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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 13 novembre 1997

Papon tire les ficelles

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13 novembre 1997

Papon tire les ficelles

Photo R. Baldet

Photo R. Baldet

L’audience reprend par le dépôt des conclusions de Maître Touzet " Je dépose des conclusions contre Papon qui a traité Michel Slitinsky de faussaire afin que cette invective soit inscrite aux registres de l’audience. Il n’est pas admissible que l’accusé attaque les parties civiles. "

Le président Castagnède " En l’absence d’observations, j’ordonne spécialement et donne acte à Maître Touzet dans les termes requis. "

Maître Nordmann " Je m'indigne qu'un accusé de la destruction de 1 500 vies humaines puissent se réclamer de la résistance. Je voudrais revenir sur une déclaration de l’accusé au sujet de sa décharge de signature intervenue le 16 mai 1944, date qui se situe, je le rappelle, quelques semaines avant le débarquement, dont tout le monde savait qu’il aurait lieu depuis 1943. L’accusé a déclaré que cette décision avait été prise par le préfet Sabatier, parce qu’il passait tout son temps à résister, il ne pouvait plus s’occuper de la préfecture.

Je veux rappeler que la résistance, ce n’est pas un mythe, ce ne sont pas des déclarations pieuses ou des abstractions. Les actes de résistance de Papon se résument à la fourniture de cartes, de vêtements et à des relations avec les réseaux. Je ne vois pas en quoi, ces renseignements font qu’il est un résistant. L’accusé a toujours fourni trois versions contradictoires.

1) en 1945, l’accusé rédige un curriculum vitae, on y trouve le récit de ses actes à l’attention du ministère de l’intérieur, Papon rapporte les actions qu’il a eues à accomplir. Il n’est jamais question ni de sauvetage de Juifs ni de service des questions juives.

2) Au Jury d'honneur en 1981, réuni à la demande de Papon pour le décharger des accusations, alors qu’il n’est pas encore inculpé de crimes contre l’humanité. Que déclare l’accusé ? Il rencontre Cusin en 1944, date à laquelle, Cusin l’a autorisé à conserver ses fonctions. On l’a vu, c’est faux, puisque c’est en Mai 44 qu’il se décharge de toutes ses fonctions.

3) Celle qu’il donne devant cette cour, il passe 90 % de son temps à résister.

Je vais, moi, vous donner la quatrième version, la plus vraisemblable. Nous sommes à la veille du débarquement. D’ailleurs, le 11 juillet 1985, devant le magistrat instructeur, Papon déclare, qu’il était tellement résistant qu’il changeait de résidence toutes les nuits... et qu’il venait travailler le jour à la préfecture. Moi, j’ai été un vrai résistant clandestin, je n’ai changé, en tout et pour tout, que sept fois de résidence. La position de Papon est indigne, elle salit la résistance, mais elle se comprend : il est à la veille d’un condamnation pour crimes contre l’humanité. "

Maître Favreau " Je tiens à saluer au nom de toutes les parties civiles, Maître Joe Nordmann, 87 ans. Nous avons dans cette cour un vrai résistant, il a organisé le premier réseau de résistance au palais de justice de Paris, il a été l’éditeur d’une revue clandestine, il a pris le ministère de la justice à la libération et est devenu le directeur de cabinet du premier ministre de la Justice. Je veux aussi rappeler que le secrétaire général n’est pas un simple porte-plume irresponsable et sans conséquence. La loi du 26 pluviose an 8, régit de façon ininterrompue (à Bordeaux) les fonctions de secrétaire général. Ce secrétaire général était de droit commissaire du gouvernement, il était selon la loi un vice-préfet. Vichy en a fait un suppléant du préfet. Le préfet délégué avait moins de pouvoirs, force est de conclure que le secrétaire général, et de surcroît en cas d’absence du préfet, était le véritable préfet. " Maître Favreau cite les textes, aborde la notion de droit administratif, dit qu’elle est inopposable au droit pénal. La délégation de signature est bien une délégation de compétence. Papon signait en lieu et place du préfet pour le service des questions juives. Papon était préfet bis "

Papon " Je n’ai guère d’observation à faire, ce que nous venons d’entendre est un véritable cours de droit public par un avocat éloquent. Je ne saisis pas bien ce qu’il apporte. Je ne suis pas d’accord avec cette notion. On ne partage pas la compétence. "

