date dernière modification : 22/07/02 Chronique du 10 Février 1998 Marie Mouyal "On ne visite pas Auschwitz, on s'en imprègne, on y médite, et c'est le vide, l'anéantissement total" Chronique du 10 février 1998 Marie Mouyal "On ne visite pas Auschwitz, on s'en imprègne, on y médite, et c'est le vide, l'anéantissement total"photo Betty Wieder " On ne visite pas Auschwitz, on s'en imprègne, on y médite, et c'est le vide, l'anéantissement total "" Le ciel est leur sépulture " Alain Mouyal Marie Mouyal Marie Mouyal, au centre Cette audience qui a vu la fin de l’étude de la rafle du 10 janvier 1944 et du convoi du 12 a commencé par le numéro de duettistes, maintenant célèbre dans cette salle d’audience, entre Maître Varaut et Papon lequel acquiesce ou confirme ou répond par " oui ", un " assurément ", un " de toute évidence " un bien évidemment.Maître Varaut "ce 10 janvier 1944, l'ordre de la police Allemande d'arrêter tous les Juifs a été transmis directement à l'intendant de la police française. Il était formel et en tout état de cause, il a été exécuté ?"Maître Varaut " Le préfet régional a exprimé son refus et demandé à l'intendant de police d'intervenir auprès de l'occupant pour qu'il soit sursis aux arrestations ? "Maître Varaut "l’ordre a été relayé et validé par Vichy ? "Papon " Vichy a manqué de courage, ce même courage dont ont fait preuve les autorités territoriales. "Maître Varaut "la préfecture et les fonctionnaires ont agi sous la contrainte, le préfet régional était responsable de l’exécution des instructions Allemandes ?"Maître Varaut "êtes-vous resté étranger à la phase opérationnelle, menée par Sabatier, la mobilisation des forces de police et de gendarmerie. "Maître Varaut "votre action est toujours restée humanitaire ? "Papon "oui, elle n’a porté que sur une aide matérielle et morale, fourniture de paillasses, de nourriture, contacts avec l'appui des associations et avec la Croix Rouge, réquisition de moyens de transport. Ce sont des associations qui sont là pour faire le bien spontanément, par opposition à la logique opérationnelle de la police qui réalise les arrestations, les internements et le convoi jusqu'à Drancy. " Un murmure de désapprobation s'élève dans la salle d'audience.Papon "j’ai mené aussi des négociations en vue d'obtenir la libération de personnes raflées. "Papon "je relève les défaillances chroniques de l'arrêt de renvoi, on cherche à construire un coupable, exigé peut-être pour raison d'Etat "... " Et s'il y a raison d'Etat, il me reste à réveiller les mannes de Voltaire et Zola ! " Pourquoi pas la manne céleste de Moïse ? Alain Mouyal et sa sœur Marie Mouyal-Etcheberry, 41 ans, viennent alors déposer pour honorer la mémoire de leurs familles disparues à Auschwitz. , Maklouf Mouyal et Myriam, gazés le 23 janvier 1944, dès leur arrivée à Auschwitz. " Maklouf Mouyal, était un Juif marocain, arrivé en France en 1916, à l'âge de vingt ans. Il était brocanteur à Bordeaux et, très religieux, un jour, il a remplacé le grand rabbin Cohen malade à la synagogue. Puis devenu veuf, il a dû élever seul ses quatre garçons de neuf, sept, six et deux ans, avant de se remarier. Le 10 janvier 1944, lorsque les policiers français l'ont arrêté, les quatre garçons étaient au cinéma. Un voisin les a prévenus de ne pas rentrer chez eux. Charles, Albert, Jacques (le père d’Alain et de Marie) et Guy se sont cachés. Je suis fière d'eux, je les remercie pour le courage et l'énergie qu'ils m'ont donnés ( Marie continue contenant mal son émotion). Un voisin a pu les alerter. Leur père, lui, est mort à Auschwitz à son arrivée, le 23 janvier 1944. Dans son convoi, numéro 66, parti de Drancy le 20 janvier, se trouvaient mille cent cinquante-trois personnes. Sur la rampe de sélection du camp, seules cinquante femmes ont été provisoirement conservées comme esclaves. Tous les autres ont été gazés sur-le-champ. Je me suis rendue sur les lieux du camp, en Haute Silésie. On ne visite pas Auschwitz, on s'en imprègne, on y