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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 17 décembre 1997

" J'ai une photo de ma mère. Elle est froide, ça fait 55 ans qu'elle ne parle pas, qu'elle est froide, qu'elle ne console pas. Je voudrais montrer la photo de ma mère et moi je prendrai la voix de ma mère pour lire cette lettre "

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Le procureur général Desclaux. " Votre souffrance est une marque de respect et d'hommage pour tous ceux qui ont souffert et qui ont disparu. "

Aujourd'hui, pas de commentaires préalables, Mais des documents dans cette chronique.

La parole est aux parties civiles... La douleur et l'émotion sont intenses... Pour preuve le temps mis à saisir ce compte rendu d'audience. (5 jours). Avec nos excuses pour le retard...

Maître Vuillemin " Je reviens sur les listes annexées au rapport du 16 juillet. Ce sont des listes capitales car elles montrent bien que c'est Techoueyres qui fournit les listes opérationnelles et non pas le service des questions juives. Il n'y a pas de hongrois, donc cela prouve que les listes ont été vérifiées. La recherche de la vérité n'est pas partagée par les deux côtés de la barre. Les parties civiles les ont gardées par devant elles. "

Le président Castagnède " Elles figurent pourtant au dossier, trois d'entre elles au moins " le président Castagnède cite les côtes. " Vous avez apporté, une réponse, bon. "

Maître Vuillemin " Pourquoi les hongrois ont changé de nationalité, on en a une preuve dans le livre blanc. "

Le président Castagnède " Maître Klarsfeld, vous voulez intervenir. "

Maître Klarsfeld " Il y a une qualité qu'on ne peut pas ôter à la défense, c'est l'obstination. Je verse un télégramme allemand, il dit les 10 juifs hongrois ne doivent pas être transférés à Drancy. On voit que Röthke, le terrible Röthke, le sanguinaire Röthke protège, lui les juifs hongrois. Papon, vous avez précisé que l'information relative à l'arrestation des juifs s'est déroulée ainsi : Fredou rencontre Doberschutz - Fredou en rend compte à Techoueyres - Techoueyres à Garat et Garat à Sabatier. (...) à 19 heures, Ingrand appelle Sabatier, vous êtes d'accord Papon ? "

Papon " Oui. "

Maître Klarsfeld " Vers quelle heure, vous avez connaissance de cela ? "

Papon " Je ne sais plus, c'est un point de détail. "

Maître Klarsfeld " La première conférence de la préfecture se tient le 2 juillet de 15 heures à 19 heures. " Klarsfeld cite un article de la Petite Gironde. " C'est comme une rentrée scolaire. Papon y était, Boucoiran, Gazagne, Chapel, l'intendant régional de police et le secrétaire général. Je veux savoir si au cours de cette conférence, le problème juif a été abordé ? Cela me semblerait normal, vous vous rendez compte, on va vider la région de tous ses juifs. "

Papon " Il est vraisemblable que oui. Encore qu'on ne le sait pas en vérité. "

Maître Klarsfeld " J'ai compris pourquoi vous avez menti par omission. Le sous-préfet des Landes appelle la préfecture, il tombe sur Techoueyres. Il dit que les allemands l'ont informé des arrestations à faire. Donc il ne le savait pas. Vous gardez tout en secret. Les fuites sont venues des petits fonctionnaires de police pas des hauts fonctionnaires. Ce sont eux qui préviennent les juifs, pas vous. Pourquoi ne pas en avoir parlé, pourquoi l'avoir omise, cette question ? "

Papon " Cette conférence est sortie de ma mémoire. J'apprécie la manière dont les parties civiles utilise la Petite Gironde. La question juive par son côté dramatique a été évoquée lors de cette conférence entre Sabatier, Chapel, l'intendant régional de police et moi. Si la diffusion est restée secrète, c'est pour sauvegarder. (...) dans l'espoir insensé qu'il n'y ait pas d'action. "

Maître Klarsfeld " Ma deuxième question porte sur le 3 juillet. Il y a trois notes au dossier. Dans les deux premiers documents figure la mention " l'exécution de ces mesures est difficile mais possible ". Le troisième document ne le mentionne pas. Les deux premiers documents viennent des archives départementales. D'où vient le troisième document ? Et qui l'a versé ? "

Papon " La confusion provient du fait que dans la précipitation du moment Garat a mis mon nom croyant que sa note était valable. Mais je l'avais changé entre temps. J'avoue que je n'allais pas vérifier le classement des pièces fait par les fonctionnaires. "

Maître Klarsfeld " Qui a versé cette pièce au dossier, côte D184 ? "

Papon " A quel dossier ? "

Maître Klarsfeld " Dans le nôtre. "

Papon " C'est après le jury d'honneur. "

Maître Klarsfeld " Qui a versé cette pièce ? "

Papon " Le roi de Prusse. "

Maître Klarsfeld " Cette pièce n'est pas contemporaine aux faits. C'est une copie. "

Le président Castagnède " Papon, qui a versé cette pièce au dossier pénal ? "

Papon " Elle a été versée au juge d'instruction. " Il ne dit pas que c'est par lui, mais tout le monde a compris que c'est par lui.