Maître Zaoui " Je souhaite abandonner les discours sur le droit public et administratif, pour revenir sur le concret. Je veux aborder vos relations avec Sabatier, définir vos relations quotidiennes avec lui. Comment se passait ce travail au quotidien ? Vous le connaissez depuis 1935. La confiance et l’estime se sont installées, une amitié est née. Quand vous venez à Bordeaux, ce sont bien ces liens-là avec Sabatier qui vous décident de venir ? "

Papon " Oui. "

Maître Zaoui " Vous avez dit que c’était un acte de fidélité. "

Papon " Oui. "

Maître Zaoui " La confiance est essentielle entre un secrétaire général et un préfet ? "

Papon " Oui. "

Maître Zaoui " Nous sommes nombreux ici, à être trop jeune pour comprendre le fonctionnement de la préfecture, pouvez-vous m’expliquer une journée entre 1942 et 1944, comment cela se passait-il ? Quels étaient vos dialogues avec Sabatier ? Quand vous arrivez dans son bureau et que vous évoquez avec lui les dossiers, comment cela se passe-t-il ? "

Papon " Votre question posée en termes extrêmement courtois, m'a touché. Chaque matin, j'arrive à la préfecture à 8 h - 8 h30. Le courrier est trié par le bureau du courrier. On m'apporte le courrier vers neuf heures. C'est une séance un peu rituelle. Feuille par feuille, je fais un premier tri, c'est mon métier. Deux tas s'empilent, un tas pour la bureaucratie courante qu’on peut alors renvoyer dans les services. Les autres sont examinés de plus près. Il y a deux nouveaux tas, un tas pour les correspondances avec les Allemands, l’intendant régional de police, etc. Je fais un deuxième tri. Les affaires que peuvent traiter les chefs de service ou les hommes compétents, et les affaires politiques qui engagent la France, la préfecture. Je signe mon courrier ou celui de mon secrétariat. Le cas échéant, je reçois beaucoup de visiteurs, président de chambre de commerce, du syndicat des transporteurs, etc. Et l'on arrive ainsi en fin de matinée. Vers 11 h - 11 h 30, je me pointais chez Sabatier, après avoir téléphoné à Chapel, le directeur de cabinet. Ensuite, on entrait dans le vif des affaires pour avoir une décision de lui. Je voulais savoir si j’avais son accord. "

Maître Zaoui " Vous en débattez avec lui ? Discutiez-vous, alors, sur la décision à prendre ? "

Papon " Oui, j’ai deux exemples. " il les cite.

Maître Zaoui " C’est en somme, tout travail administratif de haut niveau en temps de guerre ou non ? "

Papon " Oui , nous sommes toujours en guerre, l’armistice n’est pas la paix, je m’époumone à le dire depuis le début de ces assises. "

Maître Zaoui " Papon, je vous demande plus de précisions et de clarté, lorsque Sabatier prenait une décision, étiez-vous d'accord ? "

Papon " Je l’ai toujours soutenu. "

Maître Zaoui " Donc, toute décision était prise en accord avec lui ? "

Papon " Non, pas forcement. "

Maître Zaoui " Vous arrivait-il d’être en désaccord ? "

Papon " En accord ou pas, le chef, c'était Maurice Sabatier. "

Maître Zaoui " Vous étiez donc d'accord, lorsqu'elle était prise ? "

Papon " Les conflits étaient rares. "

Maître Zaoui " Un ancien préfet, Monsieur Doublet, est venu à la barre dire que le secrétaire général colle tellement à son patron que la décision est finalement la sienne... Faites-vous vôtre cette déclaration ?"

