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date dernière modification : 18/11/02

Chronique du 12 décembre 1997

Au bout de ce long couloir de pénombre, il y a une petite lumière tenace

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Vendredi 12 décembre 1997

Au bout de ce long couloir de pénombre, il y a une petite lumière tenace

Chronique rédigée avec Jackie Alisvaks

L’interrogatoire de Papon se poursuit, mené toujours d’une main de maître par le président, sur le même ton, avec un Papon toujours aussi " paponesque ". On se demande même par moment qui est l’accusé, le Procureur Général Desclaux ou Papon. Par exemple, quand Papon l’interpelle et déclare : " on verra si le Procureur Général Desclaux a changé d’avis. "

Mais aujourd’hui, c’est l’occasion, pour moi de découvrir enfin des faits qui concernent les morts de notre famille. Le convoi de juillet concerne six personnes, celui d’octobre deux autres. Il s’agit de :

Henri, Hirsch Alisvaks, né le 2 mars 1909 à Riga (Lettonie),

Antoinette Matisson, épouse Alisvaks, née le 4 mars 1912 à Riga (Lettonie),

Jean, Icek Fogiel, né le 6 mai 1907 à Brzeziny (Pologne),

Liba ou Luba, Rachel, Ida Rawdin épouse Fogiel, née le 24 juillet 1907 à Dwinsk (Lettonie),

Abraham, Mendel Husetowski, né le 5 juin 1905 à Tcklinow (Pologne),

Jeannette, Euta Rawdin épouse Husetowski, née le 7 juin 1911 à Langarfit (Lettonie),

Mis à part quelques photos jaunies, vous avez remarqué comme chaque partie civile possède, enfouie dans son portefeuille, la mémoire des siens. Je n’ai jamais eu l’occasion de connaître qui étaient les morts de notre famille. Une immense chape de silence semblait renfermer à jamais cette mémoire. C’était le sujet tabou de notre famille. Et aujourd’hui, voilà que pour la première fois, je découvre enfin quelques signes de ces parents que je n’ai jamais connus. Ils sont partis un matin à 6 h 30 du camp de Mérignac, à 8 h 53 de la gare Saint Jean. Est-ce là le travail réparateur de ce procès ? Est-ce cela enterrer nos morts ? Cela est encore trop tôt pour le dire. Mais les savoir au centre des débats de cette audience ; savoir que, derrière ces listes toutes plus monstrueuses les unes que les autres, savoir que derrière la monstruosité quotidienne, ils sont des êtres de chair et de sang. Ils sont venus en ce jour de juillet 1942 rencontrer leur destin. Et nous, leurs descendants rescapés et vivants, avons un devoir de réparation envers eux.

Plongés, tout le long de ces audiences cinq à six heures durant, dans l'horreur, l’immonde et l’abject. Au bout de ce long couloir de pénombre, il y a une petite lumière tenace...

Le président Castagnède " Le 15 juillet, au soir, c’est l’exécution des instructions allemandes. Le premier acte d’exécution que l’on trouve, c’est celui de la gendarmerie de Lormont à Pompignac.

" Gendarmerie Nationale

Ce jourd’hui 15 juillet 1942 à 20 heures. Nous soussignés Fayet Paul et Chotard Jean, gendarmes à la résidence de Lormont, département de la Gironde, revêtus de nos uniformes et conformément aux ordres de nos chefs agissant en vertu d’un ordre des autorités allemandes transmis par la préfecture de la Gironde N°.863/2 du 12 juillet 1942, prescrivant d’arrêter les Juifs étrangers, sur la liste ci-jointe. Nous nous sommes rendus au domaine de Malard à Pompignac (Gde) où nous avons découvert le Juif polonais :

LIBRACH, Benjamin, (souligné), 20 ans, cultivateur, au domaine de Malard à Pompignac (Gde) ; qui déclare :

(Je reconnais avoir pris connaissance de l’arrêté pris contre moi. J’entends y obéir. )

Lecture faite, persiste et signe.

Après l’arrestation, nous l’avons conduit au n° 24 hôtel des Emigrants à Bacalan.

