date dernière modification : 20/10/02 Chronique du 16 octobre 1997 MERIGNAC
- DRANCY - CONSTANTINE - CHARONNE... La séance reprend avec un témoin en moins et une demande de Maître Levy pour un fait nouveau. " Je demande qu’on diffuse un film d’Antenne 2 sur le souterrain qui vient d’être découvert Gare Saint Jean par lequel passaient les Juifs déportés " effectivement, la découverte a été annoncée dans Sud-Ouest et remonte à quelques jours. Avant d’aller plus loin, je voudrais faire part de quelques réflexions que j’ai eues en rentrant chez moi à l’écoute des retransmissions radio de l’audience d’aujourd’hui. Sortant juste de la salle d’audience j’ai éprouvé un sentiment de frustration un manque par rapport à ce qui s’était passé aujourd’hui. La plupart des radios (France Inter, Europe 1, R.T.L., France Info) se contentaient d’évoquer le témoin vedette (le terme est des journalistes) du jour Pierre Messmer. Mais pas un mot de ce qui a été pour moi un des grands moments de ce procès, la déposition impressionnante de Jean Luc Einaudi sur les événements de 1961. J’ai ressenti un fil conducteur très fort dans cette déposition à la fois dans le fait que Papon était toujours le même bourreau qu’en 1942, et également dans le fait qu’en 1961, parmi les seules ou les rares personnes à intervenir ou à agir en faveur des populations d’origine algérienne, on trouvait celles là même qui avaient connu les camps de la mort. Cette vérité-là et l’horreur des événements qui nous ont été reportés, ont sans aucun doute étaient le point fort de cette audience. Toujours est-il que très vite, las d’écouter ces radios, j’ai choisi Radio France Bordeaux Gironde pour suivre la victoire des Girondins sur Guingamp.
AUSSI, AVONS-NOUS DECIDE DE
RENDRE HOMMAGE AUX MORTS DE CES EVENEMENTS, COMPAGNONS D’UN JOUR DANS CE
PROCES EN PUBLIANT DANS NOTRE SITE LA
LISTE DES 74 MORTS TUES PAR
NOYADE, BALLES, OU DES SUITES DES VIOLENCES POLICIERES ET DES 66 DISPARUS
D’OCTOBRE 1961.
Le premier témoin à comparaître est Pierre Messmer, 86 ans, Gouverneur général de la France d’Outre-Mer, ancien Premier Ministre. Pierre Messmer dans une déposition que j’ai trouvé digne et d’une grande qualité explique qu’il vient comme témoin pour exprimer l’opinion que l’ancien combattant des Forces Françaises Libres a sur l’époque et sur le rôle des fonctionnaires. Au-delà des idées et des convictions qui nous opposent, je dois admettre avoir été impressionné par l’homme et sa carrure. " Je n’ai connu Papon qu’en 1960, quand j’étais ministre des armées. Je l’ai rencontré fréquemment mais uniquement en des occasions protocolaires et professionnelles, sans rapport avec l’objet du procès. Je tiens à dire que nos relations, pendant sept ans et demi, ont été sans nuage. Voici pour le premier point. Sur le deuxième point, le serment m’oblige de ne rien cacher. Après l’armistice, le gouvernement de Vichy n’avait aucune légitimité, il ne représentait plus la France et n’engageait que la responsabilité des fonctionnaires qui décidaient d’obéir aux ordres. Je m’inscris en faux contre les déclarations visant à incriminer la responsabilité de la France dès 1941. Elles sont intolérables pour les hommes qui sont entrés dans les Forces Françaises Libres. C’est INTOLERABLE. Juridiquement, cette thèse est extrêmement contestable. Et elle est moralement inexacte. D'autant plus que nous avons trouvé des fonctionnaires contre nous. D’autant plus que nous avons été amenés à nous battre contre des policiers, des militaires de Vichy qui nous barraient la route quand nous voulions mener le combat contre l'Allemagne hitlérienne et l'Italie mussolinienne. La mort m'a épargné pendant la guerre, alors qu'aujourd'hui la mort s'approche de moi, sans rien oublier, car nous ne devons rien oublier, il me semble que, cinquante-cinq ans après, le temps est venu où les Français pourraient cesser de se haïr et commencer