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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 09 Février 1998

Quand maître Levy aborde l’essentiel !

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Chronique du 09 février 1998

Quand maître Levy aborde l’essentiel !

Alain Levy

Caroline Daigueperse

Michel Touzet

Maîtres Touzet, Levy et Daigueperse se sont aujourd'hui distingués, le premier en relevant de façon convaincante le zèle criminel du service des questions juives et de Papon, le second en montrant, pour la première fois, que le problème de l’origine des listes était un faux problème, puisque toutes avaient une seule et même source : le fichier du service des questions juives. C’est un point important puisqu’il s’agit là d’un des pans essentiels de la défense qui dit que les Allemands, comme la SEC, avaient leurs propres listes. La dernière, Maître Daigueperse, en s’en prenant à la conscience de l’accusé de crimes contre l’humanité.

Quand Maître Levy aborde avec brio cet aspect, Papon en vient à citer le réquisitoire de renvoi devant la chambre d’accusation. Pendant sa lecture, le réquisitoire de renvoi dit que les faits de janvier 1944 ne doivent pas être retenus contre Papon, on voit le ministère public sourire vers la défense, d’un air de dire, comme ce fameux 10 décembre "à l’écoute pendant deux jours des contradictions de Papon, je dis en conscience que sa culpabilité pour le crime contre l'humanité est totale. ", Là aussi, ce 10 décembre, le réquisitoire n’avait pas retenu de poursuite contre l’accusé de crime contre l'humanité.

L’arrêt de renvoi d’abord, l’oralité des débats ensuite, montrent de façon éclatante la culpabilité de Papon dans l’ensemble des convois. Ajouté à cela, le système de défense adopté par Papon, négationniste au sens propre comme au sens figuré, rajoute à sa culpabilité. Autrement dit, on voit bien que quand Papon dit une chose, pour reprendre Gérard Boulanger, quand il construit son univers fragile, fait de séquences qui "brinquebalent" plus qu’elles ne tiennent vraiment, et s’il le faut avec à l’appui des faux - témoignages, s’il faut avec à l’appui la thèse d’historiens anciens collabos ou de pseudo historiens "mous ", son attitude montre le contraire. Son attitude est à 180 degrés de ses actes. Par exemple, Papon dit "je n’avais aucun pouvoir " et Papon montre comment du fin fond de sa cage de verre, il a une personnalité qui prend le pas sur celle des autres, par moment, même, c’est lui qui semble diriger les débats.

Maintenant, restent pour moi deux questions, une qui exprime un regret : pourquoi tous les convois, pourquoi toutes les victimes ne sont-ils pas imputés à Papon ? En corollaire se pose la question, et si la solution finale avait réussi ? La deuxième que j’exprime avec un brin d’angoisse, est de savoir sur la base de quel chef, nos avocats et le ministère public vont-ils faire leurs plaidoiries et leurs réquisitions contre Papon ? Mis à part les Klarsfeld, qui on le sait, ont toujours dit, ont toujours agi, on l’a encore vu récemment pour une peine de principe, une simple admonestation du style "oh, ce n’est pas bien Monsieur le Secrétaire Général, vous ne le referez plus n’est-ce pas ? ". Mis à part les Klarsfeld et la défense, donc, quelle sera notre demande ? Visera-t-elle une complicité de crime contre l'humanité ou visera-t-elle un crime contre l'humanité ? C’est pour moi, la vraie question qui reste à se poser d’ici le mois de mars. Beaucoup plus importante que celle de savoir, par exemple, si Papy faisait oui ou non de la résistance ?

Maître Vuillemin

Photo R. Baldet

verse une pièce au dossier. À son habitude, la défense verse une pièce qui existe déjà, il s’agit de la confrontation entre Torrès et Dehan, dans le cadre du procès Dehan. " Cette pièce est capitale parce qu’elle prouve que la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a les listes, capitale aussi parce qu’elle montre que l’instruction a été lacunaire. Toutes les pièces ont été saisies, sauf celle-ci. Papon va en parler. "

Le président Castagnède fait distribuer les pièces.