ETAT CIVIL : LIBRACH, Benjamin, (souligné), né le 29 janvier 1922 à Varsovie, (Pologne), fils de Szyja, et de KUSHER, Tauba, célibataire, carte d'identité de polonais N°.40.AS 56871 délivrée par la préfecture de Police le 26 février 1911.

DEUX EXPEDITIONS (souligné) la Ier à Monsieur le préfet de la Gironde à Bordeaux.

2° Aux archives.

Fait et clos à Lormont, les jours, mois et an que dessus.

Suit un signalement de Benjamin Librach. "

Ce procès verbal est exécuté, conformément à l’ordre de la préfecture dont nous avons déjà fait part et qui a été adressé aux gendarmes par le préfet régional. Avez-vous, Papon des observations à faire sur ce document ? "

Papon " j’en prends connaissance. "

Le président Castagnède " Vous ne le connaissiez pas ? Dans le plan d’arrestations de la Gironde, il était indiqué : Libourne 10, Branne 7, Pompignac 1, etc. Le 12 juillet, la préfecture saisit la gendarmerie d’instructions concernant les arrestations. "

Papon " Il s’agit d’un plan opérationnel, dressé par Techoueyres. Je n’ai pas d’observation particulière à faire. (...) "

Le président Castagnède " Je reçois votre avis sur le fait que l’ordre d'arrestation est envoyé aux gendarmes par l’intendant régional de police et non par la préfecture comme vous l’avez dit hier ! Il y a aussi ce procès verbal de Pagès, adjudant de gendarmerie qui montre que la préfecture garde un regard sur les opérations. "

Michel me glisse : Comme les deux gendarmes de Pompignac, (cf. chronique d’hier) Pagès a été un grand résistant dans le Gers.

Papon " C’est possible, mais je vois une autre hypothèse, l’installation de Techoueyres dans le bureau des questions juives prête à confusion. Il y a une possibilité de confusion à cet égard. "

Le président Castagnède " Mais, sur ce document du 12, on voit bien inscrit : " sur ordre des Allemands, transmis par la préfecture ". "

Papon " Cette phrase n'exclut pas mon hypothèse. "

Le président Castagnède " Alors, y a-t-il lieu de restreindre vos observations d’hier ? Le préfet d’après ce que vous dites aujourd’hui a un rôle très en retrait. "

Papon " A ceci près que c’est la préfecture qui confie, à l’intendant régional de police, cette mission. Il est fort possible que la présence de Techoueyres à la préfecture ait semé la confusion. "

Le président Castagnède " Vous voulez dire la cohabitation des deux, de Garat et de Techoueyres ? "

Papon " Non. "

Le président Castagnède " Il faut préciser, je ne rapporte que ce que vous avez dit hier. "

Papon " Je ne sais pas. "

Le président Castagnède " Il a au moins partagé le téléphone de Garat, on l’a vu. "

Papon " Et peut-être même le bureau. "

Le président Castagnède " Le 16 juillet 1942, au matin, Garat rend compte des opérations au préfet régional. Comment est-il en mesure de rendre compte ? "

Papon " Garat a reçu la mission de suivre de près les opérations, la mission de regarder au cas par cas pour sauver le maximum de gens. "

Le président Castagnède " Je vais montrer le document, la liste remise aux autorités allemandes comporte cent cinq noms. Le document porte, en en-tête, en communication à l’intendant régional de police sous couvert de Monsieur le secrétaire général, Monsieur le secrétaire général est souligné. Ce matin 16 juillet à 6 heures, le nombre de personnes arrêtées s’élevaient à soixante-dix. Le déchet est de 30 % (...) "

Protestations parmi nos rangs, l’écœurement, les mots forts d’autrefois, rompent pour la première fois le silence qui règne dans la salle.

