date dernière modification : 22/07/02 Chronique du 16 Février 1998 Papon KO debout à Juliette Benzazon "cessons ce jeu de société..."Aujourd'hui l’audience aura été marquée par l’audition des deux dernières parties civiles. Juliette Benzazon et Claude Léon. Le président Castagnède honorera la déposition de Claude Léon " Votre délicatesse vous honore, c’est l’avis du président de cette cour. " Si nous étions sur le ring d’un combat de catch, on pourrait décrire cette audience à la manière de certains reportages, l’ambiance du combat de catch est donnée par les premières escarmouches entre Varaut dit le royaliste légationniste [c’est encore un nouveau mot qui me semble décrire assez bien le personnage ] et les lutteurs des droits de l’homme. Puis vient le clou de la soirée, le combat entre " Momo, le Sauveur de juifs " et " Juliette la reine de Mériadeck. " Ici un résumé de son dialogue avec Papon. Momo, le Sauveur de juifs "je n’ai jamais parlé avec une partie civile. Je n’ai jamais posé de questions aux parties civiles. Je respecte les parties civiles, elles ont été menées dans cette aventure par des moyens et des chemins qu’on aura bientôt le temps d’éclaircir. Je devine que cette partie civile est une femme de caractère, capable de soutenir un dialogue avec moi... Madame, je compatis à vos malheurs ; je serai curieux de savoir comment vous avez été dirigée sur l'inculpé que je suis ? Pourquoi le mot Papon est devenu égal à coupable ? Comment madame est venue à moi ? C’est pour moi, une curiosité très vive. " Juliette la reine de Mériadeck "il y a seize ans que ce procès dure. La première fois que je vous ai rencontré, vous m’avez dit "j’ai assez d’argent pour vous faire tous les procès, vous serez obligée d'arrêter " Varaut ne tournez pas la tête, vous n’étiez pas là, c’était Monique Pelletier. Depuis seize ans, vous auriez pu venir parler calmement avec moi. Si, à ce moment-là, vous m'aviez expliqué des choses, j'aurais peut-être pu comprendre autrement. Mais vous vous êtes enfoncé comme un fonctionnaire. Vous êtes un fonctionnaire, vous n'aimiez pas les juifs. On ne peut pas dire qu’on aime les juifs quand on envoie à la mort les bébés, les enfants" Momo, le Sauveur de juifs " Ce n’est pas la question, notez monsieur le président, elle ne répond pas aux questions. Le dialogue s'égare... Cessons ce jeu de société. " Juliette la reine de Mériadeck " C'est vous qui m'avez interpellée. Je vais continuer. Vous nous avez fait des procès à huis clos, avec vos avocats, sans vous. Vous ne daigniez pas venir nous voir. C’est il y a seize ans qu’il fallait venir nous voir, il y avait Sabatier, il fallait le dire avant. " Momo, le Sauveur de juifs "C’est faux. " Juliette la reine de Mériadeck "j’ai entendu Maître Varaut dire jamais Papon ne sera aux assises. Moi, j'ai la cassette de télévision où Maître Varaut disait : "Jamais Maurice Papon ne sera aux assises. " Et voilà, il est là. " Varaut "quelle cassette ? " Juliette la reine de Mériadeck "je ne vous pardonne pas de nous avoir mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Est-ce cela que vous appelez la compassion [ Juliette dit la compensation, l’émotion sûrement.] On ne peut dire cela quand on a envoyé 1600 juifs dans les camps. " Momo, le Sauveur de juifs bégaye "la réponse me suffit... " Juliette la reine de Mériadeck "Maintenant, je suis à la barre, j'y reste. Après on a été au commissariat de police, on nous demande nos comptes en banque, je me revoyais comme pendant la guerre. Un beau jour, Papon a dit qu’il tirait les ficelles, il a retiré sa plainte avant le procès. Moi, j’ai porté plainte, seule, j’ai bien réfléchi avec mon mari. Personne ne m'a emmenée à ce procès. Nous, les amis de Mériadeck, on est unis. Peut-être que vous regretterez un jour qu'on ait pu se sauver. Mais c'est comme ça. Voilà ce que j'avais à dire. " A la fin du round, trois minutes plus tard Momo le sauveur des juifs est KO debout ou plus exactement vautré dans son fauteuil, il jette l'éponge. Le public applaudit. L’audience commence par une intervention de l'avocat général Robert "je veux signaler un fait grave. Monsieur Le procureur de Cologne Rolf Holfort, cité comme témoin par une partie civile représentée par Maître Arno Klarsfeld, monsieur Holfort est l’équivalent du procureur général de la république en France. Il s’est occupé des procédures suivies contre les criminels nazis, entre autres, celles contre Herbert Hagen et Kurt Lischka. Il devait témoigner aujourd'hui. Malheureusement, il a reçu à son hôtel des menaces de mort, une lettre anonyme, constituée de lettres en caractère d'imprimerie dont voici le texte " Vichy en vie, pas de témoins allemands, vous parlez, mort ". Il s’est placé sous la protection de la justice française. Mais le délinquant est parvenu à ses fins, Monsieur Holfort a été très affecté, il a des problèmes cardiaques, il s'est placé sous la protection de la justice française et il a repris l'avion pour son pays. Il sera passé outre à son audition. Mais permettez-moi de vous dire combien le ministère public est outré. Nous sommes, nous magistrats, scandalisés par ce grave incident qui trouble une fois encore ce procès. La haine est toujours vivace pour que les magistrats allemands soient ainsi empêchés de témoigner... " Maître Arno Klarsfeld "je m’associe avec ce que vient de dire le ministère public. Je rappelle son état de santé, il a décidé de regagner l’Allemagne sous la protection du parquet général. " Maître Varaut s’associe lui aussi au propos du ministère public dit que lui aussi "ayant reçu beaucoup de menaces et beaucoup de cercueils " qu’il est cardiaque lui aussi, "si nous devions compter les menaces et les cercueils que nous avons reçus, nous ne serions pas là " que le témoignage de monsieur Holfort aurait été bien utile. Qu’il l’a appris 10 mm avant l’audience au cours d’une conférence de presse donnée par Arno Klarsfeld " ! Maître Arno Klarsfeld "non, il n’y a pas eu de conférence de presse, 10 mm avant l’audience, j’en ai parlé avec la radio qui m’a interviewé dans la salle des pas perdus. " Selon Arno Klarsfeld, le témoin serait venu dire deux choses capitales, un que si les Français avaient refusé d’obéir aux ordres, les Allemands ne pouvaient et n’auraient rien fait. Deux que le KDS de Bordeaux a obtenu le meilleur taux de déportation de France, et que cela est du à la collaboration zélée de la préfecture de la Gironde, de Papon et de son service des questions juives. Le président Castagnède " Il sera passé outre à son audition " puis il est abordé le cas de deux autres témoins, madame Lagrange et monsieur Elie Weisel, dans les deux cas, Maître Varaut demande le maintien de l’audition d’Elie Weisel, pour sa non connaissance de la solution finale, et Maître Zaoui pour le maintien de celle de Simone Lagrange parce que selon Maître Jakubowitz, il pense qu’elle pourra venir. Le président Castagnède pour toutes ces raisons et compte tenu des menaces qui pèsent sur les témoins, veut agir avec beaucoup de souplesse et sursoit à statuer. Maître Arno Klarsfeld dépose de nouvelles pièces, "la déclaration des Nations Unies du 17 décembre 1942 les gouvernements français, anglais, américains, suisses, etc... ont pris connaissance que les autorités allemandes ont transformé en réalité la menace d’extermination qu’ils faisaient peser sur la race juive. - Aucun déporté n’a plus jamais donné signe de vie. - Les