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Puissiez-vous de Valognes, cher Maurice Papon...
 
 
    Puissiez-vous de Valognes, cher Maurice Papon, recevoir comme un signe de sympathie certaine. Valognes, charmante petite cité du Cotentin, mentionnée par Balzac, réputée par Zola, célébrée par Barbey d'Aurevilly. Valognes, dans la cinquième circonscription de la Manche, dont Alexis de Tocqueville fut le député. Un prix à son nom est décerné tous les deux ans : Octavio Paz, par exemple, le reçut en 1989, en présence du président Mitterrand (discours publiés chez Gallimard). Et Raymond Aron avant, et François Furet après, etc. Cela pour fixer un petit cadre politico-littéraire comme vous les aimez. Valognes avec son ordre décroissant de grands hommes en tout genre, si bien qu'il y en a toujours un à célébrer.
    Justement ce mois-ci, le maire de la ville, M. Fernand Leboyer, surnommé le petit téléphoniste (ici chacun à un surnom affectueux : tel ancien bâtonnier était surnommé pistache), fait célébrer avec un éclat de fête de la Nativité le décès, il y a dix ans, de l'ancien député-maire valognais Pierre Godefroy, surnommé Cornegidouille. C'était son ami, quasiment un frère. Une exposition à la bibliothèque municipale, jusqu'à la fin du mois, déborde des mérites qu'il a pu lui trouver. Et encore, il en manque.
    En fait,  la cérémonie des honneurs a commencé en janvier de l'année dernière, quand M. Leboyer a fait rebaptiser du nom de son défunt ami une petite rue de la ville, la rue des Halles. Choix déchirant -" Il est toujours difficile de débaptiser une rue au coeur de la cité", s'excusait-il-, qu'il a justifié par une sorte de sacralisation de l'arpentage : "Cette rue dessert la bibliothèque et l'hôtel de l'Agriculture, un coin que Pierre [c'est de Cornegidouille qu'il s'agit] fréquentait très souvent." (La Presse de la Manche, 17 janvier 2001, page 13). L'hôtel est un hôtel-restaurant. L'ami regretté n'allait pas y loger mais y manger (réputation de solide coup de fourchette). C'est la Table et les Lettres qui ont été aussi honorées. Effet direct de proximité : l'exposition de la bibliothèque municipale, constellée des noms des célébrités que le député avait approchées -De Gaulle, Malraux, le roi d'Espagne, Michel Debré, j'ai oublié quel Russe, etc.- mentionne celui de Brigitte Friang, qui appartint au cabinet de Malraux, mais l'orthographie Brigitte Friand.
    "A quoi bon ces détails ?", demanderez-vous, cher Maurice Papon : c'est qu'à ces noms, il  manque le vôtre, car l'ami disparu vous est une vieille connaissance. Je vais y venir, mais je voudrais auparavant détailler un autre effet de l'hommage de rue rendu par M. le maire de Valognes.
    Il y avait avant-guerre dans cette rue des Halles, devenue Pierre-Godefroy, un cabinet où exerçait un dentiste juif, M. Wiesner. En avril 1943, le bureau des affaires juives de la préfecture de la Manche le mit en vente par adjudication sous pli cacheté, dans le cadre de la politique d'aryanisation. Cela, cher Maurice Papon, vous connaissez. Le soumissionnaire était obligatoirement aryen attesté et la vente devenait définitive seulement après homologation par le Commissariat général aux questions juives et accord des Allemands. Cela aussi, vous connaissez. Un jeune dentiste se porte acquéreur. Problème : n'était-il pas un homme de paille de M. Wiesner. Le préfet de la Manche s'en inquiète et saisit le sous-préfet de Cherbourg, Lionel Audigier. Celui-ci n'était pas un fonctionnaire tout à fait ordinaire : il avait été le premier chef de cabinet de Bousquet lors de sa nomination au secrétariat général à la Police de Vichy. En octobre 1942, à la demande des Allemands, il avait fait transférer de Cherbourg à Drancy six juifs, dont un mineur. Cela, vous connaissez aussi. Vous savez également que l'ordre de réquisition de la gendarmerie