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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 08 Janvier 1998

Thérèse Stopnicki «Je suis toute seule, j'ai tout perdu. Je n'ai jamais eu de fratrie ni de famille, je suis seule. »

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Jeudi 8 janvier 1998

Thérèse Stopnicki «Je suis toute seule,

j'ai tout perdu. Je n'ai jamais eu de fratrie

ni de famille, je suis seule. »

René Jacob et sa maman déportée.

Rachel Stopnicki, déportée

Nelly Stopnicki, déportée

Moïse et Adolphe Bénifla déportés

Salomon Drai déporté

Gilles Drai déporté

L’audience d’aujourd’hui est très forte en émotion avec les dépositions de quatre parties civiles. Gérard Boulanger plante bien le décor en ce début d’audience, quand il rappelle les similitudes entre Papon et les criminels nazis. Comme l’explique Gérard, nous sommes bien devant un problème de conscience, ou plutôt, en ce qui concerne Papon, d’absence de conscience. Papon n’est pas un homme sans cœur, c’est un individu (je ne sais pas si le terme d’homme lui convient, Yves Jouffa d’ailleurs l’a traité de mec) qui n’a plus de conscience, il l’a abandonnée un jour de 42, quelque part sur les rives de la Gironde, aux abords du quartier Mériadeck, haut lieu de ses premiers crimes. Cela me paraît tellement évident que Papon, comme tous les criminels nazis, n’a plus de conscience, car comment pourrait-il vivre avec, sur sa conscience, la gravité de tels actes ?

Maître Boulanger :

" Je souhaite que les débats acquièrent plus de dynamisme, comme le Président Castagnède l’a demandé. J’adhère à son idée, et peu nous importe si les belles âmes rechignent d’un côté ou de l’autre de la barre (...). Nous sommes conscients que ce procès est extraordinaire. C’est la première fois qu’on juge la Shoah et un haut fonctionnaire français, c’est la première fois qu’on en parle devant un tribunal français. C’est normal aussi que ce procès soit si long, les faits reprochés s’étalent sur deux ans, quatre rafles, dix convois, il comprend quarante tomes, six mille cinq cent pièces, quarante mille pages, non cinquante mille pages avec les annexes. Mais que la tâche soit difficile ne nous donne pas le droit de l’accomplir mal. (...) On est soumis à des règles de la procédure judiciaire trop contraignantes, et je remercie encore le président de les avoir assouplies. Monsieur le Président, vous avez pris une bonne mesure en instaurant deux pauses à chaque audience. Deux pauses courtes valent mieux qu’une longue. Enfin, le triple interrogatoire de l’accusé n’amène rien. Pourquoi ?

Parce que son système de défense est paranoïaque, où chaque séquence a sa logique interne, mais où le tout aboutit à un monstre incrédible. Un exemple : Papon explique que Garat est envoyé à Drancy pour voir comment peut s’opérer le sauvetage d’un maximum de Juifs. Et hier, Papon nous dit qu’à Drancy, soit Garat n’a rien vu, soit il n’a rien dit, soit lui n’a pas entendu Garat. Alors, à quoi bon attendre un aveu ou un regret qui ne viendront pas ? En regardant le témoignage de Frossard, hier, j’ai eu une révélation, je vais lire un extrait que j’ai noté et il suffit de remplacer Barbie par Papon et parti nazi par État français : " J’ai vu et crois avoir compris comment on fait des Barbie. En général, ce sont des médiocres qui ont donné leur conscience au parti, mais totalement, qui ont fait abdication totale de leur conscience personnelle, propre. Elle a été mise en dépôt au siège du parti nazi et on ne la recouvre jamais. En échange, le parti vous désigne le bien et le mal et il vous donne le pouvoir, un pouvoir de vie et de mort sur votre semblable. L’abandon de votre conscience vous vaut ce surcroît de puissance que vous n’obtiendrez jamais par vos propres moyens. C’est comme cela que ça se passe et c’est pourquoi les Barbie, en général, ne manifestent aucune espèce de regret ni de repentir ; ils n’ont jamais récupéré leur conscience, elle est à jamais enfouie dans les décombres du Bunker de Berlin où Hitler est mort. Ils ne la reverront jamais. " Annah Harendt a dit la même chose d’Eichmann à Jérusalem lors de son procès : " Il était impossible de communiquer avec lui, [Eichmann], non parce qu’il mentait, mais parce qu’il s’entourait de mécanismes de défense extrêmement efficaces... contre la réalité même. " Alors, plutôt que d’attendre de Papon un aveu ou un regret qui ne viendront jamais, on ne les aura pas, (...) je dis alors un interrogatoire suffit, s’il est bien mené comme le fait le président, il ne nous reste, à nous parties civiles et au ministère public, que des miettes et c’est normal. Je m’engage personnellement à ne plus poser de questions à Papon, ce n’est plus nécessaire. Je m’y engage et j’espère être suivi par tout le monde. Il est de notre responsabilité, Monsieur le Président, que le procès aille à son terme et le plus vite possible. "

Maître Levy :

" Les parties civiles sont plurielles et si je comprends tout à fait le désir de mon confrère, je tiens à rappeler que la règle fondamentale, c’est le principe de l’oralité. De l’oralité des débats jaillit la vérité. Déjà ce principe a mis en lumière des acquis fondamentaux, je ne les répète pas, je ne veux pas que la défense m’accuse de profiter de mon intervention pour rappeler des acquis. Mais, pour ma part et compte tenu des acquis, je crois que le principe des débats devant la cour d’assises est fondamental et je m’y tiendrai. " Puis Maître Levy explique les différences qui existent entre les procédures anglo-saxonnes et françaises et qu’ici, on a un mixte des deux.

