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Le dossier des archives à télécharger : Liminaire : Les Archives :
le grand refoulement ? 1. Rappel de l’affaire - La Pétition 2. Le fond
du problème : l’accès aux Archives 3. Quel avenir pour les Archives ?
Quelques propositions Conclusion : Archives et Mémoire :
pour un accès à la Vérité Annexe (texte de la pétition et
signataires) Synthèse
du dossier. D’une
placardisation inique à un véritable enjeu de société. La
“ placardisation ” de deux archivistes. La
confrontation de la France avec son passé est parfois conflictuelle, hésitant
entre refoulement et demi-vérité. C’est ainsi que la réalité des
crimes commis en octobre 1961 par la police parisienne n’a été effleurée
qu’à l’occasion de deux procès : celui de Papon à Bordeaux,
avec le témoignage de Jean-Luc Einaudi en octobre 1997, puis le procès
intenté pour diffamation par Papon contre Einaudi, en février 1999. Les
deux archivistes qui ont fait part de l’existence de pièces décisives
- permettant de confronter
les témoignages des acteurs de l’époque avec les faits - ont subi une
véritable mise à l’index. Le prétexte du manquement au
“ devoir de réserve ” a servi de base à
cette “ placardisation ”. Ces archivistes ont-ils
transgressé le code de déontolongie de leur profession ? Ou
ont-ils, au contraire, accompli leur travail en signalant l’existence de
documents permettant de dissiper les doutes et de reconnaître
officiellement les faits ? Le
fond : un accès aux Archives de plus en plus restrictif. Depuis
la Révolution Française, la législation n’a fait que restreindre
l’accès aux documents publics des périodes “ sensibles ”.
La Loi de 1979 qui régit actuellement l’accès aux archives n’a pas
facilité les recherches sur Vichy et, aujourd’hui, ce sont les archives
de la guerre d’Algérie qui souffrent de restrictions similaires, voire
de destructions arbitraires. Par l’existence de délais de communication
fort longs (pouvant s’étendre jusqu’à 150 ans), par l’existence
d’un système dérogatoire discriminatoire, le chercheur est ainsi à la
merci d’une décision administrative. Quant au simple citoyen, il
demeure ainsi coupé de son passé. Malgré sa volonté d’ouverture, la
circulaire d’avril 2001 relative à l’accès aux archives de la guerre
d’Algérie ne fait que renforcer ce verrouillage légal des archives. Il
est temps, par une refonte de la législation, de permettre aux citoyens
d’accéder plus librement aux Archives, de permettre aux historiens et
aux juges d’accomplir leur travail. Pourquoi la République Française
cache-t-elle encore la vérité sur les crimes commis en son nom ?
Autant Vichy avait-il le prétexte de l’Etat français, autant
aujourd’hui, à l’aube de l’instauration de la Cour Pénale
Internationale a-t-elle l’impérieux devoir de dire la vérité, rien
que la vérité, toute la vérité. La France ne peut pas d’un côté
encourager cette volonté d’établir la vérité et de l’autre refuser
de faire ce travail sur son Histoire. L’enjeu
de Société : les clefs de la Mémoire. Comment
construire, voire rebâtir une société digne des principes laïques de
la République Française, si on occulte cet outil essentiel de la Vérité
et de la Vigilance : la Mémoire ? La
mémoire se doit d’être le présent de la libération de l’avenir, en
faisant surgir dans le présent, à partir de l’humus de la mémoire, le
passé. C’est assurer la tradition et mettre en jeu clairement
l’autorité de celui qui “ précède ” et la liberté de
celui qui “ suit ”. C’est bâtir un projet au sens large
de projet de civilisation. Liminaire : Les Archives - Le grand refoulement ?
