Cliquer sur la cocarde

Tout sur le procès de Bordeaux

Procédure et historique de l'affaire Papon

Les contributions et déclarations autour de l'affaire Papon

Les traductions en anglais, espagnol et néerlandais

Actualité

Le cédérom et le livre sur l'affaire Papon

Les documents

Les acteurs de l'affaire Papon

1961 - les évenemlents d'Algérie, les archives

Les liens sur l'affaire Papon

 

 

date dernière modification : 20/10/02

Chronique du 3 novembre 1997

Varaut change de camp

Remonter ] Suivante ]


 

3 novembre 1997

Varaut change de camp

Voir aussi les éléments de l'interrogatoire de l'accusé par l'Avocat Général Marc ROBERT

Maître Varaut fait des siennes aujourd’hui, et maladroitement, fait s’écrouler tout un pan de sa défense qu’il avait eu bien du mal à bâtir. Il faut bien reconnaître que sa stratégie de défense est difficile à comprendre. Je parle, ici en spécialiste de stratégie, étant joueur d’échecs à mes heures. Il commence sa première intervention avec une envolée lyrique à l’attention de ses " collègues " des parties civiles. " Je rappelle, que tout procès, et en particulier celui-ci est une commémoration. J’en appelle à un retour à une plus grande dignité entre nous par respect à la mémoire des disparus en cet instant historique que nous construisons. Je dis aux parties civiles, respectons-nous les uns les autres. ". Puis passant, des paroles aux actes, déclare à Jean-Pierre Azema pourtant, accablant pour son client, " Je partage tout à fait votre analyse " Il le dit deux fois. J’ai beau chercher les points sur lesquels il peut être d’accord, j’avoue ne pas en voir. Serait-ce quand Azema dit : " Les responsables de la préfectorale avaient de grandes marges de manœuvre, s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu au plan national comme au plan départemental, freiner la déportation " ? Ou encore est-ce quand Azema dit " les responsables ministériels et préfectoraux vont devenir des complices avérés, patents, des déportations des Juifs de France " ?

Enfin, tout s’éclaire quand Varaut avec une innocence dangereuse pour Papon s’envole encore dans des grandes considérations familiales (dont Papon se serait bien passé) et cite son beau-père, avocat de son état, qui s’employait avec une certaine ardeur à faire condamner des Juifs à des peines de prison comme droits communs en complicité avec les juges, afin de leur faire éviter la déportation. Maître Arno Klarsfeld, l’esprit vif saute sur l’occasion et fait remarquer à Varaut. " Si je comprends bien, votre beau-père plaidait pour faire condamner des Juifs pour leur éviter la déportation ? " Varaut " Oui, je confirme " Maître Klarsfeld " Alors je ne comprends pas pourquoi, Maître, alors que Papon, vos témoins et vous-mêmes, vous vous évertuez depuis le début du procès à dire que personne ne connaissait la solution finale et que le voyage à l’Est était sans danger, qu’il ne s’agissait que de bâtir un nouvel Etat juif ou pour faire du jardinage. Alors pourquoi, votre beau-père, lui, s’évertuait-il à leur faire éviter la déportation, puisque d’après vous, elle ne comportait aucun risque ? "

Et patatrac, j’imagine les explications hautement stratégiques qu’a dû fournir Varaut à son client.

Enfin, pour une fois, personne de notre côté ne se plaindra de la stratégie de la défense.

Le président Castagnède " Statuant sur l’incident contentieux présenté par la défense de prendre acte que l'historien Robert Paxton n'avait vendredi ni déposé sur les faits, ni sur la moralité de l'accusé, en contradiction avec le code de procédure pénale. Attendu que la connaissance des faits reprochés à l’accusé ne peut se faire sans la connaissance du contexte historique de l’époque, je rejette le donné acte. "

Papon et Varaut : Personne ne connaissait la solution finale...

Grâce aux souvenirs de Varaut :

Mon beau-père, avocat de son état, s'employait avec une certaine ardeur à faire condamner des Juifs à des peines de prison comme droits communs en complicité avec les juges afin de leur faire éviter la déportation.

