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date dernière modification : 22/07/02

Chronique du 31 octobre 1997
Audition de Robert Paxton

Papon, Touvier, Barbie :
mêmes crimes, mêmes stratégies de défense

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Reprise aujourd'hui du procès après une semaine d'attente, que Papon se remette de sa bronchite.
Côté parties civiles, on parle à nouveau de la remise en liberté de Papon, sans laquelle, cette maladie aurait été évitée. On parle de stratégie de la défense, de son désir de ne pas entendre Monsieur le Professeur Paxton dont elle sait combien le témoignage sera accablant pour Papon. Comme M. Paxton est venu des Etats Unis, retarder son audition par la maladie de Papon pouvait avoir pour conséquence de voir le témoin rentrer chez lui. Qu'ils le veuillent ou non, cette idée était bien dans la stratégie de la défense, puisque Maître Varaut provoque un nouvel incident en demandant la récusation de Paxton. Ce que refuse le Président Castagnède dans un premier temps mais devant le maintien de la demande de Maître Varaut, la cour rendra sa décision lundi. Un autre élément qui confirme cette stratégie, c'est l'absence complète de toux de Papon qui semble infirmer le fait qu'il ait eu une bronchite ou une pneumopathie aiguë.
Comme l'explique Maître Jakubowitz, la demande de récusation des historiens authentiques (on l'a compris, cela exclut Amouroux) fait partie de la même stratégie de défense que lors des procès Touvier et Barbie. Accusés du même crime.
Décidément, les points communs entre Barbie, Touvier et Papon sont grands : récusation des historiens, chantage à la chaise vide, refus d'endosser la responsabilité (à les en croire, seul Hitler est coupable de la Shoah). Au moins Papon se singularise en se prétendant résistant ce que de toute évidence Barbie ou Touvier ne pouvaient pas faire.

Enfin, Maître Varaut se fait également reprendre par le Président Castagnède quand il déclare mensongèrement que Papon est accusé de "complicité" de crimes contre l'Humanité. Sans doute, Maître Varaut, habitué à mentir sur la réalité de la gravité de l'accusation de son client s'est il cru devant les médias. Toujours est-il qu'il a été obligé de s'excuser devant la cour.

Enfin, avant de commencer je voudrais citer le témoignage de ma mère assise à mes côtés pendant l'audience au moment où Amouroux parle de la non connaissance de la solution finale. Cette fameuse non connaissance brandie par Papon comme une excuse à ses actes ? « Mais, enfin, quelle importance de savoir la cruauté des chambres à gaz qu'on le sache alors ou non, en quoi cela peut-il excuser les actes de Papon. Les faits sont là. L'horreur est là. Qu'on le sache ou non. La complicité était bien un crime parce que le résultat est là. »
Je pense en cet instant à Madame Simone Weill. A la déception immense que j'avais eu il y a quelques années quand je lui avais écrit pour lui demander son soutien dans notre action contre Papon et qu'elle ne m'avait jamais répondu. Avait-elle reçu ma lettre ? J'ose croire que non, car elle est plus qu'un symbole pour moi. Elle est un peu l'image de la mère de tous les enfants juifs revenus sans parents.


L'audience commence par une intervention de Maître Boulanger qui fournit un certain nombre de pièces et de documents qu'il joint au dossier ( Articles de Libération, de l'Express) et trois documents qui évoquent les 70 morts en octobre 1961 et qui prouvent donc que Papon a menti à ce sujet.. De même, il cite une émission d'Antenne 2 où Elkabach remet en direct le livre d'Einaudi à Papon. Alors que Papon a dit qu'il ne l'avait jamais eu. Enfin le dernier document est issu d'une revue de la défense nationale, dans lequel Papon indique que le préfet de Police a une responsabilité totale et directe.
Le président Castagnède considère que ces documents sont versés au débat.
Maître Blet demande de joindre au débat un article du Monde qui évoque le consul du Portugal qui a sauvé des milliers de personnes en 1940-1941 a Bordeaux.