Un Homme sans mémoire ne peut être libre. La connaissance du passé
est indispensable pour éclairer le présent et bâtir le futur. L’Histoire
est un guide précieux pour une construction plus humaine de notre être
et du monde qui nous entoure. La
mémoire - qu’elle soit
individuelle ou collective - qui pétrit notre identité est bien souvent
déformée par le temps ou tout simplement par la perception individuelle
et subjective des évènements. L’Histoire peut nous permettre de bâtir
un pont entre cette mémoire et la réalité. Mais, cette liaison s’avère
bien souvent difficile, voire impossible. Les
différents procès de crime contre l’Humanité ont bien montré cette
difficulté. Le caractère imprescriptible de ce crime et le décalage
entre les événements et l’instruction ont rendu plus forte encore
cette distorsion entre Mémoire et Histoire. De Barbie à Papon en passant
par Touvier, la difficulté pour la Justice fut en parti liée à une
relecture du passé à géométrie variable. L’Histoire
ne dit pas le Juste, mais tente de dire le Vrai. Seul l’accès aux
documents permet cette indispensable confrontation pour tenter d’établir
la vérité, dans le souci de la plus grande objectivité possible. “ Le
souci des faits en histoire est celui même de l'administration de la
preuve, et il est indissociable de la référence. [...] L'historien ne
demande pas qu'on le croie sur parole, sous prétexte qu'il serait un
professionnel qui connaîtrait son métier, bien que ce soit en général
le cas. Il donne au lecteur le moyen de vérifier ce qu'il affirme ”
(A. Prost, Douze leçons sur l'histoire, éd. du Seuil, 1996). Les
archives représentent ainsi ce relais indispensable d’une mémoire sélective,
partielle ou défaillante avec les événements. Se priver des ces précieuses
ressources, c’est aveugler un borgne. C’est
ainsi que deux procès successifs ont permis d’approcher la réalité de
l’ampleur du massacre des Algériens par la police parisienne en octobre
1961 : celui de Papon à Bordeaux - avec le témoignage de Jean-Luc
Einaudi en octobre 1997 - puis le procès intenté pour diffamation par
Papon contre Einaudi, en février 1999. Les faits n’auraient pu être
officiellement reconnus si deux archivistes de la Ville de Paris n’étaient
pas venus à la barre pour confirmer les dires de Jean-Luc Einaudi qui,
faute de dérogation, n'avait pas eu l'autorisation de consulter les
archives du parquet de Paris. S’appuyant sur l’existence de nombreux dossiers
judiciaires, ils ont confirmé la gravité du massacre du 17 octobre 1961.
Mais, le soir même de leur déposition, Brigitte Lainé et Philippe Grand
faisaient l'objet de menaces de sanctions et une enquête administrative
était immédiatement déclenchée par la direction des Archives de
France, au motif d'un manquement au “ devoir de réserve ”.
Aujourd’hui,
à travers la difficulté de dire le droit pour des événements d’un
“ passé qui ne passe pas ”, on voit bien
l’importance du rôle que les archives peuvent apporter dans un débat
qui demeure stérile tant que la vérité n’est pas rétablie, et qui
forcément reste sur le terrain de la polémique
- souvent médiatique - , où mensonges et contre vérités
l’emportent souvent sur la bonne foi. La
vérité ne se complait ni dans la médisance, ni dans le vague, ni dans
l’à peu près induits par cette volonté de mettre à l’écart les
archives. La
décision de ne pas ouvrir les archives, et - pire - les tentatives de “ nettoyage ”
préalables des documents sources sont contraires à nos aspirations
actuelles de vérité. A
une époque où se mettent en place des structures visant à poursuivre et
juger rapidement les criminels de guerre et contre l’humanité, il nous
semble intolérable que la France traîne les pieds sur son passé récent
tout en ratifiant le principe de la création de la Cour pénale
internationale. Peut-on opposer la défense d’intérêts nationaux à la
volonté universelle de mettre au ban de l’Humanité les crimes les plus
odieux. C’est bien le sens de l’Histoire que d’éclairer
aujourd’hui le citoyen sur le passé afin de construire pour demain un
monde dans lequel nos enfants ne répètent pas nos erreurs d’hier. C’est
pourquoi, nous avons décidé de soutenir Brigitte Lainé et Philippe
Grand, deux archivistes qui sont victimes de mesures de rétorsion depuis
leur témoignage en 1999 (ils se sont notamment vus retirer toutes leurs délégations
et attributions). C’est
pourquoi, nous demandons une plus grande transparence dans les conditions
d’accès aux Archives dans un souci de démocratisation. Entre
respect de la vie privée et nécessaire éclaircissement du passé,
permettons aux citoyens d’accéder à leur histoire. Permettons aux
historiens d’établir la vérité. A charge, le cas échéant, pour la
justice d’accomplir ensuite son travail. 1.
Rappel de l’affaire - La Pétition Acte
1 : Procès Papon à Bordeaux (octobre 1997 / avril 1998) Au
cours de ce procès, les évènements du 17 octobre 1961 ont été
évoqués (Papon était alors préfet de police de Paris). Pour Papon :
“ la répression s'est réduite à prier les Algériens de
monter dans les cars et les autobus [...]. Il n'y a pas eu de morts
par arme à feu par la police mais par les groupes d'assaut du FLN
[...] ”. Entendu à la demande du MRAP, Jean-Luc Einaudi affirme :
“ Je pense, après les recherches que j'ai pu faire, qu'il y a
eu durant cette période un minimum de 200 morts, vraisemblablement
environ 300. ” Acte
2 : C. Trautmann, alors ministre de la Culture, entrouvre les archives. L'historien
David Assouline les consulte et en communique des extraits à la presse.
