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 Le discours de Jean-Marie Matisson lu  le 23 Octobre 2002 à Sainte-Geneviève-des-Bois :

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Texte lu à l’occasion de la pose de la plaque de Sainte Geneviève des bois

 de l’allée « Maurice-David Matisson »

 

Jean-Marie Matisson

 

Je veux ici et avant toutes choses remercier la municipalité de Sainte-Geneviève-des-bois, Messieurs Olivier Léonhardt et Julien Drai, Député, pour cette belle initiative qui marque de façon indélébile la faute et le crime de papon à travers l’hommage rendu à mon père, premier plaignant de l’affaire papon avec sa mère, Esther Fogiel et moi-même. Qui aurait pu prévoir il y a 22 ans un tel dénouement quand Gérard Boulanger est venu nous voir pour déposer cette première plainte au nom des huit déportés des familles Matisson et Fogiel depuis Bordeaux. Le plus jeune Bernard avait 5 ans et la plus âgée, Hanna 65 ans, aucun n’est revenu des camps de la mort.

 

Un matin de cet été noir de 1942, Jackie Alisvaks se retrouve seul au monde, il raconte : “ Je n'ai pas le souvenir de la douceur de la peau d'une mère, de cette tendresse... quand un enfant met son oreille sur le corps de sa mère. Toute ma vie, j'ai eu l'impression d'avoir été abandonné. Je suis comme une vieille valise qu'on a laissée sur le quai d’une gare ” ; la vieille valise avait 5 ans, seul au monde, orphelin de deux parents exterminés à Auschwitz.

 

Ce 2 avril 1998, les mots tombent froids, “ (…) condamne Papon, Maurice, Arthur, Jean, âgé de 87 ans, retraité (…) à 10 ans de réclusion criminelle (…)”. Maurice Matisson, l’oncle de Jackie déclare ce jour-là : “ Aujourd’hui, c’est le fardeau que j’ai porté toute ma vie que je pose par terre, une nouvelle vie commence. ”

 

Maurice, refusait toute appartenance quelle qu’elle soit. Pour être lui-même, réellement lui-même, citoyen du monde. Il ne se voulait pas juif, mais était porteur de cet héritage. Pendant la guerre, il était résistant à 16 ans, il fut communiste, membre de l’ANACR, puis plus tard, il fit le choix d’être franc-maçon du Grand Orient de France et il était fier de cet engagement. Juif, franc-maçon, communiste, Maurice avait toutes les tares aux yeux de Vichy, puisque Pétain avait déclaré comme ennemis de l’Etat français les Juifs, les francs-maçons, les communistes et les Gaullistes. Et si pour trois d’entre eux, un choix adulte et courageux était fait au péril de sa vie, pour l’enfant né Juif, aucun choix ne lui était permis. Et en cette année noire de 1942, de Juin à Octobre, tous les trois jours, un train de 1000 déportés quittait Drancy pour Auschwitz et ses chambres à gaz - souvent à la sortie même du train. Huit membres de notre famille ont suivi le sinistre chemin du camp de Mérignac à la gare Bordeaux-Saint Jean, de la gare Paris-Austerlitz à Drancy, puis enfin Auschwitz. Dans ce procès de Bordeaux, mon père fut meurtri par les paroles indécentes et révisionnistes tenues par Henri Amouroux ou Maurice Druon, l’infâme académicien qui osa déclarer que « les Juifs s’étaient laissés conduire à l’abattoir comme des moutons »…

 

Le siècle a commencé par le procès Dreyfus et s’est terminé par le procès Papon. Tous les deux auront permis de lutter contre l’intolérance, le racisme, le rejet de l’autre. Ce dernier procès aura permis à la France de retrouver une part de sa mémoire et de sa dignité sans lesquelles il n’y a pas d’espérance possible.

 

De ce procès, je conserve deux sentences en mémoire, comme les limites d’une ligne de démarcation de l’indicible : le grand rabbin Sitruk : « Le Juif est le baromètre de l’histoire » et l’historien Philippe Burrin : «  En terre chrétienne, la disparition des Juifs - conversion volontaire ou forcée - a toujours été inscrite structurellement dans l’horizon intellectuel du christianisme. ».

 

  Seule l'obstination du témoignage (peut) répondre à l’obstination du crime ” disait Albert Camus.

 

Je suis né huit ans après la fin de la guerre. Je suis ce qu’on appelle un enfant de la première génération d’après. J’ai été élevé dans l’évidence du “ plus jamais ça ”.