En voilà un au moins qui savait...

Mais qu'est-ce qu'il dit ?

Maître Varaut " Je suis préoccupé par la mise en cause, par les parties civiles des témoins à la barre. Harcelés par des avocats qui connaissent mal le fonctionnement des assises. J’ai entendu des rumeurs qu’il était dans leur intention de continuer à mettre en cause d’autres témoins comme moi-même. Je rappelle que tout procès et en particulier celui-ci est une commémoration. J’en appelle à un retour à une plus grande dignité entre nous par respect à la mémoire des disparus en cet instant historique que nous construisons. Je dis aux parties civiles, respectons-nous les uns les autres. N’ayons des débats que dans la cour. "

Le président Castagnède " Ai-je donné lieu, à un quelconque moment, à ce que la dignité des débats ne soit pas respectée ? "

Maître Varaut " Non. "

Le président Castagnède " Alors, je continuerai à me faire le défenseur de celle-ci. "

Maître Jacob " Je tiens à reprendre Maître Varaut sur la façon, dont il a mis en cause Jean Moulin. Il n’a jamais pu en aucune manière faire ce que lui reprochait Maître Varaut. La dignité, on le voit bien, est de notre côté. "

Maître Levy " Monsieur le Président, ne serait-il pas préférable d’entendre l’accusé sur la période 40-42 avant d’entendre le témoin, M. Azema ? "

Le président Castagnède " Vous m’avez fait déjà cette demande, je ne vois pas de raisons nouvelles d’entendre le témoin avant, huissier, faites appeler le témoin. "

Maître Levy " Je m’incline, mais je dis mon étonnement, ma surprise de voir que l’accusé ne s’exprime qu’après le témoin. Ainsi, l’accusé pourra se réfugier derrière les propos de l’historien. "

Le président Castagnède " Je trouve épuisant qu’au début de chaque audience, il y ait dix minutes d’incidents. Je ne vois pas de difficultés à ce que l’accusé s’exprime après le témoin sur la période 1940-1942. Nous sommes toujours sur le curriculum vitae et aucun des faits reprochés ne sera abordé. "

L'exposé d'Azéma : riche et très éclairant de cette période

Papon suit attentivement le cours de

J.P. Azéma sur Vichy

Jean-Pierre Azéma, 60 ans, enseignant. " Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, je ne suis pas d’un âge pour être un témoin oculaire. Mon témoignage sera celui d’un historien. J’éviterai de tomber dans deux pièges, l’anachronisme et les effets pervers de la mémoire. J’ai travaillé sur le fichier juif et j’ai étudié le travail des préfets. J’essaierai aussi de ne pas répéter les propos d’Amouroux et de Paxton.

Pourquoi Vichy ?

Parce que les Français ne peuvent pas se relever de la déroute militaire. Il s’ensuit une profonde perturbation des esprits. La France a été confrontée à sa plus grave crise d’identité du XXème siècle. Il est vrai que la majorité des Français a plébiscité Pétain, c’était le vainqueur de Verdun, les Français approuvaient l’armistice. C’était la fin de la guerre et traumatisés par la défaite et la crise des institutions, les Français espéraient de lui qu'il aille finasser avec Hitler et qu’il mette fin à la crise d'identité nationale (...) Pétain met fin immédiatement à la République et en octobre 1940, il met en place un régime autoritaire.

Comment définir la collaboration d’état ?

C’est un projet essentiel de la "révolution nationale". La défaite, c’est la défaite des socialistes, des communistes, des politiciens. Au plan constitutionnel, Pétain en profite pour s’octroyer les pleins pouvoirs, c’est un régime de type autoritaire et personnel. Il désigne même son successeur, Laval. Sur le plan institutionnel, après s'être octroyé "en deux jours" les pleins pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, Philippe Pétain s'empresse de supprimer les assemblées et les centrales syndicales. Les médias subissent, dans le même temps, une censure très stricte. La voie est ouverte à la "collaboration d'Etat", souhaitée par Vichy. Le maréchal Pétain, qui inspire aux Français la plus grande confiance, va instaurer un régime autoritaire et éliminer tous les contre pouvoirs, la presse, les médias, les assemblées nationales et départementales. Comme conséquence, l’administration se retrouve enfin seule : pour les fonctionnaires, c’est la belle époque. Ils vont pouvoir enfin faire passer les lois qu’ils veulent. Ils désignent les maires, etc.

