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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 11 décembre 1997

Papon reconnaît qu'il faisait bien acte de déportation

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Jeudi 11 décembre 1997

Papon reconnaît qu'il faisait bien acte de déportation

Le président Castagnède " Maître Varaut, vous souhaitez intervenir. "

Maître Varaut " Je souhaite verser aux débats un article de Simone Weill dans " La Vie ", qui dit que le procès de Papon est inutile et n’amènera rien. Je m’indigne aussi contre les propos de Jean-Marie Le Pen. "

Maître Klarsfeld " Je ne vois pas l’intérêt de verser cette pièce au dossier, Simone Weill a toujours été contre les procès pour crimes contre l'humanité. Elle était contre le procès Touvier. Elle était contre le procès Barbie. Elle était contre les procès Bousquet et Leguay. Quant aux propos de Varaut sur Le Pen, s’il se présente aux élections, il pourra compter sur les voix juives et sur les voix de l’extrême-droite. "

Maître Levy " On a entendu les propos d’un homme sur la vie publique, mais en aucun cas, ceux de l’accusé. On aurait aimé, on aimerait entendre l’accusé s’exprimer sur ce point. "

Maître Favreau " Il faut que nous gardions notre dignité. Il faut que la justice continue sans que les politiques n’y mettent leur nez. "

Maître Mairat revient lui aussi sur les propos de Maître Varaut.

Maître Jakubowicz " Je souhaite revenir sur les propos de Le Pen et sur sa remise en cause de la Shoah et des chambres à gaz. Le premier à avoir utilisé cette expression de " point de détail " est Hermann Goering au cours du procès de Nuremberg. Je pense que l’information était utile. " Maître Jakubowicz rappelle que Maître Varaut a écrit un livre sur le procès de Nuremberg.

Le président, Jean-Louis Castagnède

Le président Castagnède " Je rends un délibéré sur les conclusions de la défense, visant à saisir les archives de l’intendance régionale de police (...) la cour sursoit à statuer. Papon, nous devons examiner aujourd’hui, une deuxième série de faits, qui a trait à la rafle et au convoi de juillet 1942 d’un certain nombre de Juifs déportés à Drancy, puis à Auschwitz. Ils sont comme hier, constitutifs de complicité d’arrestations pour les victimes de la rafle seulement, de complicité de séquestration et de complicité d’assassinat. Il convient de commencer par le début et par les instructions allemandes qui ont été signifiées à la préfecture. Ces instructions, nous en avons déjà fait mention quand on a parlé du premier fait relatif à Léon Librach. Les Allemands ordonnent une grande rafle, dans un lieu au début non précisé. Il s’agissait d’une opération annoncée, dont vous avez dit ne pas être au courant. Je vais rappeler comment le délégué aux questions juives avait fait prévenir la préfecture des intentions allemandes. Monsieur Jean Chesnard, écrivait le 13 février 1942, à la hiérarchie que " le commandant Hagen, chef du S.I.P.O. SD [SIPO : Sicherheitzpolizei - Police de sûreté. SD : Sicherheitsdienst - service de sûreté nazi], autrement dit des S.S. [ Schutzstaffel - peloton de protection] est toujours décidé à procéder dans un proche avenir à l’arrestation de Juifs (...) les autorités allemandes ordonnent que les arrestations aient lieu le même jour, à la même heure (...) elles désirent que les arrestations soient faites par les Français ainsi que les transports ... . Il faut prévoir les bus pour conduire les Juifs à la gare, le ravitaillement. Il faut que tout soit prêt dans les trois départements, pour qu’on opère à la même date, dès leur signal. Ils veulent disposer d’un camp près de Bordeaux, préparer leur convoiement. Les Allemands souhaitent un camp hors celui de Mérignac. Le 19 mars 1942, on a une nouvelle lettre du délégué au questions juives : " les Allemands m’ont informé qu’il n’était pas possible de mettre, à notre disposition, des camions de l’organisation Todt. Cela veut dire que les responsables de la préfecture ont déjà réfléchi aux moyens à mettre en œuvre. Les Français, après en avoir référé au gouvernement, refusent de construire un nouveau camp. Nous en sommes là, quand arrive l’ordre suivant, daté du 2 juillet 1942. Il est adressé par le chef de la sécurité, le S.I.P.O. SD [SIPO : Sicherheitzpolizei - Police de sûreté. SD : Sicherheitsdienst - service de sûreté nazi] à Monsieur le Préfet Régional .