relevait du préfet et non du sous-préfet : mais Audigier avait la "culture Bousquet" et voulait toujours faire vite et bien. Même zèle dans le cas Wiesner. Il s'adresse au maire de la ville, Henri Cornat. Maire nommé par Vichy en février 1941 : du sûr et sérieux. Qui rassure Audigier, qui rassure le préfet : "Il résulte des renseignements qui ont été fournis par M. le maire de Valognes que M. [X] qui désire acheter le cabinet de M. Wiesner semble présenter toutes les garanties  d'indépendance suffisantes pour procéder à cette acquisition" (Archives départementales de la Manche, fonds de la période de l'Occupation, liasse 241). Aucun ne s'est pincé le nez. Henri Cornat venait d'ailleurs d'être nommé par Laval au conseil départemental d la Manche et Bichelonne allait le distinguer en février 1944 (Journal officiel de l'Etat français, 27 février 1944, page 635) . Pur produit du pétainisme, il sera président du conseil général de la Manche de 1946 à sa mort, en juin 1968. Lui succédera un autre pur produit du pétainisme, M. Léon Jozeau-Marigné, jusqu'à sa défaite électorale de septembre 1988. Quarante-deux années de présidence aux pures racines vichystes : ça vous classe un département
    Une stèle honorant la mémoire d'Audigier fut érigée en juin 1994 à Cherbourg. Vous connaissez, cher Maurice Papon, les héros de la préfectorale. Le maire socialiste de la ville, un autre Godefroy, mais un Jean-Pierre, devenu sénateur en septembre 2001, prononça publiquement son éloge sans qu'apparaissent ces petites choses gênantes (et dire qu'on vous a cherché noise! M. Jean-Pierre Godefroy siège au Sénat tout près de M. Badinter, dont vous connaissez les sentiments d'humanité). Si vous prenez à Valognes la rue Pierre-Godefroy, ancienne rue des Halles, vous tombez directement dans la rue Henri-Cornat, où se trouve le lycée Henri-Cornat. Que si on avait changé le nom de la rue des Halles pour lui donner un nom rappelant la persécution raciale sous Vichy, la jonction avec la rue Henri-Cornat eût fait dissonance : or les élus d'ici aiment l'unité en tout, l'harmonie, la subtile musicalité. Où est la vraie finesse du côtoiement in viis des noms d'Henri Cornat et de Pierre Godefroy? C'est que l'ami disparu, honoré dans une rue où chut un jour la persécution raciale, a côtoyé votre nom, cher Maurice Papon.
    Rappelez-vous. C'était fin 1974. La loi sur l'interruption volontaire de grossesse. La saisine du Conseil constitutionnel, le 20 décembre 1974, par soixante parlementaires pour la faire censurer. A leur tête, Jean Foyer. A celles et ceux qui soulignaient les conséquences dramatiques des avortements clandestins parce que hors-la-loi, et qu'il n'y avait de conditions convenables que dans les cliniques à l'étranger, d'accès coûteux, il avait rétorqué : "Il ne faut pas que les vices des riches deviennent les vices des pauvres." Propos qui n'avaient sûrement pas échappé aux cinquante-neuf parlementaires à sa suite, et qui avaient peut-être eu sur eux un effet entraînant. Pas plus que ne leur avaient échappé les déchaînements haineux contre le rapporteur de la loi, Simone Veil, qu'on n'allait pas, au prétexte qu'elle était revenue d'Auschwitz, laisser perpétrer un génocide sur les foetus de France.
    Les noms de ces parlementaires apparaissent dans la décision n° 74-54 du 15 janvier 1975 rendue par le Conseil constitutionnel : et c'est bien le vôtre, cher Maurice Papon, qu'on y trouve, dans un ordre qui n'est pas alphabétique et qui est peut-être celui des effets mystérieux de la sympathie, où on lit "[...] Maurice DOUSSET, Maurice PAPON, Pierre GODEFROY [...]". Notre Godefroy de Valognes, notre sympathique Cornegidouille local, l'ami dont le souvenir fait larmoyer le petit téléphoniste, dix ans après sa mort : et comment, à notre tour, ne pas être ému  au moins à la pensée qu'il y eut un Papon-Godefroy-même-combat ?