victimes se comptent par centaines et centaines de milliers. - On extermine femmes, enfants, vieillards... je soumets ce document à Maître Varaut, il lui sera certainement utile pour poser ses questions à l’accusé. " Maître Varaut se plaint que le document présenté par Maître Klarsfeld a déjà été lu et que ce n’est qu’un effet d’audience. Il revient sur le cas du Docteur Schinazi, il dépose de nouvelles pièces, dont une pièce du 2 juillet 1942 relative à l'arrestation pour des menées antiallemandes et à la détention du Docteur Schinazi au camp d'internement de Merignac. Le Docteur Schinazi a été détenu au service des étrangers, contrairement aux autres juifs, pour activités antiallemandes. Moïse se lève et s’écrie "c’est faux ! ". Maître Levy demande la parole, se lève, le président Castagnède " Je prends connaissance des documents comme vous, Maître Levy vous avez la parole. " Maître Levy "monsieur le président, je voudrais faire une observation, je prends acte de ce dépôt de pièces, mais contrairement aux affirmations de la défense, cela ne change rien au problème. Je ne vois pas en quoi cela enlèverait la responsabilité au contraire, cela renforce l'accusation. " Le président Castagnède " On a la confirmation que ce sont bien les gendarmes français qui procèdent à l'arrestation, c’est ce que dit la pièce du 2 juillet 1942. Vous les avez eues récemment Maître Varaut ? " Maître Varaut " A 13 heures 25, aujourd'hui. Cela montre que les Allemands donnent des ordres directement aux gendarmes. " Le président Castagnède " Non, non, non, on voit le KDS écrire à Poinsot, il manque un maillon, on sait que la préfecture écrit à l'intendance régionale de police, là l'intendance régionale de police est relayée par les ordres de la préfecture. " Maître Boulanger "je ne vois pas ce qu’apportent ces documents, de nouveau à ce qui a été dit, le 24 juin votre client signe un ordre pour que tout passe par la préfecture. Le KDS s’adresse à Poinsot, la préfecture s’adresse à l'intendance régionale de police. C’est très imprudent pour votre client de produire ces pièces. Poinsot transmet à la préfecture, la préfecture transmet à l'intendance régionale de police, l'intendance régionale de police transmet les ordres à la gendarmerie. C’est conforme aux ordres signés par votre client et le fait que ce soit demandé par les autorités nazies est constitutif du crime contre l'humanité. Vos pièces nous amènent plus à nous qu’à vous. " Maître Varaut "non, ce sont des crimes de guerre, pas des crimes contre l'humanité " Maître Tubiana "simplement, la question s’est posée en droit lors du procès Barbie, l’arrêt Barbie n’exclut nullement les crimes contre les opposants politiques, c’est malhonnête de votre part, Maître Varaut, mais on sait comment vous allez plaider. On l’a vu avec le témoignage de Frossard et le cas du Docteur Bompel qui était à la fois juif et résistant. Il a été décidé de poursuivre Barbie pour crime contre l'humanité, on est bien dans le même cas. " Maître Levy "la défense vient d’avouer ses intentions, elle veut porter le cas du docteur Schinazi sur le plan du crime de guerre. Le crime de guerre est prescrit, donc on ne peut pas poursuivre Papon pour ces faits. Je ne reviens pas sur qu’ont dit Maîtres Boulanger et Tubiana, mais le simple fait d’envoyer monsieur Schinazi dans un convoi à Drancy, c’est du crime contre l'humanité, on conduisait les juifs à Drancy, je dis cela pour attirer l’attention du jury pour quand la défense plaidera le crime de guerre. " Le président Castagnède conclut cet incident d’audience, en déclarant que comme l’instruction le laissait entendre, les gendarmes ne recevaient pas d’ordres directement des allemands La parole est maintenant à la défense pour interroger l’accusé. Sur le dernier convoi, Papon revendique deux sauvetages, Khan et Léonce Léon. Sur les responsabilités, il botte en touche vers Närich, madame Eychenne, Chapel et Dubarry. Le duo provoque même un éclat de rire général quand à une question piège de Maître Varaut, Papon répond "c’est Garat ", Maître Varaut se tourne vers Papon "non, non, Dubarry " Puis Papon aborde enfin le chapitre des sauvetages tant attendu... "le moment est venu de faire un bilan des opérations de sauvetage de 1942 à 1944, elles ont pris 7 formes différentes. Je ne m'attribue pas le monopole mais cela concerne le service des questions juives, constitué de quatre à cinq fonctionnaires. Ces interventions prenaient des formes diverses, parfois clandestines, ce qui n'était pas le moins dangereux. Officiellement, en négociant avec les Allemands ou avec Vichy. Officieusement, en prévenant les familles à l'avance. Clandestinement, enfin, en détruisant les dénonciations, en accordant des dérogations au port de l'étoile jaune ou encore en multipliant les radiations du fichier juif. " Papon rappelle ses "efforts incessants et soutenus en faveur des juifs. " La première forme, ce sont les libérations et les exemptions. Rafle de juillet 1942 on a 24 sauvetages. Rafle d'août 1942, on a 30 sauvetages. Le président Castagnède " vous parlez d’exemptions ou de libérations ? " Papon "des deux " Le président Castagnède "oui, c’est important parce qu’on sait que dans le cas d’exemptions, le départ est simplement différé d’un ou deux, voire trois convois. " Papon "rafle de septembre 1942, j’étais absent. On a 8 sauvetages. Rafle d’octobre 1942, on a 19 sauvetages. Rafle de novembre 1943, la préfecture est informée après le départ du convoi. Rafle de décembre 1943, on a 20 personnes sauvées. Rafle de janvier 1944, on a 38 sauvetages. Rafle de mai 1944, on a deux sauvetages. Soit pour cette première forme de sauvetages 150 personnes sauvées. [ Michel Slitinsky on en connaît que 133, mais toutes libérées par les Allemands ] Deuxième forme de sauvetage, les lettres et les demandes. Troisième forme de sauvetage, les demandes intuitu personnae. Il y a eu plusieurs dizaine de demandes. Papon cite deux cas à titre d’exemple mesdames Foustet Léonie et Vitrac [ Michel Slitinsky, elles sont toutes les deux catholiques ]. Il cite dans la foulée, le cas d’Alice Slitinsky, de monsieur Herrera, délégué de l’UGIF. Quatrième forme de sauvetage, les familles prévenues à l’avance, il cite le témoignage de madame Bonnecaze, par définition elles sont clandestines. [ Mais on l’a vu lorsqu’il a essayé de parler des familles prévenues pour une rafle, les quatre témoignages en faveur de Papon étaient bidon. Et la seule famille effectivement prévenue l’avait été par une autre personne que celle que Papon désignait. ] Cinquième forme de sauvetage, les dérogations au port de l’étoile jaune, Papon cite 1182 dérogations, 951 français et 231 étrangers. Pour Papon, une dérogation équivaut à un sauvetage. On a donc 1182 sauvetages. [ Michel Slitinsky, c’est faux, il n’y a eu que 11 dérogations accordées sur 1181 demandes.] Sixième forme de sauvetage, les lettres de dénonciation reçues directement à la préfecture et détruites par le service des questions juives. Septième forme de sauvetage, les radiations, les experts parlent de 130 personnes au moins, Bergès de 400. A ce sujet Papon demande à verser 2000 dossiers. Un débat s’instaure sur les radiations, c’est la première fois que Papon parle de radiations clandestines, sans demander l’accord des allemands. Pire, elles étaient cachées aux allemands. Le président Castagnède " Mais qui procède aux radiations ? Les Allemands ? " Papon "non, à la fin, c’est la préfecture. " Le président Castagnède " La préfecture aurait procédé à des radiations sans en avertir l'autorité allemande ? " Papon "oui, c'est un risque que nous avons pris, ces radiations étaient clandestines et donc risquées car le service des questions juives les a faites sans l'accord des Allemands, ni de la police anti-juive " Le président Castagnède " Bon, je note votre réponse " Papon "le nombre de demande de radiations n’étant pas connu, on ne peut guère dire combien il y avait de radiations. Les radiations étaient cachées aux allemands. Plus on agissait hors de la légalité, plus on ne laissait aucune trace " Papon nous refait le coup du "plus je pédale moins vite et moins j’avance plus vite ". Le président Castagnède " Vous dites que vous avez procédé à des radiations sans en référer aux Allemands. Dans tous les documents que nous avons examinés, nous avions toujours la trace de l'accord du KDS qui était une démarche obligée. Ces radiations clandestines des allemands et de la SEC, quand se sont-elles produites ? " Papon "fin 1943 début 1944. " Le président Castagnède " Beaucoup de juifs demandaient encore leur radiation, à cette date ? " Papon "pas mal " etc. Papon n’en connaît pas le nombre et on verra le lendemain que l’un des experts cités pourtant par la défense démentira formellement ce point, à partir de mai 1943, la préfecture ne pouvait plus opérer de radiations. Papon continue son long plaidoyer, "que dois-je faire ? Que puis-je faire ? Dois-je aller chercher mes témoins dans les cimetières ? " Et il cite 5 lettres qu’il a reçues, une carte interzone de Maurice Levy, Maurice Levy était un ami commun de Sabatier et de Papon et sera déporté. Une lettre de Roger Bloch de 1981, qui dit avoir obtenu des renseignements grâce à Papon. Une lettre de François Perreyre, qui dit que sa nièce témoigne que Papon a aidé son père et des résistants juifs. Une lettre d’Etienne Moulin de soutien et d’admiration. Une lettre de soutien de madame Vinck. Papon termine son long plaidoyer renouvelle ses attaques contre l'arrêt de renvoi qui, au terme de l'examen des faits, se révèle être " un panier percé dans lequel il ne reste plus que des épluchures. Je demande à mesdames et messieurs les jurés d'avoir présente à l'esprit la manière dont j'ai servi mes compatriotes et ma volonté d'éviter toute injustice. " Le président Castagnède précise qu’il a cinq demandes de prises de parole des avocats des parties civiles plus une de Varaut. Maître Varaut demande la parole en préalable, il se plaint que les parties civiles soient volubiles, demande qu’on ne leur donne pas la parole, qu’elles avaient donné leur parole de ne pas intervenir après Papon. Que ce n’est pas du jeu ! Le président Castagnède " Je suis marri de votre demande, l’accusé a pris la parole sur des points non prévus à l’ordre du jour. C’est son droit, il a en plus abordé des points nouveaux, les radiations clandestines, je suis moi-même intervenu sur ce point. Je ne vois pas comment, je pourrai ne pas leur donner la parole ? . Mais avant de finir l’examen du convoi, je veux entendre deux parties civiles et une personne en vertu de mon pouvoir discrétionnaire. " Maître Varaut "vous dites que vous allez redonner la parole aux parties civiles sur le convoi, elles l’ont eu pendant deux jours. " Le président Castagnède " Ou je m’exprime mal ou vous n’êtes pas attentif Maître Varaut, je préfère croire que je me suis mal exprimé aussi je le répète, l’accusé a pris la parole sur des points non prévus à l’ordre du jour. C’est son droit, il a en outre abordé des points nouveaux, les radiations clandestines, je suis moi-même intervenu sur ce point. Je ne vois pas comment, je pourrai ne pas leur donner la parole ? J’appelle à la barre madame Benzazon. " Juliette Benzazon, s’avance, élégante, son chignon droit vers le ciel, avec sa détermination si caractéristique " [ ici croquis d'audience ] Juliette Benzazon "je vous remercie, monsieur le président, messieurs et mesdames de la cour, messieurs et mesdames les jurés. Je suis venue déjà parler de mon grand-père et de mon grand-oncle, je voudrais maintenant m’exprimer sur ce que peut ressentir et subir une petite fille de 12 ans. Je ne vais pas vous tenir des heures. Je quitte Bordeaux et le lendemain, à La Réole, je passe la ligne de démarcation avec mes trois petites sœurs, ma petite sœur est née en 1940. C’est avec grand peine que nous avons rejoint Marseille, où nous voulions aller en Algérie. A Marseille, nous étions au vieux port, mais dans la nuit, les Américains avaient débarqué en Algérie et nous sommes restés à Marseille. On était en zone libre, mais cela ne veut pas dire qu’on était libre. En janvier 1943, mon père et mon frère ont été arrêtés dans la grande rafle, le vieux port est encerclé, ce sont Eichmann et Bousquet qui s’en sont occupé. Toute ma vie a basculé, toute ma famille a été disloquée. Un monsieur a raconté jeudi la déportation, tout le monde était marqué, moi j’étais stressé, on attendait à Marseille, dans la maison des fous, mais il faudrait que je vous raconte toute ma vie et je n’ai pas le temps. Mon père et mon frère ont été déportés à Sodibor et exterminés. Nous étions réfugiés à Joucques, le maire était très bien, il a effacé le signe de juif sur nos papiers. Voilà ce qu’on appelle un bon fonctionnaire. " Juliette se tourne vers Varaut et Papon en disant ça. " Une amie de Bordeaux, madame Jarnal, a vu la rafle à la Synagogue, elle a pris peur et a voulu cacher mes soeurs. Je revenais voir souvent madame Jarnal lui remettre de l’argent, elle m’avait conseillé de voyager avec les officiers allemands ce que j’ai fait trois ou quatre fois. Je voulais prendre des nouvelles de mon grand-père, je mange chez ma tante, [ Nouna Elbaz ] et avec mes cousines, Paulette et Georgette Benaïm, seize et treize ans, j’ai passé la soirée avec eux, quelques heures avant la rafle [ de décembre 1943, ] je pleurais, je voulais rester coucher avec eux, mais madame Jarnal a insisté pour que je parte avec elle, elle m’a promis de revenir le lendemain, mais le lendemain tout le monde avait été raflé. Le président Castagnède " Il s’agit bien de votre grand-tante ? " Juliette Benzazon "oui " Le président Castagnède " Votre grand-oncle Saïda Benaïm est parti dans le convoi du mois d'août, votre mère et vos deux soeurs en décembre ? Nouna Elbaz était la femme de Saïda Benaïm, avec ses deux filles Rachel et Paule, elles partent dans le convoi de décembre... Vous êtes partie civile pour ces trois femmes et pour le garçon Elie Gaston Benaïm, versé dans le convoi de mai ? " Juliette Benzazon "oui, elles ont été déportées par le convoi de décembre, suivies de peu par Gaston Benaïm, vingt-deux ans, leur frère, il a été arrêté en janvier et déporté en mai 1944. Ils avaient posé les scellés sur la maison, Gaston est revenu, les a fait sauter, il était sourd et muet, il a été dénoncé par un voisin et a été raflé en janvier. " Le président Castagnède " On sait qu’il fait partie du convoi de mai 1944. " Juliette Benzazon "il est revenu à la maison " Le président Castagnède " Il fallait bien qu’il soit quelque part, Gaston est votre cousin ? " Juliette Benzazon "il était le cousin de mon père. " Le président Castagnède " Je reprends cette rafle, il y a la liste des exemptés et la liste de ceux qui sont arrêtés par la police française. " Juliette Benzazon "je ne sais pas qui l’a