Malaises aux archives ( analyse)

Malaises aux archives ( analyse)

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Une analyse sur le dossier des archives préparée par Philippe Mallard

Philippe Mallard - accès à son site

 

Qui se souvient et qui a des nouvelles de Brigitte Lainé et de son collègue Philippe Grand, archivistes qui avaient témoigné lors du Procès Papon/Einaudi en février 1999 ?

Nous avions été environ 200 à pétitionner sur cette liste :

<http://h-net.msu.edu/cgi-bin/logbrowse.pl?trx=vx&list=h-francais&month=9902&week=d&msg=/rsAH3wFmRaV7rMPiOYn/A&user=&pw=>

et

<http://h-net.msu.edu/cgi-bin/logbrowse.pl?trx=vx&list=h-francais&month=9903&week=a&msg=9FtSTkO9KAgQH/I1jiRoug&user=&pw=>

ou encore

http://www.fdn.fr/~fjarraud/laine.htm  pour la liste des signataires. Suite à leur témoignage déterminant révélant l'ampleur du massacre des Algériens, une enquête administrative avait été ouverte dans le but de condamner les deux archivistes pour viol du secret professionnel.

Finalement C. Trautmann classe l'affaire (le fait de répondre aux questions d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions délie un fonctionnaire de l'obligation du secret professionnel).

Il semble que les deux archivistes aient subi des mesures de rétorsion par le directeur des Archives de Paris.

Cette affaire pose le problème de l'accès aux archives.

I. Rappel de l'affaire
II. Accès aux archives : loi de 1979
III. Et Brigitte Lainé ?

I. Rappel de l'affaire sur une page très complète du site de la LDH Toulon :

http://perso.wanadoo.fr/felina/doc/arch 

Reprise et complétée sur le site de JM Matisson (partie civile au procès Papon) :

<http://www.matisson-consultants.com/affaire-papon/malaisearchives.htm>

Acte 1 : Procès de Papon à Bordeaux (octobre 1997 / avril 1998)

Au cours de ce procès, a été évoquée la journée du 17 octobre 1961 (Papon était préfet de police de Paris). Pour Papon : "La répression s'est réduite à prier les Algériens de monter dans les cars et les autobus [...]. Il n'y a pas eu de morts par arme à feu par la police mais par les groupes d'assaut du FLN [...]."

Entendu à la demande du MRAP, Jean-Luc Einaudi affirme : "Je pense, après les recherches que j'ai pu faire, qu'il y a eu durant cette période un minimum de 200 morts, vraisemblablement environ 300."

Acte 2 : C. Trautmann, ministre de la Culture, entrouvre les archives.

L'historien David Assouline les consulte et en communique des extraits à la presse.

De son côté, Lionel Jospin, nomme une commission d'enquête présidée par le conseiller d'État Dieudonné Mandelkern : le rapport sera dévoilé le 4 mai 1998 par Le Figaro. Il reconnaît une répression très dure et conclut à 34 tués, soit bien moins que les 200 à 300 d'Einaudi, mais dix fois plus que le bilan officiel ...

Acte 3 : Prenant appui sur ce rapport, Jean-Luc Einaudi publie dans Le Monde

du 8 mai 1998 son point de vue : "Je persiste et signe. En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de l'ordre agissant sous les ordres de Maurice Papon."

Acte 4 : suite à l'article, Papon décide d'attaquer Einaudi en diffamation et lui réclame la somme de 1 MF à titre de dommages-intérêts.

Acte 5 : Procès Papon / Einaudi (février 1999) qui sera perdu par Papon grâce à l'intervention de Brigitte Lainé et Philippe Grand.