Deuxième conséquence, les préfets qui sont particulièrement choyés par le pouvoir, ont une grande autonomie. L'administration est enfin seule. Elle a un pouvoir incontestable. C'est une belle époque pour les fonctionnaires. Celle de la montée des préfets, des fonctionnaires particulièrement choyés par les honneurs, les gratifications et le pouvoir, des vice-rois qui règnent dans les départements français. L'administration est enfin seule. Elle a un pouvoir incontestable. C'est une belle époque pour les fonctionnaires. Celle de la montée des préfets, des fonctionnaires particulièrement choyés par les honneurs, les gratifications et le pouvoir, des vice-rois qui règnent dans les départements français. Les internements de Juifs étrangers, dès octobre 1940, dépendent du bon plaisir du préfet.

Comment définir cette "révolution nationale" ?

C’est le refus de l’individualisme, c’est le retour des communautés naturelles, la famille, la patrie, le travail. On vante les élites et l’émergence des chefs. C’est le refus de l’intellectualisme et le retour des artisans et des commerçants.

C’est un nationalisme ferme opposé à l’Europe des jacobins qui veut l’Europe des droits de l’Homme.

Sur le plan idéologique, le nouveau régime se caractérise par un nationalisme fermé dans lequel les communistes, les étrangers, les francs-maçons, mais surtout les Juifs sont pourchassés sans merci.

Il y a un ennemi intérieur, c’est " l’anti-France ", il fonctionne comme un cheval de Troie, ce sont les communistes, les francs-maçons, les Juifs et les étrangers.

La priorité est alors de procéder à leur élimination sociale, politique et économique. Une rafale de lois en témoigne. La première loi est une loi contre les étrangers dans la fonction publique. Le régime de Vichy est xénophobe. Le 12 août, ce sont les lois contre les sociétés secrètes. Puis ce sont les lois antijuives, pourquoi le Juif ? Parce qu’il cumule les deux défauts, être étranger et Juif. "