Papon " Je veux reprendre un point, cette phrase est ambiguë. La décision prise est celle du préfet. "

Maître Zaoui " Vous avez déclaré en 1989 : " le secrétaire général est chargé de veiller à l’exécution des ordres du préfet ? ". "

Papon " Oui. "

Maître Zaoui " Celui qui veille à l’exécution d’un ordre n’est pas un exécutant, il remplace le délégant. "

Papon " Si on veut. "

Maître Zaoui " La décision est prise conjointement, vous êtes donc, en réalité, tous deux cosignataires de ces documents. "

Papon " Pas toujours ! "

Maître Zaoui cite deux exemples, une lettre de Garat, une note : " les Allemands m’ont demandé d’assurer la préparation d’un convoi ". C’est une note manuscrite signée Papon. Il lit une seconde lettre de Papon adressée, en 1942, à Jean Leguay , délégué pour la zone occupée du secrétaire général de la police René Bousquet. " J'ai l'honneur ", dites-vous à Jean Leguay, " vous confirmant ma communication téléphonique de ce jour, de vous rendre compte que le service de sûreté allemand m'a demandé d'assurer la préparation, pour la semaine prochaine - vraisemblablement le mercredi 26 août - d'un convoi à destination de Drancy, dans lequel seraient compris tous les Juifs des deux sexes, de tout âge et de toute nationalité, actuellement internés à Mérignac et à l'annexe de Bacalan ". Là, ce n'est pas le préfet, c'est bien vous qui parlez ? "

Papon " Je trouve que le choix est exemplaire des relations avec Sabatier. C’est une affaire grave et dramatique. Garat me rend compte des demandes dont il a été saisi par Doberschutz qui d'ailleurs doit vivre aujourd'hui tranquillement dans le Wurtemberg, il n'a jamais été poursuivi, il devrait être là dans le box des accusés avec moi.... Je classe donc parmi les affaires graves et dramatiques. Monsieur Sabatier m'avait dit, devant les demandes de cet ordre : " il faut commencer par gagner beaucoup de temps ". On saisissait donc le gouvernement. Les Allemands, quand on leur disait qu'on saisissait les autorités supérieures, se mettaient au garde-à-vous. D'ailleurs, lisez jusqu'au bout, c’est écrit aussi dans cette lettre. J'ai fait toutes les réserves sur la participation des autorités françaises à cette opération. "

Maître Zaoui " C’est une minute. "

Papon " Oui. " Papon semble contester la signature.

Maître Zaoui " Ce n’est pas votre signature ? "

Papon " Si. "

Le président Castagnède " Montrez, à l’écran, cette pièce. " Finalement, je découvre qu’il y a un troisième écran.

Maître Zaoui " Je veux rester dans le cadre de cette conversation amicale. Je signale à la cour et à Mesdames et Messieurs du jury que Papon vient de reconnaître que cette décision leur était commune. Je ne veux pas parler du fond, je veux m’en tenir à la forme, au-delà du droit administratif et du problème de la délégation de signature octroyée à l'accusé en ces temps-là. Dans les faits et à travers les réponses de Papon, on voit qu’il y a un tandem qui fonctionne sur la base de l’estime, de l’amitié et de la confiance. Le secrétaire général et le préfet composent un tandem qui prend toutes les décisions en parfaite osmose. Le débat juridico - administratif n’a pas lieu d’être, c’est ce tandem là qui est important, vous êtes en osmose avec Sabatier. "

Papon " Oui, dans ce cas, mais il y a des dizaines de cas où on était opposés. "

Maître Zaoui " Pouvez-vous nous donner des exemples de votre opposition aux décisions de Sabatier ? Y a-t-il eu des désaccords sur les convois ? "

Papon " Il faudrait voir les dossiers les uns après les autres, il faudrait déterrer les archives. "

Maître Zaoui " Je ne peux pas accepter cette imprécision, il y a eu mille six cents déportés et onze convois qui partent grâce à l’osmose du tandem Sabatier - Papon. "

Papon " Non. "

Maître Zaoui " Alors, citez moi sur quels convois, il y a eu opposition ? "

Papon " ... " Papon est incapable de citer, de mémoire, un seul point de désaccord avec son supérieur Sabatier.

Maître Zaoui " Donc, il y a responsabilité à deux ou trois. "

Papon " Trois ou quatre. "

Maître Zaoui " Lorsqu'une décision est prise à deux ou trois, la responsabilité ne se partage pas. La responsabilité pénale est totale. Elle est aussi grave pour l’un que pour l’autre. La preuve, c’est que vous étiez inculpés tous les deux. "

Le président Castagnède " Il eut été intéressant que vous vous remémoriez d’une matinée où il y a eu conflit, où vous arrivez avec des dossiers et Sabatier refuse votre proposition et vous repartez avec un ordre contraire au vôtre. Mais, j’ai bien compris, et sauf si je me suis trompé, que les conflits ont été plutôt rares entre Maurice Sabatier et vous ? "

Papon " Oui. "

Le président Castagnède " J’ai noté que vous vous entendiez plutôt bien avec lui. "

Papon " Je veux faire une mise au point " Il en rajoute, évoque ses sauvetages d’enfants, cite une lettre...