de se pardonner ". Interrogé par Maître Mairat pour le MRAP, il précise la nature de ses relations avec Papon et ajoute " cette affaire de noyade n’est qu’un règlement de comptes entre factions du F.L.N. " Maître Mairat " Pendant 7 ans, il n’y a eu presqu’aucuns nuages entre Papon et vous. Mais à l’approche du 36è anniversaire de ratonnades et du couvre-feu raciste qui interdisait aux musulmans de sortir le soir et en mémoire de ce fameux soir du 17 octobre où il y a eu des centaines de morts. Avez-vous le sentiment d’avoir des responsabilités ? Et en premier chef, Papon a-t-il une responsabilité ? " Pierre Messmer " Vous me demandez, est-ce que j’ai eu des problèmes avec le préfet de police. Je dirai des problèmes courants et normaux. Sur le fond de la question en ce qui concerne les événements, on ne peut pas imputer à un préfet cette responsabilité. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Cette affaire des noyades est un règlement des comptes entre F.L.N. et PPA " Maître Arno Klarsfeld : " Revenons en 1942, considérez-vous que c’était le devoir d’un secrétaire général d’obéir à des ordres indignes ? " Pierre Messmer " Je n’ai pas d’autres réponses à faire que l’exemple de mes actes en 1940. Je me rallierai assez volontiers à la sentence du jury d’honneur qui disait que les membres de la préfectorale se trouvaient dans une situation telle qu’ils auraient dû démissionner à l’appel de leur conscience ". Maître Varaut " Et pour Charonne ? " Pierre Messmer " Non, le préfet n’est pas responsable, c’est le gouvernement qui lui a donné des ordres. " Maître Varaut " Le jury d’honneur a reconnu la qualité de résistant de Papon, parmi eux Cusin et Marie Madeleine Fourcade. Estimez-vous que le jury d’honneur peut engager sa responsabilité en affirmant son appartenance à la résistance. " Pierre Messmer " Difficile de répondre, je les connais comme des résistants imminents, je ne sais pas quelle était leur mission, j’ignore leur condition et suite à quelles enquêtes ils ont donné leur avis. Sur Cusin, je n’ai jamais parlé avec lui de la situation de Papon à l’époque. Cusin était un homme de courage , d’un grand patriotisme, un homme exceptionnel. " Maître Varaut revient sur le jury d’honneur qui a reconnu la qualité de résistant de Papon ? Pierre Messmer " Je pense qu’en cette occasion, le jury d’honneur a fait un acte de pardon envers Papon. " Maître Varaut insiste et lui demande si comme le jury d’honneur, il pense que les poursuites pour crimes contre l’humanité étaient injustifiées. Pierre Messmer répond de façon claire et au grand plaisir des parties civiles " Le jury d’honneur a dit une chose mais la cour de cassation qui est la plus haute autorité de notre justice en a décidé autrement. Le jury était inspiré par le souci du pardon, je l’affirme sans crainte de me tromper quelque soit le respect que nous devons a toutes les victimes innocentes, enfants, femmes et vieillards déportés martyrisés. Je voudrai dire ici que je respecte plus encore ceux qui sont morts debout et grâce à qui nous sommes ici ! " Franchement, je me demande si Messmer était vraiment un témoin à charge ou à décharge. Deuxième témoin, visiblement favorable à Papon, cette fois. Il s’agit de Jean Caille, 80 ans, retraité, ancien commissaire de Police, ancien résistant, chef de service des renseignements généraux à la préfecture de Paris, où il a connu Papon. Il affirme " Papon était résistant, c’est ce qui se disait sur la foi des informations de Londres. " Entre résistants, au club des vieux de la vieille, ça se savait. Tout fonctionnaire, résistant ou non, risquait chaque jour sa vie. La police, le corps préfectoral étaient en première ligne. Nous servions de tampons. Pour les camps d'extermination, personne n'était au courant. Papon n’a jamais été raciste ou antisémite ". Un incident intervient quand il affirme que des résistants se sont