Papon

conteste les pièces du convoi du 10 et 11 janvier 1944, re-cite Asher Cohen : " la preuve irréfutable est introduite par Maître Vuillemin , il s’agit de la confrontation entre Dehan et André Torrès, rescapé d’Auschwitz. Que dit cette pièce ? Se reconnaissent-ils ? Oui, Torrès dit que Mayer avait sa liste et que Dehan avait la sienne. Torrès dit que Mayer avait une liste découpée en bandes de papier, qu’il donne à Dehan. C’est la preuve irréfutable que les Allemands ont donné les listes à Dehan, et toute autre observation serait contraire à la vérité. "

Maître Touzet

" J’ai un premier commentaire à faire, mais je me réserve le droit d’y revenir plus tard. Dans le compte rendu de Joliot, on y lit l’inverse, les listes ont été envoyées le 11 janvier, de toute urgence, à la préfecture. Il me semble qu’on peut y comprendre que les listes sont envoyées par le secrétaire général et les gendarmes renvoient les listes des personnes qui ne sont pas arrêtées. "

un autre compte rendu de gendarmerie

adressé au service des Juifs :

" 3° -Transférement à Bordeaux à la Synagogue

de quatre Juifs arrêtés par la brigade

4° -Transférement à Bordeaux à la Synagogue

de huit Juifs arrêtés par la brigade "

Maître Varaut

" C’est malhonnête. "

Le public proteste.

Le président Castagnède

" Ça suffit, vous aurez la parole après. Sur le document remis, on voit l’équipe Mayer - Dehan qui fonctionne bien, que cette équipe ait les listes le soir des arrestations ou non ! Mais comment peut-on en déduire que ce n’est pas la préfecture, qui a remis les listes dans l’après-midi ? Aucune démonstration n’a été faite. L’ensemble des arrestations du 10 et 11 ont été faites par la police française. Maître Varaut, si vous le désirez, c’est à vous. "

Maître Varaut veut revenir sur deux pièces déjà montrées, le président refuse de les diffuser, sous prétexte qu’elles ont déjà été montrées. Varaut se plaint que Touzet ait pu en parler et pas lui. Touzet intervient alors pour dire que ce n’est pas lui, mais l’accusé qui a parlé le premier de la pièce. "

L'avocat général Robert

" Nous savons que les arrestations sont commises par les Français et par les Allemands. A Mont de Marsan et à Bayonne, ce sont les Allemands. Dans la campagne Girondine, ce sont les gendarmes français. A Bordeaux et dans son agglomération, ce sont la police française, la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] et les Allemands. Quoi de plus normal ? Quoi de plus normal de dire que les arrestations faites par les Allemands sont faites sur leurs listes ? On est d’accord, mais de là à en déduire que toutes les arrestations sont faites sur leurs listes, on va trop loin. Dans le document, que la défense présente, on n'évoque que les listes des Juifs arrêtés par les Allemands. On ne dit rien des autres listes ? "

Papon "quel sens donne alors l'avocat général au fait que, quand la préfecture réclame les listes, cela signifie qu’elle ne les a pas puisqu’elle les réclame. "

Le cœur des avocats des parties civiles : "elle réclame les listes de retour. "

Le président Castagnède " Si les jurés et la cour veulent voir ces documents. C’est normal qu’il y ait des avis contradictoires dans une cour d’assises. "

L'avocat général Robert "pourquoi ces listes ont-elles été demandées au service des questions juives ? On demande le retour d’une liste pour faire un examen contradictoire. Le 11, on demande le retour des listes et peu importe son origine pour réaliser un examen contradictoire. "

Maître Vuillemin revient sur la pièce et dit le contraire.

Maître Nordmann

Photo R. Baldet

" Monsieur le Président, je désire intervenir pour attirer l’attention de la cour et du jury de l’époque dans laquelle nous vivions, l’accusé a dit vouloir ouvrir le parapluie pour l’histoire. Là, c’est une pièce interne manuscrite signée par lui [le fameux compte rendu signé par le club des cinq ], elle montre les relations de Papon avec le préfet, elle montre le rôle opérationnel de Papon sur le service des questions juives. Quand on voit les relations de Papon avec le Sipo SD et enfin, quand on évoque les prétendus sauvetages de Papon et du service des questions juives, on voit bien que Papon parle pour le préfet, en son nom, et il ajoute même si cela ne suffit pas, lui Papon, il ira voir Doberschultz et lui parlera au nom du préfet. Alors quand on entend dire : " lui c’est lui, moi c’est moi ". Non, on voit que la réalité des pièces prouve le contraire. Deuxième point, les mesures que prend l’accusé, en faveur des Juifs, on est à une époque où on attend la libération par les alliés, Papon écrit : "j’interviens auprès de Doberschultz ". Cela prouve encore qu’il travaille de façon étroite avec le service des questions juives et les SS. Alors quand Papon dit : " Garat c’est Garat ", cela ne tient pas non plus. Troisième point, Papon se présente auprès de l’adjoint des SS Nährich, on est loin du fusil dans le dos. Quatrième point, Papon écrit : "il faut libérer de Mérignac ", il ne dit pas : " il faut essayer de libérer", il dit : "il faut libérer", cela prouve qu’il a un pouvoir direct sur le camp de Mérignac. Cinquième point, Papon dit "il faut aborder maintenant le sauvetage des Juifs ". Si Papon dit maintenant, je rappelle que nous sommes le 12 janvier, pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant ? "