   Mais où vouliez-vous en venir, avec cette saisine? Comment un maître juriste comme Foyer ne voyait-il pas qu'elle ne tenait pas la route, ainsi que le Conseil constitutionnel vous le fit bien savoir? Quelle idée, par exemple, de demander au nom de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme la censure de la loi, alors qu'un étudiant en droit -un étudiant de Jean Foyer- vous aurait dit que le Conseil constitutionnel ne se reconnaît pas compétent pour examiner la compatibilité d'une loi avec une convention internationale? N'était-ce pas qu'esbroufe médiatique, garanties à donner à vos électeurs à tous?
    Or il y en avait bon nombre, parmi ceux de Cornegidouille, qui avaient été les lecteurs quotidiens, et pas écoeurés le moins du monde, de le petite littérature collabo répandue sous l'Occupation par le journal local Cherbourg-Eclair (devenu sans trop de difficultés après-guerre la Presse  de la Manche -centenaire publiquement célébré en novembre 1989). L'avortement, ils savaient qu'il y avait eu  une époque, un régime pas si lointains, à la mesure de leur mémoire, où ça avait été traité exemplairement et sans faiblesse : par le couperet de la guillotine. Il était tombé le 2 août 1943, dans la cour de la prison de la Roquette, sur le cou d'une Cherbourgeoise de 39 ans, mère de deux enfants, condamnée à  mort pour avortements, en juin 1943, par une juridiction d'exception, le Tribunal d'Etat, conformément à une loi du 15 février 1942 considérant l'avortement comme un crime contre la sûreté de l'Etat.
     Dans son édition du 17 juin 1943, Cherbourg-Eclair avait justifié le verdict : "En supprimant le hideux trafic des avorteuses professionnelles, on s'attaque résolument au mal de la dénatalité. On est ainsi d'accord avec les principes d'un Etat qui place au premier rang de ses préoccupations la protection de la famille." La condamnée n'avait aucune circonstance atténuante : "Elle faisait   cyniquement commerce de tirer ses clientes d'embarras. Elle ne se rachète par rien qui puisse atténuer sa  culpabilité." Mère de deux enfants certes, mais "auxquels elle a donné, il est vrai, de bien tristes exemples." Le commentateur anonyme poursuivait par des généralités sur le châtiment des séducteurs, auquel il fallait aussi songer, et sur la nécessaire protection de la femme, avec cette phrase étonnante en ces temps de disparition du Parlement : "En ce pays, où le féminisme connaissait une certaine vogue, mais ne pénétrait guère jusqu'au Parlement la défense de la femme et de la mère reste à assurer." Cher Maurice Papon, c'est du 1974 avant l'heure, quand le féminisme allait pénétrer un Parlement depuis longtemps restauré : il faudrait savoir parlementairement s'y opposer, en l'absence de la guillotine. Avec Cornegidouille et bien d'autres, vous alliez y veiller.
    On ne vous a jamais interrogé sur votre saisine partagée du Conseil constitutionnel contre la loi sur l'IVG et sa relation avec votre enracinement dans Vichy. Vous auriez certainement répondu que votre Vichy n'était pas celui de la guillotine pour les avorteuses. -vous n'êtes pas un sanguinaire- et qu'il était plutôt, vous l'avez assez dit, le Vichy de la protection des juifs. Mais en 1974, contre celles et ceux qui espéraient de la loi la fin des avortements clandestins, vous mainteniez, vous, les condition de la perpétuation et de la clandestinité et du châtiment (cinq à dix ans de prison) : impavide malgré les évolutions de la société française et de ses mentalités, mais impavide aussi en ressemblance avec le Vichy de l'avortement devant être par essence châtié.
    Il y avait sans doute de cela dans la tête des plus anciens électeurs du député Godefroy de Valognes qui n'avaient certainement pas oublié un des effets directs, dans leur ville, de la décapitation de l'avorteuse cherbourgeoise : quand les gendarmes étaient venus chercher une Valognaise présumée compromise dans une affaire d'avortement, elle s'était jetée par la fenêtre (Cherbourg-Eclair, 9 septembre 1943). M. le maire Leboyer, qui avait dix-huit ans à l'époque et qui se veut la mémoire vive de sa cité, s'en souvient certainement : mais on ne l'a jamais entendu s'exprimer sur ce sujet, particulièrement en l'an 1974. Peut-être en a-t-il informé son ami Godefroy, qui avait passé la guerre en captivité. Mais celui-ci pouvait avoir une autre source.