plaints de ne pas avoir pu venir témoigner à Bordeaux. Le président s’en étonne mais finalement il apparaît qu’il s’agissait de la première procédure annulée, et qu’ils ont bien été entendus. Le président Castagnède " Vous dites, Papon était résistant et il a été bien accueilli à la préfecture de Paris. Avez-vous eu l’occasion d’avoir des relations assez suivies pour qu’il vous donne des précisions sur ses missions et fonctions, saviez-vous qu’il avait supervisé le service des questions juives ? " Jean Caille " Je n’ai jamais eu la moindre conversation avec Papon sur ce sujet. " Le procureur général Desclaux " On ignore le premier dossier qui a été annulé, mais depuis 1988 ont été entendus un nombre impressionnant de résistants, Cusin, Bourgès-Monoury, Chaban Delmas, Verny, Fourcade, ...Quels étaient les renseignements sur la résistance de Papon qui venaient de Londres ? " Jean Caille " Je n’ai pas de renseignements, je n’ai pas de détails. On ne se posait pas de question. " Maître Klarsfeld " Une dépêche de 1942 de Londres, des F.F.L. dit nous sommes profondément émus par les exterminations des Juifs en Pologne, Dans une note officielle, le gouvernement polonais a fait connaître que 700 000 Juifs ont été massacrés en Pologne depuis le début de l'occupation allemande. Ainsi, 700 000 hommes, femmes et enfants ont été mis à mort, par des hommes qui avaient froidement décidé ces exécutions massives. Pourquoi ? Ces 700 000 êtres humains ont été abattus pour une seule raison, c'est qu'ils étaient Juifs. " Jean Caille " Non " Maître Klarsfeld " Vous savez la peine qu’a encouru le préfet de police de Paris, Buissière ? " Jean Caille " Non " Maître Blet " Pour obéir à Londres, il fallait être accrédité par Londres, le saviez-vous ? " Jean Caille " Non je ne peux pas répondre " Maître Blet " Les archives de Londres disent le contraire, Papon est noté comme un collaborateur, le saviez-vous ? " Jean Caille " Non je ne peux pas répondre " Maître Jakubowicz " Si je fais la synthèse de vos réponses, je constate qu’il n’y a donc pas d’éléments objectifs à vos affirmations " Jean Caille " Si De Gaulle a gardé Papon, c’est que c’était un résistant " Slitinsky me glisse "Il entend ce qu’il veut cet artiste." Maître Jakubowicz " Il n’y a donc pas d’éléments objectifs. Si Papon avait été un usurpateur l’auriez-vous su ? " Jean Caille bégaye Maître Favreau " Il y a une ambiguïté dans votre témoignage. Quand avez-vous eu ces renseignements sur la résistance de Papon. Etait-ce en 1944 ou en 1958 ? " Jean Caille " Après 1944, on avait des propos sur les uns sur les autres. Je l’ai su entre les deux. " Maître Boulanger " Je demande des précisions " Jean Caille " Bof " Maître Boulanger " De qui tenez-vous ses renseignements ? Donnez nous plus de précisions " Jean Caille s’emmêle les pattes, bafouille, s’assoit. Le Président reformule et demande plus de précisions. Jean Caille ne s’en souvient pas Maître Boulanger " Quand cela s’est il passé précisément ? " Jean Caille " En 1944, au club des vieux de la vieille " Maître Boulanger " On parlait de Papon résistant en 1944 à Paris ?" Jean Caille bafouille. Maître Zaoui " Vous étiez au courant des rafles, vous y aviez participé ? " Jean Caille " J'étais forcément au courant. " Maître Zaoui " Qui organisait les rafles ? Qui allait chercher les Juifs ? " Jean Caille " Ma hiérarchie. Les exécutants, les pauvres policiers et les gendarmes qui, très souvent, prévenaient les gens. " Maître Zaoui " Saviez-vous où les Juifs allaient ? " Jean Caille " Non, Je ne le savais pas. " Vives protestations dans la salle. Maître Zaoui " Vous ne connaissez pas Drancy ? " Jean Caille "..." Maître Zaoui " Drancy ! " Jean Caille " Je n’en ai pas entendu parler. J’en ai peut-être eu connaissance parce que ça a existé (...) mais entre 1941 et 1944, la police était une organisation hiérarchisée. Un fonctionnaire ne savait pas