Papon "le patron, c’est le préfet, j’obéis... " un dialogue s’instaure entre Papon et Nordmann sur ces différents points, Papon nie l’ensemble des points soulevés par Maître Nordmann.

Maître Touzet "j’ai une première question à l’accusé, il s’agit du problème du lieu de rassemblement. Quand l’accusé a-t-il appris le choix par les Allemands de ce lieu hautement symbolique ? Je rappelle que c’est la seule fois, dans toute l’Europe occidentale, que les Juifs sont parqués dans leur Synagogue. Nulle part ailleurs, ils ne subissent un pareil affront. "

Papon "il s’agit d’une vengeance des Allemands contre l’évasion du grand Rabbin Cohen. "

Maître Touzet " Papon est le chef du service des questions juives ; s’est-il rendu à la Synagogue ? "

Papon "non, c’était à Dubarry d’y aller. "

Maître Touzet "je note l’absence totale de Boucoiran, à qui on remet le paquet cadeau, excusez-moi l’expression, du service des questions juives de Papon. Duchon est à la Synagogue à 13 h 15. Quand l’accusé est-il prévenu par Sabatier ? "

Papon "sur l’absence de Boucoiran, que puis-je dire ? Je pense que ce n’est pas à charge contre moi. Quand à savoir quand et par qui je suis au courant ? C’est Dubarry qui m’en informe. Lui-même l’a appris par l'intendance régionale de police. "

Maître Touzet " Papon, vous vous êtes chargé d’un certain nombre de démarches. Quels sont les ordres, quelles sont les instructions que vous avez données au service des questions juives ? "

Papon "quelle est la question ? "

Maître Touzet "vous vous êtes chargé d’un certain nombre de démarches. Quels sont les ordres que vous avez donnés au service des questions juives ? "

Papon "c’est Dubarry qui était chargé de toute l’intendance. "

Maître Touzet "je prends acte de la réponse, et je demande à la cour et aux jurés de la noter. Tous les efforts de la préfecture ont permis de gagner une heure cinq. L’accusé a toujours dit qu’il faisait le maximum pour sauver les Juifs. Aussi, je me demande si la préfecture, dès qu’elle reçoit les instructions des Allemands, n’est pas déjà sur le pied de guerre. On a les témoignages de Saufrignon, ils ont vu les listes dès 17 heures ; à une heure, je le rappelle où on est encore très loin de la réponse attendue de Vichy. On a la déposition de Lacoste, lui, il est au courant des listes à 18 heures. On voit que le service des questions juives s’est déjà mis en branle. Et franchement, je ne crois pas qu’il se soit mis en branle tout seul, de lui-même. Dès avant les opérations, le service des questions juives a pris les mesures nécessaires. Pourquoi ce zèle du service des questions juives ? Pourquoi le service des questions juives est-il prêt avant même que vous n'ayez l’accord de vichy ? Pourquoi ce zèle ? "

Maître Varaut "la position de Maître Touzet est contraire à celle du réquisitoire. "

Papon "la thèse du parapluie est odieuse, ce n’est pas de la frénésie, Maître Touzet ne maîtrise pas ses termes et persiste dans l’erreur volontaire. Le service des questions juives n’est pas opérationnel. Mais il joue un rôle humanitaire, Maître Touzet serait sage de mettre le mot zèle au grenier. "