Le Président Castagnède " Maître Varaut nous a informé d’un changement de date (...) " Maître Varaut ne peut pas venir [à une date donnée que je n’ai pas noté, mais il s’agit de la messe donnée en l’honneur de Louis XVI], mais il s’est trompé de jour, a oublié de prévenir le président Castagnède, s’en excuse, et demande que l’on accepte la nouvelle date. Maître Zaoui demande d’un air étonné, si ce jour-là, l’absence de Maître Varaut entraînera une suspension d’audience. Mais non, le Président Castagnède voulait simplement que Maître Varaut soit là le jour de l’audition de Bergès (enfin c'est Varaut qui voulait être là). Varaut est paraît-il Royaliste légaliste, depuis ce jour dans le public à chacune de ses interventions, une voix s'élève et s'écrie " Vive le Roi ". C'est ce terme de légaliste, j'avoue ne pas savoir de quoi il s'agit qui m'a donné l'idée de la contraction " légationniste " qui convient à merveille à Varaut.

Dans leur désormais classique numéro à deux, Maître Varaut et Papon clôturent l’examen du convoi du 26 août. On notera une longue introduction de Maître Varaut, où on note : " Je ne veux pas être une feuille de salade prise dans un sandwich judiciaire. " Il est à croquer, quand même ce Varaut quand il veut. " Nous assistons à une sorte de happening, de danse du scalp " ; " Je m’élève contre les ricanements et les sarcasmes des parties civiles " ; " Je dénonce le procédé totalitaire qui consiste à poser cent fois la même question à l’accusé ", etc.. Après les questions posées par la défense (7), l’audience est consacrée à la déposition de quatre parties civiles dont nous donnons ici la déposition intégrale.

Le Président Castagnède " J’appelle Madame Stopnicki. "

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Ami Flammer, Moshe Leiser et Gérard Barreaux

Thérèse Stopnicki, 66 ans, " Je suis partie civile avec Jean-Claude et David Stopnicki, visiteuse médicale à la retraite, née en 1932 à Mulhouse, française de nationalité. Je suis la soeur de Nelly et de Rachel.

Le Président Castagnède " Vos soeurs portaient les numéros 201 et 202 dans la liste des femmes du convoi du 26 août 1942, Nelly est née le 8 avril 1937 à Nancy , elle avait cinq ans, et Rachel est née le 29 avril 1940 à Nancy, elle avait deux ans. Il est reproché à Papon la complicité d'arrestation et de séquestration illégales ayant duré plus d'un mois avec cette circonstance que les victimes étaient mineures de quinze ans et complicité d'assassinat pour vos deux soeurs. "

Thérèse Stopnicki " J’ai échappé à ce triste sort parce que j’ai été recueillie par mes grands-parents et que je n’étais pas à Bordeaux. (...) Sinon, j’aurais été dans le convoi de ceux qui sont partis. J’aurais été sur ces listes comme un numéro, une liste comme quand on va faire son marché, un numéro anonyme quand on fait le compte des numéros qui sont partis. Je me souviens de deux dates, celle du 18 juillet 1942, date du départ de mes parents Esther, [ née le 15 janvier 1901 à Rembour / Salles ] et Charles [ né le 10 septembre 1909 à Radanok, Pologne ] et celle du 26 août, date du départ de mes deux soeurs. Pendant très longtemps, j’ai fait des cauchemars. Pendant très longtemps, j’attendais le coup de sonnette de mes soeurs ou de mes parents, j’étais dans l’attente des revenants. Et un jour, en lisant le livre de Serge Klarsfeld " le mémorial de la déportation ", là, j’ai compris que c’était terminé à jamais. J’ai été élevée par des tantes, et si je suis là aujourd'hui c’est aussi pour elles. Je n’ai jamais fondé de famille, je n’ai jamais voulu avoir d’enfants parce que dans chaque enfant, je vois mes deux soeurs, je ne peux voir que le visage de mes deux soeurs. Ce sont des choses qu’on n’oublie pas même si je n’en parlais pas autour de moi. Beaucoup de gens m’ont dit : " mais tu ne nous l’avais jamais dit, on ne savait pas. ". Il faut que plus jamais de telles horreurs se reproduisent (...) Nelly avait cinq ans, Rachel en avait deux, leur seul crime était d’être nées dans un berceau juif, elles n’ont pas eu de vie, mais moi non plus, je n’ai pas eu de vie. On parle souvent de la culpabilité des survivants, de ceux qui n’ont pas disparu. C’est ce que j’ai vécu toute ma vie. Mes deux soeurs n’ont pas eu de sépulture, leur photo a fait le tour du monde. "

" Les journaux du monde entier les ont montrées. Dans l’émission " Le monde de Léa ", le présentateur [ Paul Amar ] a présenté les photos de mes soeurs à Papon, qui les a balancées à travers la table. Il les a balancées sans pitié, sans pitié... " L’émotion étreint la voix de Thérèse. " Je voudrais que ces photos soient montrées. "

Le Président Castagnède " Vous aviez quel âge à cette époque ? "

Thérèse Stopnicki " 10 ans, nous étions séparées. Vous comprenez, on ne met pas les oeufs dans le même panier, j’étais avec mes grands-parents "

Le Président Castagnède " Votre père et votre mère étaient avec vos sœurs ? "

Thérèse Stopnicki " Mes parents étaient avec mes soeurs, ils sont venus à Bordeaux, pour leur grand malheur, et c’est là que tout s’est passé. "

Le Président Castagnède " Vous n’avez donc pas de souvenirs de ce qui s’est passé ? "

Thérèse Stopnicki " Si, j’ai été voir Madame Descat en 1988, c’est elle qui avait recueilli mes deux soeurs, elle a reçu une lettre de ma mère de Mérignac. La lettre montre bien que les Allemands ne voulaient pas des enfants, ils ont été placés à l’hôpital des enfants malades. Elle était très malheureuse. Elle les a récupérées, les a soignées et un jour elle a vu un garde champêtre, avec un avis de la préfecture, qui venait chercher mes deux soeurs. Elle était une mère pour elles. Elle les a même accompagnées dans le taxi. "

Le Président Castagnède " Cette lettre n’a pas été versée au dossier. "

Thérèse Stopnicki " C’est Maître Klarsfeld qui l’a. "

Maître Klarsfeld " Je les verse maintenant avec les photos de Nelly et de Lucienne. "

Thérèse Stopnicki " Puis-je vous demander, Monsieur le Président de garder l’original. "

Le Président Castagnède croit que Thérèse Stopnicki veut qu’il garde les originaux : " Vous ne voulez pas conserver avec vous les originaux ? "