" Objet évacuation des Juifs. Entretien préparatoire avec Fredou, commissaire central. Vous êtes chargé de procéder à l’arrestation de tous les Juifs, porteurs de l’étoile jaune, âgé de 16 à 45 ans. Garat établira les listes en six exemplaires, chaque liste comportera dix noms. Les arrestations auront lieu d’un seul coup sous la responsabilité des inspecteurs. (...) L’opération devra avoir lieu du 6 juillet au matin au 8 juillet au soir. Le transport des Juifs se fera dans des wagons à marchandise. Tout Juif devra avoir, avec lui, trois jours de provision. De Bordeaux, seront prévus deux trains de vingt wagons chacun, pour le transport de mille Juifs soit deux mille au total. Les Juifs seront internés à Mérignac. La lettre détaille ce qu’il faudra que chaque Juif amène avec lui. Voici ce document qui arrive à la préfecture. Où arrive-t-il ? "

Papon " Je désire revenir sur les premiers documents, ils ne portent pas le paraphe de Sabatier. Est-ce que Allype les a transmis à Sabatier ? Il y a un doute, si Sabatier les a ignorés, alors moi aussi je les ai ignorés. "

Le président Castagnède " Quand Sabatier arrive-t-il à Bordeaux ? "

Papon " Début mai, je crois. "

Michel me glisse le 26 mai.

Le président Castagnède " Je lis une autre lettre de mars du délégué aux questions juives, la nouvelle équipe n’est pas au courant ? "

Papon " Pour moi, c’est une stupéfaction. Je vais essayer de recréer l’atmosphère de l’époque... Que fallait-il faire, fuir ? Quitter cet espèce de front intérieur ? Mon devoir n’était pas d’abandonner le pays en danger, il fallait essayer de faire écran. "

Mon père : " c’est encore la thèse du bouclier. "

Papon " C’est ce dilemme qui m’a saisi, déserter ou se battre ? "

Le président Castagnède " Mais, avant ce débat de conscience, comment avez-vous eu connaissance de cet ordre, dans quelles conditions ? Qui vous en parle le premier ? "

Papon " Sabatier. Il faut essayer d’appliquer un esprit d’analyse, selon les moyens utilisés par les Allemands et y associer les représailles. J’ai deux analyses : une policière et une administrative ... " Visiblement Papon ne veut pas que le président reprenne sa méthode chirurgicale du précédent interrogatoire et saute allègrement de documents à documents... Mais le président Castagnède reste vigilant et le coupe.

Le président Castagnède " Vous allez trop vite, Papon. Restons au 2 juillet : qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il s’agit d’une communication entre l’intendant régional de police et Leguay ?

Le président Castagnède parle d’un compte rendu téléphonique avec le directeur de cabinet de Leguay. Dans les documents de l’époque Leguay, s’écrit Legay.

Papon donne des explications évasives.

Le président Castagnède " Vous pensez que l’intendant régional de police a téléphoné au directeur de cabinet du ministre en passant par-dessus l’épaule du préfet ? "

Papon " Peut-être, après l’accord de Sabatier "

Le président Castagnède " j’entends bien, mais qu’est-ce qui vous permet de dire que c’est l’intendant régional de police qui est prévenu le premier ? Ce document nous instruit sur le fait que le préfet dit : "il ne faut rien faire, ne rien promettre aux Allemands avant samedi". "

Le samedi est le 4 juillet. Le 2 juillet est donc un jeudi.

Le président Castagnède présente à Papon les documents de façon chronologique.

Le 2 juillet, jeudi

A 18 h 45, il y a la note de Fredou.

A 19 heures, on retient l’instruction de Sabatier de ne rien faire, de ne rien promettre avant samedi.

La note suivante est établie par Garat, pour Papon : il dit avoir été voir Doberschultz et vous retransmet les ordres avec une analyse. Il dit avoir été convoqué au Bouscat, au S.I.P.O. SD [SIPO : Sicherheitzpolizei - Police de sûreté. SD : Sicherheitsdienst - service de sûreté nazi].

