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"Les autres Papon" ou Ces deux-là, on les doit au Parti socialiste Jean-Pierre Ponthus Le
courrier des lecteurs du Figaro des 21-22 septembre 2002 est
tout entier consacré à la libération de Maurice Papon. Six lettres dont
l'une a été choisie comme "lettre-leader" : tête de
rubrique et caractères gras. Le Figaro l'a intitulée Les
autres Papon. Son auteur, Mme Michèle Golzman, s'y indigne de la libération
de Papon et surtout se demande "pourquoi la justice française
n'a pas réagi devant tous les crimes contre l'humanité commis par toutes
les autres préfecture de notre pays.", rappelant que "Les
petits enfants juifs parqués à Drancy, à Aix-Les Milles, en Provence,
ou dans d'autres camps, ne venaient pas tous de Bordeaux mais tous avaient
été arrêtés par des Français, sur ordre de la préfecture de leur département." Mme
Gozlan a raison, et Le Figaro est loin de lui donner tort : il
accorde même à son indignation et à sa question une expression
prioritaire. Mais que serait l'indignation de Mme Golzman si elle savait
que la mémoire d'un de ces pourvoyeurs de Drancy est publiquement honorée
par une stèle à Cherbourg? Que son éloge a été prononcé, lors de
l'inauguration de la stèle en juin 1994, par le maire de la ville à
l'époque, M. Jean-Pierre Godefroy, avec toutes les omissions opportunes? Que
ce M. Godefroy siège aujourd'hui au Sénat, et que ce sénateur-là, on
le doit au Parti socialiste? Mais
surtout, que dirait Mme Golzman si elle savait que Le Figaro sait,
comme la majorité de ses confrères, depuis quelque deux ans? Ce Figaro
auquel elle doit se sentir redevable pour la publication de sa lettre en
place choisie. Un Figaro qui sait et se tait : ne penserait-elle
pas que sa lettre, malgré la place de choix qui lui a été réservée,
ne relève en fait, pour Le Figaro, que d'une catégorie résiduelle? Dira-t-on
que Le Figaro ignore Cherbourg et que vu de Paris ce qui s'y
passe est de l'ordre du minuscule? Or il est en partenariat avec la ville
pour je ne sais quelle course à la voile. Il n'a jamais manqué
d'ouvrir grand ses colonnes à son maire actuel, M. Bernard Cazeneuve,
surtout du temps qu'il était aussi député et féraillait contre les
anti-nucléaires (éditions du 19 avril 2001 et du 10 septembre 2001, par
exemple. Remarquons que le rayon d'expression de M. Jean-Pierre Godefroy
n'a jamais dépassé la presse locale). C'est encore Le Figaro qui
consacre, dans son édition des 3-4 mars 2001 un article sur un festival
de théâtre à Cherbourg, et, dans son édition du 24 août 2001, un
article (et non une simple "brève") signé Marie-Estelle
Pech sur un "arrêté municipal interdisant dans le
centre-ville la vente d'alcool à emporter dans les commerces entre 22
heures et 7 heures", pris par "le député-maire de
Cherbourg-Octeville, Bernard Cazeneuve (PS)". Et à côté de
cela, une stèle et un discours d'hommage à un pourvoyeur de Drancy, éphémère
directeur de cabinet de Bousquet, ne serait rien, ne mériterait ni
mention, ni investigation, ni interview d'explication? On voit quelles
sont les priorités de silence de ce Figaro qui donne la
priorité d'expression à Mme Golzman. Or
M. Cazeneuve n'est pas moins en cause que M. Godefroy. On lira ci-dessous
qu'il est attesté que M. Hollande avait demandé à cet hôte de passage
du Figaro "informations et explications", et
qu'il n'y répondit que par un immense silence. Aujourd'hui
grand perdant du "deal" passé avec son prédécesseur (à toi
le Sénat, à moi la mairie et la Chambre), bouté hors de la députation,
M. Cazeneuve en est réduit à la ville. Il s'en occupe dans le détail et
sans rien négliger de sa propre image. La presse locale a informé qu'il
s'est présenté, en ce début d'année scolaire, aux élèves de CE 1 de
l'école Jacques-Prévert, escorté de son adjoint chargé des affaires
scolaires, de l'inspectrice départementale de la circonscription et de
journalistes. Il est venu remettre personnellement aux enfants un Guide de
l'écolier. Il a fait son numéro, essayé par exemple "de lire
à l'envers un livre posé sur le pupitre d'une fillette posé au premier
rang. "C'est un livre de maths? C'était ma terreur", confie-t-il."