médite, et c'est le vide, l'anéantissement total, la parole ne peut traduire ce que l'on ressent. Je suis revenue meurtrie. Aujourd'hui, je suis apaisée. J'ai rendu le seul hommage possible à mes grands-parents. "Puis, se tournant vers l'accusé de crime contre l’humanité : " M. Papon, vous m'avez privée de mes grands-parents. Sur ce deuil impossible, j'ai renforcé mon identité. Vous êtes en fin de vie et demain vous aurez le jugement de Dieu pour les enfants que vous avez fait gazer à Auschwitz." Papon, du fond de sa cage de verre, reste muet. Voici le texte de sa déposition devant le magistrat instructeur." Mouyal Marie-Christine, épouse Etcheberry, née le 15 mars 1956 à Bordeaux, infirmièreIl a été arrêté selon ce que m'a dit mon père, un soir le 10 janvier 1944 à son domicile, 29 rue de Belleyme à Bordeaux, en même temps que son amie, prénommée Myriam. D'après ce que m'a également indiqué mon père, ce sont des Allemands qui ont procédé à son arrestation. Il a été transféré à Drancy et déporté à Auschwitz Birkenau par le convoi N°66, parti de Drancy le 20 janvier 1944 et arrivé le 23 janvier 1944. Mon grand-père a été tué dans les chambres à gaz, le jour même de son arrivée.Je vous remets la photocopie d'un document établi par les autorités polonaises ainsi que sa traduction, confirmant ce que je viens de vous dire. Feuille de témoignage de Yad Vashem Lors d'un voyage en Israël, il m'a été remis, par l'Institut Commémoratif des Martyrs et des Héros, un document attestant que mon grand-père avait été transféré à Auschwitz Birkenau en 1944 où il était mort. Je vous remets également une copie de ce document.Mon père a échappé à l'arrestation avec ses frères parce que ce soir-là ils étaient au cinéma et qu'en rentrant des voisins les ont prévenus que les Allemands étaient chez eux.Les musées d'Auschwitz constatent que dans les documents qu'ils fondent des prisonniers du camp de concentration d'Auschwitz Birkenau, ils ont les informations suivantes :Mouyal Adolphe ne figure pas.Dans nos actes, on trouve :Mouyal Maklouf, né le 26 avril 1896 à Casablanca,Et le 20 janvier 1944, il était déporté - transfert 66- du camp de concentration de Drancy à Auschwitz Birkenau.Ce transfert, qui a compté mille cent cinquante-trois personnes, est arrivé à Auschwitz le 23 janvier 1944. Après la sélection, on a gardé comme prisonniers dans notre camp quarante femmes qui avaient les numéros 74835 à 74874. Toutes les mille cent cinquante-trois personnes dans la journée du 23 janvier 1944 ont été tuées dans les chambres à gaz.Mouyal Maklouf, après être arrivé dans notre camp dans la journée du 23 janvier 1944, est mort dans la chambre à gaz.Les informations viennent des listes des gens déportés de Drancy à Auschwitz Birkenau et aussi des listes de transfert arrivées dans notre camp. " ]Vient ensuite Solange Torrès, Le bébé Torrès est le plus jeune déporté de Bordeaux :19 jourspas encore de prénomà peine une vie... " Je suis née en 1916, j’ai quatre-vingt-deux ans. J’ai vécu l'Occupation comme une longue traque, contrainte de fuir les rafles avec mon époux et mes deux enfants. Hier, c'est au nom de toute une famille de Juifs français que je déposais à la barre : Louis Torres, l'oncle de mon mari,[né le 28 décembre 1899 ] quarante-cinq ans, brocanteur à Mérignac, sa femme Estreja, [née Duard, née le 29 juin 1904 ] quarante ans, et leurs dix enfants dont un bébé né quelques jours avant la rafle , exterminés à Auschwitz le 25 janvier 1944. Il avait été averti par un employé de la mairie mais il disait qu'il était Français et qu'on ne ferait rien aux Français. Ce sont des souvenirs qui remontent d'en moi et que j'avais renfermés. " Solange se tait étreinte par l’émotion.Le président Castagnède l’interroge, devant le juge d'instruction, elle a déclaré : "j’avais un ami, un très grand résistant. "Solange Torrès "oui, on l'a mis au Château Margaux [elle doit vouloir dire au château du Bouscat, siège des S.S.]