arrêté " Le président Castagnède "je n’ai pas pu déterminer par qui avait été arrêté Gaston Benaïm. On a peu d’éléments, il ne figure pas sur la liste des libérés, il ne figure pas sur la liste des personnes arrêtées en février, vous annoncez cette date du 10 janvier ? " Juliette Benzazon "je ne donne pas de dates, je sais qu’il est revenu chez lui, pendant 10 jours environ. " Le président Castagnède " On ne sait pas s’il fait partie de la rafle de décembre mais il y a eu des arrestations ponctuelles, par les Allemands, par Mayer. " Juliette Benzazon "il était sourd et muet. Il a été arrêté dans la nuit, dénoncé par un voisin croix de feu. La maison donnait rue Duplantier et place Mériadeck, il y avait deux issues, il pensait s’en servir pour s’échapper. Mais à quelle date ? " Le président Castagnède " Ce qui est sur, c’est qu’il a été versé au convoi de mai 1944. " Juliette Benzazon "oui, c’est ça. " Le président Castagnède " Où était-il détenu ? Au fort du Hâ ou à Mérignac ? " Juliette Benzazon "je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire, j’étais à Marseille. Ce que je peux dire, c’est que si j’étais resté chez ma tante, je ne serai pas là, aujourd'hui. Dans notre village près de Marseille, quand on couchait dans la colline, où il y avait beaucoup de charbon de bois, ma mère a été malade, elle n’a pas voulu se faire hospitaliser, on avait peur, on menait une vie épouvantable. Ces choses-là, je les ai dans mon esprit, je ne peux pas m’en débarrasser, Je réclame simplement que justice soit faite. Quand j’entends Papon dire qu'il a sauvé des juifs ? . Dans le quartier de Mériadeck, il n’y avait que des gens moyens, je ne connais personne qui a été prévenu. Quand on est criminel et qu'on a tué 1.500 personnes, qu'est-ce que ça change d'en sauver 200 ? En seize ans, jamais il ne nous a parlé comme ça. Pourquoi au lieu de nous faire des procès et de nous poursuivre pour dénonciation calomnieuse, il ne s'est pas expliqué ? Papon a poursuivi pour dénonciations calomnieuses des parties civiles dont plusieurs sont mortes inculpées. Nous, les victimes, nous n’avons que notre cœur, nous n'avons pas de grands mots à faire valoir. Nous, nous n’avons que nos morts derrière nous. Nous, les victimes, on ne sait pas parler. Ce n'est pas comme Papon, monsieur le ministre. Mais quand il dit qu'il y a trop d'avocats de la partie civile, il exagère vraiment. C'est un minimum que vous avez devant vous. Si tout le monde avait un avocat, comptez donc, à cinq par famille, combien ça ferait sur 1 500, si tout le monde était représenté. Ma tante est morte inculpée. " Le président Castagnède " Il s’agit d’Yvonne Elbaz ? " Juliette Benzazon "on est une grande famille, c’est ma cousine, non c’est ma tante, nous sommes une grande famille. " Le président Castagnède " Et les enfants Draï ? " Juliette Benzazon "ce sont mes oncles, eux aussi, ils étaient très nombreux, et malheureusement, beaucoup sont partis à Auschwitz Je suis mère de six enfants et grand-mère de quatorze petits-enfants, j’ai quatre arrière petits enfants. J’ai accompli mon devoir. Je pense sans arrêt à tous ces enfants. Le petit Michel, il est né en avril 1942. Mon grand-père était français, mon grand-oncle aussi. Ils sont nés au Maroc, alors on a écrit marocain sur leurs papiers. " Le président Castagnède " C’est sur, quand on voit ces dates de naissance, comme ça. Le père est déjà parti, la mère n’est pas là ? " Juliette Benzazon "si, elle est dans le convoi. " Le président Castagnède " Je me disais, comment un enfant d’un an et demi est-il parti ? " Juliette Benzazon "par contre, je ne sais pas comment elle est partie, il a fallu que je cherche pour savoir son nom. Elle habitait 16 rue de Belem. Elle est partie dans le convoi de décembre 1943. Je ne sais pas comment, mais un voisin l’a vue à la gare avec le bébé dans les bras. Je pensais que vous me diriez comment elle a été arrêtée ? " Le président Castagnède " Elle s’appelle ? " Juliette Benzazon " Myriam Dayan. " Le président Castagnède cherche dans ses papiers. Juliette Benzazon "un voisin a vu la petite Jacqueline dans les bras de sa mère, j’ai fait des recherches à la croix rouge, ce week end, j’ai vu à Bayonne une personne qui accompagnait mon père à Sodibor, il a pu dévissé une planche dans le wagon et s’est évadé. Il s’est échappé. Papon dit j’ai sauvé, mais sauvé ou pas sauvé, quand un criminel avec une mitraillette en tue six et pas les autres, il est quand même un criminel. C’est ça la justice " Papon "je n’ai jamais parlé avec une partie civile. Je n’ai jamais posé de questions aux parties civiles. Je respecte les parties civiles, elles ont été menées dans cette aventure par des moyens et des chemins qu’on aura bientôt le temps d’éclaircir. Je n’ai pas voulu poser de questions à monsieur Balbin, il avait trop souffert, ni à monsieur Durand il était un chef communiste, il est forcement contre moi. Je veux poser cette simple question, je devine que cette partie civile est une femme de caractère, capable de soutenir un dialogue avec moi... Madame, je compatis à vos malheurs ; je serai curieux de savoir comment vous avez été dirigée sur l'inculpé que je suis ? Pourquoi le mot Papon est devenu égal à coupable ? Comment madame est venue à moi ? C’est pour moi, une curiosité très vive. " Juliette Benzazon "il y a seize ans que ce procès dure. La première fois que je vous ai rencontré, vous m’avez dit "j’ai assez d’argent pour vous faire tous les procès, vous serez obligée d'arrêter " Varaut ne tournez pas la tête, vous n’étiez pas là, c’était Monique Pelletier. Depuis seize ans, vous auriez pu venir parler calmement avec moi. Si, à ce moment-là, vous m'aviez expliqué des choses, j'aurais peut-être pu comprendre autrement. Mais vous vous êtes enfoncé comme un fonctionnaire. Vous êtes un fonctionnaire, vous n'aimiez pas les juifs. On peut dire qu’on aime les juifs quand on envoie à la mort les bébés, les enfants " Papon "ce n’est pas la question, notez monsieur le président, elle ne répond pas aux questions. Le dialogue s'égare... Cessons ce jeu de société. " Juliette Benzazon "c’est vous qui m'avez interpellée. Je vais continuer. Vous nous avez fait des procès à huis clos, avec vos avocats, sans vous. Vous ne daigniez pas venir nous voir. C’est il y a seize ans qu’il fallait venir nous voir, il y avait Sabatier, il fallait le dire avant. " Papon "c’est faux " Juliette Benzazon "j’ai entendu Maître Varaut dire jamais Papon ne sera aux assises. Moi, j'ai la cassette de télévision où Maître Varaut disait : "Jamais Maurice Papon ne sera aux assises. " Et voilà, il est là. " Varaut "quelle cassette ? " Juliette Benzazon "je ne vous pardonne pas de nous avoir mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Est-ce cela que vous appelez la compassion [ Juliette dit la compensation, l’émotion sûrement.] On ne peut dire cela quand on a envoyé 1600 juifs dans les camps. " Papon "la réponse me suffit. " Juliette Benzazon "maintenant, je suis à la barre, j'y reste. Après on a été au commissariat de police, on nous demande nos comptes en banque, je me revoyais comme pendant la guerre. Un beau jour, Papon a dit qu’il tirait les ficelles, il a retiré sa plainte avant le procès. Moi, j’ai porté plainte, seule, j’ai bien réfléchi avec mon mari. Personne ne m'a emmenée à ce procès. Nous, les amis de Mériadeck, on est unis. Peut-être que vous regretterez un jour qu'on ait pu se sauver. Mais c'est comme ça. Voilà ce que j'avais à dire. " Papon n’ose plus rien dire, le cyclone Juliette est passé par-là. C’est bizarre de constater que dans ce procès, seules les femmes parviennent à le faire taire ou chanceler. Il doit avoir une réminiscence de ses relations avec sa mère. Claude Léon s’approche à son tour de la barre, dans une longue et émouvante déposition, à la fois digne et sincère, Claude nous parle du drame de sa famille et de son adolescence volée. Mais ce qui me semble le plus important c’est le système de valeurs qu’il oppose au système de l’accusé. On voit bien le fossé qui sépare les victimes des bourreaux. Une vérité à visage humain d’un côté, un déploiement de mensonges et d’attaques insidieuses, de l’autre côté.