Maître Varaut intervient et en rajoute.

Maître Klarsfeld " Je serai moins courtois que Maître Zaoui, chaque fois que vous direz que vous avez essayé de sauver des enfants, vous me trouverez debout face à vous. A quelle heure, avez-vous envoyé cette lettre ? "

Papon " ... "

Maître Klarsfeld " Vous ne voulez pas répondre, votre silence est éloquent. Vous parlez de votre résistance, mais vous souvenez-vous avoir demandé une prime pour l’arrestation d’un aviateur anglais pour un habitant de La Teste ? "

Papon " ... "

Maître Boulanger " Je rappelle que Papon n’avait pas qu’une autorité départementale. Mais il avait compétence sur les autres départements. Je voudrais poser une question importante. "

Le président Castagnède interrompt maître Boulanger ce que ce dernier n’apprécie pas et fait vertement remarquer. Le président lui redonne la parole et lui promet de ne plus l’interrompre.

Maître Boulanger " Je refuse de reprendre la parole, je suis victime de vos brimades systématiques. " Il faut dire que l’intervention de Boulanger a surpris toutes les parties civiles, qui se demandent ce qui lui arrive. Les avocats se regardent entre eux et expriment leur surprise.

Maître Varaut " Je trouve que les parties civiles posent trop de questions, qu’elles sont trop bavardes, trop politiques (il rajoute une couche d’anti communisme) et qu’elles font perdre du temps à la cour. "

Maître Boulanger " Alors là, je trouve que vous êtes gonflé. Qui fait perdre du temps en citant quatre vingt témoins dont la plupart ne connaissent même pas Papon. Je suis surpris que la défense se permette de dire ce qu’il convient de poser comme questions ou de donner des satisfecit sur tel ou tel avocat. "

Jean-Serge Lorach et Raymond Blet

Maître Blet " Les seules déclarations politiques sont celles que fait Varaut. Je rappelle que les communistes ont été les premiers à se battre bien avant De Gaulle. "

Le président Castagnède " Nous allons maintenant aborder l'organisation de l'appareil d'occupation allemand et ses relations avec l'administration française, les relations de Papon avec les autorités allemandes. "

Papon " Je vais faire appel à ma mémoire. Mon arrivée à Bordeaux se situe en Juin, c’est le mois où meurt mon père. Le mois de Juin a été complètement bouleversé. A mon arrivée à la préfecture de la Gironde, en mai 1942, Sabatier me charge des relations avec la Feldkommandantur 529, chargée de représenter l'administration militaire allemande en Aquitaine. "

Le président Castagnède " Je rappelle que la Feldkommandantur 529, avait été dessaisie des affaires juives au profit du KDS dirigé par Hans Luther, jusqu'en octobre 1943, puis Walter Machule. "

Papon parle de Dhose : " J'avais un ami très proche qui le tenait par les avantages dont il pouvait profiter dans certains comportements plaisants de la vie... Le responsable de la Feldkommandantur est un rhénan, magistrat de profession, pas pronazi, mais plutôt antinazi. Ce n'était pas un sauvage. Pour lui prouver notre bonne volonté et une façade d’obéissance, j'ai traité deux ou trois affaires de façon satisfaisante pour montrer aux Allemands qu'on ne les trompait pas, ils ont été même épatés. Nous avons pu arranger un certain nombre de choses dans le silence du cabinet. Ils avaient ainsi une opinion favorable. J'étais vu comme un bon professionnel. C'est que, défendre les intérêts de la France et de ses compatriotes requiert plusieurs méthodes qui doivent être adaptées à la psychologie de ses interlocuteurs. (...) En juillet 1943, d'ailleurs, une note de la Feldkommandantur me présente comme un administrateur habile, qui sait faire face aux situations difficiles. Mon attitude est correcte et facilement coopérative. (...) La Feldkommandantur était chargée de faire appliquer les ordonnances allemandes. Et, en Gironde, les circulaires d'application, qu'elle envoie aux autorités préfectorales, sont d'une particulière dureté. Ainsi en va-t-il de l'ordonnance du 7 février 1942 imposant le couvre-feu, dès 20 heures, aux Juifs. "