Le président Castagnède " Alors, qu’est-ce qui vous permet de croire que Fredou a vu Doberschultz avant Garat ou le contraire ? Si je comprends bien vos dires, Fredou voit Doberschultz. Il en rend compte à l’intendant régional de police. Il téléphone à Leguay. Il y a la note manuscrite de Sabatier. Il y a donc, selon vous, deux sources de saisine. C’est sans précèdent. Pourtant, ce n’est pas la première fois que les Allemands ordonnent une arrestation, et dès juin, sous votre signature, vous dites aux Allemands : " il faut passer directement par moi et éviter de passer par la police ". Papon répond de temps en temps, mais toujours de façon évasive ou contradictoire. Varaut se plaint que le président ne laisse pas Papon parler du contexte.

Le président Castagnède " Je mène l’interrogatoire en toute liberté. (...) Quand avez-vous reçu le rapport de Garat ? "

Papon " Le jour même... " Mais, il y a désaccord entre la chronologie de Papon et celle du président Castagnède, qui relève les incohérences de Papon.

Le président Castagnède " Je vous arrête une fois de plus, vous passez au 10, je veux revenir au 3 juillet. "

Le 3 juillet, vendredi.

En dépit des instructions téléphoniques du cabinet de Jean LEGUAY et sans attendre de connaître les résultats de la conférence du 2 juillet ni les instructions de l'administration centrale, le 3 juillet 1942 Pierre GARAT rédigeait une note à l'attention du Préfet régional détaillant les mesures envisagées par les Allemands Le plan prévoit l'arrestation des Juifs de 16 à 45 ans à l'exception des Juifs de nationalité italienne, espagnole, turque, grecque, bulgare, hongroise, finnoise, norvégienne, anglaise, américaine et mexicaine ; les Juifs dont le conjoint est aryen ainsi que les enfants issus de leur union.

Elles toucheront environ 400 Juifs.

L'exécution de ces mesures soulève les difficultés suivantes :

1/ L'établissement des listes après examen minutieux des cas (en cours),...

2/ La mise en action d'importantes forces de police pour assurer les arrestations dans l'ensemble du département, surveiller les gares et les grandes voies de communication et éviter 'un exode dès que les Juifs auront connaissance des premières arrestations'....

3/ Le transport des centres de groupage au camp de concentration...

4/ L'hébergement des enfants de tous âges seuls après l'arrestation de leurs parents...

5/ L'aménagement de l'annexe du camp de Mérignac situé quai de Bacalan...

6/ Ravitaillement au camp et au départ du camp... (il est prévu 5 jours de ravitaillement )

7/ Aménagement sanitaire des wagons...

Plusieurs exemplaires de cette note sont versés au dossier. Maurice PAPON a reconnu avoir signé celui où ne figure pas la mention, in fine 'conclusion', 'l'exécution de ces mesures dans le laps de temps imposé est difficile mais possible'.

Il y a une note, signée Papon, au préfet. Objet : arrestation des Juifs. Avec des exceptions : les Juifs dont le conjoint est aryen, les Juifs de nationalité italienne, hongroise, américaine, anglaise, norvégienne, mexicaine, bulgare, grecque, turque, espagnole, finlandaise. Établissement des listes avec la mention : " travail en cours ". Il est prévu quatre cents arrestations. Il faut surveiller les voies pour éviter un exode. Il faut prévoir l’hébergement des enfants en bas âge. L’avez-vous bien signée ? "

Papon " Oui "

Le président Castagnède " Je présente le même document mais avec un paragraphe de plus. L’exécution de ces mesures, dans le laps de temps imparti est difficile mais possible. Qu’avez-vous à dire ? "

Papon " C’est le compte rendu Garat - Doberschultz. On en tire un certain nombre de difficultés propres. "

Le président Castagnède " Ces mesures visent-elles les Juifs français ? Quel est votre sentiment ?" Varaut se penche vers Papon et lui souffle quelque chose.

Le président Castagnède " Je vous demande votre avis, pas celui de votre conseil. "

Papon " Oui, les Juifs français ne sont pas prévus dans les exceptions. "

Le président Castagnède " Oui, cela a son importance. Si, dans cette note, on parle de " travail en cours " c’est qu’on s’est mis à la tâche ? "

Papon " Oui. "

Le président Castagnède " D’ores et déjà, on prévoit quatre cents arrestations, cela veut dire que le service des questions juives s’est mis au travail ? "

Papon " Oui, mais les Allemands parlent de deux mille arrestations, nous on en prévoit quatre cents et finalement il y en aura cent cinq. "

Le président Castagnède " Si on dit " travail en cours ". Si on prévoit quatre cents arrestations, cela veut dire que le service des questions juives s’est mis au travail ? "

Papon " Il y a à la fois un doute et une interprétation. "