Maître Varaut « Je n'ai pas d'observation à faire sauf que je constate une dérive des débats. »
Le Président Castagnède reprend Maître Varaut « Le jury est assez adulte et tranchera par lui-même »


Arrive Robert Paxton, 65 ans, de New York, Professeur d'Histoire. « En tant que professeur d'histoire, j'ai commencé en 1960 à étudier le régime de Vichy. Au début, sur la base de documents allemands, puis sur les archives des autorités françaises. Je n'ai jamais travaillé sur les archives départementales de la Gironde et je n'ai donc pas d'éléments sur Papon. Je ne suis pas un spécialiste de la Gironde sous l'Occupation ni de la carrière administrative de M. Papon Je veux parler du régime de Vichy et situer le contexte dans lequel il a participé à la déportation et à l'extermination des juifs de 1940 à 1944. Je commencerai par un premier point concernant l'armistice. On connaît bien la pensée d'Hitler qui lorsqu'il rencontre Mussolini en Juin 1940, et alors que Mussolini voulait envahir la France immédiatement, Hitler lui dit Non, on va plutôt leur accorder l'armistice et ce seront les français qui s'administreront eux-mêmes. Cela coûtera moins cher que d'occuper la France. Il y a donc une stratégie très marquée des nazis de faire administrer la France par les français eux-mêmes. Je m'oppose à l'avis général qui voulait que Vichy ait été très passif, que la France était battue et qu'elle ne pouvait rien faire d'autre. Le devoir des historiens est de faire la part entre la contrainte et les espaces de liberté qui existent même dans un pays occupé. Je vais montrer quelles marges de manoeuvre existaient et expliquer les choix qui ont été faits.
Hitler a donc accordé l'armistice à la France, cela lui laisse une grande marge de manoeuvre. La France avait une stratégie d'occupation qui avait deux volets. Le premier volet est la Révolution Nationale, c'est à dire reconstruire la France. Il fallait désigner, montrer du doigt les responsables de la défaite qui selon Vichy étaient la démocratie, le régime parlementaire, les étrangers, les juifs, les francs-maçons, les socialistes, les communistes et les instituteurs. On crée une nouvelle France, dès le 17 juillet 1940, la première loi promulgue qu'il faut être fils de français et citoyen français pour être fonctionnaire. C'est une France autoritaire, hiérarchique qui prône l'exclusion. En octobre, elle promulgue le statut des juifs. Le deuxième volet de la politique de Vichy est de jouer un rôle important en Europe. Vichy étudie avec les allemands, un nouveau statut dans lequel les conditions de vie seraient moins dures. Les deux premières années, Vichy essaie de négocier pour que la France entre dans l'Europe. Quelles sont les réactions des allemands sur ses deux volets ?
Sur le premier volet, la Révolution nationale, les allemands n'ont rien demandé.. Par rapport au statut des juifs, les nazis montrent au début une certaine indifférence. Les allemands n'ont absolument rien demandé. . D'ailleurs, en 1940, l'Allemagne expulse 6 000 juifs en France, Vichy proteste mais les allemands restent indifférents et passifs.
Sur le deuxième volet, Hitler refuse que la France soit un pays frère, il veut humilier la France. Il n'a jamais accepté la défaite de 1918.
Pendant les deux premières années, les stratégies allemandes et françaises sont parallèles et convergentes tant que la France soutient l'effort de guerre. Puis en 1941 - 42, il se produit un changement très important. Après l'invasion de l'union soviétique, et la faillite de la campagne allemande de Russie. La guerre se transforme de courte à longue. La population allemande commence à renâcler. Puis la guerre devient une guerre d'extermination, en Russie, on assiste aux premiers massacres de juifs et de communistes en septembre 1941. Hitler décide la suppression totale de la culture et de la population juives. Cette politique est prolongée au Printemps 1942. Le 20 janvier, les mesures sont étendues à toute l'Europe occidentale.
On peut parler de deux Vichy. Le premier Vichy adopte une politique d'internement et d'exclusion des Juifs et, à partir de l'automne 41, un deuxième Vichy qui mène désormais une politique d'extermination, avec en mars 1942, le premier départ d'un train de Juifs pour la Pologne. Au début, on se pose la question, on discute puis enfin, le gouvernement de Vichy décide de coopérer à ce projet et d'aider les Allemands à exterminer les Juifs. Pendant l'été 42, Bousquet rencontre Oberg pour préciser la collaboration. Pourquoi cette collaboration ? Premièrement, parce que la France a toujours estimée qu'il y avait trop de juifs étrangers en France. Le 27 mars 1942, après le premier convoi, Bousquet propose de transférer aux allemands les juifs étrangers, de les arrêter et de les incarcérer. Il y a une certaine habitude de considérer les juifs comme des citoyens de troisième zone et qu'ils seraient à l'origine de la défaite. La troisième raison est la demande à Vichy de désigner des otages après les premiers attentats contre les allemands à Paris. Bousquet pense que c'est la meilleure solution pour avoir plus d'indépendance politique et pour pouvoir ainsi montrer l'indépendance de l'administration française. Pour prouver au monde que Vichy est un état souverain. Enfin, la France est le seul Pays d'Europe, ou l'administration fournit aux allemands des juifs dans des zones où il n'y a pas d'occupation.