Le président Castagnède lit une circulaire relative au couvre-feu du 17 février 1942, qui détaille les modalités d'application. Il est demandé à ses destinataires de faire preuve d'une totale sévérité dans le contrôle des Juifs. Ceux-ci peuvent notamment faire l'objet de contrôles inopinés à leur domicile dès la tombée du couvre-feu. Il en démonte le mécanisme d’application, sa mise en œuvre sera immédiate, le 20 février, suite à une réunion à la préfecture.

Papon " J’ai pris mes fonctions quelques mois plus tard. Je n’ai pas le souvenir de l'avoir fait appliquer. "

Le président Castagnède cite alors des actes de ses services qui montrent pourtant le soin apporté à son suivi. " Etiez-vous en rapport avec le KDS, qui est l’émanation directe de la police de la sûreté de l'Etat ? "

Papon " Je vais évoquer mes rapports avec le KDS, qui est chargé des questions juives. Je ne voulais pas de contacts avec ces gens-là, moi, secrétaire général, je parlais d'administration à administration, et cela me permettait de me ménager une marge de manœuvre. J'ai cru habile de ne pas avoir de contacts avec eux. Cela nous donnait un délai de réflexion, pour savoir comment nous allions sauver les gens. C'est Pierre Garat, chef des questions juives, qui était chargé d'avoir, avec le KDS, les contacts nécessaires puis en son temps, Dubarry. Cela offrait de nombreux avantages, un délai de réflexion pour bâtir une contre-offensive, pour essayer de savoir comment on allait sauver les gens (...) Mais c'était moi qui tirais les ficelles ... "

Maître Mairat " Contrairement à ce que dit Papon, la Wermarch n’était pas composée d’honnêtes fonctionnaires, ils ont participé aux massacres dans les pays de l’Est. "

Maître Varaut " Voilà encore une mauvaise traduction des parties civiles "

Papon " Je suis abasourdi par les propos de l’avocat "

Maître Klarsfeld " Papon, vous avez toujours dit que vous faisiez l’aller retour entre le lit de votre père et Bordeaux, que vous n’aviez pas prêté serment au maréchal. Pourtant la Petite Gironde vous cite parmi les prestataires de serments."

Papon " Non, je n’ai jamais prêté serment, c’est une erreur. "

Maître Klarsfeld " Vous avez dit que les ordonnances allemandes n’étaient pas appliquées, je vais vous citer le texte d’une ordonnance qui prouve le contraire...Ce texte prouve que la préfecture appliquait, de façon bénigne, les ordonnances allemandes. "

Papon " Je n’ai jamais parlé de " bénigne ", c’est mon interpellateur qui le dit... "

Maître Klarsfeld " Je ne suis pas votre interpellateur, répondez à ma question. "

Papon " Je ne sais pas. "

Maître Klarsfeld " A quoi servait la police de Bordeaux et qui arrêtait les Juifs ? "

Papon " Sur ordre du préfet ou de l’intendant régional de police. "

Le président Castagnède " Est-il possible que le service des questions juives ne soit pas au courant ? "

Papon " Je ne sais pas. "

Maître Klarsfeld " Donc, si j’ai bien compris, la police pouvait se servir elle-même ? Comment avez-vous l'affront de soutenir cela ? Monsieur le Président, nous ne pourrons pas continuer ainsi, si Papon a l’affront de tout nier. "

Papon " Vous avez très mal suivi le débat d'il y a deux jours, soyez plus attentifs la prochaine fois."