Papon " C’est l’habitude, je suis le tuteur, pas le destinataire premier de la lettre. "

Le président Castagnède " Pourquoi Garat, le chef du service des questions juives informe-t-il l’intendant régional de police de ce qui a été exécuté sous son contrôle ? Pourquoi le communique-t-il à l’intendant régional de police puisqu’il ne s’agit que d’un compte rendu ? Pourquoi, si c’est l’intendant régional de police le responsable, ne fait-il pas lui, le compte rendu ? "

Papon " La tâche première de Garat est de faire la synthèse des opérations. "

Le président Castagnède " Le document précise que 30 % des Juifs ont échappé soit soixante-dix Juifs arrêtés. Ce déchet ... "

A la lecture du mot, il y a de vives protestations dans le public - " C’est humiliant " - C’est comme ça qu’il sauvait les Juifs ? "

Le président Castagnède " ... doit être attribué aux " fuites ". Beaucoup de Juifs ayant quitté leur domicile depuis plusieurs semaines ou étant déjà incarcérés. Quelles sont vos observations ? "

Papon " Aucune, sinon que le mot " fuites " donnera lieu à des interprétations. "

Le président Castagnède " Il n’y a pas d’autres mots qui retiennent votre attention ? "

Maître Vuillemin se penche vers Papon. Parmi les parties civiles, on pense tous qu’il lui souffle le mot " déchet ".

Papon " Le mot " déchet " ne me plaît pas beaucoup, on voit ce qu’il veut dire. "

Le président Castagnède " Poursuivons et venons-en aux enfants. Le document parle de vingt-cinq enfants. Sur ce nombre, sur ces vingt-cinq, quinze ont été placés chez des amis, huit sont placés à l'hôpital des enfants, quatre à Libourne, quatre sont recueillis par le Grand Rabbin Cohen. Si on fait le total, on n'a pas le compte. Pas d’observation, Papon ? "

Papon " Je partage avec vous le pire des sentiments. Si on fait l’addition, cela ne fait pas le compte. "

Le président Castagnède " Venons-en à l’organisation du placement des enfants, comment cela s’est il passé ? Dans le rapport de Garat, ce point est aussi évoqué ? "

Papon " C’est avec le Grand Rabbin Cohen que l’affaire est abordée et aussi avec une dame, Madame Ferrerra, qui représente l’UGIF [Union Générale des Israélites de France]. Le service des questions juives, avec le Grand Rabbin Cohen, a recherché des parents et amis pour héberger des enfants. "

Le président Castagnède " Avez-vous eu une part particulière dans tout ceci ? "

Papon " Je ne veux pas me dresser des lauriers, je lui ai dit de régler cette question de façon sérieuse et définitive. "

Les parties civiles apprécient au plus haut point le terme de " définitive ".

Le président Castagnède " Sérieuse et définitive, c’est intéressant... On découvrira qu’au mois d’août, les S.S. [ Schutzstaffel - peloton de protection] ont les adresses des enfants. Nous sommes bien d’accord, si les enfants sont épargnés, c’est grâce aux instructions des S.S."

Papon " Oui. "

Le président Castagnède " J’avais cru comprendre que c’était grâce à vous et à la préfecture que les enfants avaient été épargnés. "

Papon " La préfecture avait toutes les raisons de se méfier de ces Messieurs. Leur parole n’a duré qu’un mois. "

Le président Castagnède " Je vais vous lire une lettre du Grand Rabbin Cohen. C’est lui et lui seul qui s’en occupe ! Alors en matière des enfants et de sauvetage, quel a été le rôle du service des questions juives ? Si les exemptions sont dues aux Allemands et si les placements dans les familles d’accueil sont dus au Grand Rabbin Cohen ? Quel est votre rôle, à vous ? "

Papon " Garat a aidé activement le Grand Rabbin Cohen. "

Je dois dire à ce point et après avoir entendu les explications de Papon, que le cas des enfants est le seul que je considère, personnellement comme inexcusable, impardonnable ; le seul qui me semble justifier les poursuites contre Papon. J’ai vécu toute ma vie, avec en moi l’image de ce cousin, qui est mort à Auschwitz, à l'âge de six ans. Esther, sa sœur rescapée m’a dit même un jour, qu’elle considérait qu’il s’était réincarné en moi. Même si je ne crois pas en la réincarnation, je dois avouer que chaque fois que je milite en faveur des Droits de l’Homme, contre le racisme, il représente les limites de ma conscience. Ne rien faire, ne rien dire moi-même, comme ne rien admettre de quiconque qui puisse, d’une façon ou d’une autre, entraîner la moindre exclusion.