Autre point important, les nazis ont besoin de l'administration française. Combien y a-t-il d'allemands en France pendant l'occupation ? C'est une question cruciale et pourtant, peu d'historiens se la sont posée. On a à peu près 60000 allemands pour maintenir l'ordre, après le départ des armées soit pour le front de l'Est soit avant le débarquement pour le mur de l'Atlantique. Il y a 77 bataillons. Un bataillon était composé de 400 à 800 hommes qui ne sont pas des hommes de combat, ni les surhommes nazis mais dont l'âge moyen est de 48 ans. Les allemands ont besoin des français parce qu'ils sont beaucoup moins nombreux qu'eux. Si on regarde les chiffres de la déportation : quand en 1943, Vichy arrête de participer avec enthousiasme aux déportations, le chiffre baisse. La première année quand il y a une coopération totale, il y a 42 000 juifs déportés, la 2º année quand il y a moins d'enthousiasme, il y a 16 000 juifs déportés.
En conclusion, je suis persuadé que sans l'aide et le concours actif de l'administration française, les Allemands n'auraient pas pu déporter 76 000 des 300 000 Juifs vivant en France et s'il n'y en a pas eu davantage, ce n'est pas le fait d'une administration réticente mais parce que beaucoup de Français et d'individus de bonne volonté les ont cachés ou ont simplement gardé le silence. En Hollande, les juifs étaient concentrés à Amsterdam et facilement repérables. En France, par contre, les juifs sont assimilés, ils sont mieux intégrés. Le rôle de l'administration a été de contrarier le sauvetage éventuel des juifs. Le fichage de tous les juifs, l'expulsion des juifs de leur habitation, de leur travail les rend beaucoup plus vulnérables. La France n'était pas que collaboratrice, mais il y avait aussi une tradition de tolérance et de liberté.
Je me dis, merci Monsieur Paxton, quelle leçon d'histoire. Quand je pense à ce qu'on m'a appris à l'école. Quelle différence.
Maître Varaut « Je demande qu'il soit donné acte à Papon que, contrairement à la loi, Paxton n'a déposé ni sur les faits, ni sur la personnalité ou la moralité de l'accusé. » Des gros murmures montent des parties civiles pour dire il est gonflé celui-là avec tous ses témoins de moralité qui ne connaissaient même pas Papon.
Le président Castagnède « Vous me demandez de donner acte. SI j'ai laissé le témoin s'exprimer, c'est que je pensais autrement. J'estime que je ne peux donner acte à vos conclusions. Si vous voulez aller au contentieux, vous pouvez. »
L'avocat général Robert « Je ne comprends pas la démarche de Maître Varaut, il n'y a jamais eu d'opposition formée par la défense. L'article cité par Maître Varaut dit au contraire que le président a toute lattitude. Quant au fond, si la défense prétend aujourd'hui que Papon a commis les crimes reprochés et que Vichy en porte la responsabilité. Alors on aura pas besoin d'historiens. Mais cela concerne d'autant plus le débat. On doit connaître le contexte pour mieux juger l'homme. Mais, je m'interroge sur les raisons profondes de l'incident provoqué par Maître Varaut dans la mesure où il a cité dix fois plus d'historiens que le ministère public. Je pense que la défense veut écarter les témoins qui la gênent. Elle l'a déjà fait mercredi en prolongeant la maladie de Papon.»
Le président Castagnède « Je considère que la défense a bien saisi au contentieux. »
Maître Bournazel Charrière « Maître Varaut pose un moyen en vue d'aller en cassation et devant la cour européenne. Je veux aller au fond, si Maître Varaut maintient sa position, alors Amouroux, dont la résistance équivaut à celle de Papon, c'est à dire à zéro, doit aussi ne pas venir témoigner. »
Maître Klarsfeld « La défense a agi de même avec ses témoins de moralité, ils ont parlé de Vichy et jamais de Papon. »
Maître Jakubowitz « J'informe la cour que les mêmes stratégies de défense ont été employées par Vergès pour Barbie et par le défenseur de Touvier. On use des mêmes moyens rigoureusement. »
Maître Varaut « Non »
Maître Jakubowitz « J'étais présent à ces deux procès et j'affirme que c'est vrai, s'il le faut on produira les actes »
Maître Favreau « On nous demande de donner acte sur un fait qui se passe dans la salle d'audience, il n'y a pas lieu de donner suite à la demande de contentieux ».
Maître Levy « Ne soyez pas abusé par Varaut, il ne cherche qu'à nous abuser, qu'à faire oublier la déposition capitale de Robert Paxton sur le rôle de Vichy. »
Maître Boulanger « Nous assistons aux grandes manoeuvres de la défense pour que les vrais historiens ne viennent pas, il est clair que la défense préfère les journalistes repeints en historien. Je rappelle à la cour que le témoin de moralité le R.P. Lelong a avoué n'avoir connu Papon qu'à la barre.»