 

Quand on parle de Conscience universelle en évoquant l’Humanité, quand enfin, on se rend compte qu’elle n’existe que dans ce que l’Humanité a de pire, le Crime contre l’Humanité. Il faut se poser la question de savoir pourquoi ?

 

Pourquoi, par exemple, la cour pénale internationale a-t-elle tant de mal à se mettre en place ?

 

Pourquoi encore continuer à distinguer les victimes de l’antisémitisme de celles du racisme ?

 

Il est paradoxal aujourd’hui de condamner à la fois les attentats visant les populations civiles israéliennes et les populations civiles palestiniennes.

 

J’ai vécu mon enfance et mon adolescence avec des survivants ou des “ revenants ” qui préféraient se taire.

 

J’ai vécu avec une chape de silence sur nos morts en déportation. Comme si le travail de deuil ne s’était jamais accompli. Je me souviens des longs dimanches au cours desquels mes parents vantaient leurs exploits de résistance, mais jamais, au grand jamais, un mot sur nos déportés…

 

Pourtant la transmission a bien eu lieu, pourtant elle se perpétue chez mes enfants, à tel point, que je ne sois plus sûr de la nécessité de témoigner.

 

Cet ancrage familial, sans dériver au repli sur soi suffit-il ? S’ancrer à l’intérieur d’une mémoire collective remplit le rôle d’inscrire son existence dans un univers prévisible et confortable, mais cela suffit-il à trouver cette dimension essentielle de l’avenir sans laquelle l’Homme ne peut vivre ?

 

Ce ne sont pas que des mots, quand Primo Levi disait “ il n 'y a pas de miroir, mais notre image est devant nous reflétée par cent visages livides, cent pantins misérables et sordides. Alors pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte ; la démolition d'un Homme... ”

 

Un demi-siècle après la libération des camps de la mort, pourquoi et surtout comment prendre la parole alors que les rares survivants préfèrent se taire et accomplir dans le silence, un long travail sur eux-mêmes ?

 

Pourtant, le devoir de mémoire, la vigilance sont une nécessité absolue. Ils doivent, ils peuvent devenir l’arme des jeunes générations pour éradiquer nos fléaux modernes nés d’une société, en proie à la décomposition sociale, à l'exclusion, qui fait renaître les vieux démons racistes et le cléricalisme imbécile, musclé et l'illusion passive d’être, tout en n‘étant pas, dans une société spectacle. Une société en jachère pour ne pas dire en faillite dans laquelle les communautés fondées sur les régions, les ethnies, les cultures, les cultes, les intérêts marchands l'emportent sur l’égalité des droits et des devoirs.

 

Il y a deux termes pour désigner la mémoire dans le Talmud : Chamor, la mémoire qui garde et Zacchor la mémoire qui porte au-delà. “ Souviens-toi de ton futur ”. La mémoire du passé et la mémoire du futur c'est de toute évidence une des clés symbolique de la prospective.

 

Quand Jacques Lacan écrit : "nous enseignons suivant Freud que l'Autre" est le lieu de cette mémoire qu'il a découverte sous le nom d' inconscient, mémoire qu 'il considère comme l'objet d'une question restée ouverte en tant qu'elle conditionne l'indestructibilité de certains désirs.", nous ne sommes plus dans la croyance incantatoire et aveugle que la seule transmission de mots compris comme des “ sésames ” miraculeux est ouvreuse de portes magiques.

 

Le symbole, messager du rêve et de l'inconscient, construit notre mémoire et, par sa fonction de transmission, il nous relie au monde extérieur, c'est-à-dire à l'humanité tout entière dont nous ne sommes qu'un maillon.

 

L’Homme a besoin de symboles pour avancer, la Shoah aujourd’hui symbolise ce siècle de Barbarie et Papon symbolise au-delà de sa lâcheté, au-delà de sa saloperie ordinaire, au-delà de l’obéissance sans conscience, ce qu’il y a de pire chez un fonctionnaire, ce qu’il y a de pire dans un crime de bureau. Le procès de Bordeaux aura permis de dire : « Non ! on ne peut obéir à n’importe quel prix ! »

 

Ce procès de Bordeaux aura été un procès pour la conscience universelle, vous nous aidez en posant cette plaque au nom de « Maurice-David Matisson » à graver à jamais ses leçons dans nos mémoires. Une fois de plus au nom de ma famille, des familles des parties civiles, au nom de la justice et de la vérité, je vous remercie.

 

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© Affaire Papon - JM Matisson

Page mise à jour le 07/11/02 06:01

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