnerais ! "

Mais comme le président Castagnède l’a bien souligné, Gaston Cusin n'est pas un chaud partisan de l'épuration. Le 7 octobre 1944, il avait réclamé au ministère de l'Intérieur le droit d'en exempter la Gironde... s'attirant un refus cinglant. La Résistance, de son côté, décapitée et suspectée depuis l'affaire Grandclément, n'a plus de cadres à proposer.

Toujours est-il que toute l’équipe Sabatier - Papon, est promue. Seul Boucoiran paie la couardise de Papon, qui après la dernière rafle, en mai 1944, se trouve promu au poste de chef du service des questions juives.

Le faux de Papon

L’appartenance de Papon à la Résistance repose sur un document daté du 25 octobre 1944 signé du colonel Ollivier, chef du réseau Jade-Amicol, et atteste que Papon en a bien fait partie. Un document essentiel puisque c’est lui qui permettra plus tard à Papon d'obtenir, sa carte de combattant volontaire de la Résistance.

Patatras ! En début d'audience, son authenticité est remise en cause. Le président Castagnède lit un courrier, adressé par la fille d'Odette Lalanne, membre du réseau Jade-Amicol, accompagné d'une attestation d'appartenance au réseau. En principe, les deux attestations, celle de Papon et celle d'Odette Lalanne, devraient être identiques. Or, il n'en est rien. Celle de Papon ne comporte pas de numéro d'enregistrement. Elle n'est signée que du seul Colonel Ollivier, sans le double paraphe du responsable des FFI.

Le président Castagnède "pourquoi ces différences formelles ? "

Papon "je n'en sais rien. Je découvre cela aujourd'hui "

Michel Slitinsky donne une seconde attestation celle de Jean Milhat, à Maître Boerner, qui le confirme, on y voit bien le numéro d'enregistrement et la double signature. Papon, qui avait qualifié Michel de faussaire, fait maintenant le dos rond... Mais il y a pire…

Maître Boerner demande de montrer les deux signatures côte à côte, ce qui est fait, visiblement celle de l’attestation de Papon est un faux…


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© Affaire Papon - JM Matisson

Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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