Maître Klarsfeld " Quand c'est marqué copie, c'est que la pièce n'est pas contemporaine des faits. "

Papon " Je me souviens que les deux versions étaient au dossier du jury d'honneur. "

Maître Klarsfeld " Comment expliquer cela, Papon, vous dites que le jury a les deux pièces. Or il n'y a pas deux pièces dans notre dossier, il n'y en a qu'une. Où peut-on la trouver ? "

Papon " Dans les archives du jury d'honneur. "

Maître Varaut " Merci à Maître Klarsfeld de nous avoir informé de sa disparition. "

Maître Klarsfeld " Je n'ai toujours pas de réponse. Je veux revenir sur les juifs français dont on sait grâce à monsieur l'avocat général qu'ils sont 38 et non pas 33. Les instructions disaient de fournir des listes pas d'aller au delà. Or dans la région de Bayonne, ils sont arrêtés par la police française. Donc, vous deviez vous arrêter à la remise des listes. Vous n'étiez pas couverts. Vous n'aviez pas ouverts le parapluie. Vous avez agi sans être couvert. "

Papon " M° Klarsfeld est toujours en retard d'un train. "

Maître Klarsfeld " Hiérarchiquement, vous n'étiez pas couvert ? "

Papon " Vous oubliez ma lettre du ... "

Maître Klarsfeld " Oui, mais vous n'avez pas reçu de réponse. " Qui ne dit mot consent " ne s'applique pas ici. J'ai un autre document, je veux revenir sur un point, monsieur le président. Il s'agit des contrôles effectués à la gare St Jean. L'inspecteur Chabrerie écrit au commissaire " Au cours de ce contrôle, il n'y a pas eu de juifs français ou étranger (souligné) arrêtés. " Papon quel est votre avis ? "

Papon " (...) "

Maître Klarsfeld " Le 16 juillet, on n'arrête que des juifs étrangers ? Mais là, on voit que non, on arrête aussi les juifs français. "

Papon " Maître Klarsfeld n'envisage pas une autre hypothèse. Les juifs qu'ils ont rencontré, ils les ont laissés partir. Ils ne les ont pas retenus. "

Maître Klarsfeld " Si, il y a un juif français qui est arrêté et déporté. "

Papon " Par la police elle n'est pas sous mes ordres. "

Maître Klarsfeld " On sait qu'à cette occasion, d'autres juifs ont été arrêtés et déportés. Jeanne et Jacqueline et Nicole Grunberg sont arrêtés à Hagetmau en tentant de franchir la ligne de démarcation . "

Papon " Oui, je connais bien cette affaire. Nicole avait trois ans. On l'a arraché des mains de sa mère pour la sauver. On lui a sauvé la vie. La pauvre Nicole, je crois même qu'elle est décédée aujourd'hui. "

Maître Klarsfeld " Il vaut mieux Papon, que vous arrêtiez de parler de Nicole Grunberg. Je vais pleurer. Je vais donner lecture de lettres. " Il donne des extraits des lettres " Nicole a été placée par les allemands chez les bonnes soeurs " " Quelle honte, Papon. Vous passez les bornes de l'humanité. Comment osez-vous dire que vous l'avez sauvé. Quelle honte. " La colère et l'émotion sont fortes. Maître Klarsfeld s'emporte et hausse la voix, Papon essaie de parler, mais Klarsfeld l'interrompt. " Taisez-vous, Papon " Klarsfeld hurle véritablement. Varaut se penche et fait signe à Papon de se taire. Klarsfeld continue à lire les lettres " Je veux lire quatre lettres. Vous osez dire que vous avez arraché la petite Nicole des mains de sa mère. Quelle honte. On ne peut pas mentir comme ça. La petite Nicole est dans la salle. Comment peut-elle entendre vos mensonges ? "

Le président Castagnède " Je veux vous faire observer un point, Papon, Vous dites que c'est vous qui avez soustrait cette enfant des bras de sa mère et de la déportation. Mais nous sommes en juillet et en juillet, les allemands ne réclament pas les enfants. Il s'agit juste de les héberger. Précisez votre pensée. A priori, les enfants ne devaient pas être arrêtés, elle ne devait pas partir avec sa mère ? "

Papon " Certes, elle ne devait pas partir. Mais en août, la petite Nicole s'est trouvée parmi les enfants sauvegardés. "

Le président Castagnède " Mais au moment de l'arrestation de la mère, l'enfant a été écartée. "

Maître Klarsfeld " Je vais montrer une fois de plus comment les hauts fonctionnaires peuvent mentir avec effronterie. " Il cite une correspondance entre Bousquet et Danneker concernant l'arrestation de tous les juifs en zone occupée. " Cela prouve que tous les hauts fonctionnaires se couvrent mutuellement. Bousquet, Papon, Sabatier. "

Papon (...)

Maître Klarsfeld " Vous avez dit que vous aviez un fusil dans le dos, une mitraillette braquée sur vous. Je veux rappeler ce discours de Laval - C'est un programme de collaboration active - Nous avons eu tort de faire la guerre en 1939 - Surgira bientôt une nouvelle Europe. Comme Laval, Papon en juillet 1942, vous pariez sur la victoire des allemands. "

Papon " C'est scandaleux de dire cela. "

Maître Klarsfeld " C'est vous qui êtes scandaleux. C'est votre attitude humanitaire qui est scandaleuse. "

Le président Castagnède " Je comprends votre émotion Maître Klarsfeld. Mais essayez de commenter le moins possible les réponses de l'accusé. "

Maître Varaut dénonce les procédés totalitaires de Maître Klarsfeld.