Puis il est passé, avec son escorte, dans la classe à côté un CM 2. On
peut lire dans La Presse de la Manche du 13 septembre 2002 le
compte-rendu de cette visite, accompagné de la photo en gros plan d'une très
jeune élève qui serait, selon le commentaire du journal, "fière
de présenter le tout nouveau Guide de l'écolier". Mais le
présenter à qui, puisque c'est le maire Cazeneuve qui vient de
le lui présenter? On aimerait savoir si les parents de cette enfant
ont préalablement donné leur accord à ce qui serait, sinon, une
atteinte d'autant plus grave à l'image de leur fille qu'elle est commise
dans le sens d'une manipulation favorable à l'image que M. Cazeneuve
cherche à donner de lui. Savoir si la direction de La Presse de la
Manche s'est posé et a posé aux parents la question. Et savoir
surtout s'il n'appartenait pas à M. Cazeneuve de se présenter, particulièrement
en milieu scolaire et en présence de journalistes, comme un des
pourvoyeurs du silence sur l'hommage à un des pourvoyeurs de Drancy.
Questions que Le Figaro, à qui rien n'échappe des
manquements de l'Education nationale, pourrait poser. Mais il répondra
sans doute qu'il n'empiète pas sur les terres, surtout locales, de ses
confrères, qu'il lui est sans doute arrivé de s'intéresser à
Cherbourg mais qu'avec M. la maire Cazeneuve à l' école, il n'y a que
petit théâtre propre à faire tourner les têtes bien moins que les
alcools forts. Au fond, rien que du résiduel. Jean-Pierre
Ponthus Cette minuscule
dame Jourdain-Menninger Dans
son édition du 17 mai 2002, Le Point a publié la "brève"
suivante, parmi d'autres regroupées sous le titre
"Confidentiel", en page 12 : "Repentance. Candidate PS
dans la 3e circonscription de la Manche, l'ancienne conseillère de Jospin
sur l'exclusion, Danièle Jourdain-Menninger, compte faire campagne sur le
"droit de remords"". Pas plus. Information insipide,
minuscule, qu'on ne relèverait guère si Le Point ne lui avait
donné un peu de relevé en associant le double nom de Mme
Jourdain-Menniger à ces deux autres noms : "repentance" et
"Jospin". On voit d'ailleurs aussitôt l'abus
d'assimilation de la repentance au "remords" de Mme
Jourdain-Menninger, la repentance ayant dans la vie politique française
de ces dernières années une signification officielle précise : la
douleur de la France pour les crimes de Vichy contre les juifs. Le
"remords" de Mme Jourdain-Menninger quant à l'exclusion
est une forme éloignée, inférieure, résiduelle de la repentance, qu'on
a d'ailleurs jamais associée à un droit puisqu'elle s'est toujours
imposée comme un devoir. Mme Jourdain-Menninger n'est pour rien dans
ce qui est apparemment une sottise de journaliste et on suppose aisément
qu'elle a été et qu'elle serait encore des premières à
s'associer à la repentance des crimes commis par Vichy contre les
juifs de France, au moins pour sa proximité de longue durée avec M.