Le président Castagnède " Donc, vous avez les adresses. Vous, le service des questions juives et qui d’autre ? "

Papon " Le Grand Rabbin Cohen, le service des questions juives et les familles. "

Le président Castagnède " Qui d’autre ? "

Papon " Personne. "

Le président Castagnède lit la suite du compte rendu

" Les opérations ont été contrôlées par Luther et Doberschutz. A cet égard, les barrages ont été exécutés avec efficacité et netteté, six Juifs ont été arrêtés. Il semble bien que la communauté juive ( Le Grand Rabbin Cohen lors d’un entretien verbal) ait parfaitement compris l’origine de la mesure et apprécié que celle-ci ait été opérée par la police française. "

Qu’est ce qu’il ne faut pas entendre ? La communauté a apprécié avoir été déportée par la police française ! Mais qu’est-ce qu’ils avaient dans la tête pour écrire de telles horreurs ?

Papon " Il y a tous les sentiments dans ce document. L’effroi, l'horreur, je l’aurais rédigé avec plus d’égards et de désapprobations. "

Le président Castagnède " Ayant été destinataire de la note ; l’avez-vous laissé passer comme telle ? "

Papon " Je ne l’ai pas reçue avant, cette note a été envoyée en même temps au préfet, à l’intendant régional de police et à moi. Le rédacteur fait état de cœur. Il trouve très pénible ces arrestations. "

"Mais grâce à nous, on en a sauvés. "

Le président Castagnède " Voilà un rédacteur qui réussit ce tour de force de contenter les Allemands d’un côté et par ailleurs de dire que les internés sont contents. Si je comprends bien, tout le monde est content. "

Papon " Je ne partage pas votre opinion. "

Le président Castagnède " Je comprends que cela vous gêne. "

Papon " Les mots n’ont pas le même sens. Les mots de l’époque ont de quoi choquer aujourd’hui parce que l’esprit humain n’est pas le même. "

Ce n’est plus une protestation, c’est un grondement dans la salle.

Le président Castagnède " Sabatier a changé les termes, quand il reprend cette note, pour envoyer son propre compte rendu au gouvernement. Il reprenait les termes de ce rapport presque en totalité.

Un autre document, au sujet des barrages, les inspecteurs Dubois, Cazes et Mesnard arrêtent trois Juifs. On voit la liste, Barnathan Albert, 40 ans, né le 5 août 1902 à Constantinople, manœuvre turc, porteur de l’étoile jaune. Une note dans la marge manuscrite mentionne " déporté ". Littaur Frantz, 27 ans, né le 31 mai 1915 à Berlin, apatride sans étoile, il vient d’Amsterdam et est en France depuis cinq jours pour échapper à la mesure générale qui frappe les Juifs. Dans la marge : " déporté ". Stark Joseph, 51 ans, né le 7 août 1891, polonais, il prenait le train pour Libourne. Dans la marge " libéré ". Le président Castagnède précise : " sûrement à cause de son âge ". " Le service des questions juives a été prévenu de ces arrestations ". Elles sont annotées de la main de Garat. Papon, vous voyez bien que le mot " déporté " est utilisé. En haut du document, on voit écrit à la main Q.J. Est-ce questions juives ? "

Papon " Je ne sais pas. "

Le président Castagnède " Et les mentions manuscrites : " déporté ". Qui est la main ? "

Michel me glisse " Papon va encore nous dire, ce sont des mots qui ne sont plus en usage aujourd’hui. "

Papon " Je ne connais pas. "

Le président Castagnède " Ce document illustre bien la netteté des mesures demandées par Garat et quand on se reporte à l’État des Juifs déportés, dans la liste des hommes, on retrouve Frantz Littaur et Albert Barnathan. Ce service de barrages a été très opérant ? Pour Barnathan et Littaur, n’est-on pas allé au-delà, ils ne figuraient pas sur les listes. On pouvait les sauver ?"