. Il a eu affaire une fois à Maurice Papon à la préfecture, il s'en est sorti. Papon avait cherché à faire arrêter cet ami. "Papon "un seul mot, Monsieur le Président, c'est absurde, c'est insoutenable. " Peut-être, mais pas autant que les mensonges de l’accusé de crime contre l’humanité.La dernière partie civile du jour est René Jacob, soixante-douze ansRené Jacob et sa mère évoque la mémoire de sa mère, Erika, son oncle Max, et deux tantes, Selma et Sarah, arrêtés le 11 janvier 1944 à Illats et Cérons, déportés le lendemain à Drancy et le 3 février 1944 à Auschwitz. Mais son ami René Tauzin, alerté par la mère de René Jacob, a réussi à l'arracher aux griffes des gendarmes français, en le cachant dans les bois, puis en lui fournissant de faux papiers. " Malgré le choc que j'ai eu au troisième jour [remise en liberté de l'accusé] et les turbulences d'il y a quinze jours [les déclarations d'Arno Klarsfeld ], je maintiens ma confiance totale... "Le président l'interrompt immédiatement : " Pardon Monsieur, je n'ai pas vu de turbulences dans cette salle. " C'est la deuxième fois que les "révélations " sur un lien de parenté entre le président et des victimes sont évoquées dans l'enceinte de la cour d'assises. La première fois, c’était Papon, mais c’était passé inaperçu…L'émotion submerge René Jacob au souvenir du télégramme reçu fin 1945 : " Je suis de retour de déportation. Ton père ". " Mon père avait fait onze camps. Il était dans un état... On aurait dit des bouts de bois avec du plastique dessus; ". A son tour, il se tourne vers Maurice Papon : " Quand j'étais au camp de Mérignac (en 1942), on nous a dit : Pauvres de vous, avec le nouveau secrétaire général, vous n'allez pas être de la fête ". Ça n'a pas loupé. Vous n'avez pas seulement esquinté ma jeunesse, mais ma vie. Depuis 1945, je prends seize à dix-sept gélules par jour pour tenir le coup. Pour moi, la culpabilité de Maurice Papon ne fait aucun doute ". Les deux hommes se font face." Pourquoi la gendarmerie de Podensac n'a-t-elle pas averti les Juifs qu'il allait y avoir une rafle ? Cela s'est fait ailleurs. Ils auraient pu fuir ! "Papon "chaque fois qu'il a été possible de le faire, nous avons pratiqué l'avertissement et la casse. Podensac est un contre-exemple."Ici le témoignage de René Jacob écrit par lui." Je suis né le 3 août 1926 à Giessen, moyenne ville près de Francfort, d'un père boucher et ma mère était pianiste (d'où ma passion pour la musique symphonique).Rien de spécial à signaler pendant les premières années de ma vie. C'est en entrant à l'école que j'ai dû apprendre que je n'étais pas un petit garçon comme les autres.Dès le début : vexations, diffamations, etc. Par la suite avec quelques autres enfants Israélites, nous fûmes battus pendant les récréations et les sorties d'école par les autres garçons plus âgés que nous : "C'est vous qui avez crucifié notre Dieu Jésus, vous êtes des lâches", etc..Je me souviens particulièrement qu'un jour (sous le regard des instituteurs, les uns indifférents ou approuvant, d'autres rougissant de honte et se tournant, ne pouvant rien faire), quatre garnements m'ont tenu contre un mur pendant une récré, jambes et bras écartés et un autre me tapant dans le ventre.Une autre fois, nous fûmes tous battus ensemble (dans la nuit Max Schmeling, le champion Allemand de boxe ayant été battu aux USA par le champion US Max Baer) (par hasard Juif) sur KO - 1er round. L'excuse à la radio Allemande : "coup bas". Cela avait suffi pour les déchaîner !Situation intenable pour nous les jeunes Israélites. Une école juive fut quand même encore créée à Bad-Nauheim (près de Francfort), interdite et fermée par ordre des nazis quelques mois après et nous dûmes réintégrer la Volksschule à Giessen.Toutefois, à cette époque précise, mon père découvrit que nos grands-parents d'origine Alsace-Lorraine ne s'étaient pas fait naturaliser dans les années 1880 approximativement, lors de leur venue en Allemagne (j'ignore pourquoi). De ce fait, nous avons pu obtenir nos passeports français et mon