Le témoin rappelle alors les chiffres des déportations de 41, 42 et 43 (voir Paxton). " Le 7 octobre, ce sont les lois antijuives en Algérie. Les Juifs français d’Algérie devenaient ipso facto des indigènes. Les Juifs français sont visés par les deux statuts. Le premier est l'œuvre de Raphaël Allibert, ancien de l’Action française et antisémite notoire. Pétain veut qu’il n’y ait plus de Juifs dans l’enseignement Le gouvernement unanime vote le deuxième statut le 2 juin 1941 qui est l'œuvre de Xavier Vallat. Il sera le 28 mars 1941, le premier directeur du commissariat aux questions juives ". Le témoin décrit les deux statuts et leurs différences. Les responsables ministériels et préfectoraux vont devenir des complices avérés, patents, des déportations des Juifs de France. Sur le terrain, ce sont les services préfectoraux qui y procèdent. Mais, plus que les lois, l'instrument le plus décisif de la politique antisémite de Vichy, ce sont les recensements et les fichiers. En juin 1941, puis en décembre de la même année, plus de 140.000 Juifs sont recensés par les préfectures. Les fichiers, très bien tenus, sont régulièrement mis à jour par les fonctionnaires. Ils puiseront allègrement, dans ce vivier, au moyen des rafles, commencées dès le printemps 1941, qui vont s'intensifier l'année suivante. Le 2 juillet 1942, Pierre Laval, après avoir offert aux Allemands, les Juifs étrangers de la zone libre, après y avoir ajouté, de son propre chef, les enfants de deux à seize ans, obtient que les arrestations puissent être effectuées par des policiers et gendarmes français. En règle générale, la police a manifesté un grand zèle. Qu'en pense l'opinion publique ? Plus que les rafles, c'est surtout l'instauration, en 1942, du service du travail obligatoire (STO) qui marque une certaine prise de distance avec le régime. Je note que la question juive n’est pas une question centrale pour Vichy. Si la conception allemande du monde est raciale, celle de Vichy ne l'est pas. La question juive n'est pas centrale, elle est un dossier parmi d'autres : apartheid, ségrégation, oui ; extermination, non. Les rédacteurs des lois antijuives, promulguées par Vichy, ne songent pas à l'élimination pure et simple mais ils reportent, sur les Juifs ainsi que sur les francs maçons et les étrangers, la responsabilité de la défaite de 1940. La police a manifesté un grand zèle pour arrêter les Juifs étrangers. Les fichiers étaient très bien tenus. La responsabilité des préfets est lourde. L'administration a fait preuve d'une efficacité redoutable. Les préfets ont considéré la question juive, certes comme une question épineuse, mais comme une question parmi d'autres. Le corps préfectoral était déchiré : comment vivre avec l'ennemi dans un régime autoritaire ? Le fichier était classé grâce à quatre critères, la nationalité, la rue, le nom et l’âge. A partir de 1942, on a fait monter sur Drancy des hommes, des femmes, plus tard des enfants. Je suppose que cela a été un choc, chacun pouvait se poser des questions. Les espaces de liberté, dont ont pu bénéficier les responsables de Vichy, sont beaucoup plus importants qu'on ne l'a dit. Il y avait toujours une échappatoire. La question juive n'était pas centrale pour Vichy, c'était un dossier parmi d'autres. Vichy était xénophobe, c'était le règne de l'apartheid, de l'exclusion, de la ségrégation, mais pas de l'extermination. Mais, dès lors que les autorités de Vichy voulaient éliminer "l'influence juive", comme on disait, les mêmes responsables vont devenir les complices avérés de la déportation des Juifs de France, ce qui va permettre à la police française de manifester un grand zèle pour arrêter les Juifs étrangers. Les Français ont fait plus preuve d'indifférence envers la politique de Vichy qu'ils n'y ont adhéré. Plus préoccupés par le sort de leurs prisonniers, cette indifférence va durer chez eux jusqu'en 1942. Cette année 42 qui sera la plus meurtrière, avec plus de 42.000 Juifs déportés vers les camps d'extermination, elle va marquer un net sursaut. Une partie des Français n'accepte plus de voir les Juifs arrêtés, séparés de leurs enfants, mis dans des trains. Ce sursaut des Français, j’estime que certains préfets, sous préfets et secrétaires généraux de préfecture l'ont également ressenti. Vichy a installé un régime autoritaire qui deviendra ensuite un Etat policier, a alimenté la machine de guerre du Reich , économiquement cela a été le premier pays d’Europe pour sa contribution économique. Vichy s'est rendu coupable de complicité avec l'occupant. Les responsables de la préfectorale avaient de grandes marges de manœuvre, s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu, au plan national comme au plan départemental, freiner la déportation. Bousquet s’est laissé berner et à donner les Juifs aux Allemands, il aurait pu refuser. L’opinion publique française bascule en 1942. On le voit en analysant le courrier de l’époque, elle évolue lentement jusqu’au STO où elle bascule définitivement. Elle ne supporte pas de voir les enfants séparés des mères juives. Elle a laissé passer les lois antijuives, mais n’accepte pas les arrestations et les déportations. En 1943, Pétain essaie de se dégager de la collaboration d’Etat et veut jouer un rôle de médiateur avec les Etats-Unis, mais les Allemands ne le laissent pas faire. En 1944, c’est l’arrivée de Darlan et d’Henriot et du pouvoir milicien qui s’impose à toutes les polices. Le sort des prisonniers intéresse davantage les Français que celui des déportés. " Puis le témoin cite l’exemple opposé de deux préfets, le premier à Lyon participe pleinement et le second en Haute Marne, refuse de collaborer. 35 ou 36 hauts fonctionnaires seront fusillés et 35 ne reviendront pas de déportation. Il cite quatre catégories de résistants, les gaullistes gaulliens, les communistes, les ni l’un ni l’autre et les Vichysto résistants (les vrais résistants, pas ceux qui jouent le double jeu, précise-t-il. Le plus célèbre d’entre eux est Mitterand).