Thérèse Stopnicki " C’est tout ce qui me reste, ces photos, on ne les jette pas à travers une table. "

Le Président Castagnède lit la lettre " Chère Madame Descat, Je suis arrivée ce matin au camp de Mérignac avec mon mari. Nelly et Lucienne ne sont pas avec nous, on les a gardées à Bordeaux. Ils veulent envoyer les enfants à Badète Salles. Mais je ne sais à quelle personne les confier, à vous Madame Descat ou chez Madame Ida. Et après on pourrait peut-être s’arranger, pour les enfants, à les envoyer en zone libre. J’ai laissé sur la table, un panier avec du ravitaillement. Si vous pouvez, vous serez bien aimable de me faire un paquet et me l’envoyer, et moi je paierai les frais pour la confiture et le sucre que vous pourrez m’envoyer petit à petit. Vous serez bien aimable de garder toutes mes affaires. Affectueuses pensées pour tout le monde. Les clés se trouvent à la mairie chez Mademoiselle Denise et je vous prie de bien vouloir nous répondre aussitôt. " Madame Descat connaissait vos parents ? "

Thérèse Stopnicki " Oui, ils étaient voisins, ils ont sympathisé. "

Le Président Castagnède " Vous avez dit que vous avez vu Madame Descat en 1988, pouvez-vous être plus précise ? "

Thérèse Stopnicki " Elle était très malheureuse, elle leur avait servi de maman, elle aurait bien aimé les garder, c’est à la demande du garde champêtre et sur ordre de la préfecture qu’elle les a données. Elle a voulu les accompagner. "

Le Président Castagnède " Vous confirmez bien que Madame Descat vous a parlé d’ordre de la préfecture, c’est très important, vous confirmez ? "

Thérèse Stopnicki " Oui, Monsieur "

Maître Klarsfeld

" Madame Stopnicki, nous savons que Nelly et Lucienne étaient libres en juillet. Nous savons que Garat était un jeune homme de 23 ans. Nous savons que les factures des taxis sont adressées à la préfecture. Nous savons que les Molho sont emmenés à Bacalan à la dernière minute. Nous savons que le placement des enfants ne doit rien à Papon. Nous savons que la faible condamnation de Luther est due aux témoignages des hauts fonctionnaires collaborateurs dont Sabatier, qui avaient intérêt de dire ça et qui évoque même la courtoisie de Luther. Nous savons que les relations françaises et allemandes sont au beau fixe. Nous savons que pas un seul haut fonctionnaire n’a perdu la vie, n’a été arrêté en 1942, contrairement à ce qu’affirme Papon. Nous savons que Garat, dans son rapport du 29, ne parle pas des enfants. Nous savons que Papon savait que la déportation conduisait à la mort. Pouvez-vous me dire si Nelly et Lucienne étaient françaises ? "

Thérèse Stopnicki " Oui. "

Maître Klarsfeld " Je vous demande cela parce que j’ai recompté le nombre de Français déportés sur le convoi, il approche les deux cent. Papon et Garat en comptabilisent 184. L’accusé peut-il nous dire s’il a comptabilisé les quatorze enfants ou non ? "

Papon " J’oppose un démenti formel aux propos de Maître Klarsfeld et je ne veux pas répéter les débats à ce sujet. Ma logique n’est pas celle de Maître Klarsfeld. Je n’ai pas été mêlé au rapatriement des enfants. (...) Je voudrais simplement dire à Madame Stopnicki que, quand elle a fait allusion au duel télévisé avec Paul Amar, il avait dit qu’il ne montrerait pas de documents, il n’a pas tenu parole. Si j’ai jeté les photos, c’est pour le provoquer, pas pour les enfants Stopnicki, mais pour ce fameux journaliste. "

Le Président Castagnède " Sur les listes de Mérignac, il est dit qu’elles sont françaises. "

Les photos sont diffusées sur les écrans.

Maître Klarsfeld " Je sais, mais Papon, dit à Leguay cent quatre-vingt six Français alors qu’il y en a deux cent, la différence vient de ces enfants ramenés au dernier moment. Leurs parents étaient étrangers. Il traite les photos avec le même dédain que les enfants."

Thérèse Stopnicki " Quand Papon jette les photos sur la table, il a dit " arrêtez ce cinéma ! ". "

Maître Klarsfeld " Un cinéma tragique joué par les Allemands et mis en scène par Papon. "

Maître Boulanger demande des précisions à Thérèse Stopnicki sur sa famille.

Thérèse Stopnicki " Mes parents ont été arrêtés, en juillet, le 18, ils habitaient à Salles. Je suis toute seule, j’ai tout perdu. Je n’ai jamais eu de fratrie ni de famille, je suis seule. "

Maître Klarsfeld interroge Thérèse Stopnicki sur le village de Salles, est-ce une grosse bourgade ? [ mille habitants environ.] puis Thérèse conclut en déclarant : " C’est très difficile d’être ici, de respirer le même air que Papon, d’être dans la même salle que lui. "

Un document inédit reçu par Thérèse Stopnicki après le procès

Le Président Castagnède " J’appelle Armand Bénifla "

Armand Bénifla

Les témoignages sonores d'Armand Bénifla

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" Je suis né le 18 août 1926, à Bordeaux, français. "

Le Président Castagnède " Vous êtes là pour votre père Moïse, les charges retenues contre Papon sont complicité de séquestration illégale ayant duré plus d'un mois et tentative d'assassinat, parce qu’il en est revenu. "

Armand Bénifla " Mon père, Moïse, vivait dans le quartier Mériadeck, il avait 47 ans, il était brocanteur. Il a été arrêté dans une rafle place mériadeck et conduit au camp de Mérignac où il est resté jusqu’au 26 août, jour de sa déportation. On lui portait un colis, un dimanche par mois. En septembre, mon frère Adolphe l’avait rejoint, mais il n’a pas suivi le même parcours que mon frère. Il est allé à Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Granville, Cherbourg où il a participé à la construction du mur de l’Atlantique. Il s’est évadé on ne sait pas d’où ni quand. Il a été repris et mis sur l’île d’Aurigny, ile Anglo Normande,

pour voir l'article " le camp d'Aurigny" cliquez ici

où, au mois de mai 1944, après être tombé malade avec d'autres prisonniers, les autorités allemandes l’ont envoyé à l’hôpital Rotschild dans le 12ème arrondissement à Paris. Et là, il a été libéré le 25 août 1944 comme tous les Parisiens.