père alla se plaindre auprès du directeur principal de l'école pour les coups que je recevais à l'école, disant qu'il se plaindrait à son consulat, sur quoi le directeur se moqua de lui en lui demandant : "Vous êtes peut-être Tchèque ou Polonais ?". Mon père lui répondit "Non, mais Français" sur quoi le ton changea un peu.Le lendemain matin, le Turnlehrer, professeur de gymnastique, jeune S.S., lors de la réunion semestrielle de tous les enfants de l'école (deux à trois cents), entre autres communications aux enfants (de huit à quinze - seize ans), leur dit en riant : "Laissez donc le Juif Jacob tranquille car il n'est pas seulement Juif mais aussi Français en plus ! (Déjà à cette époque début 1938).En tout cas, ayant nos passeports français (été 1938), nous laissâmes tout et rentrâmes chez nous dans notre pays d'origine à Lixheim (57).Là, je me sentais à l'école et ailleurs comme un oiseau libéré de sa cage.Cela ne devait pas durer. En juin 1940, nous fuyons devant les Nazis (ma mère et moi), car mon père était mobilisé (dans l'armée française bien entendu) dans cette horrible défaite et notre lieu de refuge était à Illats en Gironde dans un deux-pièces ! A notre époque, il serait interdit d'y mettre des porcs. Je me mis de suite à travailler (j'avais quatorze ans) d'abord chez les vignerons, par la suite comme cantonnier et bûcheron à la tâche pour subvenir à nos besoins, ma mère et moi, vivotant comme cela jusqu'en 1941. Nous apprîmes par la Croix-Rouge que le régiment de mon père (Armée d'Armistice) était retiré à Agen où nous nous rendimes de suite. Ses chefs, comprenant notre situation et après quelques palabres, il fut démobilisé et il pouvait revenir avec nous ! Ce fut un soulagement pour nous tous, mais qui (encore une fois) devait être de courte durée.Fin avril 1942, au retour du chantier dans le bois à dix-huit km de notre village, et à cinq cents mètres avant d'arriver sur notre maison, les gendarmes français de Podensac (33) nous ont arrêtés et, malgré les supplications des gens du village au complet, nous emmenèrent (chacun dans une cellule à part) à la gendarmerie et le lendemain au camp d'internement de Mérignac.Inutile de vous dire quels étaient nos sentiments avec les barbelés autour de moi (j'avais quinze ans), notre sort semblait scellé. Le motif : "Juifs arrêtés à 8h35 (donc une demi-heure après le couvre feu), etc.".Après trois mois de camp, un mois de Fort du Hâ, à Mérignac je devais apprendre que de temps à autre des otages partaient pour être fusillés au camp de Souge Bordeaux et au Fort du Hâ le matin de très bonne heure des portes de cellules et de camions qui claquaient : "Raus" - même destination.Souvenez-vous de vos quinze ans, et essayez de vous mettre à ma place.A ce stade, je suis obligé de revenir un peu en arrière. Fin juillet nous fûmes, mon père et moi, cherchés une première fois par les Allemands, une deuxième fois par les serviteurs de Vichy pour interrogations. Un jour, un feld-gendarme (dans les cinquante ans) tout seul, nous cherche au camp et en montant dans le tramway, nous dit tout simplement : traduction exacte : "Les enfants, j'espère qu'en route, vous ne ferez pas de bêtise car, vous le savez bien, sinon vous m'obligeriez à faire usage de mon arme." Dans le tramway, personne ne fit presque attention à nous, étant assis à côté de notre gardien comme d'autres personnes.A la feld-gendarmerie, nous fûmes interrogés d'une façon "korekt" ( !) et ramenés le soir par le même gendarme. Comme il était tard, le lieutenant (Allemand) fit téléphoner au camp que deux prisonniers rentraient tard et exigea qu'on nous réserve deux repas chauds ! J'ai honte de raconter cela mais c'est la pure et exacte vérité.Quelques jours plus tard, deux gendarmes français venaient nous chercher pour le Palais de Justice, prenant soin de nous mettre les menottes encore à l'intérieur du camp et c'est ainsi que nous traversâmes Bordeaux (comme des assassins) jusque dans la salle d'audience (1ère instance) du