Maître Levy revient sur les relations de Papon avec les Allemands. " Il n’avait des contacts qu’avec la Feldkommandantur. Puis tout d’un coup, il annonce, je tirais les ficelles du KDS. Expliquez-nous ça ? "

Papon " C’est une expression malheureuse, je le reconnais. "

Maître Levy " Garat est votre dépositaire auprès du KDS, que négociait-il avec eux ? "

Papon " Rien, négocier tout simplement, encore toujours et toujours. "

Maître Levy " Vous dites plus tard, je n’avais pas d’ordres particuliers à donner à Garat ? Ne voyez-vous pas là une contradiction ? "

Papon " On négociait la vie des personnes, on sauvait des Juifs. "

Maître Levy " Donnez-nous des noms de Juifs que vous avez sauvés ! Vous le dites chaque fois, mais vous ne donnez jamais un nom, jamais, dans votre curriculum vitae de 1948. Il est fait mention de sauvetage mais pas de Juifs. Arnould, en 1954, dit la même chose, vous sauvez dix personnes, mais pas de Juifs. "

Papon " Arnould est mort, s’il était vivant, il serait venu à la barre le dire. "

Maître Levy " Il y a d’autres morts, moi, je représente mille six cents déportés, deux cents enfants. On a un peu trop tendance à les oublier. Je répète qu’Arnould, en 1954, ne parle d’aucun sauvetage de Juifs."

Papon " J’en ai sauvé cent trente. Je ne sais pas si Maître Lévy sait ce qu'est une négociation, en tout cas je pourrais lui donner un petits cours. Je répondrai par des voix étrangères à moi-même. Une lecture attentive du rapport d'experts donne la liste des gens que j'ai sauvé. Les radiations directes concernent cent trente personnes "

Le président Castagnède " Il faudra voir s’il s’agit de radiations en conformité avec les règles du statut ou de " radiations-sauvetages " ? "

Papon " Voici une lettre du commissariat aux questions juives qui prouve qu’il s’agit de radiations irrégulières. Si elles avaient été connues, j’aurais été déporté. J’ai sauvé la sœur de Slitinsky, il faut reprendre les listes, tous les convois, reprendre tous ceux qu’on a sauvés. J’étais un Juste trop discret. " Quel culot ce Papon, le ‘nous’ est tout à fait significatif. Quand il s’agit d’actes favorables, il utilise un nous qui l’englobe, quand il s’agit d’actes défavorables, ce n’est jamais lui le responsable. Pourtant dans ce cas, le deuxième qui est défavorable, il y a toujours sa signature, dans l’autre, jamais ou rarement.

Maître Lévy " Nous ferons la démonstration que ce ne sont que des radiations administratives, c’étaient des non Juifs, il n'y a donc aucun sauvetage de Juifs ! Crevons l’abcès Alice Slitinsky, vous dites que vous intervenez pour la sauver. C’était le chef de la sûreté, un service allemand qui accorde la liberté. Vous, vous écrivez à Mérignac deux jours après sa libération par les Allemands."

Papon " Je sais bien que tout ce que je dis gêne beaucoup Maître Lévy. Eh bien, Quitte à travailler nuit et jour, je donnerai la liste de tous les Juifs, je reprendrai tous les convois et nous verrons bien alors si je n'ai pas été un sauveur de Juifs. "

Le président Castagnède " Il est trop tôt pour en parler, nous en reparlerons plus tard. "

Maître Levy " D’accord, mais donnez-moi acte que les pièces que je viens d’évoquer sont authentiques."

Le président Castagnède " Ces pièces sont bien au dossier et on en reparlera plus tard."

Maître Varaut " Je dénonce les procédés de la partie civile, la simple évocation des textes était déjà beaucoup, les parties civiles manœuvrent pour retarder les débats et empêcher d’arriver aux faits. "

Maître Levy " Ce n’est pas moi qui ait parlé d’Alice Slitinsky, mais Papon. "

Maîtres Jakubowicz " Je m’excuse auprès de Maître Varaut, et j’espère ne pas le fâcher. Papon s’est mis volontairement en retrait pour gagner du temps et ainsi, sauver beaucoup de vies. Papon vous n’avez aucune raison d’en avoir honte, mais au contraire d’en être fier. "

Papon " Oui. "

Maître Jakubowicz " Alors, pourquoi n'avoir jamais parlé de ces faits d’armes mémorables ? Pourquoi attendre 1981 et votre mise en cause ? Pourquoi ce silence, si votre action a bien été celle que vous dites et je ne demande qu’à vous croire ? "

Papon " C'est une question singulière. Cela va nous obliger à rentrer dans les circonvolutions du cerveau. C'est un problème psychologique (...). J'ai déjà fait allusion à la pudeur et à mon éducation. (...) La question juive procède de la génération d'aujourd'hui, alors qu'à l'époque les Juifs eux-mêmes étaient restés discrets sur leurs malheurs (...) Bourgès-Monoury n’a jamais parlé de ses actes de résistance, il n’a jamais demandé sa carte de résistance, avant 1952 comme moi." Encore une nouvelle version : Maître Varaut disait il y a quelques jours qu’il avait obtenue en 1945 ?