Maître Touzet "je souhaite verser trois pièces, je pensais qu’elles étaient au dossier, je rejoins ce que disait à ce sujet Maître Boulanger, elles étaient au premier dossier et je croyais qu’elles figuraient dans le dossier. Il s’agit de Monsieur Neveu, d’Arcachon. La première pièce est une lettre du maire d’Arcachon, il est très traumatisé par ce qui s’est passé dans sa commune, l’arrestation des Juifs, Meyer, Lopez et Neveu, et il donne des observations sur le cas litigieux de Monsieur Neveu. Deuxième pièce : le service des questions juives informe la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] le 14 janvier, et conclut de façon formelle que Monsieur Neveu Georges est non-Juif. Que va faire alors la préfecture ? La préfecture ne va rien faire sur le cas Neveu jusqu’à début février 44. Elle écrit au gouvernement, au sujet du cas Neveu. Autrement dit, la préfecture est au courant depuis le 14 janvier, mais on ne fait rien. Et en avril, on reçoit une lettre de Doberschultz qui dit, il n’y a plus rien à faire. Je rappelle que Neveu a été gazé à son arrivée à Auschwitz, on a encore là, la preuve d’une carence évidente du service des questions juives et de la préfecture. Quelles observations peut faire l’accusé à cet égard ? "

Papon "Monsieur le Président, quitte à me répéter, il a été compris illégitimement dans ce convoi. Il y a eu une intervention sur place et au gouvernement le 11 janvier et un rappel le 3 février. Maître Touzet cite la lettre du maire d’Arcachon, il a le talent de ne pas lire les pièces en entier quand ça l’arrange. Il est dit qu’il est requis pour le STO, qu’il est demi-Juif. "

Le président Castagnède " Pourquoi, alors, quand il est arrêté, il est conduit à Drancy, est-ce que Drancy est le camp de transit pour le S.T.O. [Service du Travail Obligatoire] ? "

Papon reste sans voix.

Le président Castagnède " Oui, on verra que beaucoup de Juifs qui sont revenus de Drancy, vont être amenés à Bacalan pour travailler à la base sous-marine. J’ai un avocat qui demandait la parole, mais il n’est plus là. "

Les avocats pour demander la parole appuient sur le bouton de leur micro que le président visualise sur un pupitre. Quand un avocat intervient la lumière de son micro s'éteint. Mais pendant les audiences, les avocats quittent souvent la salle d'assises, en particulier les fumeurs et les possesseurs de téléphones portables.

Maître Levy

" Je reviens sur le cas évoqué par le procureur général Desclaux, il s’agit des Juifs de Bayonne. Papon réclame les listes des Juifs de Bayonne, les listes sont transmises par la sous-préfecture de Bayonne avant la rafle, et cela contrairement aux affirmations de Papon jusque là. On a vu que la gendarmerie n’a pas participé aux arrestations des Juifs à Bayonne. Mais si on compare la liste de la préfecture avec celle des personnes arrêtées par les Allemands, on a huit noms identiques. Ces huit noms étaient visés dans le document de la sous - préfecture de Bayonne, avant la rafle et se retrouvent dans la liste des Juifs arrêtés. Alors, compte tenu de cette coïncidence, cela montre que cette liste envoyée par la sous - préfecture a bien été remise aux Allemands. Il n’y a pas d’autres explications. "

Papon "et moi, je soutiens le contraire de façon catégorique et absolue. On peut dire tout aussi bien le contraire, il y a sur la liste des gens arrêtés, des gens qui ne sont pas sur la liste de la sous - préfecture de Bayonne. Joliot l’a dit aussi. "

Maître Lévy "vous soutenez donc que les Allemands ont les listes et les noms sans que la sous - préfecture ne les remettent ? C’est bien ça ? "

Papon "c’est en tout cas une des hypothèses. "

Maître Levy "c’est une des hypothèses. Alors, comment expliquez-vous que la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] ait ses propres listes ? "

Papon "excusez-moi si on revient en arrière... "

Le président Castagnède " La question qu’on vous pose est bien de savoir si la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a ses propres listes ? "

Maître Lévy "oui, c’est une question qui n’a jamais été abordée. "

Le président Castagnède " En janvier 1944. Pas pour les autres convois, on a déjà traité la question. "

Franchement, et comme Maître Levy, je n’ai pas le souvenir que cela ait été fait de façon réelle et approfondie.