tout. " Le président Castagnède insiste " Vous ne connaissiez pas Drancy de 1941 à 1944 ? " Jean Caille " On ne savait pas tout " Maître Zaoui " Lorsque les Juifs étaient arrêtés, vous êtes-vous posé la question de savoir où ils étaient emmenés ? " Jean Caille " Personne ne savait où ils allaient. " Président Castagnède " Nous vous parlons de Drancy à Paris France, pas d’Auschwitz ou de Bergen Belsen à l’est de l’Europe " Jean Caille " " Maître Zaoui " Les fonctionnaires, ils ne se posaient pas de questions ? " Jean Caille " Quelles questions voulez-vous qu’ils se posent ? S'ils se posaient une question, ils ne pouvaient pas y répondre. " La salle proteste, on entend des " menteur ! ", des " Bidon ! ". Il faut reconnaître qu’on atteint des sommets surréalistes... Maître Klarsfeld enchaîne " Où étiez-vous en 1942 ? " Jean Caille " J’étais gardien de la Paix dans le 8° arrondissement " Maître Klarsfeld " Avez-vous participé aux rafles de juillet 1942 ? " Jean Caille " Je ne sais pas " Maître Klarsfeld " Comment, vous ne savez pas ? Y-a-t-il eu des arrestations dans le 8° arrondissement ? " Jean Caille " Non, je ne crois pas. " Maître Klarsfeld " Il y a eu 128 arrestations dans votre arrondissement lors de la rafle du Vel d’Hiv. "
Le troisième témoin se présente, Jean-Luc Einaudi, 46 ans, éducateur au ministère de la justice. Dans une très longue déclaration, il évoque avec une précision de métronome le rôle joué par Papon en Algérie et à Paris pendant les événements de 1961. Jean-Luc Enaudi " Il y a 36 ans, a été commis à Paris, sous la responsabilité directe de Papon les plus grands crimes. Il est nommé préfet de Paris en 1958, mais depuis mai 1956 il occupait le poste de préfet à Constantine. Ses fonctions étaient très grandes pour les départements de l’est-algérien Constantine, Sétif. Il agissait sous la responsabilité du ministre résident Robert Lacoste. Papon en 1957 présente son action à Constantine, ce fut d’abord une action de guerre extrêmement sanglante en septembre 1957 à la préfecture de Constantine en compagnie de Lotte, commandant en chef des armées. C’est un lourd bilan de plusieurs milliers de rebelles en 1956, des milliers de morts en 1957, ce sont 114 000 personnes internées dans les camps, un jeune inspecteur des finances Michel Rocard dans le Monde a dit qu’à cette époque, les populations étaient dépossédées de leurs moyens d’existence habituelle et qu’une forte mortalité existait dans les camps, 1 mort tous les 2 jours pour 1000 prisonniers, Rocard évoque les zones interdites où la chasse à l’homme était autorisée, toute vie interdite, on y tuait tout ce qui bougeait, c’est là que le général Sauvagnac a hérité du surnom d’Attila. La torture était un moyen d’interrogatoire à Constantine où Papon était préfet Igame. En 1957, des témoignages furent publiés sur ce qui se passait, je cite un témoin de l’époque, l’action de Papon a été aussi l’entrave aux droits de la défense, en particulier pour les condamnés à mort. L’est algérien, c’était aussi des camps d’internements, les gens étaient victimes de mauvais traitements, des exécutions avaient lieu. Un jour Papon vient visiter un camp, il reçoit une délégation de prisonniers qui se plaignent des mauvais traitements et demande d’avoir des permissions de sortie. Papon donne la permission de sortie. Mais après son départ, on en reste à l’état antérieur. " Puis Jean-Luc Enaudi en vient à la période parisienne de Papon, " Le 13 mars ont lieu des manifestations de policiers. Ils sont 2 000 et tentent d’entrer dans l’Assemblée Nationale au cri de " A bas les Juifs" et de "morts aux Fellagas". Papon est appelé pour remettre de l’ordre. Peu de temps après sa nomination comme préfet de police, les premiers attentats du F.L.N. contre les policiers commencent. " Il explique les conflits qui existent entre le F.L.N. et le MNA. " La réponse de Papon à ces premiers attentats