Je dois vous dire que j’ai des cousins à Casablanca, (...) Armand raconte que lorsque " mon père s’est évadé, la police de Vichy est allé voir son frère, pour voir si mon père ne se cachait pas à Casablanca. Mon oncle a dit : " je ne l’ai pas vu depuis 1936 " et la police l’a menacé : " si on trouve quelque chose, on fera des représailles !". " Vous vous rendez compte, imaginez mon père à cette époque aller au Maroc, traverser la France !"

Le Président Castagnède " Quand votre père a-t-il été arrêté ? "

Armand Bénifla " En mars 1942, je ne me souviens pas le jour. "

Le Président Castagnède lit la déposition d’Armand Bénifla, " Votre père a été arrêté avant l’arrivée de Papon. Est-ce que vous vous souvenez qui l’a arrêté ? "

Armand Bénifla " Au sujet de mon père, on a rien su, il était au fort du Hâ. J’ai retrouvé mon père en 1944. "

Le Président Castagnède " Qu’est ce que vous vous êtes dit ? "

Armand Bénifla " Pas grand chose. "

Le Président Castagnède " Vous aviez quel âge ? "

Armand Bénifla " 19 ans. "

Le Président Castagnède " Qu’est ce qui s’est dit entre les deux hommes ? "

Armand Bénifla " Pas grand chose. "

Le Président Castagnède " Quand votre père est-il mort ? "

Armand Bénifla " En 1963. "

Le Président Castagnède " Pendant tout ce temps, vous n’avez rien dit, il ne vous a pas raconté ce qui s’était passé ? "

Armand Bénifla " Il avait trop rien à dire. "

Le Président Castagnède " Votre père était protégé français ? "

Un juré " Vous avez été voir votre père et votre frère au camp de Mérignac ? Pouvez-vous nous décrire comment c’était ? "

Armand Bénifla " C’était horrible : ils ne mangeaient pas à leur faim, il faisait chaud l’été et très froid l’hiver. "

Le juré " Je ne parlais pas de cela, dites-nous comment étaient les relations entre les prisonniers et les gardiens, comment étaient-ils traités par les gardiens ? "

Armand Bénifla " On n’en parlait pas. "

Maître Touzet

rappelle le cas de la radiation du fichier juif, demandée le 4 juillet 1942 et obtenue en janvier 1943 pour le plus grand malheur d’Adolphe, déporté en juillet 1942. Voici un rappel de ce que disait Maître Touzet lors de la première déposition d’Armand Bénifla : " Le 4 juillet 1942, le service des questions juives de Papon demande d'amener son certificat de baptême d'extrême urgence. Que va faire la préfecture le 4 juillet 1942 ? C'était le moment de faire quelque chose. Le service des questions juives transmet le dossier au commissariat aux questions juives, et pendant que la procédure se poursuit, Adolphe Bénifla est déporté. Je dis, qu'avec un peu de célérité, il était possible de sauver Adolphe. On frémit en voyant que le service des questions juives procède à leur radiation en janvier 1943. Encore un exemple d'incurie du service des questions juives et le mot est trop faible. "

Maître Klarsfeld " Je voudrais revenir sur le statut des Juifs dont le conjoint est aryen, ils étaient envoyés au camp d’Aurigny. Drancy était bien un camp où on faisait le triage. Papon envoyait tous les Juifs à Drancy et s’en débarrassait, et à eux de se débrouiller. "

Le Président Castagnède " Je vous remercie Monsieur Bénifla, vous pouvez regagner votre place, j’appelle maintenant Madame Juliette Benzazon. "

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Ami Flammer, Moshe Leiser et Gérard Barreaux

Juliette a fait une déposition à son image, très colorée, elle parle avec son cœur, sans crainte, dit les choses qu’elle a à dire. On en attend pas moins d’elle. Elle s’adresse directement à Papon, à Varaut, interpelle les jurés, dialogue avec le président, raconte son histoire, sa mémoire. Elle a su provoquer tout à la fois, la tendresse, les rires, les larmes, la colère. Un témoignage plein d’émotions, de vérité et de sincérité. C’est Juliette, fidèle à elle-même, un ouragan plein de gentillesse et d’amour qui, quand elle a quelque chose à dire le dit, quelles que soient les circonstances. Elle sait s’imposer avec respect et elle impose le respect. C’est vrai que, depuis le début de l’affaire, elle incarne dans les médias la passionaria des parties civiles, on se souvient d’elle, de son élégance et de son étoile jaune. Je crois qu’elle l’a portée quand Papon est venu se faire inculper en janvier 1983 et depuis, comme dirait Armand, cette image ne la quitte trop plus.

Juliette Benzazon

" Je suis Juliette Benzazon, née Dray en 1930, 67 ans. Je suis brocanteuse du quartier de Mériadeck. A Mériadeck, tout ce groupe d’individus avait été mis sur le même bateau, et dans ce convoi, mon grand-père Simon [ né le 28 août 1880 à Siddi Bel Abbès au Maroc ] et mon grand-oncle Sadia Benaim [né le 18 février 1882 à Beni Bugafoz au Maroc ]. Cela se passait en 1942, j’avais douze ans et je me souviens très bien du camp de Mérignac. Il était marié avec ma grand-mère française et avec une femme marocaine. Mon grand-père voyageait souvent au Maroc. Il y passait six mois par an. Il faisait du commerce entre la France et le Maroc et il avait là-bas une épouse, il s’était marié sous la loi de Moïse. Mon grand-père avait ramené sa deuxième épouse, qui était donc ma demi grand-mère et ma grand-mère était considérée comme concubine. Cela ne se passe plus comme ça aujourd'hui : un rabbin ne marie plus sous la loi de Moïse, si on n’est pas passé avant devant le maire. Mais à l’époque, on pouvait se marier sous la loi de Moïse seulement. Il aurait été préférable que son épouse marocaine ne vienne pas en France, il y aurait eu moins de déportés dans la famille. Notre famille était très unie, ma grand-mère avait quatre fils et trois filles. C’était une famille très respectée à Meriadeck. Mériadeck était un grand village où il régnait une vraie humanité, une très grande solidarité. C’est d’ailleurs pour cela que la préfecture et Papon faisait les rafles la nuit, parce que le jour ils n’auraient pas pu le faire. Le quartier était très solidaire, il aurait réagi, il n’aurait pas laissé faire. C’est ce que je voulais dire et que je n’ai pas pu dire avant, parce que le procès depuis seize ans s’est toujours passé à huis clos. On n’a pas pu s’exprimer avant, dire notre malheur, nos souffrances, notre vérité. (...)

