Hommage à un juste

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Maurice-David Matisson, 1° plaignant de l'affaire

 

Maurice-David Matisson, décédé le jeudi 15 juin 2000

à l'âge de 74 ans

 

Hommage à un juste

" Je ne serais pas juif si Hitler n'avait pas existé !". Par ces quelques mots tranquilles, Maurice-David Matisson m'a un jour permis de comprendre d'un seul coup beaucoup de choses.

Ainsi, pour lui comme pour ses aïeux avant fui les pogroms de la Lettonie du début du siècle, la France était le pays révolutionnaire qui, sur proposition de l'abbé Grégoire et d'Adrien Du Port, avait fait des juifs de France des citoyens " libres et égaux ". Et semblablement à Robert Badinter qui fit le récit de cet événement, il aurait pu dédier un de ses ouvrages à son " père qui choisit la France parce-qu'elle était la patrie des droits de l’homme. "

Par voie de conséquence, il se sentait simplement français, ou plus exactement, partie intégrante de la République française, une, laïque et universaliste. A ce titre, il était loin de toute identité communautariste, pensant justement avec le logicien Gottlob Frege que " puisque toute définition est une identité, l'identité elle-même ne saurait être définie". Héritier des Lumières, son credo humaniste était universel.

Mais voilà, la France de Vichy, haineuse ennemie d'elle-même et du message universel hérité de Montaigne, Voltaire et Condorcet, l'avait rejeté de son giron et avait livré les siens au bourreau nazi. Avec l'aide de Pétain, Laval, Papon et quelques autres, Hitler avait fait de lui " un juif ", lui assignant une " identité " inattendue.

Citoyen par-dessus tout, il en était inconsolable, mais il avait relevé le défi. Il aurait donc une deuxième appartenance, pensant sans doute avec Marc Bloch que " c’est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse ". Peu soucieux toutefois de particularisme, il serait donc un juif universel. Il le fut magnifiquement.

Lui le premier à déposer plainte contre Papon avec sa mère, Jacqueline, son fils Jean-Marie et sa cousine Esther Fogiel, il ne cessa plus de se battre, là, comme il l'avait toujours fait ailleurs.

Lui le patriarche indéfectiblement soutenu par son admirable épouse Paulette qui partagea tous ses combats, il mobilisa en un tournemain ascendants, descendants, cousins, neveux et nièces pour un marathon judiciaire de vingt ans.

Lui l'ancien rédacteur en chef des Nouvelles de Bordeaux, il fustigea vertement certains communistes grandis initialement peu convaincus de la justesse de ce combat.

Lui le résistant intrépide, il dénonça vigoureusement ceux qui, dans sa propre association de résistants soutenaient alors l’ex-ministre RPR au nom d’un gaullisme politique intemporel.

Lui le militant socialiste d’alors, il fut le seul à apostropher sans ménagement un Mitterrand qui faisait régulièrement fleurir la tombe de Pétain, bien avant que la bulle médiatique, qui avait unanimement refusé de publier sa lettre, s'en offusquât à son tour.

Lui le franc-maçon exemplaire, il eut l'insigne courage de révéler l'appartenance maçonnique d'un Papon, dont il éprouva un vrai chagrin, même s'il s'agissait en l'occurrence d'une obédience marginale et peu représentative.

Lui le psychanalyste bordelais, il sut, par, un ouvrage co-rédigé avec Jean-Paul Abribat et un colloque à Limoges sur le " syndrome de Bordeaux ", sensibiliser toute la communauté psychanalytique sur l'enjeu du procès Papon.

Lui la partie civile qui, durant six mois tout au long du plus long procès de l' histoire de la justice française, eut sans cesse le mot et l'esprit justes , il suscita par son inaltérable dignité l'admiration de médias plus enclins, par habitude et lassitude, au cynisme qu'à la louange.

Lui l'homme de bien qui, après la condamnation de Papon, considérant qu'il avait enfin à la fois enterré ses morts et réintégré la communauté nationale, refusa de demander des dommages-intérêts, parce que " ce n'était pas une affaire de fric ", il publia modestement à compte d'auteur un remarquable livre-testament ironiquement intitulé Vichy, Papon, moi et les autres dont je fais miennes les appréciations sur le rôle de chacun lors du procès.

Lui l’homme libre, adversaire de toute cléricature, qui sut me rendre par sa loyale confiance la foi que je mis en sa cause, je le pleure, parce que ce fut mon ami, et qu'elle est irréparable, la perte d'un tel juste.

Gérard BOULANGER

Gérard Boulanger, 1° avocat de l'affaire

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