    Il avait été, en effet, de 1950 à 1958, date de sa première élection, journaliste à la Presse de la Manche, chez ceux qu'on a longtemps surnommés avec une compréhension amusée "les collabos" parce que c'était la continuation directe de Cherbourg-Eclair, à la faveur de mille finasseries, de maints hommes de paille, et des lois d'amnistie.  J'insiste : avec une compréhension amusée, et non avec indignation. Parce qu'on a toujours su faire, ici, la part des choses. Parce que tout ça, c'était de la faute aux Allemands, à leur imperium, comme vous l'avez si bien répété à Bordeaux, vous qui avez fait des études.     
    Or ce vaste esprit de Godefroy, qui, outre une hostilité de proximité à l'encontre de la loi sur l'IVG,  partageait avec vous le goût de la littérature, des grandes synthèses politiques et des visions planétaires, fut totalement incurieux du passé de ses employeurs. Il ne lui vint jamais à l'esprit de se renseigner sur le Cherbourg-Eclair de ces années pourtant si proches de sa prise d'emploi. Il y eût lu non seulement l'affaire de l'avorteuse, mais tel éditorial du 2 juin 1942 titrant "Le Chancre Juif", tel autre du 29 septembre 1942 titrant "Le mur des lamentations" et ironisant sur les rafles de l'été 1942, quand -je cite- "après une longue patience les "goyms" ont décidé de se débarrasser des parasites dont la race pullulante, malgré tous ses efforts, n'a pas réussi à les étouffer."  Cela, cher Maurice Papon, vous connaissez aussi. (Rappelons que pour la célébration publique, en novembre 1989, du centenaire de ce vaillant petit journal, le futur collègue du sénateur Badinter, M. Jean-Pierre Godefroy, alors maire de Cherbourg, offrit, aux frais du contribuable, banquet à l'hôtel de ville et que la communauté urbaine cherbourgeoise, dont tel membre s'est fait photographier ces temps derniers penché pour la bise aux enfants des écoles, avait grassement payé un déplacement en avion de personnalités diverses).
    Ce silence a été confirmé par un très cher ami du défunt député Godefroy, bien plus ami, bien plus intime, semble-t-il, que le maire Leboyer : l'écrivain Jean Mabire, vieux chantre de la Division Wallonie, de la Division Charlemagne, de la Division Wiking, etc., et de l'indivision de la Normandie. Le site fascisant La Gazette de France rappelle, par exemple, que "Le débat sur la Réunification de la Normandie a été lancé notamment par Pierre Godefroy, député UDR de la Manche, Jean Mabire, ancien dirigeant de la revue Viking, Didier Patte, ancien président de la FER-FNEF". Ce Jean Mabire est aussi chroniqueur à National-Hebdo qui ne vous fut jamais bien cruel, cher Maurice Papon.
    Or Jean Mabire a commencé lui aussi sa carrière de journaliste à la Presse de la Manche, dans le même temps que Pierre Godefroy. Il a commis en 2000 un roman-souvenir intitulé L'Aquarium aux nouvelles (éditions Maître Jacques) dans lequel il évoque l'atmosphère du journal -"l'aquarium aux nouvelles" étant, déclare-t-il dans une interview, "le surnom que  j'ai donné au local réservé à la rédaction de l'époque"- mais aussi la figure de l'ami disparu : "Il y a un peu de Pierre [c'est de Cornegidouille qu'il s'agit] dans François [personnage du roman]. Je me souviens avoir été avec lui à la foire de Lessay [...]", etc. (La Presse de la Manche, 26 septembre 2000, page 6). Il n'y a pas d'ailleurs que Pierre-François. L'excellent Mabire y évoque aussi le secrétaire de la rédaction, surnommé le Crochu : "Il était économe, mais jovial [...] dur pour tous ceux qui travaillaient au journal. Il était encore plus dur avec les annonceurs. Dans ce domaine, sa science était prodigieuse. Il pouvait discuter pendant des heures avec les Israëlites marchands de tissus pour leur extorquer les pavés de publicité. Il les prenait par l'orgueil qui est, bien plus que l'avarice, le péché de la race élue.  En bon Normand, il jouait de l'un et de l'autre." (page 30).