Papon "la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a fait son propre recensement. "

Le président Castagnède " Non, la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] n’a pas fait son propre recensement. "

Papon "et celui pour le port de l’étoile jaune ? "

Le président Castagnède " Non, on a vu où on donne l’étoile jaune, au service des questions juives et dans les commissariats de police. "

Papon "la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a ses listes et son fichier. "

Maître Levy "vous êtes bien d’accord, alors, ce qui va permettre à la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] d’établir ses fichiers, c’est le recensement effectué par le service des questions juives ? "

Papon "je n’ai pas compris la question, mais je sens le coup venir. "

Maître Levy répète la question.

Papon "non "

Maître Levy "alors comment la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] élabore-t-elle son fichier ? "

Papon "à droite, à gauche, par tout moyen. "

Maître Levy "Ah oui, elle fait du porte-à-porte en prenant les noms à connotation juive ? "

Papon "la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a sa propre liste, ce qui n’empêche pas Dehan de la comparer avec la nôtre. "

Maître Levy " Papon, vous ne répondez pas aux questions, vous répondez pour la cour et le jury, pour moi, ce n’est pas grave, mais pour la cour, oui. "

Papon "ce doit être dans le dossier Dehan, je ne sais pas moi. "

Maître Levy "quels commentaires de votre fichier, le service des questions juives donne-t-il à la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] ? Les informations sur les radiations, sur l’aryanisation, sur les déportations, sur les changements d’adresse, sur les radiations ? "

Papon " ... "

Le président Castagnède " J’ai retrouvé les pièces Neveu, elles étaient bien dans la procédure. "

Maître Levy "la note de service signée Garat [elle est diffusée ], l’accusé maintient-il que la préfecture n’a pas transmis d’informations à la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] pour gérer son fichier. "

Papon "non, je le maintiens ". Papon cite le réquisitoire de renvoi : "il dit la même chose ". Il cite une lettre du délégué aux questions juives, qui écrit à sa hiérarchie : " je fais établir les fiches des Juifs des Landes, celles de Mont de Marsan sont prêtes, celles de Dax le seront bientôt, celles des Basses Pyrénées le seront après, celle de la Gironde et de Bordeaux, les Allemands les ont déjà. ". Papon cite enfin, les experts de la première procédure : "la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] possède un fichier, qui semble doubler le registre du service des questions juives ". Quoi qu’il en soit, si la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a pris comme source le fichier du service des questions juives, c’est à une époque, je le déplore pour Maître Levy, où je n’étais pas encore à la préfecture. "

Maître Levy "c’est votre lecture des documents, vous êtes bien d’accord avec moi, la communication des listes aboutit à fournir les adresses des Juifs qui seront arrêtés et déportés ? Alors pourquoi la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] demande-t-elle au service des questions juives la fourniture des listes ? "

Papon "j’ai déjà répondu. "

Maître Levy "voici une autre pièce, Dubarry écrit à la SEC, c’est signé Papon : "je continuerai à fournir les informations " "

Papon "on aborde là le problème des relations avec la SEC. "

Maître Levy "dans le rapport de la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] du 30 août 1943, il est indiqué "dossiers provenant de la préfecture ", donc, ce rapport mensuel indique clairement que le service des questions juives envoie des dossiers à la SEC, comment l’expliquez-vous ? Le récusez-vous ? "

Papon "le premier devoir de la préfecture était de notifier les radiations et de mettre à l’abri les radiés. "

Maître Levy "vous extrapolez, on parle de la révision des dossiers et des enquêtes. Vous êtes toujours d’accord Papon ? "

Papon "en quoi, cela apporte-t-il quelque chose à notre dialectique ? "

Maître Levy "la cour se fera sa religion. "

Papon "s’il y a des documents nuisibles, on ne les communique pas. "

Maître Levy "pourtant, selon votre bible, la note de Dubarry, vous fournissez les dossiers qui commencent par les lettres de A à D ? "

Papon "c’est tout le contraire. "

Papon va mal alors Maître Varaut intervient.

Maître Levy "la note dit bien : "communiquez les feuilles des dossiers de A à D " ? Dehan confirme, en disant "la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a toute latitude pour consulter le fichier du service des questions juives. ". "

Papon "c’est tout le contraire, vous tirez vos arguments comme des chewing-gum. "

Malheureusement, on n’aura pas la prononciation paponesque du terme, là aussi, contrairement à ses propos, quand il se présente comme pro américain, sa prononciation de chewing-gum semble prouver une certaine aversion de l’américain. Plus tard, Arno Klarsfeld imitera sa prononciation.

