Radio Londres BBC, 1942-1944
16 juillet 1944
21 heures 30 - 22 heures
LES FRANÇAIS PARLENT AUX FRANÇAIS
HONNEUR ET PATRIE
André Gillois

 

Les responsabilités françaises dans l'extermination des juifs

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M. Cordell Hull, au nom du gouvernement américain, a élevé contre les persécutions dont sont victimes les juifs de Hongrie une protestation indignée en soulignant que les dirigeants hongrois avaient leur large part de responsabilités dans ce nouveau crime nazi. De la même façon, les hommes de Vichy doivent être tenus pour coupables du traitement abominable infligé aux Français juifs comme aux étrangers juifs qui avaient cherché asile sur la terre de France.

Ce fut d'abord, vous le savez, une opération menée avec une apparence de légalité. Il s'agissait de ne pas heurter l'opinion d'un peuple accoutumé à la justice et au bon sens. Alors on édictait des mesures qui n'avaient, semblait-il, pour objet que de viser certains hommes sur lesquels une propagande savamment orchestrée concentrait l'attention et les rancunes.

Et puis, un nouveau pas fut fait, qui, marqué par une espèce d'assaut donné à des puissances d'argent, pouvait satisfaire l'anticapitalisme sincère des uns et la jalousie cupide des autres.

Enfin, l'heure arriva où l'on s'en prit aux personnes physiques, mais non pas en bloc et par des opérations massives qui eussent éveillé la susceptibilité française. Non, toujours la même méthode hypocrite et progressive : quelques têtes de Turcs d'abord, puis des catégories de plus en plus étendues, de plus en plus visibles, jusqu'au jour où les Français s'aperçurent qu'ils se trouvaient être les témoins de ces persécutions raciales dont ils avaient entendu parler auparavant comme d'événements lointains, à peine croyables, à peine crus, et qui maintenant se déroulaient sous leurs yeux.

La sensibilité française, réveillée, réveilla la raison française. Et chacun comprit qu'ils avaient vu juste ceux qui disaient : " L'antisémitisme est la pierre de touche du nazisme. C'est par cela qu'il commence et c'est par là qu'il démontre ses chances de succès. "

Dès lors, la partie était perdue en France. La frénésie hitlérienne eut beau s'acharner sur les Français juifs, leurs compatriotes ne s'en sentaient que davantage leurs égaux et leurs frères.

Mais, malgré la solidarité qui se manifesta alors, malgré tous ceux qui luttèrent pour arracher ses victimes à l’ennemi , il y eut assez de pour l'aider dans sa tâche, assez de fonctionnaires pour recenser les juifs, assez de policiers pour les arrêter, assez de bourreaux pour les livrer.

Que sont-ils devenus, tous ceux-là, que l'on a vus partir dans des wagons plombés, et dont les cris déchirants étaient couverts par les vivats des brigades d'acclamation chargées d'escorter le Maréchal aux yeux bleus ? Vers quels bagnes, vers quels abîmes de douleur ? Nous ne le savons que trop et les techniciens allemands, sur qui Goebbels compte pour gagner la guerre, ont prouvé en effet dans la découverte de tortures nouvelles qu'ils n'étaient pas à court d'imagination. Voulez-vous que je vous cite le dernier en date des témoignages ? Quelques lignes du rapport d'un médecin français prisonnier et rapatrié :

" Là, dit-il, le train était acheminé par spéciale vers un petit camp où on laissait descendre tous les juifs. Sous le prétexte de vouloir les faire se laver, on les faisait descendre dans une petite piscine et, quand tout le monde était dans l'eau ' on faisait passer un courant électrique de haut voltage. , Cela et les gaz asphyxiants, et bien d'autres variantes, c'est pourtant le destin auquel les hommes de Vichy condamnèrent 'des dizaines de milliers de Français.

Oh ! je sais bien : il y a d'autres martyrs et il ne s'agit pas, à notre tour, de faire du racisme en mettant à part les crimes contre les juifs. Mais que les policiers, mais que les fonctionnaires, mais que les gardiens de prisons sachent qu'en acceptant de participer à leur massacre, ils n'ont pas plus d'excuse qu'en s'attaquant à toutes les autres victimes du nazisme.

Devant eux, comme devant tous les autres, les portes des prisons et des camps de concentration doivent s'ouvrir. Le pire n'est peut-être pas encore venu et, dans leur rage impuissante, les hitlériens s'acharneront, n'en doutez pas, sur les plus faibles, sur les otages que constituent tous ceux qui sont détenus, hommes, femmes, enfants. Il y en a dans toute l'Europe. Et il y en a en France. Aussi les Allemands se payeront-ils pas seuls le prix des crimes commis contre ceux-là.

De même que la France s'associe aux protestations et aux massacres qui visent les dirigeants hongrois après les bourreaux de Pologne et tous les criminels de droit commun qui règnent sur l'Europe asservie, de même on peut être assuré que le monde entier se dressera en accusateur contre ceux des Français qui auront permis ou toléré ces crimes contre nature.

Mais c'est à nous, à nous surtout, qu'il appartiendra de les châtier sans faiblesse, car ils n'auront pas seulement manqué à leurs conscience d'hommes ; ils auront aussi, et doublement, trahi la France, en tentant de vendre son âme avec la leur, en reniant la plus sacrée de nos traditions, celle qui fait de nous les promoteurs et les champions de l'égalité des races comme de l'égalité des hommes.

S'il Y a en France des exécutions sommaires la proportion excède rarement deux exécutions pour 10 000 habitants, bien que la Pariser Zeitung parle de chasse à l'homme et de vengeances personnelles. C'est dans la période des combats que 53 % des exécutions ont lieu ; mais les délégués du gouvernement limitent la vindicte populaire grâce aux internements administratifs et à la mise en place de tribunaux militaires en attendant la formation des cours spéciales de justice. En Normandie, le respect des lois étonne presque les Alliés et François Coulet télégraphiera bientôt : c On me sait gré apparemment de n'avoir pas dressé la guillotine sur la grand-place de Bayeux. "

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