Maître Klarsfeld " Je poserai ma dernière question. Je voudrai citer les évêques de France, ils écrivent à Pétain. Ils lui disent qu'ils sont scandalisés par le sort réservé aux familles juives. - Ils demandent à Pétain d'intervenir pour arrêter la collaboration - Ils en appellent au respect de la justice et font appel à sa pitié. Papon, vous avez été un rabatteur de juifs pour la SIPO SD. Mais le gibier n'était pas toujours conforme aux demandes. "

Papon " "

Maître Boulanger " Je veux revenir sur l'explication puisqu'il faut parler pour les sourds, les mal entendants et les mal comprenant. Je le fais pour la quatrième fois. Les parties civiles ont versé des pièces dont celles de Bergès. Les interrogatoires ont été annulés, ce qui n'empêche pas mon confrère Varaut d'en lire de temps en temps. Mais les deux instructions se sont passées de façon différente . Braud et Leotin ont gardé les originaux, les parties civiles ont fourni des pièces directement. Imaginez la gestion de ce dossier pendant les 16 ans où on s'est battu. Une erreur a été commise, c'est qu'un juge, le conseiller Braud a commis l'erreur de renvoyer les pièces aux parties civiles et de ne pas les garder. Voilà tout le grand mystère. Et je n'admets pas qu'on dise que les mensonges sont de ce côté-ci de la barre. Je n'aurai qu'une seule question à poser à Papon. Les interrogatoires du président et de l'avocat général sont très complets et il y a peu à rajouter. Il est temps aussi que les parties civiles s'expriment. C'est notre souhait. Il y a une chose qu'en respect, on ne peut pas laisser passer. La note où apparaît cette mention " l'exécution de ces mesures est difficile mais possible ". Cette phrase que Papon dit avoir supprimée. Il l'a pris le document en question dans le dossier du KDS ou de Dehan en 1952. C'est tout simplement le greffier qui à l'époque a omis cette phrase terrible. Ainsi, Papon veut s'en attribuer les mérites de la suppression pour s'en glorifier. Non, on faisait du zèle sous les ordres de Papon. C'est ça, la vérité. "

Maître Favreau " Je m'associe pleinement et entièrement à ce qui vient d'être dit. Aussi, je n'aurai que trois questions que je poserai directement ou par votre intermédiaire, monsieur le président. Je suis obligé de rectifier ce qui a été dit sur les hongrois, dans le livre blanc de Bergès, page 171, il parle de rafle des juifs, 24 polonais, 8 russes, 12 hongrois, etc.. La rafle des juifs est déclenchée par le service des questions juives. Je veux poser une question à Papon, sans l'insulter. Ce que d'ailleurs, je n'ai jamais fait. On a vu que le 3 juillet, Papon donne mission spéciale à Garat. Comment, lui, Papon le fidèle serviteur de la loi en vertu de quelles lois, de quels règlements les personnes étaient-elles arrêtées et internées ? "

Papon " Les allemands dominaient la France. Les règlements allemand ou nazi. "

Maître Favreau " Donc le service des questions juives obéissait aux ordres nazis. Cela est important dans le cadre de crime contre l'humanité. Les arrestations et les séquestrations illégales étaient réprimées. A l'époque, le code pénal avait prévu le principe de l'arrestation arbitraire. Est-ce que Papon et son subordonné Garat avaient le sentiment de pratiquer des arrestations arbitraires ? "

Papon " M° Favreau fait bon marché des décisions allemandes. "

Maître Favreau " Vous considérez que vous avez fait procéder à des arrestations illégales sous la contrainte ? "

Papon " Je n'ai pas fait arrêter. "

Maître Favreau " La préfecture était contrainte de faire le travail sous la contrainte des nazis à Bordeaux. Quand les autobus se mettent en marche de Mérignac à la Gare St Jean et avant quand les trains sont commandés par vous ? On en a la preuve. On en trouve la trace, c'est bien la préfecture et le service des questions juives qui procède à l'organisation générale. A Libourne, un transporteur Bernier envoie sa facture à la préfecture. "

Papon " Vous auriez préféré qu'on les envoie dans des wagons de marchandise. "

Maître Favreau " L'accusé insulte une fois de plus les parties civiles. "

Papon " Le dossier est vide. Qu'est devenu le droit français ? "

Maître Favreau " Si on vous demande d'arrêter le personnel de la préfecture, l'auriez-vous fait ? "

Papon " ... "

Maître Favreau " Pourquoi l'avez-vous fait avec les personnes arrêtées ? Parce qu'elles étaient juives ? "

Papon " ... "

Maître Favreau " Pas de réponse, la cour appréciera. "

Le président Castagnède appelle alors la première partie civile, Hertz Librach.

Le président Castagnède " Monsieur Librach, je vous rappelle parce que j'avais limité votre intervention sur le premier cas, Léon. Je vous entends aujourd'hui sur le cas de Benjamin Librach. "

Hertz Librach " Monsieur le président, Benjamin avait 20 ans quand il a été arrêté à Pompignac. La raison pour laquelle il était à Pompignac provient du fait qu'il a fait trois années d'études en Haute Savoie dans une école agricole. Ma mère décida qu'il fallait faire autre chose. C'est pourquoi il a choisi le travail à la terre et la mécanique des machines agricoles. Il est parti en 1937 et est revenu en 1939. A son retour, son premier travail est mécanicien ajusteur aux Usines Renault. La guerre éclate alors, les français sont vaincus. Benjamin qui s'était engagé dans l'armée polonaise est démobilisé. "

[Ou plutôt dans l'armée française, les bataillons polonais.]