Lionel Jospin -elle a été nommée dès le 12 juin 1997 à son cabinet-
dont on connaît sur ce point la rigoureuse intransigeance (qui va
nous manquer, qui va nous manquer...). Mais pour avoir travaillé dans
cette grande ombre, on accordera à Mme Jourdain-Menninger, qui n'est pas
un personnage médiatique, qu'elle a bien mérité de recevoir du nom de
M. Jospin un peu de lumière au moment où elle aspire à devenir une
personnalité politique de province. Non
qu'elle n'ait d'autres mérites. Elle les a énumérés elle-même dans sa
notice au Who's who? : CAPES d'histoire-géographie, diplôme
d'études approfondies d'histoire contemporaine, professeur d'histoire en
collège et lycée pendant cinq ans et puis le concours interne de
l'ENA et la projection dans les plus hautes sphères : l'enseignement,
mais comme maître de conférences à l'Institut d'études politiques de
Paris (dont les étudiants sont parmi les plus exigeants sur la rigueur et
la probité intellectuelle des maîtres, l'étendue et la précision de
leur savoir -voir M. Roger-Gérard Slama); enseignement encore, et à la
faculté de médecine de Créteil. Mais surtout les cabinets ministériels
: Evin, Neiertz, Kouchner, et ces cinq ans chez Jospin enfin : quel
chemin, ces cinq ans au très haut, depuis ces cinq ans au très bas
dans les lycées et collèges. A l'occasion de ses professions de foi de
candidate à la députation, Mme Jourdain-Menninger ne manque jamais de
rappeler la modestie de ses origines et de célébrer sa foi dans le
modèle de la méritocratie républicaine, qui n'est rien d'autre que la
foi qu'elle a en elle-même. Quel remords, de ce point de vue, pourrait
l'effleurer? Ce
que ne dit jamais Mme Jourdain-Menninger, c'est qu'il lui a fallu, pour
cette entrée en politique, patienter sur une liste d'attente : la liste
socialiste des sénatoriales de septembre 2001 dans la Manche. Patienter
derrière M. Jean-Pierre Godefroy, ancien maire de Cherbourg, conseiller régional,
et devant M. Daniel Lelièvre, du parti communiste, agriculteur producteur
de lait, Mme Michèle Lemaux, du Mouvement des Citoyens, militante
associative, et M. Léon Ourry, Divers gauche, agriculteur retraité,
eux-mêmes en attente d'un mandat plus modeste (le conseil général tout
au plus). Sur
ce fond d'obscurs obscurissimes -mais au moins, on ne reprochera pas
au parti socialiste de lésiner sur la promotion politique de humbles-,
Mme Jourdain-Menninger, pour qui la connaissait, est apparue comme la plus
brillante et on s'est même demandé pourquoi elle n'était pas tête de
liste, plutôt que M. Godefroy : si celui-ci avait plus de mérites,
il lui manquerait toujours ce mérite imposé à Mme Jourdain-Menninger
d'avoir à ronger son frein. Mais imposé par qui? Par les instances du
parti socialiste, sous la direction ferme de son premier secrétaire, M.
François Hollande. Et non sans que M. Jospin et son directeur de cabinet,
M. Olivier Schrameck aient été informés que Mme Jourdain-Menninger, du
Cabinet, briguait et devait à la fois attendre. Que s'ils eussent voulu
la voir élue, il leur suffisait de l'imposer en tête de la liste des sénatoriales,
pour une élection certaine, alors que la députation reste incertaine, et
c'est M. Godefroy qui eût alors attendu. La conclusion s'impose : pour
MM. Hollande, Jospin et Schrameck, M. Jean-Pierre Godefroy, de Cherbourg,
avait plus de mérites que Mme Jourdain-Menninger en sa cinquième
année de Cabinet. On aura compris que si le cas de Mme Jourdain-Menninger
mérite qu'on s'y attarde, c'est qu'il vaut comme analyse spectrale du
Cabinet. Qui
est, en effet, M. Jean-Pierre Godefroy? Un vaillant petit gars de
l'arsenal de Cherbourg, fier de se débuts dans la vie comme arpette, puis
ouvrier chaudronnier -le seul ouvrier chaudronnier du Sénat, se
flattera-t-il, une fois élu : "Entre ici, Godefroy, fils de la
classe ouvrière..." : c'est à peu près en ces termes que le célébrera
aussi M. Bernard Cazeneuve, député et son successeur à la mairie de
Cherbourg. On frémit de penser qu'il aurait pu -pourquoi pas?- finir sa
vie dans l'explosion du bus de Karachi s'il n'eût rencontré les grands
idéaux de la Gauche qui lui assureront une autre fin de vie ("Que de
chemin parcouru" a-t-il sans doute pensé lors de sa déclaration
obligatoire de patrimoine après son élection au Sénat). Rien du
brillant de Mme Jourdain-Menninger, mais du brio, plus probablement.