Maître Varaut à la demande du président Castagnède « Je renouvelle mes conclusions »
Papon « Je n'ai pas d'observations »
Le président Castagnède « Je mets la décision en délibéré jusqu'à lundi. Monsieur Paxton y a-t-il eu des différences entre les deux zones occupée et libre ? Les donneurs d'ordre, les procédures d'arrestation, les marques d'exclusion, étaient-ils les mêmes ? »
Robert Paxton « Le but du gouvernement de Vichy était de faire appliquer l'article 3 de l'armistice. Oui elle a procédé de la même façon dans les deux zones. la France est le seul Pays d'Europe, ou l'administration fournit aux allemands des juifs dans des zones où il n'y a pas d'occupation. »
Un juré « Pouvez-nous parler des différences qu'il y avait entre la France occupée, les territoires en France occupés par les italiens et aussi avec l'Italie ? »
Robert Paxton « Oui, c'est un point très intéressant. L'Italie alliée des nazis avait une autonomie totale. Il n'y a pas de parallèle. Les lois antisémites n'ont été appliquées qu'après 1943 après le renversement de Mussolini et sa libération par les nazis. Il crée alors un gouvernement fantôme, mais les allemands font les déportations mais sans l'aide de la police italienne. Les allemands ont tout fait eux-mêmes. Seulement 12 % des juifs ont été déportés, 7 000 sur 50 000. »
L'avocat général Robert « Merci au professeur Paxton pour son témoignage capital sur le rôle de Vichy et des nazis. Je me méfie toujours des historiens qui se font juges. Quels sont les liens entre le séisme qu'a connu la France avec la défaite et la politique de collaboration. Comment expliquer la politique d'exclusion, était-ce une conséquence de la défaite ou une politique revancharde ? »
Robert Paxton « Le renouveau de la Révolution Nationale c'est comme si on repeignait le toit de la maison pendant que la maison brûle. »
L'avocat général Robert « La politique antisémite en Algérie a t-elle été appliquée à la demande allemande ? »
Robert Paxton « Non, Vichy l'a appliquée de lui-même dès le 7 octobre 1940 en Afrique du Nord. »
L'avocat général Robert « Parlez-nous des acteurs français dans la mise en place de la politique antisémite ? Quel était le rôle du commissariat aux questions juives ? Le commissariat aux questions juives était-il le seul concerné ? Jouait-il une part centrale dans l'organisation des rafles ? »
Robert Paxton « Le commissariat aux questions juives jouait un rôle plutôt voyant. Un rôle d'organisation, de propagande. Mais la politique anti juive n'était pas de son fait, elle était due à l'état. Avec Xavier Vallat, on a une législation forte, avec l'arrivée de Darquier de Pellepoix, on a un certain adoucissement des mesures. Le commissariat aux questions juives joue un rôle de surveillant, les vraies décisions viennent du secrétariat général de la police avec le soutien de Laval qui accepte le projet. »
L'avocat général Robert « Ce que vous venez de décrire est-il dû à un conflit entre services, à une querelle de pouvoir ou à un conflit plus profond ? »
Robert Paxton « Les pouvoirs de cette police supplétive sont faibles. Le rôle principal est joué par l'administration et la police qui faisaient leur travail dans un esprit de collaboration d'état alors que le commissariat aux questions juives le faisait avec un état d'esprit collaborationniste. »
L'avocat général Robert « Les allemands n'ont-ils jamais eu envie de prendre la responsabilité de cette politique et ont toujours laissé faire ? »
Robert Paxton « En Belgique par exemple, où les allemands régnaient seuls, les nazis n'ont pris que les juifs étrangers par peur de troubler l'ordre public. Ce que voulaient les nazis en France, c'était la participation active de l'administration à la déportation. »
L'avocat général Robert « Etait-ce un diktat ou un accord ? Un des moyens de la défense consiste à dire que l'obéissance aux nazis permettait de saboter le plan allemand ? »
Robert Paxton « Non, cette thèse a fait faillite. »
L'avocat général Robert « Deuxième argument de la défense, en déportant les juifs étrangers, on sauvait les juifs français ? »
Robert Paxton « Cette thèse est très difficile à soutenir. Tout le monde au pouvoir était conscient que les juifs français allaient partir à leur tour. La thèse du "bouclier" avancée par les partisans de Vichy est complètement fausse. De même, l'idée de juifs « intéressants » est une vue de l'esprit. Il n'y a jamais eu dans l'esprit du gouvernement de Vichy de sauver les juifs français. »