L'avocat général Robert " C’est un exposé riche, très éclairant de cette période. Quel est le véritable but de la politique antisémite ? Si on met entre parenthèses l’extermination, que voulait Vichy, en privant les Juifs de leurs biens et de leurs droits sociaux ? Quel était l’avenir des Juifs, s’il n’y avait pas eu la déportation ?

Jean-Pierre Azema " Il est difficile de dire, ce qui serait advenu avec des si... C’est l’élimination de la vie politique sociale et culturelle, je ne vois pas d’autres raisons. Il s’agissait d’une mesure préventive pour que l’anti-France n’attaque pas la révolution nationale. "

L'avocat général Robert " La politique de 1940 - 1941 ne portait-elle pas en germe l’extermination ? Il y a une étrange ressemblance entre la législation française et allemande de 1938. Alors quand on sait ce qui s’est passé en Allemagne, comment ne pas être frappé par cette ressemblance ? "

Jean-Pierre Azema " La législation française s’inspire de celle du 14 novembre 1935. Mais Vichy n’épouse pas l’obsession raciste nazie. Le nazisme, c’est l’obsession raciste et l’expansion guerrière. "

Un assesseur " Comment expliquer la facilité avec laquelle le gouvernement français met à la disposition ses forces de police et de gendarmerie, alors qu’ils savent que les Allemands n’ont pas les moyens ? "

Jean-Pierre Azema " Les travaux de Serge Klarsfeld le montrent bien, je réponds par deux points, Bousquet brade les Juifs de France des deux zones, pour que la France reste un Etat légitime. Et deuxième point, la logique vichyssoise : Laval se lave les mains des Juifs étrangers, la xénophobie joue à fond. C’est l’engrenage. Klarsfeld l’a très bien dit. Un tiers des Juifs de France est déporté grâce à la police française, deux tiers sont sauvés grâce à la population française. Je suppose que cela devait faire un choc. On change de vitesse, on est sur une autre planète. Quand on enlève les enfants à leur mère, quand on voit dans quelles conditions... Même si on ne savait pas ce qui se passait à Auschwitz-Birkenau, on pouvait au moins se poser un certain nombre de questions. "

Maître Favreau demande des explications au sujet des délais qu’il y a entre les textes votés et leur mise en application. La question est appuyée par le président Castagnède.

Jean-Pierre Azema " Cela s’explique par la censure allemande, qui devait voir tous les textes avant leur publication. "

Maître Favreau " Mais d’autres lois ont été appliquées plus vite, notamment pour les Juifs d’Algérie. "

Jean-Pierre Azema " Oui, parce que là, il n’y avait pas de censure allemande. "

Maître Favreau " Baruch indique que tout au long de l’occupation, les fonctionnaires de police et des préfectures ne pouvaient pas être nommés sans l’accord des Allemands. "

Jean-Pierre Azema " Oui, c’est vrai, et encore plus vrai en 1944. "

Maître Favreau " A la libération, les pétainistes plaideront qu’ils ont servi de bouclier. Que grâce à eux, seuls 5 % des Juifs français ont été déportés ? Que pouvez-vous nous dire du système de défense des collabos ? "

Jean-Pierre Azema " Dans tous ces procès (105 à 108), la question juive n’a pas été abordée. La seule chose qui préoccupait les juges était l’attitude des accusés vis à vis des réfractaires du STO. "

Maître Favreau " Au service des questions juives, en 1942, si on dit qu’il y a lieu de radier, est-ce par un souci de bonne gestion du fichier ou pour sauver les Juifs ? "

Jean-Pierre Azema " Les préfets tranchaient pour savoir qui était Juif. Je prends l’exemple de deux personnes dont 2 grands-parents sont Juifs, ils ne sont pas Juifs (il en faut trois au regard de la loi), si ces deux personnes se marient ensemble, elles deviennent juives. Si elles divorcent, elles ne sont plus juives. Ce que vous décrivez me semble être de la gestion du fichier juif. "