Brio de terrain : maire à répétition, conseiller général à
l'occasion, conseiller régional réélu, chef, même, de l'opposition de
gauche au conseil régional de Basse-Normandie. "Charismatique"
a pu écrire de lui un journaliste de Ouest-France, correspondant
local du Monde. Bref, en le préférant à l'ancienne énarque
par concours interne Danièle Jourdain-Menninger, c'est le mérite de la
classe ouvrière que trois anciens énarques par concours externe, devenus
hiérarques, ont probablement voulu honorer. Honorer,
M. Jean-Pierre Godefroy sait ce que c'est. Le 11 février 1985, alors
qu'il était conseiller général, le président du conseil général de
la Manche, M. Jozeau-Marigné, ancien pétainiste notoire, invita
l'assemblée départementale à se lever et à honorer d'une minute
de silence la mémoire de son prédécesseur, Henri Cornat, dont un
article de L'Evénement du jeudi venait de rappeler le passé de
collaborateur. M. Jean-Pierre Godefroy se leva et honora. En novembre
1989, le quotidien cherbourgeois La Presse de la Manche célébra
ses cent ans ininterrompus : donc les quatre années
d'Occupation incluses. Quatre ans, sous le titre de Cherbourg-Eclair, au
service quotidien de Vichy et de la propagande nazie. Là, pas un mot de
repentance. Rien qu'une immense satisfaction, à la veille d'une vente
extrêmement juteuse au groupe Ouest-France, et jusqu'à une
"flamme" de la Poste, sous l'autorité de M. Paul Quilès, célébrant ces
cent ans. M. Jean-Pierre Godefroy, maire socialiste, honora, et même avec
l'argent du contribuable (sur quoi nulle cour des comptes ne s'est jamais
penchée). Mais
l'honneur des honneurs -on ne lira pas l'honneur déshonneur, qui n'est
pas français- reste celui qu'il a rendu de sa propre bouche à la mémoire
du sous-préfet vichyste Audigier, complice à Cherbourg de crime contre
l'humanité. C'était en juin 1994. A cette date, M. Godefroy ne manquait
pas d'entraînement dans l'hommage aux vestiges de Vichy : mais aller
jusque-là...Certes, rien de cette complicité n'a été expressément
honoré : mais on attend toujours à ce jour le moindre mot de repentance
de l'ancien colistier si heureusement placé de Mme Jourdain-Menninger,
repentance au moins sur ce qu'on veut bien prendre, le doute profitant à
l'accusé, pour de l'ignorance. Mais
quelle a été l'ignorance, le degré d'ignorance, de Mme
Jourdain-Menninger? Rappelons-nous tout ce qu'elle sait : officiellement
de l'histoire, et de l'histoire en études approfondies. Approfondies en
histoire contemporaine. Avec ce que cela suppose : esprit de recherche,
rigueur dans la mise en ordre, jugement synthétique. Vichy, Bousquet,
elle sait : pas de doute. Audigier, elle ignore : admettons. Cherbourg-Eclair
reconverti sans trop de problèmes en Presse de la Manche :
elle devrait savoir. Et savoir encore plus la spécificité contemporaine
du département de la Manche : son conseil général présidé pendant
quarante-deux ans, jusqu'en 1988, successivement par deux anciens pétainistes
engagés volontaires, en février et mars 1941, dans la voie de la
collaboration, autrement dit deux anciens collaborateurs (timide
repentance officielle du survivant, en mai 2000, à la préfecture de la
Manche). Quarante-deux ans -et au-delà- de présence, d'influence de
Vichy, du lourd poids de Vichy sur tout un département, de son poids
aplatissant sur les élus d'un département : adultes, paraît-il, mais
aplatis, c'est certain. C'est là de l'histoire contemporaine, de celle
qui mérite d'être approfondie, de celle en affinité avec l'esprit de
Mme Jourdain-Menninger. Admettons que cet esprit soit vide de
toute histoire locale, il lui reste son tropisme : la capacité
d'investigation, le goût de savoir. Beau reste, reste essentiel. De
savoir, par exemple, qui est ce M. Godefroy planté là devant elle dont
on saucissonne l'ambition. Comment cet esprit de curiosité n'a-t-il pas
fonctionné? Je veux bien que quelques années de collège ou lycée
suffisent à étouffer pour la vie ce qui a fait l'honneur d'une jeunesse
-voyons ces noms d'établissements scolaires perpétuant le souvenir
d'anciens collaborateurs, et cestuy-ci, à Caen, dédié au souvenir d'un
idéologue de la race, en toute approbation des enseignants, sous couvert
de la voie hiérarchique (M. Jack Lang, toutefois, a fini par réagir).
Mais quand on a enseigné à Sciences po-Paris, où s'enseigne un état
d'esprit bien plus que des vues de l'esprit (M. Alain-Gérard Slama,
encore en paradigme), la curiosité intellectuelle peut-elle se perdre, et
la rigueur? Or, quelle incuriosité, semble-t-il, de Mme
Jourdain-Menninger pour le panégyriste du sous-préfet vichyste Audigier,
ancien directeur de cabinet de Bousquet, son colistier prioritaire. A
moins qu'elle n'ait su : mais on voit alors dans quelle hiérarchie se
situe son "droit de remords". Sans
attendre qu'elle s'explique si elle savait ou pas sur M. Godefroy, il est
attesté qu'il y en avait au moins un qui savait : M. François Hollande.