De son côté, Lionel Jospin, nomme une commission d'enquête présidée
par le conseiller d'État Dieudonné Mandelkern : le rapport sera dévoilé
le 4 mai 1998 par Le Figaro. Il reconnaît une répression très
dure et conclut à 34 tués, soit bien moins que les 200 à 300 d'Einaudi,
mais dix fois plus que le bilan officiel. Acte
3 : Prenant
appui sur ce rapport, Jean-Luc Einaudi publie dans Le Monde
du 8 mai 1998 son point de vue : “ Je persiste et signe. En
octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de
l'ordre agissant sous les ordres de Maurice Papon. ” A
la suite de cet article, Papon décide d'attaquer Einaudi en diffamation
et réclame la somme de 1 million de francs à titre de dommages et intérêts.
Acte
4 : Procès Papon / Einaudi (février 1999)
qui sera perdu par Papon grâce à l'intervention de Brigitte Lainé et
Philippe Grand, deux archivistes de la Ville de Paris. Acte
5 : C'est l'enquête administrative pour les deux archivistes et bien des déboires. Sonia Combe, dans un ouvrage
consacré aux Archives, nous rappelle ce qui a motivé l'intervention de
Brigitte Lainé : “ Ainsi que Brigitte Lainé l'expliqua à la
barre, c'est le fait que Jean-Luc Einaudi n'ait jamais reçu de réponse
à sa demande de dérogation déposée un an avant le procès pour
consulter les archives lui permettant de se défendre - archives
judiciaires dont Philippe Grand et elle-même connaissaient le contenu
pour les avoir traitées - qui motiva sa décision de témoigner en faveur
du chercheur. Il s'en fallut peut-être d'un cheveu que Papon, confiant
dans la loi sur les archives, ne gagne ce procès. Il perdit finalement,
le tribunal ayant reconnu qu'un massacre d'Algériens avait bel et bien été
perpétré le 17 octobre 1961 par des forces de police agissant sous ses
ordres. En revanche, le soir même de leur déposition, Brigitte Lainé et
Philippe Grand faisaient l'objet de menaces de sanctions et une enquête
administrative était immédiatement déclenchée par la direction des
Archives de France, au motif d'un manquement au devoir de réserve ”.
L'histoire ne dit pas si le directeur des Archives de Paris fut, quant à
lui, sanctionné pour ne pas avoir répondu à une demande de dérogation
(Sonia Combe, Archives interdites, pages 38-39). Manquement
au “ devoir de réserve ” ? L’AAF
(L’Association des Archivistes Français) a pris position dans un
communiqué du presse du 03 mars 1999, rappelant la déontologie
professionnelle et condamnant la position de B. Lainé,
en évoquant notamment le secret professionnel. Les deux
archivistes, quant à eux, en appellent également
à la déontologie archivistique expliquant qu’ils auraient
commis une faute s’ils n’étaient pas intervenus. Ils souhaitent également
une clarification de la notion de “ secret ”.
Extraits
du communiqué de l’AAF : A
propos de l'affaire Einaudi, l'Association des archivistes français
rappelle la déontologie professionnelle. […] 1.
La communication des documents d'archives publiques n'est pas laissée à
la libre appréciation des pouvoirs publics et encore moins à la
conviction personnelle des fonctionnaires. Elle est encadrée par la loi,
de façon à sauvegarder aussi scrupuleusement que possible le respect des
libertés publiques et le secret de la vie privée d'une part, l'intérêt
des collectivités publiques d'autre part. 2.
Tout archiviste est légalement astreint au secret professionnel, du fait
de l'article 2 de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives : “ Tout fonctionnaire ou agent charge de la collecte ou de la
conservation d'archives en application des dispositions de la présente
loi est tenu au secret professionnel en ce qui concerne tout document qui
ne peut être légalement mis a la disposition du public ”. 3.
Tout archiviste relevant du statut général de la fonction publique est
en outre, comme tout agent public, soumis a l'obligation de discrétion
professionnelle “ pour tous les faits, informations,
documents dont (il a) connaissance dans l'exercice ou a l'occasion de
l'exercice de ses fonctions ” (art. 26 du statut général)
ainsi qu'au principe hiérarchique (art. 28 : “ il doit se
conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le
cas ou l'ordre donne est manifestement illégal et de nature a
compromettre gravement un intérêt public ”). 4.
[…] le secret professionnel, qui de toute façon ne saurait être
opposable a une enquête judiciaire, n'est pas une maladie honteuse. Il
est au contraire une condition essentielle de l'archivage en ce qu'il
garantit le renouvellement des ressources d'informations rétrospectives. Réponse
de Brigitte Lainé et Philippe Grand (même source, extraits) : […] 3.