Papon " Il semble. "

Le président Castagnède " Quelle nécessité y avait-il de mettre en place ces barrages ? N’a-t-on pas ainsi favorisé les déportations ? Surtout pour les gens de passage, celui qui vient d’Amsterdam et qui se trouve en France depuis cinq jours. C’est un destin tragique qui le conduit ce matin-là à la gare ! Qu’en pensez-vous ? "

Papon " C’est dramatique. "

Le président Castagnède " Mais, enfin Papon, le Juif Stark à quel titre a-t-il été arrêté ? "

Papon " Il a été libéré à cause de son âge "

Le président Castagnède " C’est évident, mais il n’était pas en infraction, pourquoi a-t-il été arrêté ? "

Papon " Je ne peux pas vous éclairer sur ce point. "

Le président Castagnède " En dehors de Luther et Doberschutz qui ont supervisé l’opération, en dehors de ces deux S.S. [ Schutzstaffel - peloton de protection], les autorités d’occupation n’avaient envoyé sur les lieux aucune troupe ? "

Papon " Je ne sais pas, je ne crois pas. "

Le président Castagnède " J’ai en mémoire ce que vous avez dit, la mitraillette dans le dos. Cela n’a pas l’air d’être le cas ? Derrière chaque inspecteur de police, il n’y a pas de gardien, il n’y a pas de S.S. [ Schutzstaffel - peloton de protection], qui observaient les Français au travail ? "

Papon "Les S.S. [ Schutzstaffel - peloton de protection] Doberschutz et Luther n’étaient pas tendres, ce n’étaient pas des plaisantins, il y avait peut-être la Feld-Gendarmerie pas loin. "

Le président Castagnède "quand la Feld-Gendarmerie agit, elle apparaît clairement. Ce qui veut dire qu’il n’y en avait pas. "

Papon "le plan de Fredou, heu ! Je veux dire Techoueyres suffisait. Je parle du plan du 10. "

Le président Castagnède "il est indiqué enfin qu’un rapport doit être présenté à Doberschutz aujourd’hui 16 juillet à 16 heures. Vous pouvez en parler ? "

Papon "je suppose que ce rapport à pour objet de rendre compte du déroulement des opérations. "

Le président Castagnède "c’est une note d’information. "

Papon "c’est la même note qu’on a déjà vu, sous couvert du secrétaire général mais cette fois, elle n’est pas adressée à l’intendant régional de police. Il s’agit d’une note complémentaire. "

Le président Castagnède "ce n’est pas tout à fait le reflet des mêmes opérations. Celle du 16 a trait aux personnes arrêtées. Celle du 18 relate les faits relatifs à la préparation des convois et à la déportation de cent soixante et onze Juifs pour la région. Le 17 juillet à 1942 à 14 heures, les effectifs suivants étaient concentrés à Mérignac : Juifs arrêtés dans le département de la Gironde : soixante-dix ; Juifs déjà internés à Mérignac : trente-trois ; Juifs transférés du fort du Hâ : vingt-deux ; Juifs de Mont de Marsan : vingt-deux ; Juifs de Dax : douze ; Juifs des Basses-Pyrénées : cinquante-deux. Un examen a été opéré par le lieutenant Doberschutz. (...) Au résultat de cet examen, vingt-quatre personnes ont été exemptées de la déportation. dix pour leur nationalité, dix pour le caractère aryen de leur conjoint, quatre pour des raisons de maladie ou d’infirmité. J’ai obtenu que le cas de deux Juifs, dont un particulièrement intéressant (nombreuses décorations) soit classé sans examen. Sur la liste définitive, il convient de noter le cas de deux Juifs, déportés en dehors des règles. Uhry Maurice, français et Stern Paul, belge et trente-trois Juifs français malgré les protestations de Garat. Papon, dans ce document, on emploie quatre fois le mot " déportation " ? Que pouvez-vous nous dire de ces 24 Juifs sauvés ? Ils l’ont été à l’examen de Doberschutz ? "

Papon " La loi du plus fort est toujours la meilleure. "

Mon père rajoute " Sauf avec nous ".