    Interrogé par lettre du 30 octobre 2000 sur ce qu'il savait, à l'époque, du passé collaborateur du journal qui l'employait, s'il en avait été curieux, et sur les raisons pour lesquelles le souvenir alors récent d'une occupation nazie longue et continue n'apparaissait jamais dans son roman -cette occupation qui avait valu aux marchands de tissus encore plus orgueilleux qu'avares un traitement dont bien peu étaient revenus (mais il en restait assez pour négocier avec le Crochu), l'intime du défunt député Godefroy n'a jamais répondu (très occupé, sans doute, par la rédaction de sa chronique hebdomadaire à National-Hebdo)
    Les amis de mes amis ne sont pas forcément mes amis : c'est ce que semble penser le maire Leboyer, de Valognes. Le nom de Jean Mabire n'apparaît pas, non plus que le vôtre, je l'ai dit, cher Maurice Papon, à l'exposition hagiographique de la bibliothèque municipale. Il veut de l'immaculé, le maire Leboyer. Surtout que le fond de son idée, c'est de faire connaître Cornegidouille aux jeunes. Pourtant, par Mabire, il y a une extension comme naturelle de la connaissance : on touche aux éditions Heimdal, où fut édité un livre du député. On touche, par Mabire encore, à Fernand Lechanteur, le maître défunt des normannistes locaux, l'idéologue racial écrivant et récrivant, au "risque de passer pour un nazi attardé" (ce sont ses propres termes), que les brachycéphales bruns sont esclaves par nature, alors que sont des maîtres, par nature non moins, les dolichocéphales blonds. Et il fallait les voir, Lechanteur et Godefroy, au coude à coude dans les assemblées folklo-normandes, devisant et s'esbaudissant! Or voici que par Fernand Lechanteur, on touche  à un Fernand que l'on n'attendait pas : Fernand Leboyer.
    Celui-ci se flatte, dans le bulletin municipal de l'année 2002, d'inviter à chaque rentrée scolaire les enseignants nouvellement nommés à Valognes, et qu'il "ne manque jamais de leur rappeler qu'ils se doivent de donner [sic] nos noms de lieux ou patronymes de la meilleure façon qui soit, c'est-à-dire celle qui existe depuis au moins sept siècles" conformément au maître dont il s'inspire et qu'il cite : "Fernand Lechanteur, fervent linguiste, qui avait, il y a quelques décennies, rappelé la prononciation des noms du Cotentin". Les amis de mes amis finissent donc toujours par se découvrir mes amis : le fond est là, quoi qu'on fasse,  le vieux fond, celui qui fait tout. Il est rare qu'on y manque. Mais voyons très précisément, cher Maurice Papon, où et quand vous risquez de manquer.
    Votre ancien compagnon du front anti-abortif, le front du coude à coude, avait, entre autres livres de rayonnement strictement local, produit des Laudes à Saint Michel du Péril -huit laudes. Et voici qu'on a mis la huitième en musique, qu'on en a fait un "oratorio-requiem". Et que le maire Leboyer s'est dit que ça valait le spectacle, partiellement aux frais du contribuable (sollicité d'un déféré préfectoral auprès du tribunal administratif, le sous-préfet de Cherbourg a répondu qu'il n'était pas compétent pour ce qu'il considérait comme un contrôle d'opportunité). Un spectacle avec choeur,  orchestre et comédiens, sans oublier les élèves de l'école de musique. Sommet d'émotion. Point d'orgue, a dit la presse locale, des manifestations culturelles à la mémoire de Cornegidouille. Représentation en la grande église samedi soir  23 novembre et le lendemain en matinée. C'est là qu'il faut faire foule, c'est là qu'on compte sur les amis, et les amis des amis.
    On va donc se saper samedi comme pour un dimanche à la messe. Ce sera d'ailleurs à l'église, et l'église, c'est toujours  un peu la messe. On est comme ça, ici : il n'y a pas de sérieux sans l'église ou la messe, qui fait toujours du bien par où ça passe. La première sortie officielle du successeur de Cornegidouille, M. Claude Gatignol, qui en avait reçu la députation pour ainsi dire clefs en mains, ce fut, en juin 1988, pour se rendre à l'église et assister à la messe : messe pour le vingtième anniversaire de la mort de l'ancien pétainiste Cornat, au premier rang, avec l'ancien pétainiste Jozeau-Marigné entre deux séances au Conseil constitutionnel.  (Agenda chargé. "Monsieur le président Badinter, je suis en retard, j'avais un devoir d'amitié, de piété, à remplir" - "Mais, monsieur le haut conseiller, pour les devoirs d'amitié, on est toujours excusé." Dialogue pas si improbable). Laudes déjà. Laudes  toujours.