Maître Favreau " J’entends bien, de la gestion, pas du sauvetage, comme le prétend Papon. " Puis il cite le cas d’un sous-préfet qui déclare au départ d’un convoi " Ce que nous faisons est abominable. "

Jean-Pierre Azema " Nul n'était obligé d'aller contre sa conscience. Il y avait toujours des échappatoires, des manières d'échapper à la complicité. "

Jean-Pierre Azema « Oui, on n'était jamais contraint, il y avait toujours une échappatoire. »

Maître Mairat " Si j’ai bien compris, vous dites que la pratique ou la mise en œuvre est plus importante que la loi. Que pensez-vous de ceux qui disent que Vichy a fait mieux que la voix de son maître, que Vichy est allé au-delà des demandes allemandes ? Un Juif considéré comme tel, ne l’était pas en Allemagne ? "

Jean-Pierre Azema " La loi française se réfère à la législation allemande de 1938 pas à celle de 1941, d’où les différences. Mais je pense qu’il n’y avait pas de volonté de surenchère. "

Maître Varaut entame sa série de questions, cite son beau-père, avocat de son état, qui s’employait avec une certaine ardeur à faire condamner des Juifs à des peines de prison comme droits communs en complicité avec les juges afin de leur faire éviter la déportation.

Maître Arno Klarsfeld " Si je comprends bien, votre beau-père plaidait pour faire condamner des Juifs pour leur éviter la déportation ? "

Varaut " Oui, je confirme. "

Maître Klarsfeld " Alors je ne comprends pas pourquoi, Maître, alors que Papon, vos témoins et vous-mêmes, vous vous évertuez depuis le début du procès à dire que personne ne connaissait la solution finale et que le voyage à l’Est était sans danger, qu’il ne s’agissait que de bâtir un nouvel Etat juif ou pour faire du jardinage. Alors pourquoi, votre beau-père, lui, s’évertuait-il à leur faire éviter la déportation, puisque d’après vous, elle ne comportait aucun risque ? "

Puis on passe à Papon qui termine son curriculum vitae sur la période de 1939 à 1942. " Je trouve que la législation vichyssoise sur les Juifs est une monstruosité. Sabatier est secrétaire général pour l'administration au ministère de l'intérieur. Il est de toute évidence que la législation vichyssoise sur les Juifs n'a pu que me choquer et me blesser, par réaction politique et intellectuelle, mais aussi affective J’ai toujours eu à mes côtés, mon ami Maurice Levy, dans les cabinets ministériels. Je dois vous dire que la législation antijuive a déterminé notre position vis à vis de Vichy et que nous avons pris ensemble nos distances avec la révolution nationale. "

Le président Castagnède le recentre sur son comportement, lorsqu'il se trouvait à Vichy entre fin 1940 et le printemps 1942.

Le président Castagnède " Vous étiez directeur de cabinet de Maurice Sabatier... "

Papon " C'est un titre un peu pompeux, disons que j'étais comme son secrétaire. Je m'occupais du courrier. J'avais comme adjoint Maurice Lévy . Mais je ne m'occupais pas du courrier concernant l'Algérie. Sabatier, par ses origines voulait être en prise directe sur ces questions-là."

Le président Castagnède " Maurice Sabatier, par ses fonctions, supervisait la direction des cultes et de l'Algérie. Papon, n'avez-vous pas eu à connaître, en ce cas, la préparation de l'arsenal législatif antisémite spécifique en vigueur en Algérie ? "

Papon " Nous n'avions aucun pouvoir hiérarchique sur le gouvernement général de l'Algérie, aucun pouvoir de contrôle (...). Bien sûr, j'étais au courant, comme tous mes collègues, comme Maurice Lévy. Mais, à aucun moment je n'ai été l'ouvrier de cet ouvrage.