Une fois de plus, Papon prouve par ses actes le contraire de ses mensonges quotidiens. Comme lorsqu'il répond " C'est le Roi de Prusse " quand il refuse de répondre à une question précise ou " C'est parce que j'ai les yeux bleus " quand on lui demande pourquoi Laval voulait le nommer au poste de Bousquet pour la zone libre. Au delà de l'humour, on retrouve toute la tradition Aryenne. Papon est vraiment un bon à rien.

Maître Levy "le général Stienne [procès Luther ] l’a confirmé dans sa procédure, la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] prenait ses sources dans le fichier du service des questions juives. "

Papon "n’importe quoi. "

Maître Levy "la cour appréciera. Maintenant, comment les Allemands ont-ils leur fichier ? "

Papon " A partir de celui de la Feld-Kommandantur, je n’étais pas là. "

Maître Levy "comment la Feld-Kommandantur a-t-elle ses listes ? "

Papon "je n’en sais rien, je n’étais pas là, peut-être à partir du recensement. "

Maître Levy "c’est le seul point sur lequel je serai d’accord avec vous. Mais s’il y a recensement, il y a service des questions juives. "

Papon "je ne sais pas, je n’étais pas là. "

Maître Levy "la cour appréciera. Papon ne nie pas, il laisse la possibilité que ce soit bien le service des questions juives le fournisseur. "

Papon "... "

Maître Levy "la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] a dû aussi fournir des pièces ? "

Papon "certainement, mais Maître Levy ferait mieux de... "

Là, j’avoue ne pas avoir noté la suite, Papon ironise Maître Levy le reprend. Le président Castagnède intervient et coupe Papon.

Maître Levy "voici le document de la S.E.C., [Section d'Étude et de Contrôle] à Doberschultz, en août 1942. " Il le cite : "on voit bien que la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] fournit aux Allemands des informations à partir des éléments fournis par le service des questions juives. "

Papon "ils en étaient parfaitement capables. "

Maître Levy "donc, on vient de voir un point important : les Allemands ont des listes à partir de la S.E.C. [Section d'Étude et de Contrôle] et peut-être aussi du service des questions juives. Le service des questions juives était l’outil pivot de la S.E.C. et des Allemands puisqu’il avait toutes les informations. "

Papon "c’est vox clamens in deserto, il est inutile de débattre avec Levy. " Une voix du public réagit, elle aussi à l’adresse de Papon : " il fallait déserter. " Elle devance mon père qui surpris se retourne pour voir qui l'imite ainsi.

Vient le tour de Maître Klarsfeld, il parle d’abord de Limoges, d’Ingrand qui disent ou refusent d’arrêter les Juifs qui n’ont pas commis d’infraction. " Papon, vous êtes d’accord, tous les Juifs français que vous avez fait arrêter, mis à part les enfants, ont commis des infractions ? "

Papon "ce sont les Allemands de A à Z. "

Maître Klarsfeld "ce qui explique que vous versiez des larmes [de crocopapon ] pour un convoi où les Juifs sont arrêtés par les Allemands et un mois plus tard, lorsque les Juifs français sont arrêtés par la police française, là vous ne versez pas de larmes ? Hé ! Oui, Maître Varaut, ce n’est pas la peine de hausser les épaules, c’est la vérité. "

J’avoue que je m’étais posé la même question. Et connaissant l'odieux personnage Papon aujourd'hui, la question de Maître Klarsfeld est loin d’être ironique, je dirais même : " elle est utile.".

Maître Klarsfeld continue : "je ne peux pas croire que vous arrêtiez les Juifs français, que vous parliez des Juifs intéressants ? J’ai une question, à partir de quels textes légaux, vous basez-vous pour arrêter les Juifs français ? "

Papon "aucun texte légal, ce sont les Allemands. "

Maître Klarsfeld "non, les Juifs français sont arrêtés par la police française. "

Papon "vous oubliez qu’on est en guerre. "

Maître Klarsfeld "c’est la préfecture qui saisit la police. "

Papon "non, ce sont les Allemands qui prennent possession directement de la police française. "