Claude Michel Léon, 71 ans [ ici croquis d'audience ] Bien que ma déposition ne soit pas soumise au serment des témoins, je voudrais assurer la Cour de ce que je déposerais sans crainte, les temps ont changé, et sans haine car plus de cinquante années ont passé, et j’ai pu trouver la sérénité qui fait dépasser ce sentiment. Mais, je ne saurais promettre de dire toute la vérité. Je dirais seulement toute ma vérité celle de ma famille et les souvenirs qui s’y rattachent.
Réponse à Maître Vuillemin J’ai entendu la semaine passée Maître Vuillemin, s’adressant à quelques parties civiles, leur demander, on ne sait à quelles fins, s’ils avaient eu connaissance de ce que leur avocat, Maître Boulanger avait conservé pendant plus de deux ans leur plainte, dans ses dossiers avant de la faire prendre en considération. Je crois devoir, sans attendre, calmer son inquiétude. Pour ma part, si j’avais souhaité qu’elle soit immédiatement enregistrée je l’aurais adressé directement au Procureur Général. Mais, je pensais que l’ensemble des plaignants de ce dossier devait se sentir solidaires, et se faire entendre d’une seule voix, au nom des 1600 victimes de ce drame. Je l’ai donc laissé seul juge du jour et de l’heure du dépôt des plaintes, pour une meilleure efficacité de la procédure. Réponse à Maître Varaut : mes raisons Je voudrais ensuite répondre à une question de Maître Varaut. Il s’interroge sur les motivations qui nous ont conduit à entamer une telle action, supposant qu’elle a été inspirée par un "complot politique" ou engagé "intuitu personnae" contre un homme à la prestigieuse carrière qui l’a conduit aux plus hautes fonctions de l’état, puisqu’il est devenu ministre. Pour ce qui me concerne, j’ai hésité quelques temps avant de me lancer dans cette aventure. Mais cinq raisons m’y ont déterminé : a) J’ai été choqué d’apprendre que la justice française était ainsi faite que seules les victimes pour lesquelles des plaintes étaient enregistrées, seraient concernées par le procès. Ainsi comme le disait Eichman, si la "solution finale "avait été conduite à son terme il n’y aurait pas eu de procès, puisqu'il n’y aurait plus eu de plaignant contre les assassins et leurs complices. En joignant ma plainte à celles qui étaient déjà connues je permettais de prendre en considération les deux derniers convois partis de Bordeaux. b) Trop souvent, reprenant le mot de Goering au procès de Nuremberg, on entend répéter que ce génocide n’est qu’un "détail" de la deuxième guerre mondiale. Oserais-je ajouter que cela est difficilement acceptable par ceux qui en ont été directement les victimes. D’autres enfin soutiennent que la Shoah n’a pas existé, que ce n’est qu’une légende. Il faut donc que les victimes se fassent entendre, et ce procès en est l’occasion. c) Elevé, et instruit à l’école de la République, j’ai été imprégné de l’idée très forte que la France a depuis 1789, été un phare pour beaucoup de peuples, car c’est le Pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Pays, qui peut s’enorgueillir, d’avoir accordé à chaque homme le droit de vivre libre, et de penser librement. Pays qui a laissé à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, et d’avoir la liberté du choix de sa religion. Pays enfin de la séparation des Eglises et de l’Etat, pour le plein exercice de la liberté de conscience. J’ai donc pensé que c’était mon devoir de citoyen de me battre pour faire respecter ce principe fondamental, et combattre ceux qui avec le gouvernement de fait de Vichy, ont cru dès juin 1940, alors que rien ne les y obligeait, et surtout pas les Nazis, devoir mettre n’œuvre des lois d’exclusions contre une partie de la population dont le seul tort était d’être né Juif, et d’avoir voulu respecter la foi de leurs ancêtres qui leur a valu tant de persécutions depuis la fuite d’Egypte au temps de Ramsès II. d) Pour l’avenir, et les générations futures ensuite, il m’a paru important que ce procès témoigne de la réalité de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, puisque plus de cinquante ans après, ceux qui les ont commis ne sont pas à l’abri de poursuite et je l’espère d’une condamnation e) Pour le passé enfin et la "mémoire", car si je suis seul à la barre devant vous j’aimerai que vous puissiez imaginer et sentir à mes côtés les 14 membres de ma famille qui ont payé de leur vie le crime de leur naissance, et derrière eux toutes les victimes de ce génocide. La mémoire, pour moi et pour quelqu’un qui a vécu ces heures douloureuses, c’est, à la différence l’historien qui ne voit que des noms et des numéros lorsque s’affichent sur les panneaux les listes des convois, de revoir s’animer les visages connus des personnes qui ont à un certain moment occupé une place dans sa vie. C’est faire revivre au présent, un moment passé de sa propre existence. C’est se sentir revenu 55 ans en arrière, et à nouveau entendre le son de la voix d’une grand-mère tant aimée. Qui je suis, ma famille Après ces préambules, je voudrais préciser qui je suis, puisque ayant déménagé après le dépôt de ma plainte, les conseillers instructeurs ne m’ont pas entendu. Reprenant le ton péjoratif utilisé souvent par l’accusé, je dirais que je suis "mi-boche" et "mi-juif". En effet, ma mère est née à Colmar en 1895, d’une famille luthérienne, frontalière, dont une partie des ancêtres venaient du pays de Bade, au-delà du Rhin. Il faut rappeler à cet instant que l’Allemagne, le Reich allemand a été créé après la victoire de la Prusse de Bismarck et de Guillaume 1°, sur l’Autriche, à Sadowa en 1866, et a annexé l’Alsace- Lorraine après la victoire sur la France en 1871. La famille de ma mère n’a jamais accepté la domination prussienne, et ses deux frères ont combattu en 1914-1918 dans l’armée française. Ma mère avait également trois sœurs. L’une a épousé un vosgien et est restée en Alsace, une autre a épousé un américain qu’elle a suivi à San Francisco, l’autre enfin a épousé un médecin qui s’est installé à Fribourg et elle est donc devenue allemande. Ainsi pendant la guerre de 1939-1945, j’avais deux cousins dans l’armée allemande, deux cousins dans l’armée américaine deux cousins dans l’armée française et mon frère aîné engagé en novembre 1939, a fait la guerre dans les forces navales française libres jusqu’en 1945. Mon père, qui se disait "français de confession israélite", mais ne pratiquait plus sa religion s’étant marié au temple protestant, descendait d’une ancienne famille de juifs séfarades, chassée d’Espagne et du Portugal, par l’Inquisition en 1496, et depuis lors installée à Bordeaux où, en vertu des lettres patentes des rois de France, ils ont pu vivre sous le nom de "Nation portugaise" de Bordeaux. Une branche de sa famille maternelle venait de Cavaillon. Elle était issue de cette communauté que l’on appelait les "Juifs du Pape". L’arrière-grand-père de mon père, son père et ses deux frères, partis comme soldats de l’An II, ont terminé officiers d’Etat Major de l’armée de Napoléon 1°. Comment, sachant cela, ne pas se sentir profondément français. Comment ne pas se souvenir que c’est à la République en 1791, que les juifs doivent, sur la proposition de l’abbé Grégoire, d’avoir été reconnus citoyens français ? Je suis, enfin, à cause de mon âge, un témoin qui se souvient et fait revivre sa mémoire, contrairement à l’accusé, et à certains des témoins appelés à la barre, qui curieusement, n’ont que des souvenirs sélectifs. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour poursuivre cette complicité dans les crimes commis contre notre famille ? a) Nous n’avons pris conscience que très lentement de la gravité de cette complicité de crime contre l’humanité. Nous savions que les initiateurs étaient les nazis, mais nous ne pensions pas pouvoir poursuivre, au même titre, l’aide active dont ils avaient bénéficiés dans ce génocide. b) Nous avions également constaté que, toutes les poursuites intentées peu après la guerre, avaient abouti à des non-lieux en raison, d’une part des difficultés à trouver et à produire les preuves de cette complicité, d’autre part, en raison du fait que les tribunaux qui devaient instruire ces actions dépendaient souvent, de l’autorité de ceux qui avaient commis ces forfaits. Il a fallu attendre que vienne au pouvoir, une nouvelle génération d’hommes politiques non compromise par son activité durant cette époque, pour qu’enfin une telle demande puisse être entendue et que, malgré les embûches elle ait quelque chance d’aboutir. Les faits : a) Que savions nous des camps, dans ma famille ? Par ma tante allemande, nous avions suivi la montée du nazisme, et ses répercussions, pour beaucoup d’allemands, dans la vie de tous les jours : la délation, la contrainte, la pénurie (pas de beurre, des canons) les camps d’internement pour les "opposants" au régime. Très tôt, dès 1934, nous avons vu arriver des réfugiés juifs allemands. Ma mère, dont c’était la langue maternelle, a souvent été sollicitée pour les recevoir, les orienter, et leur apporter l’aide morale et matérielle dont ils avaient besoin. Souvent, ils ont séjourné à la maison. Notre porte a toujours été ouverte à ceux qui avaient besoin d’aide. Par leurs témoignages nous étions sensibilisés aux conditions de vie dramatiques que subissaient les juifs et nous étions conscients des persécutions dont ils étaient l’objet. Déjà, à cette époque là, nous avions appris que ceux qui résistaient tant soit peu, étaient internés dans des camps, dont le régime très dur ne laissait que peu d’espoir de sortir vivant. Mon père, qui avait lu le livre d’Hitler, "Mein Kampf", voyait se concrétiser la politique que préconisait cet ouvrage. b) La drôle de guerre. Je me souviens de l’annonce de la déclaration de guerre. Nous étions rassemblés dans le salon autour du poste de radio, et écoutions anxieusement les nouvelles et la déclaration du chef du gouvernement. Lorsque nous avons appris, que ce que l’on craignait depuis déjà de longs mois s’était concrétisé, j’ai vu mon père et ma grand-mère fondre en larmes. Ils se souvenaient des malheurs pour tous qu’entraînent obligatoirement les guerres. Avec mes 13 ans je ne comprenais pas, car bien évidemment nous allions remporter la victoire. Dès le lendemain, mon père a décidé en accord avec mon frère aîné, âgé de 19 ans, qu’il devait devancer l’appel et s’engager au service de la France. Le 2 novembre 1939, nous l’accompagnions à la gare pour rejoindre Toulon et le dépôt maritime où il devait effectuer ses classes. Celles-ci terminées, il devait revenir en permission début mai 1940, avant de rejoindre le "Jean Bart" auquel il était affecté. Le 10 mai 1940 à 7 heures du matin, je l’accompagnais à la gare, avec mon père. En sortant, celui-ci acheta le journal et nous avons alors appris que les Allemands venaient d’envahir la Hollande, "comme en 14" a dit mon père. c) La défaite. Un mois plus tard, le drame de la défaite nous a accablé. La honte de voir arriver des troupes allemandes en vainqueur à Bordeaux. L’humiliation ressentie au plus profond de soi. Puis très vite, trop vite l’état français, et aussitôt les lois antisémites, qui me font prendre conscience de ce que ma famille est rejetée de la société. Nous n’avions plus le droit de nous considérer comme des gens normaux, nous portions en nous une tare inexpiable, nous étions différents. Dès cet instant, j’ai ressenti l’impression que cela devait se voir sur mon front : j’étais "juif". Puis, le renvoi de mon père de l’administration. Il n’avait plus le droit de travailler. Outre les restrictions vite sensibles pour toute la population, il allait falloir faire attention, car nous n’aurions plus le salaire de mon père pour vivre. d) les années de guerre On s’organise, de braves gens aident mon père. Un architecte, dont le fils aîné sera déporté pour faits de résistance, offre un travail à mon père à son cabinet. Un entrepreneur lui fait faire des métrés. Autour de nous, dans notre quartier que nous habitons depuis plus de 50 ans, on sent un courant de sympathie, qui nous soutient, à quelques rares exceptions près, qu’il vaut mieux oublier. En octobre, sur ordonnance allemande on procède au recensement des juifs, nous sommes fichés, mais à cette occasion, mon père signale que son épouse est protestante et ses enfants également. Le pasteur Blanc de la paroisse du Hâ, nous accueille, et je commence mon instruction religieuse. A cette époque, plusieurs jeunes bretons de Morlaix, envoyés à mon père par un de ses amis, passent en plusieurs fois à la maison, et je les conduis chez un autre ami qui, par le curé du Nizan les fait passer en zone libre pour rejoindre Londres, et continuer la lutte. Juillet 1941, ma soeur et moi recevons le baptême. Les Allemands semblent vainqueurs sur tous les fronts, les nouvelles ne sont pas bonnes, l’avenir semble bien incertain. Mon frère est à Casablanca, nous recevons des nouvelles sur cartes interzones et il nous fait la surprise d’un colis de nourriture. 1942, les Allemands progressent encore sur tous les fronts, mais nous ne perdons pas l’espoir de voir se terminer le cauchemar, et restons à l’écoute de la BBC. En juin, l’atmosphère devient pesante, lorsque nous apprenons la première rafle de juifs. Papa et grand-mère doivent porter "l’étoile". Nous, nous bénéficions d’une exemption, notre situation est examinée, mais il faut que maman fournisse les preuves de son "aryanité". Fin 1942, début 1943, Stalingrad, les Allemands sont stoppés, et commencent à reculer. Le front russe est leur hantise. L’espoir commence à naître. 