en 1958 a été de rafler les travailleurs Nord Africains. Il les fait interner au Vel d’Hiv et à la salle Japy, lieux de tristes mémoires, mais ça ne pose aucun problème de conscience à Papon. Ca en pose a d’autres, il y a des hommes qui protestent, une commission d’enquête est demandée mais sans résultat. Il cite le témoignage d’un gendarme mobile qui écrit que les gendarmes donnaient des coups de crosse aux 3 000 raflés. Ce témoin parle des policiers, chez qui, on se vantait d’avoir jeté des algériens dans la Seine. Les policiers se vantaient de ces actes. Un couvre feu est imposé aux travailleurs Nord-Africains - L’action de Papon s’oriente vers une répression collective avec des rafles au faciès qui se multiplient - En 1959, un camp est ouvert en plein bois de Vincennes - Les rafles s’accompagnent de mauvais traitements par les comités d’accueil, à leur descente des cars de police, les raflés passent entre deux rangées de policiers qui les tabassent - Papon avait tous les pouvoirs - Il signait des ordres d’arrestation en blanc c’est ce que m’a indiqué le commissaire Paul Roux, qui précise:" il fallait faire du chiffre", en Mars 1961 Papon dit qu’à Constantine il avait appris à connaître la guerre subversive- En 1960, il crée une force de police auxiliaire, composée d’algériens encadrés par des policiers français. Elle obéissait directement à Papon - Ils réquisitionnent des hôtels dans le 15° et le 18° - Y pratiquent la torture dans les caves, empalement sur des bouteilles et supplice de l’eau - Quelques plaintes furent instruites, un juge d’instruction demande une enquête à l’IGS qui au bout d’un an n’aboutit toujours pas des témoignages sont publiés par " Témoignages chrétiens " par Claude Bourdet Monsieur Einaudi cite les témoignages d’Hervé Bourges, appelé au cabinet d’Edmond Michelet qui fut déporté à Dachau. Il n’acceptait pas la pratique de la torture. Il constitue une équipe autour de lui, ils font appel à une jeune magistrate, Simone Weill, déportée. On arrive à l’été 1961, les disparitions se multiplient, fin août 1961. Edmond Michelet quitte ses fonctions sur la pression de Debré premier ministre. Papon s’en félicite. Fin août 1961, le F.L.N. reprend ses attentats contre les policiers, il y a 11 morts d’août à octobre 1961. A partir du mois de septembre, l’action se durcit. On retrouve des cadavres dans la Seine, raflés la nuit, on les emmène au Canal Saint Denis, on les assomme et on les jette dans l’eau. Les attentats du F.L.N.appellent la vengeance. Le 2 octobre, lors des obsèques d’un policier, Papon dit que pour un coup reçu nous en porterons dix, ce qui signifie pour un policier tué, on tue dix algériens. A Montrouge il dit:" vous devez être subversifs dans la guerre qui vous oppose aux autres. Tirez les premiers, on vous couvrira, vous serez en état de légitime défense". Papon décrète aux français musulmans d’Algérie de s’abstenir de sortir la nuit . Ce couvre-feu est anticonstitutionnel, il instaure une ségrégation à l’égard d’une population qu’on reconnaît à son faciès. C’est la chasse au faciès, les rafles. Eugène Claudius-Petit à l’Assemblée Nationale dénoncera le couvre-feu. Il avait libéré les démons du racisme et avait cette formule : est-ce qu’après la honte de l’étoile jaune, on allait avoir celle du croissant vert ? Le comité fédéral du F.L.N. décide de riposter et ordonne à l’ensemble de la population de se rassembler à partir de 20 heures 30 sur les lieux les plus connus de Paris. Il s’agit d’une manifestation pacifique pour montrer que la masse algérienne voulait la paix et l’indépendance. Le 17 octobre, les manifestants étaient désarmés, la fédération de France était puissante et encadrait les manifestants. Le 17 octobre, le préfet dispose ses compagnies de district à vocation répressive, elles étaient armées du fameux bidule, une matraque de 1m 50, ses gendarmes mobiles et ses C.R.S. Dès