Aujourd'hui, il n’y a plus de huis clos, et depuis trois mois je suis là tous les jours. Vous avez dû le remarquer Monsieur le Président. "

Le Président Castagnède acquiesce, la salle sourit.

Juliette Benzazon " Je suis là devant Papon, devant Varaut, qui m’a dit un jour : " Voici la partie civile et sa clique ". " Varaut proteste. " Si Maître Varaut, vous l’avez même dit deux fois ! On était une famille heureuse, dans le quartier Mériadeck, les gens arrivaient de partout, des quatre coins de la France. Je me souviens, il y avait des camions plein de réfugiés qui arrivaient de l’Est et qui demandaient : " On cherche des Juifs ! ", c’était l’exode. Pour une petite fille à Mériadeck, il y avait des tranchées, c’était la guerre. Messieurs et Mesdames les Jurés, quand on vous parle de ces événements, les historiens, les juges, ils ne peuvent pas vous dire ce qui se passait exactement, ce qui se passait dans nos têtes, ils ne savent pas le dire. Quand on met l’étoile jaune, et qu’on arrive à l’école comme une enfant battue, c’est toute notre vie qui va en être marquée. C’est moi, dans mon cœur, et tous mes enfants qui portent cette peine. Non alors, on ne peut pas laisser Papon dire ce qu’il dit, qu’il n’était qu’un porte-plume, on ne peut pas laisser dire les historiens, nous, on est survivants, on a vécu toutes ces choses. (...)

Nous sommes allés souvent au

camp de Mérignac voir mon

grand-père, on y est allés même

un jour avec un panier, on a mangé

avec lui dans l’herbe. Je pleurais,

j’ai eu honte parce que je croyais

que mon grand-père était en prison

parce qu’il était un voleur. Vous vous

rendez compte ? je m’en veux, je me

le suis reproché toute ma vie.

Ce n’est pas possible, j’ai douté

de lui toute ma vie ! "

Juliette se tait, la gorge nouée par cet affreux souvenir, par cette culpabilité d’enfant, qui a traversé sa vie d’adulte.

" Dans le prochain convoi, il y a huit enfants de ma famille. Un jour, il y a eu un bébé dans la famille et mon grand-père a pu sortir pour assister à la circoncision, c’était chez Madame Levy il a pu sortir du camp (...)

Mon père est mort déporté depuis Marseille, par Bousquet. Peut-être que je suis persécutée mais vous pouvez penser ce que vous voulez.(...)

J’ai entendu les dépositions de Papon, il a dit qu’il avait reçu une bonne éducation, qu’est ce qu’il croit qu’on en a pas eu nous ? (...).

Être Juif, ce n’est pas une race comme ils disent. Nous, on a une religion respectable. De toute façon quand il se retrouvera devant Dieu, il n’y aura ni ministre, ni historien, il sera seul avec ses crimes. Quand on passait la ligne de démarcation, on nous prenait 8 000 Francs la tête, je pense à ma mère, à ce qu’elle a subi, quand elle est morte à 50 ans d’une crise cardiaque (...).

Comme cela a été dit, les déportés étaient morts pour la France,

on était pupille de la nation. Cela a permis de donner, à nos mères, le titre de veuves de guerre, ma mère était veuve de guerre. Madame Haddad aussi, qui était tunisienne, était veuve de guerre. Nous en sommes reconnaissants, et nous, nous sommes pupilles de la nation, tous les Juifs ont eu cette mention. Il faut le reconnaître. (...)

Quand mon père est parti au Maroc, il disait " je suis français ", il en était fier, il disait : " ils n’oseront pas toucher aux Français ", il n’y croyait pas. Quand j’entends un académicien dire que les Juifs sont partis comme des brebis, je suis scandalisée. A Marseille au vieux port, de l’autre côté du port, un jour, j’ai vu qu’on arrêtait les enfants, les vieillards, je suis allée voir mon père, j’ai dit à mon père : " on ramasse les Juifs ", il n’y croyait pas, il m’a dit de me taire. Ce sont ses dernières paroles... "

Le Président Castagnède " Il s’agit de votre grand-père et de votre grand-oncle ? Dans le dossier, il est dit qu’il est marocain ? "

Juliette Benzazon " On a dit ça ? De lui ? "

Le Président Castagnède " Ca n’a pas d’importance. "

Juliette Benzazon " De toute façon, ça ne les fera pas revenir. Tout ce qui s’est passé, c’est parce qu’on est né Juifs. C’est impensable, mon grand-père et son frère, c’est à la sortie de leur travail qu’ils ont été arrêtés en mars 1942. Papon a dit qu’il protégeait les Français mais c’est un menteur, il n’a rien fait. C’est quand même lui, ou le service des questions juives, qui les ont envoyés en déportation. "

Le Président Castagnède " Il est arrivé le 30 mars 1942 avec une trentaine de personnes, avec Elias Reich [ né le 03 juillet 1892 à Pironieza en Pologne ], on a une pièce au dossier, une lettre adressée à Monsieur Merville (...) "

Juliette Benzazon " C’est une très longue histoire, j’étais une petite fille ; d’ailleurs, je reviendrai vous parler pour deux autres convois. "

Le Président Castagnède " Je reviens sur le déjeuner, que vous avez pris avec votre grand-père, au camp de Mérignac et sur sa sortie du camp. "

Juliette Benzazon " Son fils Michel est né en 1942. Il est venu, accompagné par la police, pour assister à la circoncision chez Madame Levy, qui était partie civile. Varaut est responsable et n’a rien fait pour que cette dame ne meure pas inculpée de dénonciation calomnieuse. On l’a ramené après au camp de Mérignac. Je veux revenir sur les enfants. Quand on entend que les mères réclamaient les enfants dans les camps. Ma mère... Je suis indignée, ma mère a vendu sa bague pour que nous puissions passer la ligne de démarcation. On ne peut pas faire croire des choses pareilles, ce n’est pas possible, je ne peux pas laisser dire ça. C’est une honte, Varaut, de dire que les enfants ne savaient pas. "

Le Président Castagnède " Vous vous adressez à Maître Varaut ou à Papon ? "

Juliette Benzazon " Peu importe, je m’adresse à celui qui a dit ça. Non, on ne pouvait pas dire qu’on ne savait pas. Moi, Juliette je n’étais pas faite pour être déportée, j’étais faite pour venir vous parler. J’étais faite pour témoigner. (...)