" On s'est retrouvé à Montreuil / Bois. Et on a travaillé ensemble. Ce qui l'a décidé d'aller à Pompignac, c'est l'appel de Pétain pour le retour à la terre et les lois de Vichy. Il était jeune, on lui interdisait le cinéma, on lui interdisait les jardins publics, on lui interdisait de voir ses amis. Ca l'a tellement pesé qu'il a décidé de faire ce que Pétain avait demandé, le retour à la terre. Les bras manquaient, il y avait beaucoup de prisonniers. Il a trouvé très vite du travail par annonce, il s'est rendu dans un service public et on lui a dit à Pompignac, on demande quelqu'un de qualifié dans la mécanique pour une résidence de dimanches à la campagne. Il y avait beaucoup de terres à gérer et beaucoup de travail. Sa carte d'identité portait le tampon juif, il n'a pas pensé que ce petit cachet pourrait lui porter autant de tort, pouvait avoir des conséquences aussi graves. Il n'a pas pensé qu'en laissant sa carte d'identité au commissariat, il serait une des premières victimes. Le 15 juillet, au soir, les gendarmes procèdent à son arrestation, deux jours après, c'est Drancy, deux jours après, c'est Auschwitz. Ca ce sont les faits que je n'ai pas connu tout de suite. Le 16 juillet, nos parents sont recherchés par la police. Le 8 juillet, je suis en zone libre. Ce n'est qu'au bout d'un mois et son bref séjour à Drancy qui dure d'habitude trois mois qu'il part pour les camps de la mort. "

[ Ce fut d'ailleurs le cas des huit membres de ma famille et des autres raflés en juillet à Bordeaux. Avant cette audience, on passe un long moment à discuter avec Hertz Librach. L'évocation de nos morts respectifs, compagnons d'une même route fatale. Puis Hertz m'explique qu'il veut cet après-midi, lors de son audition parler des situations d'exclusion qui ont lieu encore aujourd'hui avec les enfants d'origine maghrébines. Leur situation est proche de celle qu'on a connue en 1940 en France, l'intégration était peut-être plus facile à l'époque malgré les lois xénophobes plus dures. Nous parlons de son oratorio, de notre site sur Internet sur lequel, nous parlerons de son oeuvre de mémoire. Nous nous mettons d'accord pour qu'il traduise des textes en Yiddish et en Hébreu. ]

Hertz Librach " Je voulais présenter mon histoire sous un angle général ce que j'ai vécu en tant qu'étranger. Je suis arrivé en France à l'âge de 5 ans. Le hasard et un peu de chance, on arrive dans le vieux Montreuil. Il n'y avait pas de bus, puis on s'installe Porte de Montreuil, mon père faisait du tricot. Mon frère et moi, on a fréquenté l'école primaire. Comme pour la plupart des gens qui arrivaient à l'école de l'étranger, on nous rasait la tête. On s'adaptait très vite à la forme d'éducation qu'on nous donnait à l'école. Mon frère et moi, on avait déjà fréquenté l'école en Pologne. Mon frère avait beaucoup plus de bases et était beaucoup plus discipliné que moi. J'étais joueur et j'avais beaucoup de goût pour les livres. Au bout d'un an, il est passé d'une classe à l'autre. Et grâce à ce milieu favorable, dans lequel nous vivions, un milieu très sensible, attentif. Ce milieu à qui on pouvait rendre service, nous a beaucoup aidé. Quand il y avait des devoirs à faire surtout en grammaire; tout le monde nous aidait. C'était difficile, les tournures de phrases, ces gens-là, nous ont aidé à apprendre la langue, à apprendre le français. Grâce à tout cet entourage, mon petit frère est rentré à l'école communale. Je suivais, un an et demi après. Cela se passait bien, nous étions dans les premiers. Ce n'est que 6 ans après, que Benjamin a décidé de partir dans cette école d'agriculture. J'ai du faire face à quelques difficultés matérielles. Mon grand frère est parti, la défaite survenue, les gens qui venaient de l'Est en rang compact fuyant les allemands. Si je peux me permettre de rajouter des mots, des camarades m'ont dit Henri, d'après ce qu'on en sait, les juifs sont menacés, on fusille des gens de 15 ans. J'ai été sensible à ces discours. J'en ai parlé à ma mère, elle a pris peur et je suis parti en zone libre à vélo. J'ai réussi à rejoindre Auch, on pouvait rouler le soir. J'ai rejoint Auch parce que mon petit frère s'y trouvait avec son école d'agriculture. J'ai eu la joie d'y retrouver mon grand frère. Il avait essayé de rejoindre l'Angleterre, mais c'était au moment où les anglais rentraient chez eux et il n'y avait plus de place dans les bateaux. Mon père était en prison, au camp Des Milles. En 1940, 1941 on va à Paris. Mon frère part à Pompignac supportant mal les lois de Vichy anti juives. Ma famille commence à se réduire peu à peu. Mon père et mon frère sont raflés. On s'est retrouvé à 3 sur 6. Je voudrais revenir, ici sur ce problème d'intégration des enfants qui venaient de beaucoup de pays. La chance que nous avons eu, c'est de retrouver des gens vraiment gentils, ils donnaient des explications, il y avait une grande retenue. Il y avait une grand-mère qui avait pris mon frère en sympathie. Elle a beaucoup donné à Benjamin. Quand il était à Contamines sur Arles, dans son école d'agriculture, ils s'écrivaient, ils se sont revus à Paris mais les relations n'ont pas duré. La fille de cette dame était l'amie de mon frère, elle faisait partie des jeunes filles de France. On a toujours gardé une sympathie pour nos voisins qui nous ont aidé à mieux comprendre la langue. Quand je vois les difficultés actuelles des jeunes hommes et des jeunes filles qui viennent d'Afrique. Ils ont des difficultés culturelles à apprendre une autre langue, une autre histoire que la leur. Tout devient plus facile quand on s'intègre facilement, quand on a des réponses aux questions qu'on se pose. "