Palais de Justice. Où, après un court interrogatoire (un juge et deux assesseurs), le verdict tomba :Jacob Jules (mon père) est condamné à quatre mois de prison (Fort du Hâ). "Le jeune Jacob, compte tenu de son âge, est relaxé ; mais en tant que Juif et par ordre de la Préfecture de la Gironde, vous êtes à même d'être remis au Camp de Beaudésert (Mérignac)."Les gendarmes nous remirent les menottes pour le retour. A peine quelques jours après (et je crois que c'était ma première chance), les gendarmes français nous cherchent pour nous emmener au Fort du Hâ. Inutile de vous décrire ma détresse, dans une cellule d'où je voyais à peine le ciel bleu de bordeaux à travers une petite ouverture placée très haut. Mon père et moi ne nous faisions pas d'illusion quant à notre avenir. Pourtant, après approximativement un mois de présence, voilà qu'un jour, à deux heures de l'après-midi, la porte de la cellule s'ouvre et un gardien me dit : "Jacob René, préparez vos petites affaires et venez avec moi, vous êtes libre... !Je tombai dans les bras de mon père qui pleura de joie, et suivis le gardien. Au greffe, pas grand-chose à dire : on me rend mes affaires, un peu de monnaie, ma carte d'identité "JUIF", et d'un coup je me retrouvais devant cette épaisse porte de plusieurs mètres carrés et j'avais des sensations d'un saoul ou drogué.Si plus haut je vous ai parlé d'une première chance, c'est que quelques jours après notre transfert de Mérignac au Fort du Hâ, le camp de Mérignac fut presque vidé pour un des convois de Maurice Papon, pour faire de la place pour d'autres victimes de Vichy.Je me rendis, après renseignement, à la gare des autocars de Bordeaux pour rejoindre aussi vite que possible ma mère ! Et c'est alors que je devais comprendre les motifs invraisemblables de ma libération, plus attendue ! Au mois de juillet, donc lorsque nous étions encore à Mérignac, ma pauvre mère, dans un état physique et psychique indescriptible et sans ressource, se rendit directement à la Gross Kommandantur de Bordeaux (ayant son étoile sur sa robe) et répond à un planton dans les couloirs qui lui demandait les motifs de sa présence : "Arrêtez-moi également pourvu que vous me mettiez à Mérignac avec mon mari et mon fils ! "Interloqué, ce dernier l'emmena dans le bureau d'un officier supérieur (pas nazi assurément) qui s'emporta fortement, en apprenant qu'un petit garçon de quinze ans était au camp de Mérignac. Après plusieurs coups de fil, il put donner sa parole d'officier qu'après ma peine qui était d'un mois approximativement, il était arrivé à ce que je sois libéré.Inutile de vous dire qu'il n'était pas question de la part de cet officier d'arrêter ma mère, à laquelle il proposa même de la faire ramener à Illats (trente-cinq km), ce que ma mère refusa, en lui disant qu'il y avait des bus. Tout cela, je l'ai appris, bien entendu, seulement le jour où j'ai retrouvé ma mère.Il faut donc retenir de tout cela : Ce qu'un officier Allemand a obtenu avec quelques conversations téléphoniques et malgré les interventions du maire d'Illats et des autorités du canton, la Préfecture de la Gironde ne voulait pas en entendre parler ; pourquoi ? - Maurice Papon - !Quant à mon père, il partit vers les camps de la mort via Pithiviers, Beaune la Rolande, Drancy avec un des convois de Papon en automne 1942.Quant à moi, dès mon retour du Fort du Hâ, je me remis de suite à gagner notre pain dans les bois et avec beaucoup de peine et de crainte pour mon père, ma mère et moi arrivions à continuer de vivre jusqu'en janvier 1944.C'est à cette époque que les événements les plus tragiques pour toute notre famille, également oncles, tantes, etc., devaient se produire.Un matin, les mêmes gendarmes de Podensac viennent, à notre domicile à Illats, pour nous arrêter suite aux ordres de Vichy : arrestation de tous les Israélites français ou étrangers en France pour déportation.Moi-même étant dans les bois de St Michel (33) à une dizaine de kilomètres, ma mère, dans son affolement