Le président Castagnède « Au sujet des accords de Juillet, vous dites bien que dès ce moment, les responsables français savent que les juifs français seront déportés. »
Robert Paxton « Oui, d'ailleurs, Danneker a dit à Bousquet que tous les juifs seraient déportés. Sans accord écrit, rien ne disait le contraire. »
L'avocat général Robert « Troisième argument de la défense, une excuse de la collaboration était l'aspect humanitaire. Il valait mieux que les juifs soient arrêtés, convoyés par les français. Qu'en pensez-vous ? »
Robert Paxton « Je crois qu'il y avait très peu d'intentions humanitaires dans la politique de Vichy. Dans les camps français, les conditions de vie étaient très dures. Les conditions étaient déplorables et même meurtrières. Le préfet Jean Fort qui a mené une mission d'enquête à cette époque, était indigné, il y régnait la corruption, un taux de mortalité très élevé et des conditions de santé très mauvaises. »
L'avocat général Robert « Que pouvez-vous nous dire au sujet de la déportation des enfants ? Quand a -t-elle débuté ? Qui l'a demandée et pourquoi ? »
Robert Paxton « Les allemands demandaient les juifs de 16 à 60 ans. Puis plus tard, tout le monde. A l'automne 1942, c'est le gouvernement français qui propose la déportation des enfants. Laval disait « c'est pour réunir les familles »
L'avocat général Robert « Certaines autorités régionales ont refusé de collaborer. Quelle était la marge de manoeuvre? »
Robert Paxton « Il était possible de désobéir. En avril 1942, le général Robert de Saint Vincent refuse d'arrêter les juifs. Il a été mis à la retraite. En 1943, à Marseille le préfet Joseph Rivallan refuse de donner des otages. Il ne donne qu'un nom, le sien. Il est mis à la retraite. »
L'avocat général Robert « Autre argument de la défense, on ne connaissait rien de la solution finale, mais on voyait bien que la destination des déportations était inconnue, on voyait bien que les gens déportés ne revenaient pas, il n'y avait pas de courriers, pourquoi les préfets n'en tiennent pas compte, ne font rien alors qu'ils savent que les voyages sont sans retour. »
Robert Paxton « Je ne sais pas, je ne peux rien dire »
L'avocat général Robert « Personne n'interrogeait les allemands, personne ne s'intéressait à leur sort ? »
Robert Paxton « En septembre 1942, Laval ne demande pas à connaître le sort réservé, il ne s'occupe que de savoir ce qu'il doit répondre aux opportuns. On lui répond dites qu'il s'agit de colonies agricoles. Le Pasteur Bukner raconte qu'il parle de massacres à Laval et Laval lui répond pas des massacres, mais du jardinage.
Maître Jakubowitz « Je ne poserai que des questions courtes au Professeur Paxton que je remercie de son brillant témoignage. Je rappelle aussi que Paxton a été le premier à s'intéresser à cette période. En 1940, Pétain prend le pouvoir, pouvez-vous rappeler la chronologie des lois anti juives ? »
Robert Paxton « Pétain prend le pouvoir le 10 juillet 1940. La première loi date du 17 juillet, c'est l 'exclusion de la fonction publique des étrangers. Le 08 août, c'est l'annulation de la loi Marchandeau qui interdisait les propos antisémites. Le 3 octobre, c'est la première loi antisémite. En mars 1941, c'est la création du commissariat aux questions juives . Le 22 juillet 1941, c'est la deuxième loi sur le statut des juifs. »
Maître Jakubowitz « Peut-on dire que la législation anti juive était une obsession de Vichy ? »
Robert Paxton « C'est un des thèmes constants, mais pas le seul »
Maître Jakubowitz « La législation anti juive était-elle connue de la population française ? »
Robert Paxton « Certainement, Cela ne fait aucun doute. Il était impossible de l'ignorer quand on ne voyait pas revenir un collègue à son travail ou quand un instituteur ne voyait plus certains enfants revenir en classe. »
Maître Jakubowitz « Cet ensemble législatif, non voulu par les allemands est-il un cas unique en Europe ? »
Robert Paxton « Oui, on ne peut pas dire que cela n'a pas existé ailleurs, mais pas à ce point. Il y a les cas de la Hongrie et de l'Italie. La France n'est pas seule dans ce cas. Mais en France, les allemands n'ont jamais rien demandé au début. »
Maître Jakubowitz « En 1941, Kurt Lichka dit : il convient de laisser aux français le soin d'organiser les déportations, cela évitera les réactions dans la population française. Le confirmez-vous ? »
Robert Paxton « Oui, j'ai lu ce texte, il y en a d'autres qui vont dans le même sens. Les allemands étaient contents que le gouvernement de Vichy soit le seul responsable. »