Un des documents qu'on va lire ci-dessous prouve qu'il avait été
informé du problème Godefroy-Audigier au début de septembre 2000 :
onze mois avant la composition de la liste socialiste pour les sénatoriales
dans la Manche. Il sait, lors des investitures, à qui il a affaire. Ultérieurement
renseigné par le député Cazeneuve, il sera incapable de démentir
l'information qui lui a été donnée. Il sait donc où il envoie Mme
Jourdain-Menninger, dans le voisinage de qui : un voisinage qui a voisiné
avec la célébration d'un complice du génocide, outre de moindres célébrations dont
Vichy n'était pas absent. Et il nez peut ignorer que Mme
Jourdain-Menninger voisinant avec M. Godefroy mais surtout avec MM.
Jospin et Schrameck devient l'instrument d'un élargissement de ce
dernier voisinage jusqu'au Vichy d'Audigier et de la complicité de crime
contre l'humanité: pour ainsi dire, la sauce a "pris", et
quelle sauce! surtout pour une "conseillère de Jospin sur
l'exclusion". D'après
une autre "brève" -de L'Express- M. Jospin aurait brûlé
tous ses papiers de son passage à Matignon. On ne saura rien de ce qu'il
savait ou pas du candidat Godefroy. Il est très douteux qu'il en ait
ignoré l'existence, ou qu'il ne lui ait guère accordé d'attention : la
présence sur la même liste, en seconde position, de sa conseillère
Jourdain-Menninger, a forcément retenu son attention. De même pour M.
Schrameck, si avisé, si partout, et qui n'était pas homme à négliger
les détails. Ils ont su que M. Jean-Pierre Godefroy existait, et sans
doute un peu plus qu'un autre. Mais qu'en ont-ils su d'autre,
eux qui lui ont préféré leur conseillère et collaboratrice? En
particulier? qu'ont-il su ou ignoré de ce que M. Hollande savait? Celui-ci
n'a-t-il pas été constamment présenté comme l'informateur privilégié
de M. Jospin, surtout ces deux dernières années? Et le même a-t-il pu
lui cacher? Mais cacher aussi à Mme Jourdain-Menninger? Ce qui
s'appellerait alors manipulation, machiavélisme, mais aussi, tout bêtement?
peut-être, peur du patron. Ou peur de M. Jean-Pierre Godefroy lui-même?
Ou de Mme Jourdain-Menninger, nullement dupe mais trop tentée par le gâteau?
Entre remords et repentance, on aimerait savoir si M. Hollande balance.
Lui qui n'a rien brûlé pourrait nous éclairer : qui savait quoi au
juste, étant exclu qu'il ignorait? Ce n'est pas de la grande histoire,
mais cela permettrait de restituer, pour l'Histoire, la dimension exacte
du Cabinet. Jean-Pierre
Ponthus (Les
éléments ci-dessous, qui ont circulé sur le Net à différentes dates, sont
proposés à la réflexion sur le cas de M. le sénateur Godefroy et de
tous ceux qui se sont retrouvés dans son voisinage par une sorte de
coalescence, "union de parties auparavant séparées, comme on
l'observe [...] dans les adhésions contre nature.",
d'après Littré.) Cherbourg, 16 octobre 1942
: le sous-préfet vichyste Lionel Audigier se rend complice de crime
contre l'humanité. Cherbourg,
25 juin 1994 : le maire Jean-Pierre Godefroy prononce publiquement l'éloge
de Lionel Audigier. Rien
n'y apparaît de cette complicité de crime contre l'humanité. M.
Jean-Pierre Godefroy, aujourd'hui sénateur, ne s'en est jamais expliqué. Deux
des lettres qui lui ont été adressées sur ce sujet ont été versées
à un dossier constitué par les Renseignements généraux. Ce
silence est-il compatible avec l'expression au Sénat de la volonté
nationale? Cette inquiétante
étrangeté... On le sait : un citoyen non français de l'Union européenne
peut voter aux élections municipales et être élu à un conseil
municipal français. Mais il est constitutionnellement interdit à ce même
citoyen non français élu conseiller municipal d'être dépositaire de
l'autorité publique française : il ne sera ni maire, ni adjoint au
maire. Il est également interdit de tout contact avec la souveraineté
nationale française : il ne peut "participer à la désignation
des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs."