1943 fut une année difficile, pendant laquelle les rafles continuent. Mais l’espoir se maintient, l’opinion de la population évolue et de moins en moins de gens sont partisans de Pétain. Au Lycée, je le ressens par les opinions exprimées par les élèves. Les Allemands reculent sur tous les fronts, les Américains sont entrés en guerre, et beaucoup de jeunes aspirent au départ des allemands dont la présence est une humiliation. Le 17 décembre, on apprend l’évasion du Grand Rabbin, que les Allemands ont voulu arrêter. Le 20, nouvelle rafle, le cousin Georges Alvarez est arrêté. Le bruit court que c’est en représailles de la fuite du Grand Rabbin. Je ne couche plus à la maison, par précaution e) Nous sommes arrivés au 10 janvier 1944. L’après-midi j’ai fait une composition de version latine sur un texte de Tacite au Lycée. Dans la soirée, un camarade, résistant, Jean Fabères est venu, alors qu’il faisait encore jour, nous avertir qu’une rafle importante était prévue pour le soir même ; toute la police étant consignée. Mon père, compte tenu de ce que nous avions été radiés du fichier, a décidé de courir le risque, et d’attendre. Nous avons veillé en jouant aux cartes. Vers 11 heures 30, deux inspecteurs de police français ont invité mon père à les suivre, et à monter dans le "panier à salade" qui attendait devant la porte avec quelques personnes à bord. Je certifie qu’aucun allemand ne les accompagnait pour surveiller l’exécution de ces arrestations. Le lendemain matin, un inspecteur qui habitait près de chez nous est venu nous apporter des nouvelles, nous a indiqué qu’il avait été conduit à la Synagogue, et s’est offert comme intermédiaire pour faire parvenir colis ou lettre à mon père. Ma mère s’est alors immédiatement rendu à la Mairie, a sollicité une audience du Maire Adrien Marquet, pour qu’il intervienne pour son ancien Inspecteur Principal du Service d’Architecture. Celui-ci l’a reçue, pour dire son impuissance, la solution ne pouvant venir que de la Préfecture. Le 12, le convoi était formé et partait pour Drancy. Ma mère, prit alors immédiatement le train pour Paris où, accompagnée d’un de ses frères elle s’est rendu au Haut Commissariat aux Questions Juives, pour faire état de sa situation. Au vu de son dossier, une attestation provisoire lui a été remise, avec laquelle elle s’est rendu à Drancy, auprès du service allemand de liaison. Là, elle a obtenu qu’il reste sur place et d’autres personnes dans le même cas ont bénéficié de la même mesure. Le 12 février, les attestations définitives lui étaient remises, qu’elle transmettait aussitôt à Drancy. Mon père, avec 25 autres conjoints d’aryen dont messieurs. Moch et Bial de Bellerade dont je me souviens des noms, était alors envoyé au camp d’Austerlitz, où ils ont été affectés au chargement de trains emportant en Allemagne les objets d’art volés en France. Le 14 mai, ils étaient renvoyés sur Drancy, où il eut le bonheur et la peine de serrer sa mère dans ses bras, avant de repartir sur Bordeaux. Là, il a été interné au camp Lindeman (devenu après la guerre camp Guynemer) où gardé par des allemands et des français de la LVF, dont le fils de l’adjoint au maire de la Ville Gonthié, il a été affecté à la construction de la base sous-marine. Il a été libéré le 16 août 1944, à la veille de la Libération de la Ville. Malheureusement, sa santé avait été profondément altérée par les stress et les travaux pénibles auquel il a été soumis, et à 57 ans il devait nous quitter victime des conséquences de cette guerre. Le Conseil d’Etat devait le reconnaître et accorder une pension à ma mère quelques années plus tard. J’ai déposé au dossier de l’instance les copies certifiées conformes des pièces provenant des archives familiales attestant la réalité de mes dires. f) Entre temps, le 4 février dans la soirée, nous finissions notre repas, lorsque deux allemands en civil se disant policier, dans une traction avant mauve, sont venus arrêter ma grand-mère. Elle a alors, été conduite au camp d’internement de Mérignac Beaudésert, où elle est restée sous la garde de gendarmes français des GMR jusqu’au 13 mai 1944. Nous allions régulièrement la voir, et lui porter quelques colis, pour adoucir son internement. Nous devions attendre devant la porte, jusqu’à ce que l’on nous autorise après la fouille et divers contrôle à lui parler dans une baraque à côté de l’entrée. Le 13 mai, nous recevions la lettre suivante : " Ce jeudi après midi. " Ma bien chère fille chers tous " Je croyais avoir un mot aujourd’hui me donnant de tes nouvelles. Je suis si inquiète de ta chute. Et cette après midi un " bruit court qui parait-il est vrai que nous devons partir pour Dr. on dit même ce soir, ou demain, tu penses si je suis " troublée ! et toutes mes pensées vont vers vous tous. La pensée de partir d’être séparée de tous , vous pensez ! Moi qui " ai reçu une bonne lettre de mon cher fils qui m’a fait tant de plaisir, et lui si heureux d’avoir reçu ma lettre ! enfin, que " Dieu le protège et vous protège tous ! Comme l’on ne sait le moment où l’on doit partir sitôt reçu ce mot, vois si tu " peux m’apporter d’autres chemises, serviettes toilette mon autre robe noire et ma robe crêpe de chine légère. Je vais " confier ma lettre à quelqu’un pour que tu l’aies assez tôt. Ne vous faites pas de mauvais sang, je serais courageuse en " pensant à vous tous, et ma prière sera de vous revoir ! on dit départ ce soir ou demain, ou samedi, sera-ce vrai. En tous " les cas je laisserais ce que j’aurais à laisser à une dame bien gentille qui se chargera de te le faire parvenir et t’écrira. " Mes meilleurs souvenirs à tous nos amis, n’oubliez pas mademoiselle Ollivier qui a été si gentille pour moi, et de qui je garde " un bon souvenir reconnaissant, à nounou et tous les siens. " Dis à Madame Candelon que je lui garde une infinie reconnaissance et affection. Embrassez bien mon cher " Claude à qui je souhaite le plein succès, à ma si chérie Dolly et à mon cher tout petit Serge. Mille et mille baisers pour " vous tous et à toi chère fille de tendres baisers. " Je t’écris par prudence ce soir, vois si tu peux venir peut-être le départ ne sera que samedi. En tous les cas si tu " viens ne dis pas que je t’ai écrit cela garde le pour toi et fais comme si tu ne savais rien. Il ne faut pas que l’on sache " que je te l’ai écrit à l’avance. " Viens si tu peux, je n’aurais pas voulu vous troubler mais pourtant ! j’aurais tant voulu avoir de tes nouvelles " de celles de tous. Quand vous reverrais-je ? mon Dieu ! Je voudrais bien avoir aussi un peu plus de linge mes " chemises serviettes toilettes. " Je voudrais que ce ne soit qu’une alerte, mais jamais on n’a parlé comme aujourd’hui, là bas où nous mettra-t-" on ? En tous cas je partirais avec courage, ne vous inquiétez pas pour moi. Mille baisers et tendresses pour tous. ................. " En marge : Je me hâte car il faut que je donne la lettre " Et toujours sans nouvelle de mon cher Dany Ce qu’elle craignait s’est malheureusement concrétisé et le 13 mai elle partait avec un convoi pour Drancy. Là, elle eut le bonheur de serrer son fils dans ses bras, avant de le voir prendre le chemin de Bordeaux. Le 19 mai suivant, elle nous adressait ce qui devait être le dernier signe de vie que nous ayons eu, la lettre ci-dessous : " Mes chéris " Un mot à la hâte. Pars demain matin pour Metz..., je crois. Toutes mes pensées vont vers vous ainsi que mon cœur. " Ces pensées me donnent du courage et je ferais tout pour tenir, je vous l’assure. Je vous serre sur mon cœur tous à qui " je veux dire au revoir naturellement toutes ces pensées tout mon cœur va également vers mon Dany chéri que je " désire tant revoir ! Je suis heureuse que mon cher fils ait pu vous rejoindre et que Dieu m’ait fait la grâce de le revoir. " Mille millions de baisers. Nous n’avons plus alors reçu aucune nouvelle, jusqu’à ce qu’un jugement déclaratif de décès soit rendu en 1946, par lequel nous été confirmé que son décès devait être intervenu le 