Maître Jakubowitz « Il y a eu des rafles dès 1941 ? »
Robert Paxton « Oui, trois en 1941 à Paris. Le 14 mai, 5000 juifs sont arrêtés par la police municipale. Août 1941, nouvelles arrestations après les premiers attentats de la résistance. Décembre 1941, c'est la rafle des notables juifs, toujours pour les mêmes raisons. La plupart seront gardés dans les camps et les survivants partiront avec les premiers convois de 1942. »
Maître Jakubowitz « Le commissariat aux questions juives indique dans un texte que ce sont les autorités allemandes qui ont pris la décision, que la population est remontée. »
Robert Paxton « C'est faux, c'est l'avis du rédacteur de la note, pas la vérité. »
Maître Jakubowitz « En 1941, la loi du 22 juillet sur l'aryanisation joue-t-elle un rôle dans la déportation ? »
Robert Paxton « Oui, sans aucun doute, cette loi a rendu les juifs beaucoup plus vulnérables. Quand les déportations arrivent, ils ne savent plus où se cacher. »
Maître Jakubowitz lit une note adressée au préfet de la Gironde signée de Papon, demandant au président des avoués de tout mettre en oeuvre pour aryaniser et organiser la spoliation des biens juifs. D'autre part, pouvez-vous nous expliquer à quoi correspond exactement la conférence de Wanzee du 20 janvier 1942 ? »
Robert Paxton « C'est la fin de la politique d'expulsion et le début de la politique d'extermination générale en Europe. »
Maître Jakubowitz « Pouvez-vous confirmer qu'en France occupée comme en France non occupée, les arrestations et les déportations se font sans aucunes difficultés? »
Robert Paxton « Oui, tout à fait. »
Maître Jakubowitz cite alors un texte d'une note adressée au préfet de l'Oise par un commissaire qui relate l'arrestation d'un magistrat. Le texte est très chargé d'émotion. »
Le président Castagnède « Je lirai intégralement ce texte plus tard. »
Maître Levy revient sur la politique italienne en France. « Est-ce vrai que les italiens s'opposaient aux policiers français pour empêcher les arrestations et les déportations. Est-ce vrai que les italiens ont attaqué un camp de prisonniers français pour les libérer. Est-ce vrai qu'ils ont refusé d'apposer leur visa aux déportations ? Est-ce vrai que Laval a répondu aux allemands en disant qu'il était d'accord pour qu'on libère les juifs italiens mais qu'il protestait quand il s'agissait des juifs français et étrangers ? »
Robert Paxton « Oui, tout à fait. Le sort des juifs était bien meilleur sous l'autorité italienne que sous celle de la France. »
Maître Levy lit ensuite un document montrant que les autorités de Vichy savait que de toute façon, les juifs français seraient tous déportés. »
Maître Favreau « Xavier Vallat a dit que sa politique avait servi de bouclier, que Vichy aurait sauvé 95 % des juifs français. »
Robert Paxton « Ces chiffres et tout bilan en général ne sont pas valides »
Maître Favreau « J'admets que ces statistiques sont inqualifiables. Mais en 1942, combien y avait-il de juifs en France ? On parle de 300 000 juifs, mais c'était avant la guerre, en 1939? Il est faux en 1942.
Robert Paxton « Oui, vous avez certainement raison. »
Maître Favreau cite un document qui dit « que sans l'aide de l'administration et de la police françaises, il était presque impossible de les arrêter et de les déporter. »
Robert Paxton « Oui, je connais ce texte. Il est authentique. »
Maître Favreau « Vous avez parlé de l'armistice, vous disiez que ce n'était pas la seule solution, pouvez-vous nous expliquer ? »
Robert Paxton « Je pense qu'on ne pouvait pas se retrancher derrière un « on ne pouvait rien faire ». Vichy voulait un accord de Paix avec Hitler. Ils n'ont eu qu'une armistice, j'ai expliqué au début pourquoi. »
Maître Blet « Vous avez évoqué un Vichy faisant une collaboration d'état. Mais avant la prise du pouvoir par Pétain, peut-on parler de fascisme à la française ?
Robert Paxton « Vichy n'est pas un régime fasciste, au sens italien du terme par exemple. Il n'a pas l'enthousiasme du fascisme italien. Je dirai plutôt que Vichy est un état autoritaire comme le Portugal de Salazar. »
Maître Boulanger « Cassain a dit que Vichy était illégitime, qu'en pensez-vous ? »
Robert Paxton « Vichy repose sur une base légitime. Malgré les quelques entorses à la procédure de prise de pouvoir, mais ce n'étaient que des entorses d'ordre technique. Pour beaucoup de français, le vote donnait une légitimité à Pétain. Ce n'est qu'après le coup d'état du 11 juillet que Vichy devient illégitime. »
Maître Boulanger revient sur l'Italie et l'occupation italienne.