L'article 88-3 de la Constitution est rigoureux : dans la proximité de la
souveraineté nationale française, tout citoyen non français de l' Union
européenne redevient pur étranger. Cette souveraineté apparaît
protégée de toute contamination étrangère qui pourrait se transmettre
par la simple désignation des électeurs sénatoriaux, sans parler de l'élection
même des sénateurs. On
le sait : le régime de Vichy fut particulièrement rigoureux envers les
juifs de France, nationaux et étrangers. Par le statut du 3 octobre 1940,
les Français juifs furent, entre autres, dépossédés de toute autorité
publique dont ils étaient éventuellement dépositaires et interdits de
tout contact avec la souveraineté nationale française. Dans le même
temps, les juifs étrangers commençaient à peupler les prisons et les
camps de concentration français où, en 1942, la police française allait
abondamment puiser, sous l'autorité de René Bousquet, pour
satisfaire aux exigences de l'exterminateur nazi. C'est ainsi, par
exemple, que le 16 octobre 1942, furent extraits de leur prison à
Cherbourg pour être transférés à Drancy Alfred Lévy, Marie Grunberg
et son fils Marc, Jean Chetreanu, Surica Herman et Jacob Siskine. L'ordre
de réquisition de la gendarmerie française pour ce transfert fut signé
par le sous-préfet alors en poste, Lionel Audigier. On peut penser que ce
fut sans état d'âme : six mois auparavant, il était le premier
directeur de cabinet de Bousquet à peine nommé secrétaire à la Police
de Vichy. Arrêté pour des raisons obscures le 17 mars 1944 par ces mêmes
Allemands dont il avait été, le 16 octobre 1942, le complice, Lionel
Audigier allait périr en juin sous les bombes américaines à la prison
de Saint-Lô, ce qui lui valut cinquante plus tard l'érection d'une stèle
à Cherbourg et une allocution d'hommage public prononcée par le maire,
M. Jean-Pierre Godefroy. On
pourra la lire dans La Presse de la Manche du 26 juin 1994, en
page 2. On verra que M. Godefroy ne dit strictement rien de la fidélité
active d'Audigier au régime de Vichy et encore moins de sa participation
à l'antisémitisme d'Etat et au génocide des juifs. Maintes fois
interrogé, M. Godefroy s'est toujours refusé à préciser s'il s'était
ainsi exprimé par ignorance -grave- ou par omission délibérée -encore
plus grave. Se sont associés à ce silence les instances du Parti
socialiste qui l'ont désigné à la candidature pour les élections sénatoriales
dans la Manche et les conseillers municipaux de Cherbourg-Octeville désignés
comme électeurs sénatoriaux. Les documents qu'on lira ci-dessous
l'attestent. Il
n'a semblé auxdites instances, ni auxdits grands électeurs, qu'il
y avait quelque étrangeté à garder pure de tout contact étranger,
conformément à la Constitution, la souveraineté nationale française, alors que
l'hommage rendu à Audigier, contre toute moralité, risquait de
l'altérer au cas où M. Jean-Pierre Godefroy en deviendrait un des
dépositaires, comme il l'est aujourd'hui. Il avait placé Audigier dans
une perspective européenne, exaltant "cette France nouvelle qui
travaille dans l'Europe d'aujourd'hui, dans l'Europe que nous bâtissons
pour demain. Le sacrifice d'hommes comme Lionel Audigier n'aura pas été
vain." On ne s'étonnera pas que ce soit tout le statut de la
citoyenneté européenne qui se trouve dès lors affecté par cette
inquiétante étrangeté. Ah ! que le Sénat français va devenir intéressant. En ce silence... La
liste de gauche aux élections sénatoriales du 23 septembre 2001 sera menée
par M. Jean-Pierre Godefroy, ancien maire de Cherbourg, désigné par les
instances du Parti socialiste. Or M. Godefroy présente cette particularité
sans doute unique d'entre tous les candidats de ne s'être jamais expliqué
sur l'hommage public qu'il a rendu, le 25 juin 1994, à la mémoire du
sous-préfet vichyste Lionel Audigier, premier chef de cabinet de René
Bousquet lors de sa nomination au secrétariat général de la Police dans
le gouvernement Laval. Le Mouvement des Jeunes Socialistes avait reconnu
la gravité du problème, puis s'est tu. M. François Hollande avait
promis de demander au député-maire de Cherbourg, M. Bernard Cazeneuve,
un complément d'information et d'explication, puis s'est tu. Et ce
silence s'est étendu : responsables politiques, presse, réseaux,
paraît-il, d'investigation. Il appartient désormais aux politologues et
aux historiens d'en prendre acte et de l'analyser, alors que Vichy revient
hanter les pages de biographies consacrées à M. le Premier ministre. J.-P.