l’après-midi, les rafles au faciès commencent. Plus la soirée avance, sur les ondes des véhicules de police circulent des bruits disant que des algériens viennent de tirer sur les policiers . C’est faux et rien n’est fait pour démentir ces rumeurs. Ces fausses nouvelles ont un effet d’exacerbation , un cortège a lieu de République à Opéra dans le calme, elle rencontre à Opéra, un barrage de police et revient vers la République. Des policiers ouvrent le feu, des algériens sont tués par balles, au Pont de Neuilly, des gens sont tués, on voit des policiers jeter dans la Seine des algériens. " Il cite des témoins. " Papon réquisitionne les autobus de la RATP, comme en 1942, et conduit les raflés au Palais des Sports et au stade de Coubertin. Les raflés arrivent blessés, les autobus sont couverts de sang, des comités d’accueil les attendent. Les policiers frappent avec une volonté meurtrière. Un policier délégué du syndicat de la police est écoeuré, il intervient auprès du contrôleur général à Paris et lui dit faites cesser ce massacre. Paris tourne le dos. Pendant plusieurs jours, les violences se poursuivent. Le 17 à 21 heures, des algériens sont amenés à la préfecture, des policiers essayent de les étrangler dans la cour de la Préfecture. Plus tard, dans la nuit, la cour de la Préfecture est pleine. Ils sont victimes de violences extrêmes. Papon est présent . Vers minuit, plusieurs policiers sous le choc vont voir le journal France Observateur, Claude Bourdet, fondateur du mouvement Combat et lui disent en état de choc que 50 algériens viennent d’être tués dans la cour de la Préfecture de la Police, avant d’être jetés dans la Seine. Le 27 octobre, en séance du conseil municipal de Paris, Claude Bourdet interpelle Papon directement sur ses faits, Papon ne répond pas. Le bilan officiel parle de 3 morts, cette version est totalement mensongère. Le 17 octobre, il y a une véritable chasse à l’homme dans Paris, une chasse aux faciès. Ce qui fait dire à Claudius-Petit:" Heureux les Kabyles Blonds". Le 18 octobre, il y a encore des violences au Palais des Sports, il y a encore des morts. Un Séminariste, Gérard Grange parle d’un capitaine scandalisé qui vient le voir, c’est une honte dans le local où l’on range les poubelles, il y a 9 cadavres. On a tué au stade Coubertin, et pendant plusieurs jours ça continue. " On parle au total de 150 à 300 morts par noyade dans les services sanitaires de l’armée. Quant aux refus de commission d’enquêtes, il existe le rapport d’un inspecteur général qui évoque 140 morts. Une première version officielle parle de manifestants qui tirent sur les policiers Une deuxième version parle de règlement de compte Trois députés visitent le centre du bois de Vincennes. On leur refuse l’entrée. Les députés insistent, menacent et le chef du camp demande à Papon qui accepte finalement de les laisser entrer. Ces trois députés sont épouvantés par ce qu’ils voient. Un rapport est présenté à l’Assemblée Nationale et lu par San Marcelli conclut que le centre ne respecte pas la dignité humaine. Ces trois députés dénombrent 1500 détenus, or la Préfecture indique que dans ses registres, il y en a 1710. Où sont passés les 210 ? Paul Teitgen, un ancien déporté qui succède à Papon à Constantine démissionne devant les horreurs qu’il voit, pourquoi pas Papon ? Que sont devenus les 210 prisonniers ? Où sont passés les morts du Palais des Sports ? Papon porte une responsabilité directe dans cette affaire. " Puis le témoin évoque Charonne. " Une première charge d’une compagnie de district a lieu avec une grande violence. Il ne s’agit pas là d’un regrettable accident, il existe un film amateur saisi. Papon voulait que la vérité ne puisse pas se faire. Mais, finalement, elle a fait son chemin et en venant ici témoigné, je le fais par mémoire de ces victimes enterrées au cimetière de Thiais, dans la fosse commune des musulmans."
