date
dernière modification : 22/07/02
Chronique du
vendredi 14 novembre :
« Jackie et Eliane, les
enfants rescapés. »
Aujourd'hui à la barre, deux enfants rescapés de 55 ans trop vieux.
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Une fois de plus, l'audience a tourné court. Papon encore malade fait décaler
l'audience de 10 jours. Il montre combien le président Castagnède s'est
fait piéger il n'a plus de maîtrise du procès, plus de possibilité de
demander une surveillance médicale, plus de possibilité de contrôler
son état de santé. D'une certaine façon, nous voilà à la merci de
Papon, qui quoi qu'il arrive, à 87 ans, pourra toujours affirmer qu'il
est malade... Il suffit qu'il trouve un médecin bienveillant et alors, le
procès sera escamoté selon son bon vouloir.
Voilà au moins une certitude quant au nécessaire maintien de Papon en
incarcération médicalisée.
Je parle de médecin bienveillant, parce que paraît-il, le professeur
Chaussat, serait d'extrême droite...
Et a cause de cet élément particulièrement négatif, on est en droit de
se demander si le procès ira bien à son terme ?
L'audience d'aujourd'hui a été marquée par l'audition de Jackie et d'Eliane.
Nous en avions parlé dès le matin avec Jackie en venant de Bergerac et
étions d'accord pour demander la parole à la barre. Mon père, malade et
absent, m'avait même mandaté pour intervenir en son nom, si Jackie n'était
pas intervenu. Eliane que nous avons vu juste avant l'audience a de suite
été d'accord pour accompagner son frère. Jackie, en quittant vendredi
dernier Bordeaux, me parlait de cette époque où à l'âge de 5 ans, il
voyait ses parents partir pour un voyage sans retour... « je me sentais
comme une vieille valise abandonnée sur le quai d'une gare... »
aujourd'hui, avec sa soeur à ses côtés, dignes et emplis d'émotion à
la barre, j'avais tendance à les voir rajeunis, côte à côte, main dans
la main, comme il y a 55 ans sur le chemin d'une école de Mériadeck,
membres d'une vraie famille unie.
J'ai le sentiment qu'ils étaient un peu moins cette vieille valise
abandonnée...
Nous voulions qu'on arrête d'entendre la voix et le discours de ce
criminel contre l'humanité, pour enfin entendre notre voix, celle des
vraies victimes. Nous aussi, nous avons nos problèmes d'âge, de santé,
de déplacement. Et surtout, nous aussi, nous avons des choses à dire,
qu'aucun mot ne peut verbaliser, ne peut conceptualiser, ne peut
expliquer. Il fallait que ce soit nous-mêmes les victimes qui venions
nous exprimer avec notre chair à la barre. Il fallait dire notre émotion.
Ce sont Eliane et Jackie qui l'ont fait les premiers, comme cela aurait pu
être René ou Juliette...
L'audience reprend.
Le président Castagnède « Nous constatons
l'absence de l'accusé. J'indique que j'ai été destinataire d'un fax
d'Alain Choussat. Il certifie avoir examiné Papon. Cet examen clinique
met en évidence l'aggravation pneumo pleuropathique, rend son
hospitalisation nécessaire pendant 10 jours au minimum. »
Le procureur général Desclaux « Cette bronchite et le
certificat médical remet en cause la validité de ce procès à un moment
important, celui où nous allions enfin, évoquer les faits et entendre
les parties civiles. Je demande que soit nommée une contre expertise. »
Maître Boulanger « Nous sommes encore obligés de
constater la situation avec beaucoup de tristesse nous arrivions à un
moment important, celui où nous allions enfin aborder les faits. J'ai
deux observations et une requête à déposer. La première observation
est que Papon est victime de sa propre stratégie de défense. Les faits
pour lesquels il est poursuivi sont gravissimes et il avait intérêt à
ce qu'ils soient retardés au maximum. Heureusement, sur les 80 témoins
demandés par la défense, nous n'en avons entendus que 25. Nous avons
tous l'impression que le procès piétine, aussi bien les parties civiles,
la cour, le public. Mais cette tactique a eu pour effet d'épuiser tous
les participants. Et de cet épuisement, Papon en a été victime lui-même.