P. Monsieur le Premier
Secrétaire, Vous
voudrez bien trouver pour rappel, ci-dessous, l'échange de courrier que
nous avions eu relativement à l'hommage que le maire de Cherbourg, M.
Jean-Pierre Godefroy, avait rendu, en juin 1994, à la mémoire du sous-préfet
vichyste Lionel Audigier, premier chef de cabinet de René Bousquet lors
de la nomination de ce dernier au Secrétariat à la Police de Vichy.
J'avais formulé un certain nombre de questions qui sont demeurées, à ce
jour, sans réponse, tout comme le courrier que je vous ai adressé le 28
janvier 2001. Mais vous étiez sans doute entièrement occupé par la préparation
des élections municipales. Ce sont aujourd'hui les élections sénatoriales
qui s'annoncent. M. Jean-Pierre Godefroy sera l'un des candidats du parti
socialiste pour le département de la Manche. Est-il possible qu'il
continue à ne pas s'expliquer sur son hommage à Lionel Audigier? Est-il
possible que le parti socialiste cautionne aussi officiellement ce silence
en acceptant que M. Godefroy puisse devenir au Sénat, par exemple, le
collègue de M. Badinter? Ce n'est pas sans risque pour votre crédibilité
personnelle que ces nouvelles questions puissent, comme les précédentes,
rester sans réponse. Veuillez
agréer, Monsieur le Premier Secrétaire, l'expression de ma considération
distinguée. Jean-Pierre
PONTHUS Monsieur
le Premier secrétaire, J'ai
l'honneur de vous rappeler le mail que vous m'avez envoyé le 11 octobre
2000 (ci-dessous) : Subject:
F.Hollande N/Réf
: FH/SA n°14550 François HOLLANDE *** Vous
répondiez ainsi au courrier suivant (pour rappel) : Alors
que le Parlement vient de voter une loi instaurant une Journée nationale
à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat
français, on constate avec regret que le maire de la ville de
Cherbourg-Octeville, M. Jean-Pierre Godefroy, ne s'est toujours pas
expliqué sur l'allocution qu'il a prononcée, le 25 juin 1994, lors de
l'inauguration de la stèle élevée à la mémoire du sous-préfet
vichyste Lionel Audigier, devant le square du même nom. Par des courriers
répétés et demeurés sans réponse, il a été demandé à M. Godefroy
s'il ignorait que : -
Lionel Audigier avait été choisi par René Bousquet pour être son chef
de cabinet lors de sa nomination de secrétaire à la Police de Vichy ; -
Lionel Audigier devait sa promotion de sous-préfet à Cherbourg (28 mai
1942 - mars 1944) à Pierre Pucheu et à René Bousquet, qu'il remercie
par lettre du 3 juin 1942 (dossier Audigier conservé aux Archives
nationales, cotes F1b I 694 et 715, section du XXe siècle); -
cette promotion lui aurait été impossible s'il n'avait attesté, sous la
foi du serment, conformément aux exigences du régime raciste qu'il
servait volontairement, n'avoir aucune ascendance juive; -
à la demande des Allemands, Lionel Audigier avait fait transférer de
Cherbourg à Drancy six juifs, dont un enfant de quatorze ans, cela de sa
propre autorité alors que la décision incombait à son supérieur hiérarchique,
le préfet de la Manche. Sollicité
de produire les documents selon lesquels Lionel Audigier aurait appartenu
au réseau Alliance, ainsi qu'il est inscrit sur la stèle, M. Jean-Pierre
Godefroy n'a également rien répondu. Lionel
Audigier apparaît comme "de ceux qui se sont accommodés d'exécuter
les ordres assassins au prétexte de leur devoir d'obéissance",
pour citer le représentant du Gouvernement, M. Mélanchon, lors de la cérémonie
célébrant le cinquante-huitième anniversaire de la rafle du Vel'
d'Hiv'. M. le maire de Cherbourg-Octeville ne peut donc plus se contenter
de garder le silence sur la stèle qui lui a été érigée et sur le
discours qu'il a prononcé. A défaut, c'est à ses adjoints, à commencer
par M. le député Bernard Cazeneuve, qu'il appartient d'exiger de lui des
explications publiques. Rappelons
que le nom de M. Godefroy apparaît dans le fichier presse
collaborationniste du Centre de documentation juive contemporaine,
dossier DL XXX-5 relatif au centenaire du quotidien cherbourgeois La