Le président Castagnède " Quand Benjamin est-il arrivé à Pompignac ? "

Hertz Librach " Début janvier 1943. "

Le président Castagnède " Vous voulez dire début janvier 1942 ? Avez-vous le souvenir de la dernière fois où vous avez eu des nouvelles de Benjamin ? "

Hertz Librach " Benjamin a écris deux lettres, trois. Si vous pouvez les lire Maître Boulanger "

Le président Castagnède " Je les ai. La première lettre " Mon cher Henri je viens de recevoir ta lettre je m'empresse de répondre - Si tu veux tu peux m'envoyer une valise - Si tu as des nouvelles de Mathilda voici mon adresse - Fais bien attention à porter l'étoile quand tu sors en ville - Mendel et Papa, aussi je vous embrasse très fort - Je pense très fort à vous. " La deuxième lettre date du 12 avril 1942. " Mes chers parents, je vous écris pour vous rassurer un peu ici je suis en sécurité tant que la guerre durera. Je travaille bien et je mange bien. Il y a un mois que j'ai pris cette décision - Ne cours aucun danger - Je suis seul ici et j'essaie de ne pas être (...) parmi vous à la maison. Vous verrez que dans 3 mois, je serai parmi vous et tout ira bien - Je ne trouve pas assez de mots pour vous rassurer - Dis moi cher Papa si ma carte de tabac te sert toujours. (...). "

[ Dans une des lettres, Benjamin demande qu'on lui envoie sa bicyclette.]

Hertz Librach " En ce qui concerne sa demande de bicyclette. La police est venue la chercher. En ce qui concerne le courrier, tu peux écrire à la concierge, on te le remettra. Si je peux, j'aimerai lire une lettre de ma soeur. "

Le président Castagnède " J'ai encore une troisième lettre au dossier, c'est celle de l'employeur de Benjamin. "

Hertz Librach " Il demande des nouvelles de Benjamin en 1944 - Il ignorait tout de son sort - Je lui ai répondu on sait seulement que Benjamin a été déporté. La lettre qu'a Maître Boulanger est celle de Mendel. Il a été arrêté suite à une dénonciation. J'ai beaucoup de mal à la relire, c'est très dur. "

Le président Castagnède " Je vais donner lecture de la lettre de l'employeur. Elle donne des éléments de faits. Il écrit à votre mère. " Un soir de juillet, deux gendarmes sont venus l'arrêter. (...) Je lui ai donné des couvertures, de la nourriture - Il m'a écrit de Mérignac - Je lui ai répondu et depuis malgré mes efforts, je n'ai aucunes nouvelles - Je pense qu'il est en Pologne ou en Allemagne - Il avait laissé un bon souvenir " C'est une lettre très aimable, une lettre qui témoigne qu'en 1944, vous êtes toujours dans l'ignorance du sort de votre frère. "

Hertz Librach " Oui, de son sort, mais pas de sa destination. "

Maître Boulanger " J'ai cette lettre qui est doublement difficile à lire, c'est un document noir, sombre de mauvaise qualité et c'est un texte très émouvant. " L'émotion est très forte, la salle silencieuse, Maître Boulanger trébuche sur les mots, moi-même j'ai beaucoup de mal à retranscrire. Excusez la mauvaise qualité de ces retranscriptions. Si cela est possible, nous passerons toutes les lettres dès que nous les aurons, si nous les avons. " Cher (...), c'est peut-être la dernière fois que je t'écris - Nous allons partir bientôt - On mangera toujours plus qu'à Drancy - Envoie nous deux colis - Avec tout ce que tu trouveras. - Tu ne dois pas avoir peur - On ne sait pas où on va - Si on est vraiment - Arrivés à destination, on sera beaucoup mieux - Il est arrivé madame (...) et sa fille - Le moral est meilleur - Ce n'est pas si terrible que ça - Je crèverai dans le train car le voyage dure trois jours - Je t'embrasse de toutes mes forces ainsi que Papa - "

Maître Touzet " On peut compléter le souvenir de Benjamin Librach, il lit le témoignage de sa soeur puis le procès verbal d'arrestation de Benjamin Librach, très bref, terrible.

[Bientôt, ici image du document]

" Gendarmerie Nationale

Ce jourd'hui 15 juillet 1942 à 20 heures. Nous soussignés Fayet Paul et Chotard Jean, gendarmes à la résidence de Lormont, département de la Gironde, revêtus de nos uniformes et conformément aux ordres de nos chefs agissant en vertu d'un ordre des autorités allemandes transmis par la préfecture de la Gironde N°.863/2 du 12 juillet 1942, prescrivant d'arrêter les juifs étrangers, sur la liste ci-jointe. Nous nous sommes rendus au domaine de Malard à Pompignac (Gde) où nous avons découvert le juif polonais :

LIBRACH, Benjamin, (souligné), 20 ans, cultivateur, au domaine de Malard à Pompignac (Gde) ; qui déclare :

((Je reconnais avoir pris connaissance de l'arrêté pris contre moi. J'entends y obéir. ))

Lecture faite persiste et signe.

Après l'arrestation, nous l'avons conduit au n° 24 hùôtel des Emigrants à Bacalan.