et peut-être obligée, donna l'endroit où je travaillais. On lui dit qu'elle ne devait plus quitter les lieux, et qu'après m'avoir arrêté, ils la prendraient au retour, ce qu'ils ont d'ailleurs fait avec oncles, tantes, et tout un asile de vieillards israélites (retiré de Nancy en 1940) à Cérons (33), à deux km de là. Rien que des vieillards grabataires. Bravo Papon et Vichy !Ma mère, se rendant immédiatement compte de son erreur, dès le départ des gendarmes, en vélo à toute vitesse, se rendit chez mon sauveteur, Monsieur René Tauzin, pour lui rendre compte de son erreur.Ce dernier, fils du propriétaire, mais également coureur cycliste (vingt-trois ans à l'époque), enfourcha son vélo de course, doubla les gendarmes à soixante-dix mètres avant qu'ils arrivent sur moi, me prévient d'un coup de sifflet et en jetant nos vélos dans la bruyère, nous arrivâmes de toute justesse à nous sauver en zigzaguant à travers les pins. Après avoir, tous deux, fait le tour de l'arrondissement à travers bois, bruyères, etc. pour ne pas être repérés, et la nuit venue, René Tauzin, avec toutes les précautions nécessaires, m'emmena chez lui et ses parents pour me cacher, à cinquante mètres de leur maison, sur le grenier d'un hangar complètement désaffecté et en ruine, où il passa les nuits avec moi, m'apporta de la nourriture et chacun un revolver. Je l'entends encore aujourd'hui dire : "si jamais ils nous trouvent, on ne sera pas les seuls à y passer".Malheureusement, très malheureusement, ma mère n'avait pas écouté ses recommandations et au lieu de rester chez lui, au moment où il partit me prévenir, revenait à notre domicile pour chercher quelques habits pour moi !Là, les gendarmes, en colère de ne pas avoir pu m'arrêter, l'avaient pistée et l'emmenèrent avec eux, ainsi que, le même jour, mes oncles, tantes et tout l'asile de vieillards de Cérons !Bien entendu, je ne devais plus revoir ma pauvre mère, rassemblée dans la Synagogue de Bordeaux avec d'autres Israélites, dans un des nombreux wagons de Papon et vous connaissez la destination finale.Quant à moi, je vivais toujours sur le grenier du hangar jusqu'à ce que René Tauzin arrive à me procurer une fausse carte d'identité, grâce à laquelle j'ai pu rejoindre le maquis de la Haute-Vienne.En Haute-Vienne on me proposa pourtant de devenir commis de culture en attendant le Débarquement, mais comme l'on dit : "j'en avais trop gros sur la patate" et j'ai préféré avoir l'occasion de venger mes parents.Ceci se passa dans la région d’Eymoutiers, Chateauneuf La Forêt etc., à une trentaine de kilomètres de Limoges, sur la route de Toulouse, etc.Au moment de mon entrée au maquis, une nuit à Farsac, je n'avais presque pas d'habits et seulement une paire de chaussures de ville d'été ayant appartenu à mon père avant la guerre, ce dont j'ai beaucoup souffert pendant les interminables marches de nuit. On me donna bien une paire de "godasses" de marche, mais avec des semelles en bois de six / sept cm. d'épaisseur, et les glissades dans la neige ne manquaient pas, ainsi que les éclatements des lacets tous les trois / quatre km.Peu importe, j'avais dix-sept ans et j'en voulais, et grâce aux copains autour de moi plus âgés que moi, j'ai tenu le coup physiquement malgré le cafard à cause de ma famille.A cette époque, début 1944, c'est surtout les embuscades contre les Allemands mais surtout contre les miliciens etc. qui prévalaient ainsi que sabotages d'usines ou de fabriques travaillant pour les Allemands ainsi que ces gros engins avec lesquels les paysans étaient obligés de moudre le blé pour la farine et qui devaient partir en Allemagne, etc.La première arme que je reçus, le soir de mon entrée au maquis, fut un ancien fusil Lebel (modèle 1914/18) appelé "la canne à pêche" très long, et les accrochages dans les fouillis des forêts de la région de la Haute-Vienne ne manquaient pas ! Pourtant successivement, au bout de deux à trois semaines et pendant un mois par la suite je recevais la fameuse mitraillette