Le président Castagnède " Comment avez-vous procédé, avez-vous mené une enquête ? " Jean-Luc Einaudi " Oui, je l’ai menée de 1981 à 1986. " Le président Castagnède " Comment ? " Jean-Luc Einaudi " J’ai eu accès à toute les sources possibles, j’ai écrit à Papon pour le rencontrer et on me renvoyait vers un de ses proches collaborateurs, qui a dit qu’il n’y a eu que deux ou trois morts. Ce sont des sources orales ou écrites, mais pas d’archives officielles. Un témoignage de Badinter cite Maurice Cedalo, un haut magistrat qui lui a dit qu’il envisageait de démissionner, je reçois tous les jours des rapports pleins de cadavres " Le président Castagnède " Papon si habitué aux attaques judiciaires vous a-t-il assigné en diffamation à la publication de votre livre ? " Jean-Luc Einaudi " Non mais Papon m’a attaqué dans une interview avec Elkabbach. Papon connaît ce livre et a déclaré que c’était un tissu de mensonge " Maître Mairat (MRAP) " Sur la responsabilité de Papon, Pierre Messmer a dit qu’il revendiquait la responsabilité de ces événements et que c’était un règlement de compte entre arabes. Pierre Messmer a dit que le préfet avait la possibilité de réquisitionner les gendarmes mobiles ? Quel a été le rôle de Papon à l’égard des policiers ? " Jean-Luc Einaudi " Non jamais " Maître Mairat insiste sur la responsabilité de Papon " Elle a été totale et personnelle " Le président Castagnède " Pourquoi n’y a-t-il pas eu de sanctions ? " Jean-Luc Einaudi " Toutes les informations judiciaires ont débouché sur un non lieu et après les accords d’Evian, il y a eu amnistie générale. La commission d’enquête a essuyé les refus du préfet de Police, du Ministre de l’Intérieur, du Premier Ministre, du Président de la République " Maître Tubiana revient sur l’Algérie " Papon a -t-il freiné les exactions policières ? " Jean-Luc Einaudi " Non jamais, le général De La Bollardière, à démissionné à cause de la torture. Ses supérieurs, Robert Lacoste, Bourgés-Maunoury, ont encouragé l’usage de la torture pour les interrogatoires. Il a agi dans le cadre d’un système. Le Général a démissionné, Papon non. Je pense qu’il avait un pouvoir d’intervention, mais pour le mettre en oeuvre, il aurait fallu qu’il se mette en opposition avec ses supérieurs " Maître Boulanger " Ces précisions sont-elles extraites du livre ? Et la responsabilité de Papon ? " Jean-Luc Einaudi " Oui, elle est totale " Maître Varaut enfin intervient, avoue qu’il a été surpris et qu’il n’est pas préparé à une telle déposition " vous avez prononcé un discours politique " Jean-Luc Einaudi " Non, c’est votre question qui est politisée " Maître Varaut " Comment avez-vous eu accès aux archives ? " Jean-Luc Einaudi " C’est un travail de recherche, en écrivant mes livres " Maître Varaut " Le F.L.N. en quadrillant Paris, ne faisait-il pas acte de terrorisme ? " Jean-Luc Einaudi " Oui dans un certain sens, mais à l’époque, la majorité des algériens soutenaient l’indépendance " Maître Varaut " Combien d’attentats a causé le F.L.N. ? " Jean-Luc Einaudi " Il y a eu en France, 80 policiers tués. Il y avait 300 000 algériens en France. Le F.L.N. ne voulait pas porter la guerre en France. Sa mission en France était de récolter des fonds. " Maître Varaut " Avez-vous eu accès aux rapports de la préfecture de police ? " Jean-Luc Einaudi " Non " Maître Varaut " Qui était garde des sceaux ? " Jean-Luc Einaudi après une hésitation, " Michelet" Puis Papon intervient " Les frontières de la stupéfaction ont été franchies aujourd’hui. Je répondrai après l’audition de Chaix " Jean-Luc Einaudi " En 1968, il y a eu un autre préfet de police à Paris, heureusement, Monsieur. Grimaud a veillé à ce que de tels comportements ne se reproduisent pas et ainsi il n’y a eu aucun mort. "
A la fin de son audition, intervient une pause Le quatrième témoin intervient alors, Il s’agit de Jean Lisbonne, 85 ans, avocat. " Je n’ai pratiquement rien à dire. J’étais un compagnon de dortoir et ami de jeunesse de Papon, mon père est mort déporté au Strutoff, j’ai été en captivité toute la durée de la guerre. Le souvenir que j’ai de Papon, nous n’avions pas les mêmes opinion politiques. Nous étions horrifiés de voir la montée du nazisme., Papon était socialiste mais il n’était ni antisémite ni raciste. Je l’ai rencontré occasionnellement 2 ou 3 fois après la guerre. " Maître Klarsfeld " Qu’est-ce que la crainte du nazisme, connaissiez-vous Mein Kampf ? " Jean Lisbonne " Oui j’ai lu Mein Kampf. Ça m’a permis de savoir l’opinion de l’auteur, mais personne ne pouvait penser jusqu’où ça irait " Maître Klarsfeld " Papon parle-t-il l’allemand ? " Jean Lisbonne " Je n’en sais rien, on ne parlait pas allemand. " Le président Castagnède précise et lit sa déposition. Maître Varaut " Vous confirmez que Papon n’est pas antisémite " Jean Lisbonne " Oui, absolument " © Copyright 1997, J.M. Matisson
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© Affaire Papon - JM Matisson |