Je me souviens de ce médecin, qu’il faut mettre au rang des Justes. Il disait, si on vous emmène au camp, malade, on vous (...).

On nous a fait payer l’étoile jaune, trois francs, mais il en fallait trois, on les payait neuf francs. Et il en fallait pour huit personnes, il fallait tout compter.

Dans le vieux port de Marseille, il fallait voir la différence avec le quartier de Mériadeck, c’était sale, insalubre. Les appartements étaient insalubres. (...)

Nous étions une vraie famille, unie et heureuse. Mon père était quelqu'un de correct, il disait " je suis français ". C’était un homme extraordinaire mais on l’a réduit au rang de bête, on nous a culpabilisés. Je suis Juive maintenant, je ne l’étais pas à l’époque. J’ai maintenant une famille, six enfants, quatorze petits-enfants, deux arrière-petits-enfants, j’ai repeuplé ma famille, j’ai accompli ma mission, j’ai repeuplé ceux que l’on m’avait pris. Mais j’aurai vraiment accompli ma mission quand Papon sera condamné. "

Maître Jakubovicz

se dit très ému par la déposition de Juliette, qu’il a trouvé très digne, exprimant à merveille la douleur des enfants Juifs : " J’aimerais, Madame Benzazon que vous reveniez sur le regard de ces enfants, dans cette école, quand vous êtes arrivée avec l’étoile jaune ; que vous nous expliquiez mieux votre culpabilisation quand votre grand-père s’est retrouvé en prison et que vous aviez cru que c’était un voleur. Que vous nous expliquiez comment s’est réveillée la conscience de votre judéité. Vous avez le devoir de parler au nom de tous les enfants Juifs qui, comme vous ont vécu ces drames et qui ne sont pas là pour raconter... "

Juliette Benzazon " J’ai très mal vécu d’être mise à l’écart, j’avais une amie, enfant, qui m’a dit : " mes parents ne veulent plus que je te parle parce que tu es Juive ". J’en ai beaucoup souffert, je n’ai pas dormi pendant deux jours. Mon père a dit : " tu n’iras plus à l’école. ". Ça, c’est Dieu qui me l’a donné. "

Puis, s’adressant à Papon " Je pense que vous êtes un homme frustré. Quand le Président Castagnède vous a interrogé sur votre famille, vous n’avez pas parlé de votre mère, le président vous l’a fait remarquer, vous ne parliez que de votre père. Moi, je n’ai pas eu de père, je n’ai pas eu de père pour me consoler, je n’ai pas eu de père pour se pencher sur les berceaux de mes enfants. Je vous plains."

A ce moment, Juliette défie du regard Papon qui soutient son regard elle lui dit quelque chose que je n’ai pas noté, puis continue

Je vous plains.

Oui, vous

pouvez me

regarder, vous

êtes certaine

ment une

personnalité,

mais vous ne

l’avez pas mise

du bon côté

" Je vous plains. Oui, vous pouvez me regarder, vous êtes certainement une personnalité, mais vous ne l’avez pas mise du bon côté. Je me souviens , une nuit, pendant le couvre-feu, un voisin était passé par le jardin, il avait franchi le mur et était rentré chez nous pour remplacer mon père. Il y avait beaucoup de gens qui étaient pour nous, qui nous ont aidés. Mais les actes de répression contre nous se faisaient toujours la nuit, pour qu’on ne le voit pas, pour que ça ne se sache pas. Je me souviens dans les jardins de la mairie, il y avait deux musées qui montraient des expositions, qui faisaient de la propagande antisémite. (...)

Maintenant, on me demande souvent de venir dans les écoles pour expliquer aux enfants. Je suis toujours surprise par les questions que posent les enfants : " Comment faisait-on pour vous reconnaître ? " ou " Comment on savait que vous étiez Juive ? " Je suis heureuse et fière parce que c’est la génération qui va nous succéder.(...)

Pour moi, j’ai accompli ma mission, ma vie. C’est du bénéfice, maintenant. J’aurais dû partir à la mort en 1943, déportée. J’ai des enfants, ça va. Je peux partir en paix maintenant, je n’ai plus peur de la mort. (...)

Il faut voir l’horreur que cela représentait, ces milliers de personnes qui étaient enfournées. J’ai 68 ans maintenant, mais je ne m’endors jamais avant quatre heures du matin. On pourrait dire que je suis une belle (ou bête ) de nuit. "

Juliette est la seule à rire de son mot d’humour tant la tension est forte. On est tous pendus à ses lèvres.

" La jeunesse est formidable. Le jury est un peu jeune, mais je trouve ça formidable ce que vous allez faire. Moi, je suis très contente qu’ils soient tous jeunes. Pensez avec votre cœur ! Pensez aux enfants, celles qui sont des mères, ceux qui ont des frères, des soeurs, des petits neveux, des petites nièces ! On a confiance en vous. (...)