    Il y aura, paraît-il, vieux commandeur râblé à l'ombre d'un pilier, Jean Mabire. Et il y aura aussi -le bruit court- Gilles Perrault, notre voisin de Sainte-Marie-du-Mont, au moins par amitié pour M. Leboyer, dont il a préfacé un opuscule d'histoire locale, dont il a participé au comité de soutien électoral lors des municipales de 2001. Je sais, vous avez eu quelques frictions avec lui, il y a longtemps, pour une préface au naïf Slitinsky dont vous avez obtenu judiciairement la suppression. Il avait été excessif, cet ami de tant d'amis qui ne sont pas de vos amis, mais si sincère, si juvénilement exalté. Il serait d'ailleurs parfaitement lisse sans une phrase, un bout de phrase, qui suffit à le juger sans appel, celle qu'il écrivit à trente ans dans Les parachutistes sur Brasillach "immortalisé dans sa propre jeunesse par un destin injuste" (page 110). Le Brasillach forcément du "il faut se débarrasser des juifs et ne pas garder les petits." Vous connaissez cela mieux que tout autre, cher Maurice Papon. Et le petit Peyrolles, destiné à devenir Perrault, devait aussi connaître. Pas à votre façon, c'est certain mais à la façon d'un petit Parisien qui avait vu, ou entendu, ou même lu : serait-il si étonnant qu'il ait touché à Je suis partout ? N'était-il pas, à en juger par sa maturité, tout de précocité ? Rendant compte dans l'Humanité du 13 novembre 2002 de son tout nouveau livre de souvenirs (il n'en finit pas de remodeler son passé : normal quand on sculpte sa statue dans la glaise), cette vieille égrillarde de Régine Deforge a surtout retenu son regard de dessous, à la Libération, sur les dessous de donzelles. Elle cite : "La culotte de l'une était bleu pâle, l'autre rose, ce qui, avec la blancheur des cuisses, compose comme une dégradation  des couleurs du drapeau français." et conclut : "Sacré Gilles !" Mais l'injuste destin de l'immortel Brasillach ? Cela ne laisse-t-il pas subodorer, avant la Libération, une perception, une interprétation de l'Occupation, voire une expérience quant aux juifs et à leurs "petits", d'un tout autre sérieux qu'une explication par la cuisse-culotte?
    Et puis n'oubliez pas, cher Maurice Papon, que ce sacré Gilles ami du maire de Valognes est aussi l'indéfectible ami de ce Jean-François Steiner qui est  votre propre ami indéfectible, depuis la fondation et la présidence de votre comité de soutien jusqu'à votre brève fuite devant la prison.  Ce Steiner dont le sacré Gilles fut le "nègre" du Treblinka, régal de la raillerie négationniste. Il faut en convenir une fois de plus : les amis de mes amis finissent toujours par se révéler mes amis. Le fond, le vieux fond, cher Maurice Papon. Le fond à double fond, le fond sans fond même, celui d'où remontent ensemble Mabire et Perrault qui vont se retrouver  vieillis, blanchis, engrossis, enrichis, mais attendris de penser, depuis qu'ils faisaient écurie litteraro-barbousarde commune chez Constantin Melnik, comme le temps passe...Laudes donc à Cornegidouille et au maire entiché de son spectre qui permet l'analyse spectrale d'un bout de France qui nous change un peu de la France moisie ! (Ne sommes-nous pas d'ailleurs  chez Tocqueville ?).
    "Pour assister à ce chef-d'oeuvre", comme  dit la presse locale , on peut réserver ses places à...Mais qu'importe? Quelle que soit l'heure où vous arriverez, avec ou sans billet, samedi ou dimanche, même si le spectacle est commencé, chacun se poussera un peu, avec un rien d'égard qui vous fera comprendre : "Mais nous vous attendions, cher Maurice Papon."    
 
    Jean-Pierre PONTHUS

 

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Page mise à jour le 28/08/03 10:14

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