Sten, un fusil Allemand Mauser modèle 40.Vint la fonte des neiges en mars avril, les parachutages, une plus grande organisation, discipline, etc., et nous fûmes embrigadés en groupes, sections, etc., et habillés militairement avec les uniformes des Chantiers de jeunesse que nous allions chercher d'office dans leur camp, non sans avoir coupé les fils du téléphone avant, bien entendu ! Pourtant, on était toujours à peu près bien reçus et beaucoup de volontaires partaient avec nous, du moins ceux qui n'avaient pas la peur au ventre. Nous ne forcions personne. Parmi ces jeunes gens, les chefs, il y avait des plus âgés ayant une certaine instruction militaire, ce qui faisait notre affaire, lorsqu'on pouvait faire confiance en cet élément.Egalement à cette époque, après beaucoup de manœuvres et surtout d'exercices de tir, mes chefs, ayant remarqué ma hargne et ma haine contre l'occupant et leurs commis, et surtout mon côté adroit au tir PM, je devenais le tireur PM de notre groupe pour remplacer José, le petit Espagnol, qui prenait alors le commandement du groupe.A la même époque, nous possédions déjà des bazookas (contre les automitrailleuses), mais je n'étais pas assez âgé pour qu'on me confie un tel engin (vrai danger). Début juin, on me nomma chef de groupe et le PM fut confié à un ancien de l'armée de 39. C'est là que, pour cette époque, je touchais une des plus belles armes du moment, la petite carabine américaine quinze coups automatique, très efficace, mais en route on ne la sentait presque pas sur le dos. Quel soulagement !Il m'est impossible de vous nommer à part toutes les embuscades et accrochages pendant ces huit mois, toutes les autres choses que j'ai vécues.Je me souviens particulièrement d'une grande embuscade qui, de par notre force en nombre et bien armés, dura très longtemps. C'était à un endroit nommé "la borne 40 route nationale de Toulouse" où nous avons fait du très bon travail. Sept / huit cars Renault modèle d'avant-guerre cabine avancée, bourrés de miliciens. Quand les armes se sont tues : plus que le silence. Un fait d'arme reconnu pour un des plus importants de la Résistance fut celui où nous avons fait prisonniers "la Commission d'Armistice". La prise d'une automitrailleuse à Saint Anne, près d'Eymoutiers où à deux, un maquisard d'Hayange et moi, par surprise totale et beaucoup de chance, nous avons réduit au silence les cinq occupants (Vorse me jouant de l'harmonica !), ils étaient tombés en panne, et le plus gros de leur unité était parti en avant.Par la suite, une véritable bataille rangée sur le Mont-Gargan (plus haute montagne de la Haute-Vienne) juste avant la prise de Limoges.Par ailleurs, et quinze jours avant Limoges, nous avons libéré les internés du camp de Saint Paul d'Ejeaux, etc.A la libération de Limoges, sur le plan pécuniaire, je commis une petite faute. Compte tenu de mes états de service et de mon engagement pour la durée de la guerre (EVG), mes chefs voulaient me nommer lieutenant ! Je refusai à cause de mon âge (à peine dix-huit ans). Sur le plan maniement d'armes, etc., je reconnais aujourd'hui que j'aurais pu accepter. N'ayant plus personne au monde, je m'engage donc pour continuer le combat ; mais après un premier peloton au 138 RI on me confia le poste important de chef de la garde d'honneur, à Oradour sur Glane.Par la suite, Périgueux, Metz, Saint-Avold, Forbach et chef de poste pour garder la frontière (une dizaine de km) à Emmersweiler (A), à côté de Petite Rosselle.A Metz, j'avais signé un engagement pour l'Indochine. Contre toute attente, le même matin à 11h30, un télégramme pour moi : "Suis de retour de déportation ; viens vite me retrouver. Jacob Jules." (Mon père).Dans ces conditions, le lieutenant Colonel Demmonet a bien voulu faire abstraction de ma signature et je démobilise à Forbach, en 45/46 ! " Maître Francis Jacob, Ligue des Droits de l'Homme© Copyright 1997, J.M. Matisson
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© Affaire Papon - JM Matisson |