Presse de la Manche, ancien Cherbourg-Eclair, célébré
avec la participation technique et financière de la mairie de Cherbourg. A
ce jour, 1er septembre 2000, aucun des adjoints de la municipalité de
Cherbourg-Octeville, à commencer par M. le député Bernard Cazeneuve,
aucun des conseillers municipaux, fût-ce d'opposition, n'a demandé
d'explications à M. Jean-Pierre Godefroy sur l'hommage rendu au sous-préfet
vichyste Audigier. Il faut prendre acte de ce consentement unanime aux
vestiges de Vichy, manifestement supérieur à tous leurs dissentiments. *** Plus
de trois mois après votre réponse, j'ai le regret de constater, Monsieur
le Premier secrétaire, que M. le député Bernard Cazeneuve, vers lequel
vous vous étiez tourné, ne vous a apporté aucun complément
d'information ou d'explication, sans quoi, conformément à votre
promesse, vous n'auriez pas manqué de m'en tenir informé. Il n'a même
pas apporté le moindre démenti, pas plus que M. Godefroy,
auquel il n'a d'ailleurs demandé aucune explication, ainsi que la
totalité des conseillers municipaux de Cherbourg-Octeville. Nombre
d'entre eux ne retrouveront pas leur siège au nouveau conseil
municipal, au moins par le simple fait qu'ils ne se représentent pas : ils
partiront en emportant de leur silence jusqu-au-boutiste un souvenir sûrement
très glorieux. Mais sans
doute aurais-je dû être plus précis. Voici donc un de ces compléments
d'information qu'on eût plutôt attendu de M. Cazeneuve. La demande
allemande du transfert à Drancy des six juifs détenus à Cherbourg date
du 15 octobre 1942. Audigier obtempère sans perdre de temps dès
le lendemain et en informe le préfet de la Manche, qu'il a
"court-circuité" dans la prise de décision, le surlendemain,
17 octobre 1942. L'ancien chef de cabinet de Bousquet ne peut ignorer ce
que signifie un transfert à Drancy. Sont
transférés : Alfred L., 27 ans; , Marie G., 42 ans; son fils, Marc G.,
14 ans; Jean C., 38 ans, Surica H., 62 ans; Jacob S., 43 ans. La présence
de Jacob S., de Maria G. et de son fils Marc est attestée dans la liste
du convoi n° 40 parti de Drancy le 4 novembre 1942 à destination
d'Auschwitz, où ils ont été assassinés. M. Jean-Pierre Godefroy a un sens aigu de ce que l'on pourrait appeler "le vécu de l'Histoire", qu'il sait mettre dans les plus petites choses, là même où on s'y attend le moins. Il s'est élevé à Cherbourg une polémique sur l'ouverture des commerces et des grandes surfaces le dimanche et les jours fériés. M. Godefroy s'y est montré hostile. Je cite un de ses arguments, publié dans La Presse de la Manche du 8 décembre 2000, page 6 : "Quand je pense au 11 Novembre, à tous ceux qui se sont fait casser la gueule, au 1,6 millions de morts, je me dis qu'aujourd'hui, que si on leur disait qu'ils avaient fait tout cela pour favoriser le chiffre d'affaires des grandes surfaces, ils hésiteraient peut-être à repartir au combat." Je vais avoir la même franche simplicité : quand on pense aux déportés et aux assassinés victimes de la politique d'extermination nazie à laquelle s'associa l'Etat français de Bousquet et d'Audigier, à "tout cela" qui n'a aucunement empêché que fût publiquement honoré le souvenir de Lionel Audigier, complice d'arrestation, de séquestration, de déportation et d'assassinat, en particulier sur la personne d'un mineur de moins de quinze ans, que faut-il penser qu'ils penseraient du silence de M. Godefroy, de M. Cazeneuve et de tous ceux qui le partagent? En ces jours du 56e anniversaire de la libération d'Auschwitz, c'est un silence auquel il serait particulièrement affligeant, Monsieur le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, qu'on puisse vous associer. J'ai donc l'honneur de réitérer, par votre intermédiaire, ma demande d'explication à MM. Jean-Pierre Godefroy et Bernard Cazeneuve. Veuillez agréer, Monsieur le Premier secrétaire, l'expression de ma considération distinguée. Jean-Pierre Ponthus
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