Maître Klarsfeld "vous avez fait du droit, vous êtes allé sur les bancs de l’Assemblée Nationale, alors à partir de quelles lois, la police française agit-elle ? "

Papon "il faut refaire, tout redire : ce sont les Allemands. "

Maître Klarsfeld " A partir de quelles lois, la police française agit-elle ? "

Papon "vous faites une erreur sur le processus, vos soucis sont louables, mais nous sommes en guerre, il n’y a plus de lois. "

Maître Klarsfeld "quand Sabatier refuse d’arrêter les Américains, il refuse et ensuite il informe le gouvernement ? "

Papon "on n'a pas les mêmes pensées. "

Maître Klarsfeld "oui, vous en avez des arrières. "

Papon "il n’y a plus de lois. "

Maître Klarsfeld "oui, je veux bien, éventuellement pour les Juifs étrangers, mais pour les Français, c’est totalement illégal. " Il cite un texte " Il n’y a pas de crimes quand les faits ont suivi la loi à la lettre, le reconnaissez-vous ? "

Papon "je ne suis pas concerné, je suis à côté des faits. "

Et voilà, Papon nous refait un aveu, mais personne sauf Arno Klarsfeld ne le relève. Sauf Arno et Varaut qui louche d'un œil ébahi sur son client. Je ne sais pas ce qu'il pense à ce moment, mais son regard signifie clairement : " Ha s'il pouvait moins parler. Ha, s'il pouvait se taire de temps en temps."

Maître Klarsfeld "oui, même votre conseil est surpris par vos propos, il se retourne vers vous [l’air ébahi]. Êtes-vous d’accord pour dire que c’est se rendre complice en toute connaissance de cause, même sans en connaître les conséquences. "

Papon "comment voulez-vous que je vous réponde ? En droit ou en morale ? "

Une voix du public, mon père je crois, " et en homme ? "

" En droit, c’est la pagaille, en morale, je vais répéter mes accusations contre l’arrêt de renvoi. "

Maître Klarsfeld "oui, en droit, c’est comme en chewing-gums. "

Maître Klarsfeld reprend la même prononciation que Papon.

" Vous avez lu Platon, il dit : "je préfère subir l’injustice que la connaître. "

Papon "je suis intellectuellement très faible, pouvez-vous répéter ? "

Maître Klarsfeld "vous qui lisez Platon, il dit : "je préfère subir l’injustice que la connaître. "Alors préférez-vous le poids de l’injustice que vous subissez ou le poids de l’injustice que vous faites subir ? "

Papon "vous ne savez pas ce que c’est que de perdre la guerre... "

Maître Daigueperse revient sur les conditions inhumaines, qui régnaient à la Synagogue : "j’y reviens après Maître Levy, vos réponses ne sont pas satisfaisantes. Le 4 février, vous avez répondu les convois de novembre, octobre et décembre ont produit un choc dans la population française. Le lendemain, devant le procureur général, vous dites que vous mettez en route la croix rouge et l’assistance, votre version est une fois de plus démolie par le témoignage de Madame Moch. Vous parlez de pleurs à Noël 1943, vous parlez de sauvetage, mais devant le parquage des Juifs dans leur temple, parce que le grand Rabbin Cohen avait échappé à l'arrestation, que faites-vous ?

Caroline Daigueperse

Pourquoi ne vous êtes-vous pas précipité à la Synagogue ? Vous n’étiez déjà pas allé au camp de Mérignac, pourquoi n’êtes vous pas allé à la Synagogue ? C’est à six minutes à pied de la préfecture. Je ne vous comprends plus, Papon ! "

Papon "je me dois de répondre, surtout à cette voix... ".

Tout au long du dialogue avec Caroline Daigueperse, le ton de Papon est marqué par une certaine émotion. Est-ce cette voix ? Est-ce le fait de recevoir une leçon de morale par une jeune femme ? Est-ce un souvenir qui rejaillit à la surface de sa mémoire ? Toujours est-il que Papon pour une des rares fois dans ce procès semble touché. C'est clair, Papon semble touché quand il est confronté aux femmes. On l'a bien vu avec Juliette Benzazon ou avec Ginette Chapel, il n'a jamais prononcé une parole sur sa mère. Papon a un problème avec les femmes. C'est évident. On sent la frontière des aveux proches. Dommage que Caroline n'ait pas poursuivi dans ce sens. Je suis sûr qu'il y avait quelque chose à en tirer, un aveu, un regret.