M. Luquet se demande s'il est justifié que “ des
fonctionnaires pallient la défaillance de l'administration ”.
La question est effectivement fondamentale et mérite d'être posée. Nous
maintenons qu'en l'occurrence notre démarche était légitime, car M.
Einaudi a fait l'objet d'un traitement inéquitable. Mais le devoir de réserve,
que M. Luquet nous accuse a tort d'avoir enfreint, nous interdit d'exposer
les raisons qui fondent notre conviction, liées a la situation passée et
actuelle au sein des Archives de Paris. 4.
M. Luquet affirme à plusieurs reprises que le procès Einaudi-Papon n'est
pas un procès pénal, mais civil, et que par conséquent, il n'y a pas eu
de juge d'instruction. Or, le procès s'est tenu au pénal, puisqu'il
s'est déroulé devant la 17e chambre CORRECTIONNELLE du Tribunal de
grande instance de Paris. L'interrogation de Mme Béatrice Herold: “ Pourquoi
[les archives] n'ont-elles pas été demandées en communication par le
juge d'instruction qui a accès par définition à tout document ? ”
est donc tout a fait pertinente. […] 5.
Il est clair qu'il existe aujourd'hui deux conceptions du métier
d'archiviste : l'une, représentée par M. Luquet, fait du SECRET,
l'essence même de ce métier, l'autre, que nous défendons, estime que
cette notion se limite à des cas extrêmement précis, définis par le
pouvoir politique. Dans “ l'affaire ” qui nous occupe, ce n'est pas à nous
de protéger un secret d'Etat qui n'existe plus depuis longtemps, à tout
le moins depuis la déclaration de notre ministre de tutelle, Mme
Catherine Trautmann, promettant l'ouverture des archives du 17 octobre
1961 (communiqué de presse du 16 octobre 1997). […] 6.
Nous rappelons enfin que l'Etat a reconnu, par la voix de M. le substitut
du procureur de la République du tribunal correctionnel de Paris, la réalité
du “ massacre ”
du 17 octobre 1961 (cf. le compte rendu du procès dans Le Monde du
lundi 15 février 1999). Par notre témoignage au procès Einaudi-Papon,
nous nous sommes conformés a la déontologie archivistique, en
contribuant à faire la lumière sur ce qui n'est pas un secret mais un
crime d'Etat. M. le professeur Eric Ketelaar l'a exprimé clairement : “ Si
Melle Lainé n'avait pas parlé au tribunal de l'existence de ces
registres, elle aurait commis une faute au regard de l'article 8 [du code
de déontologie approuve par le CIA] ”. CIA : Conseil
International des Archives (http://www.ica.org/fr/index.html)
La “ Placardisation ”
L’enquête administrative diligentée à la suite du témoignage
des deux archivistes n’a pas abouti, les services juridiques sollicités
écartant tout espoir de poursuite pénale : le simple fait de répondre
aux questions d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions délie un
fonctionnaire de l'obligation du secret professionnel. Sur le plan
administratif, la ministre de tutelle (Madame Trautmann) refuse la
convocation d'un conseil de discipline. L'inspection chargée de l'enquête
n'a plus qu'à s'incliner. Elle rend son rapport, qu'elle conclut par une
demande de blâme (mars 1999). Mais Catherine Trautmann préfère classer
l'affaire... Entre-temps, le directeur des archives de Paris a pris des
mesures de rétorsion : entre autres brimades, les deux archivistes
se sont vus retirer toutes leurs délégations et attributions. Interview
(extrait) de Brigitte Lainé dans la revue Vacarme : “ Nous
n'avons vu aucun de nos collègues, à aucune des quatre audiences, mais
le bruit courait que j'avais communiqué des dossiers à l'audience...
Nous n'avons plus rien à faire depuis avril 1999. Par une note de
service, le directeur des archives de Paris a repris pour lui nos
attributions (les prisons pour Philippe, les archives économiques et
fiscales pour moi), sans nous citer. Nous sommes payés à ne rien faire,
nous ne sommes plus avisés des réunions de service, le service est géré
en oubliant que nous sommes là. Nous sommes en pénitence, la honte des
archives. L'encadrement nous a mis en quarantaine. La CGT et la CFDT nous
ont soutenus, mais leur priorité était qu'il n'y ait pas de sanctions du
ministère, ce qui a été obtenu. Madame Trautmann, qui savait à peu près
de quoi il s'agissait, avait classé l'affaire. ” http://vacarme.eu.org/article45.html C’est
ainsi que nous avons décidé de lancer une pétition, à la suite de
celle diffusée en 1999 (texte de la pétition et signataires en annexe) 2.
Le fond du problème : l’accès aux Archives.