Acte 6 : C'est l'enquête administrative pour les deux archivistes et bien des déboires. On peut lire ce qui a motivé l'intervention de Brigitte Lainé : "Ainsi que Brigitte Lainé l'expliqua à la barre, c'est le fait que Jean-Luc Einaudi n'ait jamais reçu de réponse à sa demande de dérogation déposée un an avant le procès pour consulter les archives lui permettant de se défendre  - archives judiciaires dont Philippe Grand et elle-même connaissaient le contenu pour les avoir traitées - qui motiva sa décision de témoigner en faveur du chercheur. Il s'en fallut peut-être d'un cheveu que Papon, confiant dans la loi sur les archives, ne gagne ce procès. Il perdit finalement, le tribunal ayant reconnu qu'un massacre d'Algériens avait bel et bien été perpétré le 17 octobre 1961 par des forces de police agissant sous ses ordres. En revanche, le soir même de leur déposition, Brigitte Lainé et Philippe Grand faisaient l'objet de menaces de sanctions et une enquête administrative était immédiatement déclenchée par la direction des Archives de France, au motif d'un manquement au « devoir de réserve ».

(L'histoire ne dit pas si le directeur des Archives de Paris fut, quant à lui, sanctionné pour ne pas avoir répondu à une demande de dérogation.)"

Sonia Combe, Archives interdites, pages XVIII-XIX.

 

<http://h-net.msu.edu/cgi-bin/logbrowse.pl?trx=vx&list=h-francais&month=9903&week=b&msg=ZvTD7jm8gPVVyvtT6pbsrA&user=&pw=>

La position de l'Association des archivistes français rappelant la déontologie professionnelle (et condamnant la position de B. Lainé) en évoquant notamment le secret professionnel, argument qui ne tient pas (cf. plus haut)

Suivi - toujours dans le même message - de la réponse de B. Lainé et de P. Grand : "Nous rappelons enfin que l'Etat a reconnu, par la voix de M. le substitut du procureur de la République du tribunal correctionnel de Paris, la réalité du "massacre" du 17 octobre 1961 [...] Par notre témoignage au procès Einaudi-Papon, nous nous sommes conformés a la déontologie archivistique, en contribuant a faire la lumière sur ce qui n'est pas un secret mais un crime d'Etat. M. le professeur Eric Ketelaar l'a exprime clairement : "Si Melle Laine n'avait pas parle au tribunal de l'existence de ces registres, elle aurait commis une faute au regard de l'article 8 [du code de deontologie approuve par le CIA]."

<http://h-net.msu.edu/cgi-bin/logbrowse.pl?trx=vx&list=h-francais&month=9908&week=b&msg=WABTN4D5d3zfiK0odzKexg&user=&pw=>

Article de Libération consacré à l'affaire.

" Octobre 1961, Papon préfet de Paris. Le rapport qui force les silences. Libération révèle le travail de Geronimi sur les archives judiciaires de Paris. DAVID DUFRESNE - mardi 10 août 1999

 

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II. Quant au coeur du problème : L'accès aux archives.

* Toujours sur le site de la LDH Toulon et du Procès Papon :

http://perso.wanadoo.fr/felina/doc/arch 

<http://www.matisson-consultants.com/affaire-papon/malaisearchives.htm>

Les archives publiques sont régies par la loi du 3 janvier 1979 :

1 - L'article 6 stipule qu'en matière de communication les documents d'archives publiques pourront être librement consultés à l'expiration d'un délai de 30 ans.

2 - L'article suivant dresse cependant une liste de documents consultables qu'après des délais de 60 à 150 ans.

3 - Les administrations conservent un droit de regard sur la communicabilité.

Selon le conseiller d'Etat Guy Braibant qui a réalisé un audit en 1996, ("Les archives publiques en France", Documentation française), des archives "sensibles" allaient devenir accessibles notamment des "documents concernant le comportement des personnes sous l'occupation". Quand on sait que Papon ministre du Budget du gouvernement Barre a cosigné cette Loi...

4 - Cette loi généralise le système de la dérogation individuelle en faveur des seules personnes agréées par l'administration. C'est ainsi que Jean-Luc Einaudi s'est vu refuser l'autorisation de consulter des pièces importantes, ce qui a incité Brigitte Lainé à témoigner au procès de février 1999.

Le site rappelle encore que des pièces essentielles pour la connaissance des événements du 17 octobre, des fonds entiers, ont disparu de la préfecture de police.

Enfin, nous pouvons méditer sur la loi du 7 messidor an II, article 37  : "Tout citoyen peut demander communication des documents qui sont conservés dans les dépôts des archives, aux jours et heures qui sont fixés."