ETAT CIVIL : LIBRACH, Benjamin, (souligné), né le 29 janvier 1922 à Varsovie, (Pologne), fils de Szyja, et de KUSHER, Tauba, célibataire, carte d'identité de polonais N°.40.AS 56871 délivrée par la préfecture de Police le 26 février 1911.

DEUX EXPÉDITIONS (souligné) la Ier à monsieur le préfet de la Gironde à Bordeaux.

2° Aux archives.

Fait et clos à Lormont, les jours, mois et an que dessus.

Suit un signalement de Benjamin Librach. "

Maître Touzet conclut en disant " Nous l'avons conduit au n° 24 hôtel des Emigrants à Bacalan, annexe du camp de Mérignac où il a été conduit vers son destin tragique. "

Le président Castagnède " J'appelle maintenant Madame Eliane Domange née Alisvaks. "

Eliane s'avance vers la barre, elle s'accroche à la barre fermement. Ses mains qui s'agrippent à la barre font crisser les micros, rendant l'audition difficile, tout au moins au début. Eliane n'arrive pas à parler et plutôt que de témoigner, elle sanglote la mémoire de ses disparus. Bien que je sois impartial, Eliane est ma cousine, son audition est le moment d'émotion le plus fort depuis le début de ces assises. Papa pleure à côté de moi, Michel (Slitinsky) a des larmes sur les joues, derrière moi, ce sont les grandes larmes. A l'issue de l'audience, René me croise, je lui glisse, " c'est dur aujourd'hui " Il ouvre la bouche mais sa gorge reste nouée, incapable de prononcer un mot. Je lui touche la joue d'un geste amical, et là, je sens sa joue humide, non pas humide, mais ravinée de sanglots.. Les jurés sortent leur mouchoir. Les hommes font mine de se moucher et les femmes s'essuient les larmes. Les avocats ont le nez dans leurs papiers, le dos courbé. Seul, dans sa cage, le monstre reste de pierre. La salle d'audience est devenue un temple, celui de notre souffrance et Eliane entonne son chant sacré. Lorsque Eliane entre larmes et hoquets, déclare de sa voix tremblante " J'ai une photo de mon père, une photo de ma mère. Elle est froide, ça fait 55 ans qu'elle ne parle pas, qu'elle est froide, qu'elle ne console pas. Je voudrais montrer la photo de ma mère et moi je prendrai la voix de ma mère pour lire cette lettre. " L'émotion est à son comble. Je tente une seule fois de jeter un regard sur les écrans. Un simple regard, mais je veux continuer à noter les paroles d'Eliane, de toutes façons, mes lunettes sont trop embuées... et je replonge dans mon cahier. Merci et bravo à Eliane.

Eliane Dommange née Alisvaks, retraitée, 63 ans.

Eliane Dommange " Monsieur le président, avant de faire ma déposition, je vous demanderai la permission de rendre hommage à tous les morts dans les camps de déportation. Ils ne sont pas morts ni couchés, ni comme des brebis à l'abattoir. Ce sont des gens qu'on a fait souffrir moralement et physiquement à la limite du supportable. Il suffit de regarder les photos et les documents des camps de la mort pour comprendre. Je suis la fille d'Antoinette Alisvaks, arrêtée et déportée à 30 ans. Je suis la fille d'Henri Alisvaks, arrêté et déporté à 33 ans. Si on les avait laissés vivre, ils auraient l'âge de Papon. Avant leur arrestation, j'étais une petite fille épanouie et heureuse avant ce 15 juillet, j'étais heureuse avec mes frères Jackie, 5 ans et mon frère aîné Claude, 10 ans. On a interdit à mon père de travailler son métier de commerçant. On lui avait interdit de gagner sa vie, notre vie. Avant ce 15 juillet, j'avais peur des allemands, pas des français. Quand on les entendait, on se cachait au fond de l'appartement. Avant ce 15 juillet, mon père était anti allemand. Ils ont caché des français et des résistants qui n'avaient pas de papiers. Ce 15 juillet, tout se bouleverse dans ma vie et dans ma tête. Mes parents avaient préparé les baluchons pour nous trois. On devait passer la ligne de démarcation à Libourne. On était à table, quand on entend frapper à la porte. J'ai cru que c'était le passeur, mais c'était la police. Je ne sais plus comment on a descendu les trois étages, comment on est arrivé au fort du Hâ, on était séparés de nos parents. Ce que je me rappelle, c'est qu'il y avait d'autres enfants, sur deux ou trois rangées. Je ne sais pas comment on nous a mis des pancartes autour du cou. Cela a duré très longtemps. Quand on nous a servi des petits pois, j'ai eu du mal à les avaler. Très longtemps après, j'ai encore du mal à les avaler. Ce que je me rappelle, ce ne sont pas des images, ce sont des sensations. Quand je voyais un uniforme de la police, j'ai du mal à le supporter. Je me rappelle que quand j'ai été convoquée par le juge Nicod avec Maître Boulanger, il y avait une femme gendarme qui faisait les cent pas, elle passait, elle repassait. Même l'odeur de son uniforme, je ne pouvais pas le supporter, sans Maître Boulanger je serais repartie. Même plus tard, j'ai toujours eu beaucoup de mal à aller dans un commissariat de police. Je ne me remettais qu'après plusieurs jours. Je voudrais dire à Papon qu'il a pris la vie de mes parents mais aussi ma vie. C'est vrai, je m'en suis sortie. Je suis heureuse avec mon mari, mes enfants, mes petits-enfants. Je suis avec deux faces. Je fais toujours le même cauchemar. Une petite fille de huit ans , elle court après sa mère et quand elle se retourne, elle voit plein de mères, dans un état épouvantable, avec les images des rescapés des camps de la mort. C'est aussi quand mes enfants partaient, mon mari me retrouvait accroupie en pleine dépression. Je revivais la séparation avec mes parents et je la projetais sur mes enfants. Quand j'ai porté plainte contre Papon, je me suis arrête voir un membre de ma famille. Je ne savais plus où j'en étais. Pourquoi moi et pas mes parents. [ Eliane doit vouloir dire : pourquoi mes parents et pas moi ]. J'ai failli commettre l'irréparable, heureusement, mon mari était à côté de moi. J'allais commettre l'irréparable. Aujourd'hui pourquoi ne pas pardonner. Je ne peux pas pardonner car Papon a agit méthodiquement et froidement pour que mes parents se retrouvent à Mérignac puis Drancy et Auschwitz par le convoi N° 7 départ de Drancy le 17 juillet 1942. Il y a eu 990 hommes et femmes. 375 gazés dès leur arrivée. 17 survivants. Pour moi tout a commencé ce 15 juillet. A la libération des camps, j'attendais les coups de fil pour qu'on me dise d'aller chercher mes parents à la gare. Je n'avais pas le téléphone, et le voisin me prévenait en tapant sur le mur. Moi, petite fille, j'attendais l'appel de mes grands parents. Et à chaque coup au mur, j'étais déçue. Je me suis dis, ils sont malades. En ne les voyant pas revenir je ne pouvais pas supporter qu'ils ne soient pas revenus. Ils avaient du perdre la mémoire. Ils sont heureux quelque part. Ils ont vécu des moments atroces. Je ne peux pas pardonner. Je ne peux pas pardonner. J'ai oublié de vous dire comment j'ai quitté le fort du Hâ. On en est sorti parce que quelqu'un nous a sorti. Un ami de mon père parce qu'il a désobéi aux ordres. J'ai été chez mes voisins, monsieur et madame Desclaux. Quand il y avait de la visite, on se cachait dans un cagibi. Je pensais qu'on était resté cachés des jours et des jours. Mon oncle Maurice m'a dit que non ce n'étaient que des heures. Je suis très reconnaissante à ces gens d'avoir désobéi et de m'avoir sauvée. J'ai une photo de mon père, une photo de ma mère. Elle est froide, ça fait 55 ans qu'elle ne parle pas, qu'elle est froide, qu'elle ne console pas. Je voudrais montrer la photo de ma mère et moi je prendrai la voix de ma mère pour lire cette lettre.