Maître Moulin-Boudard « Avez-vous eu connaissance des activités d'Henri Amouroux à Bordeaux ? »
Robert Paxton « Non, pas du tout. »
Le président Castagnède intervient. « Monsieur Paxton, je vous demande de ne répondre qu'après mon accord. Cette question n'avait pas à être posée. On ne demande pas l'avis à un témoin sur un autre témoin. »
Maître Varaut « Vous êtes l'historien des parties civiles. Votre place ici est-elle compatible avec votre éthique ? Le rôle d'un historien est-il de venir dans un tribunal ? »
Le président Castagnède « Non, Maître Varaut, un témoin dès qu'il est entendu par la Cour devient le témoin de tout le monde. »
Maître Varaut « Excusez-moi, vous avez raison. »
Robert Paxton « Les historiens n'ont pas à refuser de venir. Un historien n'est ni un témoin oculaire ni un juge. En 1963, au procès des gardiens d'Auschwitz pour crimes contre l'Humanité, les historiens sont intervenus pour expliquer le contexte. Après leurs affirmations, certains propos n'étaient plus possibles. » Comme cette remarque va bien à Papon et à Varaut.
Maître Varaut « Avez-vous travaillé sur documents ou sur témoignage ? »
Robert Paxton « Les deux. Mais il faut utiliser les témoignages avec circonspection. »
Maître Varaut « Peut-il parler du rôle de Papon ou en a -t-il eu jamais connaissance ? »
Robert Paxton « Non, jamais »
Maître Varaut signale deux erreurs commises par Paxton. Robert Paxton « Je déments formellement, c'est vous qui commettez une erreur. »
Maître Varaut lui rappelle alors les dernières lignes d'un de ses livres : « Lorsqu'il fallut choisir entre deux solutions -faire son travail, donc courir des risques moraux et abstraits, ou pratiquer la désobéissance civile, donc s'exposer à des dangers physiques immédiats-, la plupart des Français ont poursuivi leur travail. L'auteur et les lecteurs de cet ouvrage, hélas, auraient peut-être été tentés d'en faire autant ».
Robert Paxton " Je ne le renie pas »
Papon « Je ferai une observation de style. J'ai été surpris d'entendre tout à l'heure Monsieur le professeur dire que l'historien ne juge pas... L'histoire, c'est comme la science. Je pense que c'est une matière extrêmement fluide et qu'il est difficile de l'appréhender. L'histoire de Louis XIV ou de la Révolution française n'a plus été la même après les jugements de deux historiens. J'ai noté avec intérêt la réflexion de M. Paxton disant qu'un document comporte plusieurs lectures. C'est ce que nous aurons l'occasion de démontrer durant ces débats »


Vient alors une pause, l'audition de Paxton a duré 4 heures. Pendant la pause, ça discute ferme. Les chiffres et leur évocation par la défense ont quelque chose d'ignoble. A ce compte se sont-ils posé la question sur les chiffres de Bordeaux ? Quel est le score de Papon. A ce hit parade-là il doit être à la première place. Si en France, le score de déportation atteint 25 % . De combien est-il à Bordeaux. Papon compte à son actif 1560 déportations. La population avant guerre pour la région avoisinait 3 000. Pendant la guerre, d'après Michel (Slitinsky) la préfecture avait fiché 1760 personnes. Alors Maître Varaut combien font 1560 sur 1760 ?