Loi du 7 messidor an II, article 37 : “ Tout citoyen
peut demander communication des documents qui sont conservés dans les dépôts
des archives, aux jours et heures qui sont fixés ”. Nous sommes
bien loin aujourd’hui d’avoir la possibilité d’accéder aussi
facilement aux Archives. S’il est essentiel que la vie privée des
acteurs - petits et grands - soit protégée, dès lors qu'il s'agit de
comportements publics, le respect de la vie privée ne saurait être
invoqué. La
Loi de 1979 : une Loi de circonstance ? La législation
n’a fait que restreindre les possibilités d’accès aux documents pour
aboutir à la Loi de 1979. Comme le rappelle Claude Liauzu (professeur
d’Histoire à l’Université Paris VII), “ il est remarquable
que chaque crise politique grave corresponde à un tour de vis :
Affaire Dreyfus, Vichy, guerres coloniales... ” (Différences,
février 2000). Pour Sonia Combe, la loi votée en 1979 est une loi de
circonstance. Jusqu'en 1979, le délai de consultation des archives
contemporaines était de 50 ans. Des archives “ sensibles ”
allaient devenir accessibles si l'on n'y mettait pas bon ordre, notamment
des “ documents concernant le comportement des personnes sous
l'occupation ” selon Guy Braibant, auteur d’un rapport sur Les
archives en France publié en 1996 à la Documentation Française.
Ainsi, les “ sages ” précautions de l'article 7 dévoilent
la finalité profonde d'une loi de circonstance. L’Histoire connaît
d’ailleurs parfois de singuliers ricochets : cette Loi du 3 janvier
1979 qui régit les archives publiques a été cosignée par Maurice
Papon, ministre du Budget du gouvernement Barre… S.
Combe y voit donc un moyen d’empêcher l’accès des citoyens et des
historiens aux archives publiques de Vichy “ au nom des
principes du secret d’Etat, du secret défense et de la protection de la
vie privée ”. Comment expliquer que l’Etat Français de 1990
aurait pu être menacée dans sa sécurité par la connaissance des délibérations
du gouvernement de Vichy ? Pour S. Combre, cette clause-là n’est
plus fondée, mais “ en attendant, dès qu’un document
mentionne un nom propre, il n’est pas communicable. Ainsi, les dossiers
concernant les décisions prises par les commandants de camps
d’internement sous l’Occupation ne sont pas communicables, car leurs
noms y figurent : on estime que leur vie privée est en cause. On voit très
bien là l’hypocrisie de la loi de 79 qui prolonge la réservation des
dossiers de l’Etat de Vichy et par extension celle des archives de la
guerre d’Algérie au nom de clauses illégitimes ”. Les
délais de communication et le système de dérogation En
matière de communication, l'article 6 de la Loi de 1979 stipule que les
documents d'archives publiques pourront être librement consultés à
l'expiration d'un délai de 30 ans, mais l'article 7 en limite immédiatement
la portée en dressant une liste de documents qui ne sont consultables
qu'après des délais de 60, 100, 120, voire 150 ans ! Par ailleurs, les
administrations conservent un droit de regard sur la communicabilité. Au
bout du compte, les délais spéciaux couvrent un champ si vaste que
nombre de chercheurs français et étrangers sont persuadés que le délai
normal est 60 ans, et non pas 30. Comment
expliquer cette restriction de plus en plus forte en dehors de
l’argument du “ secret ” ? Réaction corporatiste ?
Enjeu de pouvoir ? Souci de protection ? L'autre
caractéristique de la loi de 1979 est son inspiration antidémocratique.
En effet, elle généralise le système de la dérogation individuelle en
faveur des seules personnes agréées par l'administration. C'est
ainsi que Jean-Luc Einaudi, historien sans titre et auteur d’ouvrages
... d'histoire, s'est vu refuser l'autorisation de consulter les pièces
maîtresses relatives aux événements du 17 octobre 1961. C'est du reste
ce refus, et la dissimulation qui en a été faite à l'intéressé, qui a
incité les deux archivistes à témoigner au procès de février 1999.
Enfin, Maurice Papon n’aurait pas pu être inculpé et jugé sans une
“ fuite ” aux Archives de la Gironde. Ce
système de dérogation individuelle pose la question de la démocratisation
d’accès aux Archives. Un
cas révélateur : celui des archives de la guerre d’Algérie. Depuis
plusieurs années, la France se retourne vers son passé en Algérie. Non
pour juger les personnes - les faits sont amnistiés - mais pour savoir et
essayer de comprendre. Malheureusement, quarante ans après la fin de la
guerre d'Algérie, cette recherche de la vérité se trouve entravée par
une rétention au niveau des archives. Ce flou a permis à M. Papon
d’attaquer Jean-Luc Einaudi en diffamation. Suite au procès, le Premier
Ministre de l’époque, Lionel Jospin, a diffusé une circulaire
concernant l’ouverture des archives de la guerre d’Algérie aux six
ministères concernés. Cette circulaire du 13 avril 2001 destinée à
favoriser “ l'accès aux archives publiques en relation avec la
guerre d'Algérie ” est loin de satisfaire aux exigences de Vérité :
on peut y lire “ Je souhaite que les demandes de dérogation
soient traitées avec diligence. Il conviendra, en tout état de cause,
d'y statuer dans les deux mois, délai à l'issue duquel naîtrait, en
l'absence de réponse, une décision implicite de rejet." [J. O.