Puis Papon fait trois observations principales que j’avoue ne pas avoir notées...

Le président Castagnède " Papon, avez-vous donné des directives particulières à Garat ? "

Papon "non aucune particulière, mais il devait négocier à tout prix. Je ne vois pas de reproches à lui faire à l’époque ou maintenant. Je sais, on me dira les vingt-quatre n’étaient pas Juifs ou pas déportables. Mais, sans nous, ils n’auraient pas été sauvés. "

Le président Castagnède "vous avez dit que vous nous diriez les noms des Juifs que vous avez sauvés ? Alors, c’est le moment ! "

Papon " à partir du chiffre initial, on en n'a déporté que cent soixante et onze. "

Le président Castagnède "donc, de deux mille, vous en avez sauvé mille huit cents et quelques ? "

Papon "pas deux mille, quatre cents. Sur quatre cents, Oui. On en a arrêté cent soixante et onze et sauvé le reste. Il y a eu ce sérieux déchet, je reprends les termes, il y a eu les vingt-quatre sauvés, il y a eu les fuites grâce à nous. "

Les parties civiles "oui, grâce aux barrages !! "

Maître Varaut "je produis une lettre du centre de documentation juive, datée du 15 juillet 1942, du chef du service des questions juives de Paris. Bref elle n’amène pas grand chose. Maître Boulanger veut intervenir mais le président Castagnède refuse pour terminer son interrogatoire.

Maître Boulanger "nous n’avons pas l’égalité des moyens avec la défense. "

Et avant que Maître Varaut n’intervienne, le président Castagnède les reprend tous les deux.

Le président Castagnède " j’entends mener à bien cet interrogatoire, arrêtez vos effets de manche ! " Il relit la lettre de Varaut. Cela n’apporte rien.

[ Ici, image du document ]

Puis il donne lecture d’un autre document qui évoque le départ des trains à 8 h 53 le 18 juillet. Quel est votre commentaire ? "

Papon "la dernière phrase a été changée par le secrétaire général. Je reçois sous couvert, donc je suis informé. "

Le président Castagnède "quand un magistrat adresse un rapport sous couvert, il passe sous cette couverture-là, si c’est tel que vous dites, c’est que les mots n’ont pas les mêmes sens. "

Papon bégaye, tousse.

J’entends Jackie qui dit "dis Papon, pourquoi tu tousses ! "

Le président Castagnède "je vous reprends, toutes les pièces, sauf une, ont transité sous votre contrôle. Une fois encore, je vous interroge, vous dites qu’elle est sous votre couvert et que vous ne l’avez pas vu. J’enregistre votre réponse. "

Papon "ce fut une erreur regrettable... "

Le président Castagnède s’énerve et le reprend " Soyons sérieux, ne dites pas n’importe quoi. Continuons, les prisonniers justiciables de la déportation, je ne voulais pas employer ce terme, mais je n’en vois pas d’autres plus appropriés, ils quittent à 6 heures 30 Mérignac.

Le 17 juillet, vous écrivez au chef de gare : " il convient de retenir pour le 18 juillet courant de wagons de voyageurs nécessaires pour le transport d’environ deux cents personnes. Le lieu de destination est maintenant précisé. Il s’agit de Drancy. "

Papon " A tout prendre, il vaut mieux affréter des wagons de voyageurs que des wagons à bestiaux. Je ne pense pas que ce geste soit constitutif d’un crime contre l'humanité. "

Juliette " Il faut voir ce que c’était comme wagons de voyageurs, il n’y avait pas d’ouvertures, que deux portes, etc. "

Le président Castagnède " C’est le service des questions juives qui commande le train ? "

Papon " Oui. "

Le président Castagnède " Avant cette opération, c’était le commissaire qui retenait les wagons, par exemple dans le cas de Léon Librach. Pourquoi est-ce vous maintenant ? "

Papon " Sabatier a pris en charge ce point, et a fourni des wagons de voyageurs. Je ne conteste pas le bien-fondé de ce document. "

Le président Castagnède " Montrez le document du chef de gare. (...)