" Dans cette procédure, on est parfois obligé de dire des choses qu’on préfère garder dans son cœur. Cependant pour ne pas garder le silence, je donnerai à certains, un témoignage d’humilité, c’est la vie qui m’a appris le courage et c’est le courage qui m’a amené ici. Si je n’avais pas eu ce courage, je ne serais pas là. Je n’ai plus la sensibilité d’un jeune homme de trente ans. "

Maître Daigueperse "votre réponse me fait penser au témoignage de Michel Cohen quand il a rappelé que lorsque le grand Rabbin Cohen frappe à la première porte, on lui dit : "que Dieu vous assiste. ". La lâcheté dont vous avez fait preuve en janvier 1944 n’est elle pas blâmable ? "

Papon "je suis un vieux " barbeau ", et ce n’est pas une jeune qui va me faire la morale, qu’auriez-vous fait, vous ? "

Maître Daigueperse "vous êtes un vieux " barbeau " de quatre-vingt-sept ans, mais aucun des membres de ma famille n’a participé à la déportation. Vous n’avez jamais été à Mérignac, vous n’avez jamais été à la Synagogue. Continuez-vous à dire, Papon, comme vous l’avez affirmé devant le juge Léotin, que la Synagogue a été le centre des actions humanitaires ? Le regrettez-vous aujourd'hui ? "

Papon "je maintiens absolument mes propos. "

Dans le public, on entend plusieurs "Salaud ".

Maître Daigueperse "la Synagogue a été le centre des actions humanitaires ? Vous le maintenez ? "

Papon "oui, Madame Moch l’a dit. "

Maître Daigueperse "en quoi, la préfecture a-t-elle participé ? "

Papon "relisez le dossier. "

Maître Daigueperse "il n’y a rien dans le dossier. "

Papon "vous lisez fort mal. "

Maître Daigueperse "il n’y a rien, vous êtes resté derrière votre bureau, la préfecture fournit un bol de bouillon. L’UGIF, elle agit sous la pression, mais en quoi la préfecture agit-elle sous la pression ? "

Papon "vous dérapez. "

Maître Daigueperse "c’est vous, Papon qui dérapez depuis 1942 ! Le procureur général Desclaux vous a interrogé sur l’obéissance, vous avez dit prendre le risque de la désobéissance, vous avez déclaré être en solidarité avec Sabatier. Alors quelles sont les limites de votre solidarité avec Sabatier, quand on connaît le sort final, quand on sait la déportation, quand on sait l’extermination de personnes pour le seul fait d’être nées juif ? "

Papon "vous vous trompez d’objectif. "

Maître Daigueperse "quelles étaient ces limites sur le terrain moral ? Vous avez dit à Klarsfeld que vous vouliez répondre sur le terrain moral. Quelles sont les limites que vous aviez fixées à votre solidarité ? "

Papon "vous les lirez dans mes mémoires. "

L’audience se termine par les interventions de Maître Boulanger et de Jacob, Gérard Boulanger revient sur le compte rendu co-signé par les cinq responsables de la préfecture : "sorte d’assurance qui liait les cinq entre eux ". Il revient également sur deux des personnes que Sabatier et Papon appellent au ministère à Paris, "deux grands défenseurs des Droits de l’Homme " : Lemoine et Parmentier, anciens préfets de Rouen et de Marseille et auteurs des premières rafles...

Francis Jacob pose une question intéressante : combien Papon gagnait-il en 1942 ? Une étude sur le coût de l’argent en 1942 sera bientôt sur le site, elle est réalisée par René Panaras. Elle nous permettra de savoir ce que représente réellement le montant des tirelires qu’on confisquait aux enfants à Mérignac ou encore à quoi correspondaient les huit mille Francs pour un passage de la ligne de démarcation. Papon ne répond pas, Maître Varaut s’étonne du pourquoi de la question. Le président Castagnède en profite pour rappeler que, dans le cadre de la procédure criminelle, les avocats n’ont pas à se justifier. Quoi qu’il en soit, on croit savoir que le passage de la ligne de démarcation pour une personne correspondait à peu près au salaire mensuel de Monsieur le secrétaire général ! Ce qui est déjà beaucoup pour une personne, mais comme l’a dit Juliette Benzazon, énorme quand on considère une famille entière.


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Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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