n° 98 du 26 Avril 2001, page 6478]. Non seulement le système de dérogation
est maintenu, mais un refus de dérogation peut ne pas être motivé ! Les
archives de la guerre d'Algérie risquent de demeurer interdites au moins
jusqu'à l'horizon 2020. Encore faudrait-il qu'elles existent ! Le
“ nettoyage ” des Archives ? Après
la déposition de Jean-Luc Einaudi lors du procès Papon - sur les événements
du 17 octobre 1961 - et l’émoi soulevé par ses déclarations, Lionel
Jospin, nomme une commission d'enquête présidée par le conseiller d'État
Dieudonné Mandelkern. Remis le 6 janvier 1998, le rapport reconnaît une
répression très dure et conclut à 34 tués, soit bien moins que les 200
à 300 d'Einaudi, mais dix fois plus que le bilan officiel. L'enquête
de Dieudonné Mandelkern a, par ailleurs, révélé que des pièces
essentielles pour la connaissance des événements du 17 octobre, des
fonds entiers, ont disparu de la préfecture de police. Citons : les
fichiers du centre d'identification des Algériens, installé à
Vincennes, les arrêtés d'assignation à résidence, les documents des
services de renseignement et de lutte créés contre le FLN et accumulés
pendant quatre ans, les dossiers des brigades fluviales de tous les départements
traversés par la Seine en aval de Paris. Même le rapport sur le 17
octobre que le préfet de police (Maurice Papon) avait adressé au
gouvernement et à la présidence de la République n'a pas été retrouvé
! Enfin,
l’enquête menée par l'avocat général Jean Géronimi à partir des
archives judiciaires a confirmé non seulement la réalité du massacre du
17 octobre 1961, mais aussi la volonté des pouvoirs publics d'alors de
dissimuler les faits. Il est vrai que la préfecture de police jouit d'un
privilège exorbitant du droit commun des archives : un décret de 1968,
jamais abrogé, lui reconnaît une totale autonomie en la matière… La
Loi de 1979 toujours en vigueur : une régression ? D’une
façon plus générale concernant les archives publiques, la loi du 3
janvier 1979 reste en vigueur. Ainsi que l'a démontré, dès 1994,
l'ouvrage de Sonia Combe, Archives interdites, elle légitime un
système dérogatoire généralisé, qui rend l'administration
toute-puissante face à l'usager et l'affranchit de tout contrôle
politique. Le conseiller d'Etat Guy Braibant chargé de l’audit sur les
archives a confirmé ce constat. Comme le rappelle S. Combe “ ce
système de la dérogation est contestable sur le plan de la déontologie
comme sur le plan de l’établissement de la vérité historique. […]
C’est discriminatoire parce qu’on divise ainsi les citoyens en deux
catégories : les privilégiés en qui l’Etat a confiance et tous les
autres qui doivent se débrouiller sans ces documents pour écrire l’Histoire,
si tel est leur désir. C’est grave parce que de cette façon on a empêché
des générations d’étudiants et d’historiens de travailler sur
Vichy, et on continue de le faire pour la guerre d’Algérie. ”
(Différences, février 2000) Pour
Guy Braibant, la loi de 1979 constitue partiellement une régression par
rapport au régime antérieur de communicabilité, qui s'explique
largement par le souci de reporter toujours plus loin la date d'ouverture
des archives les plus sensibles de la période de l'Occupation. Selon lui,
certains des décrets d'application de la loi sont entachés d'illégalité.
Or,
non seulement, ils n'ont jamais été abrogés, mais ils continuent à être
appliqués dans toute leur rigueur. On ne compte plus les
dysfonctionnements liés au verrouillage légal des archives. Pour quelle
obscure raison un citoyen devrait-il se justifier d'avoir à consulter une
parcelle du patrimoine public ? Vertigineux retour en arrière... 3.