* Journal de la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine)

N°4 - Novembre 2001

http://www.u-paris10.fr/bdic/journal112001_texte8.htm

Le compte rendu d'un ouvrage de Sonia Combe : " Sonia Combe, Archives interdites, L¹histoire confisquée, préface inédite et réédition, La Découverte, 2001 (première édition : Albin Michel,1994)

La question cruciale de l'accès citoyen aux archives, en particulier des périodes brûlantes de notre histoire contemporaine, est régulièrement et publiquement posée . En témoigne entre autre la commémoration du 17 octobre 1961. Dans une préface inédite, elle fait le point des polémiques, des incompréhensions ou des hypocrisies auxquels l¹ouvrage a donné lieu. Elle fait un sort particulier à la scandaleuse sanction dont ont été victimes nos collègues des Archives nationales, Brigitte Lainé et Philippe Grand, et dont la presse s¹est fait l¹écho il y a un an, pour avoir pris leurs responsabilités lors du procès Papon. Ouvrage pionnier et courageux, salué comme tel par Jacques Derrida : "Sonia Combe... pose de nombreuses questions essentielles... sur le "refoulement de l¹archive comme pouvoir de l¹Etat sur l¹histoire"

 

* Cette affaire a été l'objet d'une "dispute" lors d'un séminaire organisée au sein du DESS "Histoire et métiers des archives" (université d'Angers)

http://membres.lycos.fr/archivangers/volet3dispenaudi.htm

"L¹affaire Einaudi ou la remise en question du devoir de réserve de l¹archiviste."

En conclusion, voilà ce que les étudiants nous livrent :

Extrait :

" Le sujet proposé sur "la déontologie de l¹archiviste, entre silence et expression" a suscité l¹intérêt de notre promotion de DESS qui a, de ce fait, été sensible au problème délicat et complexe de la communicabilité des archives et de la diffusion des informations qu¹elles contiennent. De l¹avis général (à notre niveau d¹étudiants avisés), il s¹est dégagé un besoin de réformes indispensables :

- réformer les délais de communicabilité,

- mieux définir les notions de vie privée et de sûreté de l¹État,

- lever le secret professionnel lors des procès tant pénaux que civils,

- faciliter l¹accès aux documents, dans la mesure où ce sont des professionnels qui y accèdent,

- tenir compte de l¹avis des services versants lors des réformes et être en mesure de leur assurer un certaine confidentialité de leurs documents.

Les différentes questions déontologiques soulevées par l¹affaire Lainé-Grand n¹ont fait qu¹apparaître au grand jour des difficultés juridiques latentes et connues dans le monde des archives. En l¹absence de toute mesure législative adaptée et claire, le débat est loin d¹être clos et d¹autres " affaires " de ce genre peuvent relancer publiquement et à tout moment la polémique."

 

 

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III - Et Brigitte Lainé ?

Interview dans Vacarme :

http://vacarme.eu.org/article45.html  :

Extrait :

"Brigitte Lainé : Nous n'avons vu aucun de nos collègues, à aucune des quatre audiences, mais le bruit courait que j'avais communiqué des dossiers à l'audience... Nous n'avons plus rien à faire depuis avril 1999. Par une note de service, le directeur des archives de Paris a repris pour lui nos attributions (les prisons pour Philippe, les archives économiques et fiscales pour moi), sans nous citer. Nous sommes payés à ne rien faire, nous ne sommes plus avisés des réunions de service, le service est géré en oubliant que nous sommes là. Nous sommes en pénitence, la honte des archives. L'encadrement nous a mis en quarantaine. La CGT et la CFDT nous ont soutenus, mais leur priorité était qu'il n'y ait pas de sanctions du ministère, ce qui a été obtenu. Madame Trautmann, qui savait à peu près de quoi il s'agissait, avait classé l'affaire. Ph. Grand : On choisit un autre métier si on ne veut pas d'ennuis. Au départ, on était convenables puisqu'on était chartistes. L'administration a tout son temps. On parle de notre " implication ", mais je considère que c'est l'administration qui s'est impliquée, qui s'est départie de sa neutralité."

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Philippe Mallard

 

 

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