8 Octobre : Premier Jour du procès

date dernière mofification : 17/07/99

Chronique du 8 octobre 1997
premier jour du procès

"AUJOURD'HUI, NOUS VOYONS LE FLEUVE DU TEMPS ROMPRE LES DIGUES DU SILENCE."
"CET HOMME, PAPON DONT LE DESTIN A EMPILÉ LES HONNEURS SUR LE NEANT."

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8 octobre 1997

premier jour du procès

"AUJOURD'HUI, NOUS VOYONS LE FLEUVE DU TEMPS ROMPRE LES DIGUES DU SILENCE."

"CET HOMME, PAPON DONT LE DESTIN A EMPILÉ LES HONNEURS SUR LE NEANT."

Ces deux phrases tirées de la plaidoirie de Maître Bournazel me semblent rejaillir de cette première journée d'assises.

La première question que je me pose est: "Quel souvenir garderont les mémoires de la France de ce 8 octobre ?

Mes enfants et petits-enfants la fêteront-ils un jour ?

Et si oui, de quelle façon ?

Tout a commencé vers 13 H quand après avoir accompli les formalités d'usage pour pénétrer dans la salle de la Cour d'assises de la Gironde, je me retrouve aux côtés de Nanou, d'Esther, de Michel, de Jackie, de Jean, enfin de la famille. C'est tout d'abord des retrouvailles familiales. Notre famille, qui n'est juive qu'à cause des souffrances qu'elle a connues pendant la guerre, n'échappe pas au fait qu'être Juif, c'est avant tout, une certaine relation avec la mémoire.

Le départ de ma plainte, c'est la mémoire de nos morts. Et la fin espérée, que je sens aujourd'hui possible. Avec la condamnation de Papon marquera le deuil de nos morts, afin qu'ils finissent de hanter ma conscience, à défaut de la conscience nationale.

A 14 H 05, entre le président, et après que les photographes ont quitté la salle d'assises, entre Papon entouré de deux policiers.

Le président Castagnède l'interroge :

" Nom, Prénom, âge. "

Papon le coupe :

" Papon. Maurice. Quatre-vingt-sept ans. Retraité. "

Commence alors un long débat sur la demande de mise en liberté de Papon. Maître Varaut pendant une heure expose ses motifs. Au moment où il aborde les problèmes cardiaques, deux voix parmi les parties civiles s'élèvent : "Ha bon, il a un cœur" et "Tu vois bien qu'il a un cœur".

Globalement, Maître Varaut m'a semblé assez inégal, rébarbatif, se répétant, affirmant même à trois reprises que Papon avait trop vécu. peu convaincant et peut-être peu convaincu par la cause de son client, subirait-il le même syndrome que les anciens avocats de Papon, dont l'ancien ministre Pelletier, qui ont renoncé à le défendre ? Mais, en une heure de plaidoirie, il ne cite qu'un nom, celui de Matisson, et j'avoue ne pas avoir très bien compris ni pourquoi ni à quelle occasion.

A l'occasion, il lâche un terrible : " Sa vie fut l'obéissance à la loi. Alors, il vient. Même s'il est condamné. "

Le procureur général Desclaux répond, s'étonne qu'un procès d'assises commence par une demande de mise en liberté.

" Ce n'est pas un Etat, encore moins une nation ou une ville mais un homme qu'on juge. " En gros, il rejette la demande avec fermeté, la mise en détention est conforme à la loi. " Eu égard au chef d'accusation et eu égard à la peine qu'il encourt, la plus lourde prévue par notre code pénal, je m'insurge calmement. Justice et exception ne font pas bon ménage. Il faut traiter cette affaire comme à l'ordinaire. Je trouverais choquant qu'un accusé de crime contre l'humanité soit placé en liberté, dès les premières heures de son procès.

Le procès équitable ? Il tient dans l'impartialité des juges, dans la possibilité que l'accusé a de s'exprimer et d'avoir la parole en dernier. " Haussant le ton, il dit " n'avoir pas apprécié la manière dont Papon s'est plié au contrôle judiciaire qui lui a été imposé en août. Papon a délivré une adresse où il ne résidait pas. Les obligations du contrôle judiciaire ont été violées. Papon n'a manifesté qu'un intérêt limité pour la décision de justice le concernant. " Il demande que soient commis des experts. Il précise que, seulement si la vie de Papon était menacée par sa détention, il accepterait une détention médicalisée.

Je me sens rassuré par la carrure du Procureur Général.

Puis les avocats des parties civiles interviennent, Maître Jakubowicz, Maître Terquem, avocat de SOS-Racisme, Maître Klarsfeld avocat de l'association des fils et filles..., Maître Charrière Bournazel, avocat de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme, puis Maître Wetzer avocat de l'association des fils et filles... On parle de chantage à la chaise vide de Papon, de l'attitude similaire de Barbie à Lyon, de procès exceptionnel qui doit être mené avec des moyens ordinaires, de mépris des jurés que Papon disait, la veille, attendre avec confiance de se retrouver devant eux.

Vient alors la réponse de Maître Varaut, qui attaque Maître Boulanger :"il y a de bonnes parties civiles et de mauvaises parties civiles." Cela me laisse comme un arrière goût, c'est comme il y a 50 ans, il y a des bons Juifs et des mauvais Juifs...

Papon s'exprime " Ayant toute ma vie servi la loi, je ne voulais pas à mon âge commencer à la trahir. La présente séance est figurative de ce que sera le procès. Toute ma vie, j'ai servi la loi,... J'ai ici une voix et en face vingt voix, je demande l'égalité des armes. Pour que, physiquement, psychiquement et moralement, je puisse travailler avec mes conseils, sans avoir à supporter ce poids insupportable de la détention. "

Enfin, après une longue suspension de séance, Le président Castagnède annonce qu'il sursoit à statuer sur la demande de mise en liberté et désigne deux experts, dont le rapport devra lui parvenir avant le 9 octobre à 14 heures. Mais qu'en tous les cas, Papon restera sous surveillance. "

Les jurés sont ensuite tirés au sort, 5 hommes et 4 femmes et parmi les suppléants, 5 femmes et 4 hommes, dont la moyenne d'âge est paraît-il de 40 ans.

CONNAISSANCE DE LA SOLUTION FINALE :

SAVAIENT OU SAVAIENT PAS ???

Un argument de la défense est de dire que Papon ne connaissait pas la solution finale... Comme si le simple fait de déporter des enfants sans parent ou des vieillards, dans des wagons à bestiaux, pour la Pologne n'était pas assez monstrueux...

Le document suivant montre que si les bourreaux et leurs complices prétendent ignorer la solution finale, les victimes elles au moins n'avaient aucun doute.

LE "NOUS NE VOUS OUBLIERONS JAMAIS" FINAL EST ACCABLANT.

Texte de la lettre reçue par la famille Matisson, envoyée depuis Drancy, la veille de leur déportation :

"Drancy le 18 - 7 - 42

Mon petit papa, maman, Lili, Maurice Cheris.

Ce soir à 6 heures nous sommes arrivés et demain matin nous repartons - nous ne savons pas pour où - si tu ne reçois pas de lettre tout de suite ne nous inquiete pas. Le moral est très bon. Nous aurrons beaucoup de courage. soignez bien mes enfants chéris qu'ils ne souffrent pas de l'absence de leurs parents.

affectueux baisers a tous nous ne vous oublierons jamais

vos enfants qui vous aiment

Nenette, Henry "

Les enfants Alisvaks

Eliane

Jackie

Claude

(c) Copyright 1997, J.M. Matisson

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