Quel avenir pour les Archives ? Quelques propositions. Ne pas
favoriser l'accès aux archives, c'est favoriser le négationnisme. En
effet, parler dans le vide historique c'est-à-dire sans fondements
historiques et documents-source, c'est permettre l'élucubration et le délire
négationniste. Dans le cas de procès de crime contre l’humanité, la
contre-vérité historique se trouve toujours opposée à la mémoire des
victimes. Nier cette mémoire, c'est faire du négationnisme. Il faut
souligner le fait que les négationnistes travaillent sans documents
complets ou avec des documents auto censurés, pré-selectionnés. Ils
procèdent par une démarche anti-historique en ne cherchant pas - par la
confrontation des documents - à établir la Vérité, mais en cherchant
par tous les moyens à justifier leur hypothèse. Ces
dérives ne pourront que se multiplier tant que l’accès aux sources ne
sera pas facilitée. Des
archives “ plus riches, plus ouvertes et mieux gérées ” (Guy Braibant) 1.
Réduction de délai de communicabilité. S.
Combe : “ Il faudrait, comme le préconisait d’ailleurs,
le rapport Braibant, que la plupart des archives soient communicables au
bout de vingt-cinq ou trente ans. ” 2.
Mieux définir les notions de vie privée et de sûreté de l’État. S.
Combe : “ On pourrait s’inspirer de la législation
allemande qui, dès la fin de la guerre, a écarté de la vie privée des
fonctionnaires ce qui a trait à leur vie professionnelle, sous
l’uniforme ou dans l’exercice de leurs fonctions. Etablissons
clairement cette distinction entre vie privée et vie professionnelle. Je
ne vois pas pourquoi un haut fonctionnaire aurait droit à plus de secret
autour des actes qu’il commet que le boulanger. ” 3.
Suppression du système de dérogation. Annette
Wieviorka, à propos de la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de
France (dite Mission Matteoli) : “ À quoi bon des notes de bas
de page si les fonds se referment derrière l'historien qui a eu la chance
de les consulter ? L'historien à qui est donnée une dérogation bénéficie
ainsi d'un pouvoir, une toute-puissance sur son objet d'étude, une liberté
sans la limite nécessaire que constitue le contrôle de ses pairs et de
ses lecteurs. Le système de dérogation individuelle peut être porteur
d'effets pervers. ” Entre transparence et oubli, Le Débat,
n° 115, mai-août 2001. S.
Combes : “ C’est une pratique malsaine : quand on vous
donne accès à des documents en vous faisant comprendre que l’on vous
accorde une faveur, vous avez nécessairement un sentiment de gratitude à
l’égard de l’administration et de l’Etat qui vous donnent accès à
un privilège. On ne peut pas écrire l’Histoire sous la contrainte.
[…] Je suis pour l’abolition d’un privilège qui constitue une
entrave à l’établissement de la discipline historique et une atteinte
aux droits civiques. Il faut fixer des règles qui soient les mêmes pour
tous. Je suis pour que tous les citoyens se réapproprient leur Histoire,
pour que toute personne qui a le désir d’écrire l’Histoire ait accès
aux mêmes documents que l’historien professionnel. ” 4.
Le versement complet des archives des administrations : S.
Combe : “ L’administration des archives devrait employer
beaucoup plus de moyens pour imposer aux administrations le versement de
leurs archives. Elle est, me semble-t-il, dans une situation délicate. A
titre d’exemple, dans le cadre d’une émission pour France Culture,
j’ai demandé au directeur des Archives de Paris pourquoi il ne
disposait pas des archives de la préfecture de police de Paris, et il
m’a répondu : Je ne peut pas y aller avec un tank ”.
Pour réussir cette démocratisation de l’accès aux Archives,
une refonte de la législation est nécessaire. Ainsi que le rappelait
Claude Liauzu en 2000 : “ En cette fin de vingtième siècle, ce
ne serait pas régresser que de revenir à l’esprit des débuts de la République,
quand Marianne était jeune : l’ouverture de la mémoire de la nation à
tous les citoyens, comme c’était le cas en 1794. En finir avec la
guerre d’Algérie, avec les guerres coloniales, passe par l’établissement
d’un consensus minimum sur la réalité des faits et donc par
l’ouverture des archives, par leur utilisation selon les règles
scientifiques et déontologiques du travail historique : la confrontation
et la discussion des hypothèses, des documents et des résultats de toute
recherche par les spécialistes, en toute liberté et en toute
transparence. ” En
effet, en l’absence de toute mesure législative adaptée et claire, “ l’affaire
Grand-Lainé ” sera condamnée à se répéter. Il est donc temps
de transmettre au Parlement le projet de loi d'archives, en chantier
depuis six ans. L'accès
aux archives publiques ne doit pas être réservé à la communauté
scientifique. Les archives sont la propriété de tous les Français. Pour
établir une carte de lecteur, il suffit de présenter une carte d'identité
(un passeport pour les étrangers), mais en aucun cas un titre scolaire.