Henri Amouroux, écrivain, est membre de l'Institut où il côtoie Maître Varaut, et il est doyen de la section histoire et géographie « J'ai juré de dire la vérité, mais la vérité pour parler d'une époque aussi dramatique que celle que j'étudie depuis 40 ans, ne va pas sans une certaine complexité. Il évoque son ami Paxton (craindrait-il la comparaison? ). Je ne suis pas de ceux qui croient que l'histoire peut s'écrire en noir et blanc, je veux souligner l'épaisseur d'ignorance dans laquelle vivait la grande majorité des français. Nous n'étions pas comme aujourd'hui sur informés, avec Internet, les télévisions les radios, tenez prenez l'exemple des radios, il y en avait très peu, dans un village on a recensé qu'il y avait une radio pour 300 habitants. Les français avaient d'autres priorités que s'intéresser au gouvernement de Vichy et à la connaissance de la solution finale. Les connaissances d'aujourd'hui ne doivent pas nous faire oublier l'ignorance d'hier. Vichy a été un moindre mal et la lenteur dans l'application de la loi sur l'aryanisation des juifs montre que l'administration pouvait freiner les demandes allemandes. Je rappelle combien les Français ont été privés d'informations. La défaite de 1940 a été vécue comme un séisme, elle a plongée les Français dans un pays occupé avec une armée anéantie. La préoccupation prioritaire était de retrouver les enfants et les parents perdus pendant la débâcle, puis le ravitaillement, et enfin le retour dans leur habitation. Il y avait 1,9 million de prisonniers et on n'a connu leur sort que beaucoup plus tard. Les éveilleurs de conscience - les Etats-Unis et tous les pays représentés à Vichy, le parti communiste et l'Eglise - n'ont pas alerté l'opinion publique, la population était coupée de la réalité par la censure de la presse. Le général de Gaulle n'a jamais parlé dans ses discours de Londres des camps de concentration. Que savait-on exactement ? Le mot qui revient le plus souvent au sujet des camps de la mort lors de leur découverte est : inimaginable. Oui, certainement, il y avait un devoir d'information. Mais on savait très peu parce que c'était inimaginable, impensable. Je résume le témoignage de Henry Amouroux, car il y a beaucoup de bal bla.
Maître Jakubowitz « Etes-vous historien ? »
Henri Amouroux « Certainement pas, je suis journaliste, mais j'essaie d'écrire des livres d'histoire »
Le président Castagnède « Je souhaite Maître Jakubowitz que vos questions soient posées avec moins de passion »
Maître Jakubowitz « Si, je dois parler avec moins de passion, alors je quitterai ce procès avec ma passion »
Le président Castagnède « Non, Maître, je vous demande de maîtriser vos passions bien que je les comprenne »
Maître Jakubowitz « Où étiez-vous pendant la guerre ? »
Henri Amouroux « A Bordeaux »
Maître Jakubowitz « Vous avez contribué à des articles dans la Petite Gironde »
Henri Amouroux « Oui, j'avais 21 ans, je n'écrivais pas des éditoriaux, mais quelques articles sur des gloires françaises, employé à 700 F par mois. J'avais une vague idée de l'entreprise, le journal existait depuis quelques années, il a continué à paraître comme la quasi totalité de la presse de province mais était moins excité que la presse parisienne»
Maître Jakubowitz « Est-ce que le journal était maréchaliste ? »
Henri Amouroux « Oui »
Maître Jakubowitz « Etait-il pro nazi ? »
Henri Amouroux « Non, ce n'est pas ce journal-là qui pouvait aider les Bordelais à savoir ce qui se passait, il était Maréchaliste certainement, nazi, non!"
Maître Jakubowitz lui cite alors des articles de la petite gironde carrément pro nazis qui laissent sans voix ni réponses notre brave historien.
Maître Favreau rend hommage à Henri Amouroux qui l'a cité dans sa déposition, le remercie d'avoir cité sa dédicace et de l'avoir apprise par coeur pour l'occasion. « Je ne retire rien de ma dédicace, car c'est grâce à vous, que je me suis intéressé, à 20 ans, aux exactions de la milice »
Maître Boulanger l'attaque très directement sur sa mise en cause après la guerre et sur une suspension professionnelle dont il a été frappé. « Votre carte de journaliste a bien été suspendue durant six mois par la commission d'épuration ?"
Henri Amouroux « Je n'en ai pas le souvenir »
Maître Boulanger s'apprête à poser une autre question, il est 20 heures.
Le président Castagnède « Je ne veux pas d'autres mises en cause du témoin »
Maître Boulanger « Si je ne peux pas travailler librement dans ce prétoire, je vais devoir quitter le procès »
Le président Castagnède « Vous êtes libre de le faire »
Maître Boulanger range son dossier et s'en va.
Maître Blet « Monsieur le président, ce que vous venez d'indiquer est lourd de conséquences, nous voulons nous faire une idée de ce qui s'est passé, j'avais moi-même l'intention de plaider sur le passé douteux d'Henri Amouroux. En l'empêchant de répondre à nos questions, vous empêchez d'entendre la réponse du témoin, il est présent et il a le droit de se justifier. »
Le président comprend alors son erreur, l'explique par l'heure tardive et la fatigue générale et décide alors de faire revenir Henri Amouroux lundi et clôt le débat.
Papon « J'ai entendu cet après-midi de la part des parties civiles beaucoup d'interprétations vicieuses, de calomnies et de mensonges. Je me réserve d'y répondre point par point lorsque l'ordre du jour appellera ces faits.»


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Page mise à jour le 14 octobre, 2002

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