25 mai à Auschwitz. Elle était déclarée "Morte pour la France". Pendant tout ce temps, contre toute attente, nous avons conservé l’espoir. Car l’homme est ainsi fait qu’il espère toujours qu’un miracle se produira, qui l’épargnera. Il n’est que de se souvenir du cancéreux au stade ultime. Tous autour de lui, savent que c’est la fin, et contre toute attente on espère que peut-être ! ! En fin de cette déposition, j’ai souhaité faire connaître les quelques réflexions, que ce que j’ai entendu et vu depuis plus de quatre mois au cours des audiences, m’a suggéré. a) Le service des Juifs de la Préfecture de la Gironde a connu après 1942, sous la direction de l’accusé une efficacité, que sa hiérarchie a dans tous les jugements portés sur son comportement, toujours reconnu à l’accusé. Il ne restait pratiquement plus de juifs à Bordeaux et dans toute la région à la Libération. b) Alors que la Gestapo, avait diffusé au mois de mars avril, une circulaire invitant à mettre en œuvre la déportation de 50000 juifs, on ne peut s’empêcher de se poser la question de savoir pour quelle raison en prenant la direction de la Préfecture de région au mois de mai, le Préfet Sabatier a modifié l’organigramme de la Préfecture pour inclure dans les affaires réservées au même titre que les liaisons avec les Allemands, et en faire un Service à part entière, le service des questions juives, qui jusque là, sous la direction d’un sous-chef de bureau, constituait une section du 3° Bureau "service des étrangers" de la 1° Division . Serait- ce pour lui assurer cette efficacité que l’on sera obligé de constater dans la répression mis en place ? c) Pourquoi, l’accusé a-t-il accepté de prendre la responsabilité lourde de mettre en œuvre cette politique discriminatoire, contraire aux Droits de l’Homme, qui fait la honte du gouvernement de Vichy et de ceux qui l’ont inspiré. C’est, sans doute pour assurer sa carrière, qu’il n’a pas hésité quand on pouvait encore croire à la Victoire de l’Allemagne, à mettre le doigt dans un engrenage qui allait être fatal à tant de gens et qui aujourd’hui se retourne contre lui. Il aurait du se souvenir que même St Ignace de Loyola obligeant ceux qui entrent dans son ordre à obéir "perinde ac cadaver" à soumettre cette obéissance à l’examen de leur conscience, qui peut leur interdire d’obéir. Mais avait-il encore une conscience ? d) La semaine passée, nous avons avec stupéfaction, entendu l’accusé nous dire qu’il n’avait pas eu le moindre contact avec monsieur Sabatier de 1944 jusqu’à 1981. Que doit-on alors penser de cet homme qui s’est vu "honoré" de l’amitié de son Chef hiérarchique, qui le suit servilement, et n’hésite pas à accomplir, sans état d’âme, et avec "efficacité" toutes les tâches qui lui sont confiées, qui "oublie" cette amitié quand elle peut devenir gênante, et que ce chef, devient compromettant ? Que penser alors, quand attaqué et traîné en justice il se souvient de cette amitié pour se mettre à couvert, en faisant revendiquer par ce chef la responsabilité des décisions contestables ? e) Quelle opinion peut-on avoir sur un homme qui passe successivement du parti radical-socialiste au Front Populaire, de celui-ci au service de Pétain puis de Laval, pour redevenir socialiste après la Libération, gaulliste sous de Gaulle, RPR, et enfin UDF avec Giscard ? C’est qu’il est, selon le mot bien connu d’Edgar Faure, comme la girouette ce n’est pas elle qui tourne c’est le vent. Qu’importe les idées, seule la carrière compte. f) Enfin, j’ai été frappé par la défense qu’il met en œuvre depuis le début. S’appuyant toujours sur les pièces du dossier, dont il fait à chaque instant l’exégèse, qu’il triture avec l’habileté consommée d’un homme qui maîtrise parfaitement toute la subtilité de la langue. Profitant des lacunes, inévitables dans des archives dont manifestement une partie a disparu, Refusant de combler par sa connaissance des faits et à la lumière de ses souvenirs ces lacunes pour éclairer la Cour. Il veut faire accréditer une thèse qu’il a mise au point, pour sa défense. Il agit en fonctionnaire qui traite toutes les affaires comme des dossiers. Il vérifie la teneur, la forme, la lettre et s’assure que toutes les pièces sont bien en place comme l’exige la circulaire. Il refuse de s’intéresser aux faits sous-jacents qui transparaissent. Si le dossier est complet on classe l’affaire ; Peu importe qu’il s’agisse de carburant, de pneumatiques, de budget ou de personnes dont la vie est en jeu ! Qu’il y ait derrière le dossier, des enfants, des femmes, des vieillards, cela ne le touche pas, le Conseil d’état a jugé que la loi était acceptable, elle est donc applicable... Il aurait pu continuer à servir avec zèle l’administration, mais il n’aurait pas du accepter de mettre en oeuvre les lois antisémites, contraire aux Droits de l’Homme, c’était un engrenage fatal qui l’a conduit à se rendre complice du crime contre l’humanité, d’arrestation, de séquestration, de déportation, et d’assassinat, de personnes dont le seul crime était d’être nées. Claude Léon termine sa déposition en déclarant qu’il a tenu "à ne pas parler avant d’être à la barre, Dieu sait qu’on m’a sollicité, mais je devais dire la vérité devant la cour. " Le président Castagnède " Votre délicatesse vous honore, c’est l’avis du président de cette cour. " Un juré l’interroge sur sa connaissance du sort réservé aux déportés. Puis Varaut et Papon qui tient à faire une mise au point suite à la déposition de Claude Léon. Papon conclut "quant à la capacité que la partie civile me dénie d’avoir des sentiments, je laisse ma vie répondre. " Claude Léon "je tiens à dire l’accusé qu’avant de porter plainte, je ne connaissais pas Maître Boulanger, je ne connaissais pas Slitinsky. C’est en toute objectivité et personnellement que j’ai porté ce jugement. Quant à mes choix, je ne laisse à personne le soin de me souffler. Je ne lis pas Slitinsky, je ne lis pas Boulanger ni Varaut, je fais mes opinions tout seul. " Madeleine Gorge, quatre-vingt et un ans, est la troisième employée de ce service à être entendue. Rédactrice au " service des juifs " de janvier 1941 à la fin de l'été 1943, Madeleine Gorge affirme avoir reçu l'ordre de Papon de ralentir le plus possible les affaires. Mais le témoin ajoute, spontanément " Il est arrivé qu'on ait fait une ou deux listes de personnes dont on savait qu'elles allaient partir. " Ce qui n'arrange guère sa défense. Le président Castagnède veut en savoir plus sur les activités de l'ancienne rédactrice. " On faisait des lettres et puis voilà... Je ne me rappelle plus les détails. Ça fait si longtemps... " Le président insiste. Les choses importantes ? " Ça se passait derrière la porte " du chef de bureau. Papon ? " On le rencontrait quelquefois. Mais pour parler, non. " La musique ? " Oui, c'était plutôt ça qui comptait... " Le fichier des juifs, qui devait se trouver dans son bureau ? " Le fichier ? ... Maintenant, le mot me dit quelque chose... " Elle ne se souvient pratiquement de rien. Tout passait par Garat..." On se demandait parfois à quoi on servait. " " On faisait des lettres, voilà tout ! " Elle ne se souvient de rien. Ni du fichier. Ni de Papon. Une seule consigne était donnée, dit-elle : " ralentir ". " Ralentir quoi ? Les radiations, peut-être ? " Demande l'avocat général. © Copyright 1997, J.M. Matisson
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© Affaire Papon - JM Matisson |