Le rayonnement intellectuel du pays ne réside pas dans la capacité des
seuls universitaires. De nombreuses autres catégories de lecteurs, y
compris des autodidactes, sont à même de mener à bien des travaux qui
éclairent la conscience de nos concitoyens. Les
propos convenus sur la transparence et le devoir de mémoire doivent
laisser la place à l’action politique :
ce que le citoyen attend, c'est le libre accès à l'intégralité
de son patrimoine. Conclusion.
Archives et Mémoire : pour un accès à la Vérité. La mémoire
est un des outils qui aident à lutter contre les mensonges, à dissiper
les récupérations intellectuelles, à empêcher les manipulations idéologiques,
à combattre les révisionnismes, à rejeter le négationnisme, mais bien
plus que cela, elle possède comme une puissance rituelle : elle convoque
le passé, elle le recrée, elle en fait le présent de la libération
d'un avenir. Elle fait surgir le passé dans le présent, à partir de
l’humus de la mémoire qui nous enferme dans l’étroitesse d’un
temps chronologique, elle travaille à éveiller une nouvelle aube. Transmettre
permet à chaque individu, à chaque génération de redécouvrir moins
laborieusement l'activité de la pensée. Cette activité de transmission
est essentielle à l'humanité, elle demeure un “ fil d’Ariane ” qui
permet aux leçons du passé de se déplacer à travers le temps. Et dire
cela n’est pas se limiter au faire-savoir d'une culture, dire cela
c’est s'identifier en réalité à la vie et à son sens le plus
profond. C’est poser un questionnement perpétuel. C’est mettre en jeu
l'autorité de celui qui “ précède ” et la liberté de
celui qui “ suit ”. C'est toute une façon de vivre et de penser qui
s’incarne. C’est bâtir un projet. Non pas un projet au sens étroit
de projet de société, mais au sens large de projet de civilisation. COMBE
(Sonia), Archives interdites - L'histoire confisquée, La Découverte,
2001 EINAUDI
(Jean-Luc), Octobre 1961, un massacre à Paris, Fayard, 2001 GANDINI
(Jean-Jacques), Le procès Papon, Librio, n° 314 Id.,
“ 17 octobre 1961, les responsabilités du massacre ”, dans Hommes
et Libertés, n°103, février-mars 1999 THIBAUDAT
(Jean-Pierre), “ Deux gardiens de la mémoire au placard ”, Libération,
1er juin 2001 LIAUZU
(Claude), “ Les archives bâillonnées de la guerre d'Algérie ”,
Le Monde diplomatique, février 1999 “ 17
octobre 61 : archéologie d'un silence ”. Entretien avec Brigitte
Lainé et Philippe Grand, dans Vacarme, septembre 2000 Le
rapport de Guy Braibant, Président de Section honoraire au Conseil d'Etat,
qui dresse le bilan de la loi n°79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. http://perso.wanadoo.fr/felina/doc/arch/braibant.html Liens : Le
site de la LDH de Toulon : http://perso.wanadoo.fr/felina/doc/arch/index.htm Procès
Papon, Web des Parties Civiles : http://www.matisson-consultants.com/affaire-papon/ Appel
: deux archivistes au placard Deux
procès successifs ont permis d'établir la réalité du massacre des Algériens
par la police parisienne en octobre 1961 : celui de Papon à Bordeaux,
avec le témoignage de Jean-Luc Einaudi en octobre 1997, puis le procès
intenté pour diffamation par Papon contre Einaudi, en février 1999. Deux
archivistes, Brigitte Lainé et Philippe Grand, avaient accepté de témoigner
lors du procès de février 1999. Leurs témoignages furent déterminants. Depuis
lors, bien qu'aucune faute professionnelle n'ait pu être retenue contre
eux, les deux archivistes sont victimes de mesures de rétorsion. Ils se
sont notamment vus retirer toutes leurs délégations et attributions. Nous
demandons que Brigitte Lainé et Philippe Grand retrouvent la plénitude
de leurs attributions aux Archives de Paris, conformément au voeu adopté
par le Conseil de Paris, le 25 septembre 2001. Si
vous partagez notre avis, signez et faites signer cette pétition ! Recopiez
le texte ci-dessus et collez-le dans un e-mail, en le faisant suivre de
votre nom, prénom, adresse postale, adresse e-mail, et de votre
"qualité" éventuelle, puis adressez le à ldh.toulon@wanadoo.fr Vous
pouvez également l'envoyer par la poste à Section de Toulon de la LDH
- BP 5170 - 83094 Toulon cedex -France Les
signataires : 1263 personnes au 24 Octobre 2002 : http://perso.wanadoo.fr/felina/doc/arch/signataires.htm
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