J’ai connu une femme rescapée, elle était à Auschwitz, c’est elle qui donnait les serviettes aux petites filles qui entraient dans les chambres à gaz, aux mères aussi. Elle a fini folle. Un jour je vais chez elle et je lui apporte du pain azyme, elle m’a dit : " mais, tu es folle, on va savoir que je suis Juive. " Vous vous rendez compte ? J’ai six enfants, chez nous même si on perd la foi, on reste Juif. Il ne faut jamais renier ses origines, ça fait 5 700 [ans, en réalité, 5998 ] ou je ne sais plus combien de temps. C’est pas possible qu’il soit acquitté. Et là, on est présent, mais il ne faut pas oublier les milliers de personnes qui ne peuvent pas témoigner. Lors d’un enterrement, je ne pleure pas, nous, nous n’avons pas enterré nos morts, le jour de sa condamnation, alors là, j’aurai fini le deuil de ma famille. "

Maître Klarsfeld " Je reviens sur le cas des Juifs, dont la nationalité faisait qu’ils n’étaient pas déportables. (...) Il me semble que vous avez essayé de débarrasser la région de ses Juifs. "

Juliette Benzazon " Je voudrais rajouter quelque chose, quand mon grand-père a été arrêté, il portait ses bijoux avec lui, on lui a tout pris. Même les enfants qui arrivaient, on leur prenait leur tirelire. Ca m’a choquée et marquée, quand je suis rentrée chez moi, j’ai dit, je veux casser ma tirelire, je veux tout prendre et aller acheter des bonbons. "

La partie civile suivante est René Jacob

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Ami Flammer, Moshe Leiser et Gérard Barreaux

" Je suis né en 1926 à Sarrebourg, je suis partie civile pour mon père [ Jules, né le 21 novembre 1895 à Gvossen ] et pour moi-même. Je suis là aussi pour Max Jacob [ né le 17 mai 1890 à Grossen-Bousseck] et Sammy [ je suppose qu’il s’agit de Selma né le 28 mars 1891 à Pferdersheim ], je voudrais dire aussi mon étonnement. Comment ça se fait qu’on n’ait pas parlé de ces pauvres vieillards, de l’asile de Cérons, [ il y avait sa grand-mère, née le 8 juin 1887 à Weitersweiller ] qui ont été arrêtés par la gendarmerie de Podensac et déportés ? "

Le Président Castagnède " Nous en parlerons plus tard, lors de l’examen du convoi de janvier 1944. Aujourd'hui, on parle de votre père, les choses ne vont pas vite, mais elles ne peuvent pas aller plus vite. "

René Jacob " Ma famille est de souche lorraine. En juin, ma mère et moi, avons fui l’ennemi qui avançait avec une vitesse fulgurante depuis Strasbourg. Mon père était engagé dans le vingtième train, il était à la caserne de Nancy. C’est mon cousin germain, qui nous a conduits ici, mon cousin germain avait une traction. Il nous a conduits au seul endroit où on pouvait aller : à Cérons. Après deux jours, nous sommes arrivés. Là, nous avons dormi quelques jours et ma mère et moi, on a trouvé une cabane, on y mettrait pas des cochons aujourd'hui, mais enfin, c’était mieux que rien. J’ai travaillé comme aide vigneron, dans un château près de Podensac (Cantau ?). Puis j’ai été cantonnier. Mon père, par chance, avec son régiment a été démobilisé à Agen, on est allés le voir, toujours avec mon cousin qui conduisait. Le commandant a bien voulu libérer mon père. On a ramené mon père et on a travaillé avec lui, dans les bois près de Landiras, avec mon père, mon oncle et son fils, c’était fin 1940. C’est alors qu’est survenu le traquenard. Mais on ne pouvait pas savoir. On avait été à la mairie se déclarer, c’est là que j’ai rencontré Monsieur Planton. Il était tailleur et secrétaire de Mairie. Il m’a dit : " mais, ma parole, ne faites pas ça ! Vous allez vous faire prendre. Je vais vous trouver une planque ou un copain, on ne vous trouvera pas. " Je suis rentré à la maison avec mon vélo, je lui ai dit, à mon père, ce qu’il m’avait dit : " de ne pas se déclarer ". Mais mon père a dit : " non, nous sommes français, tu vas retourner à la mairie et nous déclarer avec ton oncle, ta tante et ton neveu. " Nous nous sommes donc inscrits. Après il y a eu la loi sur le couvre-feu, on ne pouvait pas sortir après huit heures. Ensuite, ça a été le port de l’étoile jaune qu’il fallait acheter nous-mêmes. Monsieur le Président Castagnède, si ce que je vous dis, ne vous intéresse pas, dites-me-le. "

Le Président Castagnède " Non, Monsieur Jacob, j’essaie simplement de suivre ce que vous me dites avec les pièces du dossier. Comme ce que vous nous dites ne correspond pas tout à fait avec vos dépositions, j’ai du mal à suivre. "

René Jacob " Excusez-moi. Donc, je reviens au traquenard, nous rentrions avec mon père avec nos vélos et nos pneus pleins. On n’avait pas les mêmes habits, mais je passe là-dessus. En 1940, tout allait à peu près bien, c’est après que tout est arrivé en Gironde : nous crevions littéralement de faim. Le premier malheur nous est tombé le 28 mars 1942. Mon père et moi rentrons de Landiras, nous avons subi une embuscade, on nous attend au lieu dit Buhan, deux gendarmes nous arrêtent, nous nous étions retardés de dix minutes pour acheter deux ou trois kilos de viande au marché noir. Nous revenions avec la viande sur le guidon et notre veste par dessus. Les gendarmes nous ont arrêtés parce que nous avions dépassé d’un quart d’heure le couvre-feu. On nous a ramenés à la maison, ma mère s’est affolée, les gens du village se sont interposés, ils ne voulaient pas les laisser faire, ils les ont supplié de nous laisser. Mais il n’y a rien eu à faire. On a été emmenés à la gendarmerie de Podensac pour dépassement du couvre-feu, non port de l’étoile jaune et achat de denrées alimentaires sans titre de provisionnement. Le maire est intervenu, mais il n’y a rien eu à faire. On a passé la nuit dans des cellules séparées et le lendemain après-midi, on a été conduits à Mérignac. Là, nous avons connu Monsieur Lestrade, qui était gardien au camp et qui tenait un petit estaminet à côté du camp. Dès que nous sommes arrivés au camp, il a vu mon père pleurer à cause de son fils, c’est à dire de moi. Nous étions dans la baraque aux Juifs, en face de celle des Espagnols et de la cuisine. J’ai vu une fois un soldat allemand qui est entré dans la baraque, il demandait les nationalités et quand il s’est trouvé devant un turc, il lui a demandé ses coordonnées et au bout de trois ou quatre jours, il a été libéré, un gardien est entré et a appelé le jeune homme turc et lui a dit : " tu es libre. ". C’était la joie dans la baraque. On était heureux, c’était parce qu’il était turc. Un jour, à Mérignac, il y a eu des attroupements, mon père m’a dit : " va voir ce qui se passe ", et comme souvent, il y avait une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est qu’à Berlin, on avait appris qu’ils voulaient déporter tous les Juifs d’Europe à l’Est, en Pologne. La bonne, c’est que la progression des Allemands avait été arrêtée à Leningrad. Il y avait deux personnages dans le camp, un avocat parisien et Zazou, (...)