Maître Jakubowicz " Je trouve le parallèle un peu gros, vous, qui n’arrêtez pas de parler de pudeur, faites en preuve un peu vous aussi."

Maître Varaut " Tentons de sortir de l’anachronisme, on honore les Justes parmi les Justes. Mais personne n’a reproché à Laval ou à Pétain, quoi que ce soit au sujet des déportations raciales. "

Maître Lorach " Je représente la LICRA, et Jean Pierre-Bloch malgré son âge (93 ans) en a assez d’entendre parler et déformer la sentence du Jury d’honneur. Il souhaite venir témoigner, il a beaucoup de choses à dire sur le Jury d'honneur et la résistance de Papon. "

Le président Castagnède donne son accord pour début décembre.

Maître Boulanger " Je suis admiratif devant les dégagements historiques de Varaut. Mais je reviens sur les différentes demandes d’obtention de la carte de résistant. Pourquoi n'avoir jamais fait état de ces sauvetages à ces moments ? "

Papon " Je comprends que, dans les temps que nous vivons, il n'est pas sûr que la pudeur ait encore un sens. Aujourd'hui, tout ce qui est médiatique est sans pudeur et tend à détruire la pudeur des autres. On me fait grief d'avoir sollicité ma carte d'ancien combattant très tardivement. C'est une rude leçon de pudeur et de dignité. "

Maître Klarsfeld " Les Juifs ne sont pas rentrés tranquillement dans leur vie ! Ils sont rentrés la mort au ventre. Et la plupart ne sont pas rentrés. "

Maître Tubiana souhaite en savoir davantage sur les relations qui se sont établies entre Papon, à sa nomination en mai 1942, et son subordonné, Pierre Garat, à la tête du bureau des questions juives.

Papon " Un homme fidèle, un peu fragile (...). Nous nous sommes entretenus des malheureux textes, sur lesquels on devait travailler. J'ai dit à Garat, ne faites pas de zèle ! Ça voulait dire saboter les lois et négocier, quand le sabotage était impossible, et tromper l'ennemi autant que possible.

Maître Tubiana " Mais concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? ".

Papon " Il ne fallait pas aider les autorités allemandes, mais saboter au maximum (...). "

Maître Tubiana " De quelle manière précisément ? "

Papon " Il y avait mille manières ! C'était pas un problème de géométrie. C'était un problème de circonstances. Il y avait telle ou telle piste... "

Maître Tubiana " Vous avez des souvenirs précis ? "

Papon " Vous me demandez des exemples concrets, cinquante-cinq ans après ! Je ne suis pas génial. Je n'ai pas conservé dans ma matière grise des souvenirs. "

Maître Tubiana " Votre mémoire a pourtant une grande pertinence parfois... "

Papon " Je vais vous dire : j'ai eu un faible pour la caractérologie. J'ai une mémoire abstraite assez fidèle. Je constate, par malheur, que je n'ai pas la mémoire des faits concrets. " Pourtant, il y en a des faits concrets dans ce dossier.

Maîtres Touzet et Favreau reviennent sur les prétendus sauvetages de Papon. Maître Touzet rappelle à Papon qu’il a bu le thé, en compagnie de Bousquet, Sabatier et Dhose, qu’il dit n’avoir jamais rencontré. Etait-ce le fait de boire du thé dans la pièce au-dessus des salles de tortures de la gestapo qui lui a fait perdre la mémoire ? Maître Favreau démonte à son tour les sauvetages, qui, d’après l’historien Azema, à qui il a posé la question à cette barre, ne sont que des actes de gestion de fichiers normaux. Il rappelle aussi son étonnement devant le fait que Papon serait le seul fonctionnaire de la préfectorale à n’avoir jamais prêté serment à Pétain.

Jackie Alisvaks


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