Je tiens à le dire, je ne veux pas entendre dire que c'est de la faute
des parties civiles que le procès piétine. Au contraire, elles ont été
exemplaires de dignité et de patience.
Deuxième observation, nous avons été placé devant une situation
difficile avec une organisation des débats et des témoins qui ne
connaissaient même pas l'accusé au moment des faits ou seulement après
1945. On a abordé des points sur lesquels Papon s'exprimait en toute
liberté. Il fallait bien que nous réagissions, nous ne pouvions pas
laisser dire n'importe quoi. Nous avons été placés devant une situation
exceptionnelle de la faute de la défense.
Enfin, j'ai une requête à déposer qui émane des parties civiles. Elles
sont touchées par cet événement. Une des parties civiles veut
s'exprimer pour vous le dire. Elles n'ont pas pu parler, elles ne savent
pas si elles pourront parler. Elles ne savent pas si elles pourront le
faire un jour... »
Le président Castagnède, après une très longue hésitation,
« De qui s'agit-il ? Levez-vous»
Maître Boulanger « Il s'agit d'une partie Civile,
Jackie Alisvaks »
Le président Castagnède « Monsieur Alsivaks,
approchez-vous »
Je suis assis entre Jackie et Eliane, Jackie se lève, Eliane a mes
côtés hésite, me dit tu crois que je peux y aller le président n'a
parlé que de Jackie, Je lui dit que oui, il faut qu'elle y aille et quand
Jackie passe devant nous, elle se lève et le suit. Les autres parties
civiles, comme nous l'avions décidé auparavant, nous nous levons pendant
leur témoignage.
Jackie Alisvaks « Merci, monsieur le président
de me donner la parole, chaque fois que l'accusé se retrouve devant ses
responsabilités, il replonge dans une nouvelle maladie. Nous avons besoin
de nous exprimer... Il y a 55 ans qu'on a besoin de parler, nous aussi,
nous avons des gens malades, par exemple Maurice Matisson a la même
maladie que Papon. Mais aussi, nous voulons exprimer notre indignation, je
viens de Lyon, ma soeur Eliane vient de Paris. C'est intolérable. La
deuxième raison, nous vous demandons qu'il y ait une contre expertise
tous les jours pour que Papon revienne le plus tôt possible. »
Eliane Dommange « Je voudrais dire quelque chose,
monsieur le président »
Le président Castagnède d'un geste lui donne son accord.
Eliane Dommange « Nous en avons assez que Papon se dérobe.
Mes parents sont Henri et Antoinette Alisvaks. Papon a pris la vie de nos
parents et maintenant, il nous empêche de parler, c'est intolérable. Il
ne faut pas qu'il nous empêche de parler, cela fait 55 ans que nous
voulons parler. Nous voulons nous exprimer depuis 55 ans et aujourd'hui,
on nous en empêche. »
Jackie Alisvaks « Je voudrais ajouter quelque chose.
C'est nous les victimes, on nous joue la comédie. Nous faisons entière
confiance aux avocats des parties civiles et à la cour. »
Maître Varaut « Ce procès est une commémoration, je
rends hommage à la douleur des parties civiles. Je me plains aussi de la
longueur des audiences ... » dit que ce n'est pas volontaire si Papon est
malade, etc... Etc...
Maître Jacob « La ligue des droits de l'Homme
continuera dans ce procès avec la même volonté. J'entends dire que nous
ne sommes pas épuisés, que nous continuerons le combat jusqu'au bout. »
Le président Castagnède « J'ordonne une contre
expertise médicale du professeur Pariente, les deux délibéré qui
devaient être rendus demain sont remis au 27 Novembre. L'audition de
Madame Hippolyte est remise au 27 novembre. »
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