Le président Castagnède surpris " Je reconnais volontiers qu'au vu du dossier d'instruction, le service où officiaient MM. Sabatier et Papon était une institution technique (...) sans caractère politique. "

Mais le magistrat devient plus direct.

Le président Castagnède " Lorsque les fonctionnaires étaient nommés à ce moment-là, n'étaient-ce pas la preuve d'une adhésion à Vichy ? "

Papon " ... La logique le voudrait. "

A cet instant, Papon fait pivoter son fauteuil et manque de s'affaisser. Le président lui suggère de s'asseoir. " Non, non. Je vous remercie de votre sollicitude. "

Papon " Je souhaite revenir sur trois points qui paraissent importants, parce qu'ils marquent les bornes d'une fidélité idéologique à partir de 1942 "

Le président Castagnède " Sans difficulté, comment avez-vous vu le premier statut des Juifs ? "

Papon " Je vous répondrai, mais, justement, cela me donne l'occasion de revenir sur ces trois points. Je tiens à marquer, de trois bornes, mon engagement politique. C’est mon adhésion, lorsque j’étais étudiant, à la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste qui représentait le seul pôle qui s'opposait à l'Action française. Puis j’ai participé activement au journal hebdomadaire, "Le jacobin", qui était l'organe anti-munichois. Nous étions des anti-munichois. J’ai abrité à mon domicile en 1939, un camarade juif autrichien, qui avait fui son pays. J’ai toujours eu un engagement anti-allemand Cela me permet donc de vous répondre que, par mon itinéraire politique, de toute évidence, cette législation vichyssoise m'a non seulement choqué, mais même blessé personnellement. Par réaction intellectuelle, mais aussi affective, car (...), à côté de moi, il y avait mon ami Maurice Lévy. La législation antijuive a déterminé notre position vis-à-vis de Vichy. Nous avons pris nos distances avec la "révolution nationale". Avec lui, nous n'avons pas attendu qu'il y ait des mouvements de résistance. Nous avons essayé de bâtir quelque chose... C'est dans ces conditions que j'ai fait l'expérience de ma première erreur... "

Le président Castagnède " Une erreur ? "

Papon " En 1941, je me suis fait épingler par le gouvernement français pour une affaire de courrier clandestin que j'avais organisé entre les deux zones. Sabatier m'a sauvé d'un premier désastre. D'ailleurs, les lettres de Darlan sont au dossier. "

Maître Varaut, donne alors quatre lettres échangées entre Sabatier et l'Amiral Darlan, vice-président du conseil, qui lui demande de procéder à une enquête et propose des sanctions.

Le président en fait alors lecture. La dernière comporte la réponse de Maurice Papon qui nie toute responsabilité dans cette affaire.

Papon " Bien sûr, c'est une lettre prétexte. "

Maître Varaut " Je verse les lettres aux débats. "

Le président Castagnède, "Comment détenez-vous ces pièces originales ?"

Papon " Quand l'affaire s'est conclue, monsieur Sabatier m'a donné le dossier, j’en ai parlé devant le magistrat instructeur, mais brièvement, car je n'en fais pas un drapeau. "

Nos avocats s’interrogent, découvrent les lettres qui, finalement, ne disent pas grand chose et l'avocat général Robert confirme d’un signe de tête que Papon en a bien parlé lors de la deuxième instruction à M. Braud.

L'avocat général Robert « J'ai sept ou huit questions à poser qui entraîneront de nouveaux dépôts de pièces. »

Il est tard. Le président propose de poursuivre l'interrogatoire demain mais, compte tenu de l'audition prévue de trois témoins, décide de reprendre exceptionnellement les débats mardi à 10h00.


Remonter ] Suivante ]

Les chroniques d'Octobre
Les chroniques de Novembre
Les chroniques de Décembre
Les chroniques de Janvier
Les chroniques de Février
Les chroniques de Mars
Les chroniques de Mars Avril

© Copyright 1997, J.M. Matisson

 

Retour Accueil

© Affaire Papon - JM Matisson

Page mise à jour le 14 octobre, 2002

Nous contacter, s'inscrire sur la liste de diffusion

Retour Accueil