Le président Castagnède " Pas de difficulté à ce que les photos soient diffusées. "

Eliane Dommange " Merci, monsieur le président

La lettre des parents d'Eliane Alisvaks [pour revenir cliquez sur précédent]

Drancy le 18 juillet 1942

Mon petit papa maman

Lili Maurice chéris. Ce soir à 6 heures, nous sommes arrivés et demain matin nous repartons. Nous ne savons pas pour où. Si tu ne reçois pas de lettre tout de suite. Ne nous inquiete pas le nord est très loin [ l'émotion, Eliane se trompe, la lettre dit le moral est très bon.]. Nous aurons beaucoup de courage. Soigner bien mes enfants cheri qu'il ne souffre pas de l'absence de leurs parents. Affectueux baisers a tous nous vous oublirons jamais vos enfants qui vous aime. Nenette et Henry. [ c'est dur, très dur, surtout que cette carte postale avec au verso l'effigie de Pétain et le cachet du bureau de la censure du camp de Drancy, ne me quitte pas depuis des années. Quand Eliane finit sa lettre, elle ne peut prononcer les noms de ses parents, fond en larmes, un huissier s'approche pour la soutenir lui proposer une chaise.] Non je veux rester debout, comme les déportés sont restés debout. Tout ... " Personne ne dit plus rien. Puis au bout de longues secondes.

Le procureur général Desclaux. " Votre souffrance est une marque de respect et d'hommage pour tous ceux qui ont souffert et qui ont disparu. "

Papon " Avec tout la pudeur qui s'impose et sans mésestimer l'émotion, je vois dans la déclaration, l'illustration de la notion de symbole et ce symbole vous voyez qui je veux dire. "

Le président Castagnède " Vous parlez du fort du Hâ. Vous aviez à peine 8 ans. Cette personne qui vous a sauvée était un gendarme français et il vous a permis de vous échapper ? "

Eliane Dommange " Si on est là aujourd'hui, c'est parce ce qu'on ne fait pas partie des 22 enfants dont on a parlé parce que sinon je serais partie en août avec les autres enfants. "

Le président Castagnède " Vous avez également parlé de votre grand mère maternelle Anna Rawdin et de Bernard Fogiel, 6 ans. "

Eliane Dommange " Pour mon cousin, sa soeur est là, elle en parlera. J'ai 8 personnes de ma famille qui sont mortes. "

Arrive maintenant Jackie. Comme lors du témoignage de sa soeur, Jackie est très émouvant, mais sa maîtrise de lui-même est plus grande. Quand Papon s'en prend à lui comme il l'a fait précédemment avec Eliane, Jackie le mouche et ce sera la dernière fois que Papon se permettra une réflexion au cous des témoignages qui suivront. Gageons que Maître Varaut est passé par là. Et que l'attitude de Papon se permettant ses remarques déplacées après les témoignages des parties civiles étaient de trop mauvais goût pour le jury. En tout cas, Jackie a su maintenir l'émotion de cette audience. Avec tout le respect que j'ai pour cet homme, je sais qu'il est venu témoigner pour reconstruire sa propre histoire et pour la mémoire de sa famille, sa femme, ses deux enfants et petits enfants, soudés dans la fierté qu'ils éprouvent pour leur père et grand père. Jackie me disait un jour, Papon je le vois comme s'il avait 32 ans pas avec son âge actuel. Hé bien, aujourd'hui, et je ne sais pas si c'était volontaire, la cour d'assises le voyait comme un enfant de 5 ans. Le petit garçon que le temps de témoigner pour ses parents, il est redevenu.