Le président Castagnède " Pourquoi... Vers quoi inclinez-vous, quand on vous dit : " ne rien faire, ne rien promettre " et que le lendemain, on se met au travail. C’est important, Techoueyres prépare un plan de ramassage, il parle de quatre cents arrestations, ce sont bien vos chiffres ? Est-ce un hasard ? "

Papon " C’est une information. "

Le président Castagnède " Vous mentionnez dans votre note : " il faut surveiller les voies pour éviter un exode. Techoueyres, dans son plan, prévoit le bouclage des gares et des voies, c’est un acte de police. Donc, vous faites bien un acte de police ? "

Papon "... " Il bafouille, dit n'importe quoi.

Le président Castagnède " Je reçois vos explications sur le bouclage et sur le nombre d’arrestations, mais je ne suis pas convaincu. Un autre point, vous parlez des enfants, dont les parents seront arrêtés. Vous parlez d’hébergement des enfants en bas âge ? "

Papon " Les enfants sont écartés de l’opération. Garat se met en rapport avec le Grand Rabbin Cohen pour les enfants. "

Le président Castagnède " Puisque vous y êtes, on va parler des enfants. Quand on emporte la mère, quand on emporte le père, que deviennent les enfants ? "

Papon " C’était de mon devoir de parler des enfants au préfet. "

Le président Castagnède " Le même jour, le 3 juillet. Vous signez un autre document. C’est une habilitation de Pierre Garat, chargé d’une mission spéciale. Elle incite les autorités à se mettre à ses ordres. Vous avez bien dit que ce document est relatif à la rafle de juillet ? "

Papon " Oui, il y a de nombreux problèmes à régler, le ravitaillement par exemple... "

Le président Castagnède " Vous donnez cet ordre alors que la veille, le préfet vous avez dit de ne rien faire ? "

Papon " Ce sont des dispositifs pour l’avenir."

Le président Castagnède " Vous prenez des dispositifs pour l’avenir ? La cour appréciera. "

L’interrogatoire se poursuit. Le président aborde un ordre de Laval, qui dit qu’il faut un seul fonctionnaire pour superviser les opérations. Il remarque que Papon précède les demandes de Laval. Papon nie, dans un premier temps, que Techoueyres répond aux ordres de Garat. Puis, avec sa maîtrise de l’interrogatoire, le président Castagnède le lui fait reconnaître. Techoueyres avait un bureau à la préfecture, dès le 5 juillet. Il répond, sans que cela gène le secrétaire général des Landes, à son appel téléphonique. Après avoir nié, Papon reconnaît enfin que Techoueyres était sous son autorité hiérarchique.

Le président Castagnède " sous votre autorité directe."

Puis il évoque une note de Chapel le 5 juillet, qui confirme les ordres de Sabatier de ne rien faire et d’attendre encore trois ou quatre jours. On évoque le feu vert donné par le gouvernement de Vichy ; le retour de Sabatier à la préfecture ; le nombre d'arrestations qui passe à soixante-cinq ; les fichiers qui servent à établir les listes. Après avoir nié que seul le fichier du service des questions juives pouvait remplir cet office, Papon le reconnaît. On parle à ce sujet de Léon Librach domicilié à Pompignac.

Michel me dit que les deux gendarmes dont on parle, ceux qui ont arrêté Benjamin sont deux résistants, dont l’un est médaillé de la résistance. On en frémit...

Un moment comique, quand Papon s’empêtre dans ses explications sur le fichier, il conclut que Garat ne faisait que des paquets de dix noms, c’était son seul rôle. Le président Castagnède fait remarquer à Papon que, si son souci était bien de sauver le maximum de Juifs, alors il aurait dû utiliser le fichier du service des questions juives.

On parle d’un ordre d'arrestation, reçu par les gendarmes, qui montre que l’ordre vient bien de la préfecture. On parle des trente-trois Juifs français déportés. Papon affirme pour la première fois que ce sont les Allemands qui font le coup, seuls. Le président Castagnède lui fait remarquer que c’est un cas unique. Mais Papon confirme. Puis on aborde le terme de " déportation ", utilisé par Papon dans une note. Papon, dans un premier temps, essaye de se justifier en disant qu’il n’employait ce terme que dans le sens de transport.

Mais, finalement, il avoue qu’il s’agit de son sens réel : déportation à l’étranger. C’est capital puisque Papon a toujours nié avoir eu connaissance de la solution finale.


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Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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