Le 8 juillet, ce que je vous dis, c’est la pure vérité. Un jour donc, Monsieur Lestrade est venu nous chercher : un immense Feld-gendarme nous attendait avec sa plaque. Il nous a conduits du portail du camp jusqu’à l’arrêt de tramway pour nous conduire à la ville. Il nous a dit " les enfants, j’espère que vous n’allez pas faire de bêtises, sinon... " on a pris le tram et on a été à la Feld gendarmerie. Nous sommes montés au premier étage, et là un jeune officier nous attendait, on s’en souvient parce que tous les Feld-gendarmes étaient vieux, il avait trente cinq - quarante cinq ans. Il nous interroge en allemand et mon père lui a dit en allemand : " oui, mon lieutenant ". Le lieutenant, surpris, lui a demandé " comment vous le savez ? ". Malheureusement, entre 1871 et 1914, tous les Alsaciens se sont battus avec les Allemands, et mon oncle Max était chez les Uhlans et mon père s’était battu quatre ans en Russie. Il lui dit : " vous m’excuserez, mais quand on fait quatre ans dans l’armée allemande, on reconnaît un uniforme et un grade. " Le lieutenant nous a dit : " je ne comprends pas pourquoi vous êtes là, et on nous a ramenés au camp. Le lieutenant a commandé qu’on nous réserve un repas chaud. Puis les événements se sont précipités, trois ou quatre jours après ou peut-être huit, Monsieur Lestrade est venu nous voir, et nous a dit : " Pauvre de vous !! Avec le nouveau secrétaire de la préfecture, vous n’allez pas être de la fête. " Je suis prêt, s’il le faut à le dessiner, avec un dessinateur judiciaire pour prouver que je dis vrai. Maître Varaut a dit que les souvenirs s’estompent mais pas les miens. On nous a emmenés de Mérignac, avec des menottes jusqu’à une salle, là, à côté. "

René Jacob montre du doigt une direction sur sa gauche.

René Jacob " Là, dans une salle d’audience à l’étage, on a été interrogés, sur le non port de l’étoile jaune, la veste était sur le guidon du vélo, un avocat, qu’on ne connaissait pas, a pris la parole, il a dit : " Je ne serai pas long, ce sont des pauvres immigrés. " ".

René Jacob revient sur le bois, les conditions de vie difficiles, rien à manger. A la campagne, ils avaient droit à un porc par famille, mais la religion leur interdisait de le prendre et ils avaient échangé le porc avec de la viande. Le verdict a été de quatre mois pour Jules quant au jeune Jacob, il est relaxé compte tenu de son âge, mais en tant que Juif et sur les ordres de la préfecture, il est rentré à Mérignac. Puis ils sont transférés au fort du Hâ.

Le Président Castagnède " Non, vous avez été condamnés à trois semaines par le tribunal allemand. " Un long débat s’ensuit. Apparemment, René Jacob le découvre.

René Jacob " Au fort du Hâ, je me rappelle. Une petite fenêtre, on y voyait Bordeaux. Au bout de vingt, vingt et un jours j’ai été libéré. [On retrouve les 3 semaines qui semblent prouver sa condamnation allemande.] On a ouvert la porte et quelqu'un a dit : " Le jeune Jacob, vous êtes libre. ". Je suis allé au greffe et on m’a poussé dehors. Je me souviens très bien devant cette grande porte, je me sentais comme un oiseau. J’ai été dans une grande avenue, je crois que c’est le cours d’Albret, et là j’ai demandé à quelqu'un pour aller à Illats. Il avait l’air de connaître, il m’a dit la gare, c’est trop tard. Et il m’a envoyé prendre un bus à la gare des autobus, cours Alsace Lorraine. J’ai pris le bus pour Langon et suis descendu à Podensac. Et j’ai embrassé ma mère. Elle s’est mise à pleurer quand elle m’a vu : " Il a quand même tenu parole. " Ma mère était tombée malade de nous voir partir, et était allée voir la Kommandantur devant le grand Théâtre. Elle a dit au planton : " mon fils a 15 ans, il est au camp de Mérignac, je demande qu’on m’arrête et qu’on m’emmène avec lui. " Il l’a emmenée voir un officier qui a donné deux ou trois coups de fil, et a dit à ma mère : " comment, un enfant de 15 ans à Mérignac ? Je vous donne ma parole d’honneur, il va sortir bientôt. Malheureusement, mon père est parti à Drancy, il a écrit une carte postale et on a plus eu de nouvelles, je me suis remis ensuite à travailler dans les bois, mais je ne me suis pas méfié, jusqu’au matin du 10 janvier 44. Je coupais ce jour-là de la bruyère... "

Maître Boulanger intervient, le coupe et demande au Président Castagnède de remettre sa déposition à plus tard. Maître Klarsfeld intervient pour reposer la même question, à Papon, que lors de la déposition de Juliette. Maître Touzet indique que Jacob a eu deux procès verbaux, un pour infraction au marché noir, du service des prix de la préfecture et un pour infraction au port de l’étoile jaune, du service des questions juives, ce qui prouve bien que c’est ce service qui avait main basse sur les problèmes juifs. Enfin, Maître Klarsfeld démontre que le père, condamné à quatre mois, n’a pas fait sa peine puisqu’il a été déporté en août 42, ce qui prouve que la préfecture vidait les prisons pour remplir les convois.


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Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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