Jackie Alisvaks, né le 9 août 1937 à Bordeaux, retraité. " Monsieur le président, messieurs et mesdames de la cour, messieurs et mesdames les jurés. Aujourd'hui je dépose, j'avais à peine 5 ans, j'ai eu un très grand trou de mémoire. J'ai écourté 15 ans de ma vie. Je reconstitue un puzzle. Je glane à droite et à gauche des pions. Et j'ai mon oncle Maurice Matisson qui m'en a donné pas mal. J'ai la redoutable charge de porter encore le nom de mon père et de ma mère et les huit noms des membres de ma famille. Ma mémoire est un cancer, un mal qu'on connaît et qu'on voit. J'ai besoin de retrouver mes racines. Je ne me rappelle plus aucun des faits. Je n'ai que des photos. Je n'ai qu'une mémoire de ces photos. C'est très dur quand on est un petit garçon. On est obligé de reconstruire une vie. Je ne me souviens pas de la chaleur et des câlins d'une mère ou d'un père. Je me suis retrouvé éloigné de tout ça. Aujourd'hui, je ne sais plus, je suis un petit peu stressé bien sûr, mais pendant toute cette période avant qu'on porte plainte. Ce qui m'a permis de prendre acte du décès, des disparitions de mes parents pendant 40 ans. Je me suis battu. C'est très dur, c'est très dur de parler ici pendant 40 ans j'ai eu des moments très difficile. Très très dur. Combien de fois, je me suis mis à pleurer dans un coin tout seul. Je leur en voulais, j'étais comme une vieille valise sur le quai d'une gare, abandonné seul. Ca m'est arrivé plus d'une fois de façon à être fort et remercier mon père et ma mère de m'avoir doté de cette force de caractère. Ce malheur que Papon nous a infligé. Ouf, on arrive pas à en parler. Ce qui est important, c'est de prendre acte de la disparition. Ce que j'attends de ce procès depuis 16 ans, je monte une sépulture à mes parents. Je ne comprends pas. Sur cette sépulture, je veux mettre deux noms Antoinette et Henry. "

Jackie pleure comme le gamin de 5 ans qu'il redevenu. Ou comme le petit garçon qu'il n'a jamais pu être. Papon lui a volé son enfance...

" C'est aussi pour mettre sur cette sépulture les noms de ma famille, il y a tellement de choses à dire. C'est de pouvoir porter le deuil de mon père et de ma mère. Quand on a pas de coeur, on a une pierre. " Jackie regarde Papon. " Moi j'ai un coeur, j'ai beaucoup d'amour. Je ne peux pas regarder Papon. Papon qui m'a volé, qui m'a violé dans ma chair, dans mon coeur, dans mon âme. Je ne peux pas comme ma soeur pardonner. Oublier, c'est un mot qui n'existe pas dans mon vocabulaire. Je voudrai lire cette lettre qui est un témoignage de mon père et de ma mère au départ du camp de Mérignac.

[ Bientôt Image de la lettre que lit Jackie]

Vendredi soir 11 heures

Mon petit papa et petite maman chérie

nous partons demain matin pour le camps de Drancy.

Et ensuite ??

A la grâce de Dieu. Notre moral et bon et nous sommes tous plein de courage. Le plus se sont mes petit, Claude Eliane et Jackie.

Je serais rassuré que lorsque je les saurais près de vous. Henry et moi nous comprenons très bien ce que l'on nous demande encore un sacrifice. mais que voulez vous. Nous avons préféré vous les envoyé car autrement se serais l'hospice et au moins nous aurrons l'esprit tranquille a leur sujet alors a ce moment nous aurrons la force de tous supporter. Courage et bonne sante gros baiser à tous. Mes parents cheri. Nenette "

Jackie pleure

" Ce n'est pas sans émotion que j'ai lu cette lettre. Ils savaient déjà leur voyage final. Ils savaient déjà qu'ils sont partis pour les camps de concentration. C'est très douloureux de ne pas savoir où ils sont partis. Ma soeur et moi, chaque fois qu'on regarde la Shoah, on cherche nos parents. Dans notre mémoire, ils seront toujours présents. Je compte énormément aujourd'hui à la fin de ce procès enregistrer ce deuil impossible pour pouvoir leur donner une véritable sépulture dans nos coeurs. "

Le président Castagnède " Je voulais juste rectifier ce que vous avez dit, vous aviez quatre ans au moment des faits. "

Papon " C'est la douleur qui domine, je le reconnais et je l'éprouve. Mais j'ai une douleur personnelle, c'est de recevoir une fois de plus l'illustration du bouc émissaire qui est sur ce banc. "

Jackie Alisvaks " Je refuse ces propos de Papon qui sont complètement déplacés par rapport à notre souffrance. "

Programme jusqu'à fin décembre :

22, 23, 29 30 décembre : Interrogatoire de l'accusé sur le convoi du mois d'août 1942.


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Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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