Je vais maintenant vous montrer un ordre de mission spéciale, signé par Garat pour Techoueyres. Ces deux documents répondent bien aux recommandations de Garat. "

Papon lit un document pour répondre, mais se trompe de convoi. Il parle d’août.

Maître Varaut " Vous constatez que mon client est fatigué. "

Le président est très en colère après la défense. " Non, Maître Varaut, quand un conseil tend une pièce à son client et que le client lit un mauvais document, c’est le conseil qui est fatigué, pas l’accusé. Alors faites attention, je conçois qu’un conseil tende une pièce à l’accusé, mais qu’il ne me dise pas que l’accusé est fatigué. "

Maître Vuillemin veut parler.

Le président Castagnède " Vous n’avez pas la parole Maître Vuillemin, vous l’aurez suffisamment après. "

L’interrogatoire s’interrompt pour la deuxième fois, suite à un malaise d’un juré. A la reprise, le président Castagnède termine de parler du document donnant une mission spéciale à Techoueyres. Papon conteste toujours que Techoueyres est sous les ordres de Garat. A un moment, le président Castagnède reprend Papon sur le principe de l’autorité : " Un jour vous dites que vous signez par délégation du préfet et que ce n’est pas vous le responsable. Mais quand il s’agit de Garat qui signe par délégation du secrétaire général, vous dites que là aussi, vous n’êtes pas responsable. Il y a égalité des deux. Si c’est vrai dans un sens, alors c’est vrai dans l’autre. Garat a toujours signé sous vos ordres. " " Techoueyres à cause de cette note est lui aussi sous vos ordres. Papon s’enlise, donne dans le Kafka, provoque l’hilarité de la salle : " Techoueyres est le chef du convoi. "

Le président Castagnède termine sur une lettre de félicitations du préfet : " J’ai l'honneur de vous prier de bien vouloir transmettre, au personnel sous vos ordres, l’expression de ma satisfaction pour la manière dont a été menée à bien l’opération de police effectuée le 15 juillet ... "

Il y a vraiment des notes de mauvais goût.

Le président Castagnède conclut enfin en citant les noms des personnes concernées par les plaintes déposées contre Papon :

" Henri, Hirsch Alisvaks, né le 2 mars 1909 à Riga (Lettonie),

Antoinette Matisson épouse Alisvaks, née le 4 mars 1912 à Riga (Lettonie),

Jean, Icek Fogiel, né le 6 mai 1907 à Brzeziny (Pologne),

Liba ou Luba, Rachel, Ida Rawdin épouse Fogiel, née le 24 juillet 1907 à Dwinsk (Lettonie),

Abraham, Mendel Husetowski, né le 5 juin 1905 à Tcklinow (Pologne),

Jeannette, Euta Rawdin épouse Husetowski, née le 7 juin 1911 à Langarfit (Lettonie),

Emmanuel Plevinski, né le 23 avril 1908 à Kaucz (Pologne),

Sjajudko Plevinski, née le 22 septembre 1908 à Astrucici (Pologne),

Benjamin Librach, né le 29 janvier 1922 à Varsovie.

Jacqueline Grunberg, née le 23 janvier 1922 à Paris.

Jeanne Locker épouse Grunberg, née le 12 février 1901 à Paris,

Adolphe Benifla, né le 24 septembre 1920 à Bordeaux.

Ces trois derniers noms ont été rajoutés pour faire nombre. C’est en leur nom que vous êtes poursuivi pour complicité d’arrestation, complicité de séquestration, complicité d’assassinat, constitutifs de complicité de crime contre l'humanité. "

Papon " Je suis surpris par ces accusations. À aucun moment, n’apparaît ma signature dans les ordres d'arrestation, d’internement ni de convoiement à Drancy. Je me demande si ce n’est pas le fruit d’une erreur. "

Le président Castagnède " Je me suis contenté d’instruire ces pièces, à vous de voir si c’est à charge ou à décharge. "

Papon " Alors, je verrai avec le Procureur Général Desclaux pour voir s’il n’a pas changé d’avis. " Grand sourire du Procureur Général Desclaux et de l'Avocat Général Robert.


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