Partie civile dans le procès Papon
Ecrire à Esther
Fogiel
(mentionnez son nom dans le sujet du message)
Soeur, fille, nièce et petite fille de déportés
1942, juillet, mes parents, des oncles, des tantes, sont déportés de Bordeaux à Auschwitz
1942, octobre, ma grand-mère, mon petit frère (5 ans), sont déportés de Bordeaux à Auschwitz
Personne n'est revenu...1942, juillet, j'ai 7 ans, et me retrouve seule, dans un environnement humain, violent, haineux.
"je suis d'origine juive" et privée définitivement du soutien matériel et affectif de mes parents.
... enfin, une vie adulte mutilée définitivement...
De ce temps mémorial, les corps ont disparus, les tombes sont restées vides...
Les nazis auront-ils été les seuls pourvoyeurs de cette Histoire là ?
Les témoignages d'Esther Fogiel
Le 19 décembre 1997
Le président Castagnède " Je vous remercie,
j'appelle Esther Fogiel. »
Esther Fogiel, 63 ans, née le 4 août 1934, retraitée.
[ croquis d'audience d'Esther Fogiel]
Fille, soeur, petite fille, nièce, cousine
de huit personnes déportées de Bordeaux Mérignac
à Auschwitz les 15 juillet et 26 octobre 1942
1925 ma grand-mère arrive en France, avec trois de ses filles, fuyant les pogroms juifs
de Lettonie.
1928 mon père Jean Fogiel arrive en France, fuyant l'antisémitisme polonais.
Mes parents se marient en 1933. Je suis née en 1943 le 4 août. Mon petit frère Bernard
en juillet 1936.
Mes parents ont eu une vie difficile en tant qu'émigrés, ma mère devant aider son mari,
dans leur commerce. (Marchands forains) elle a dû me placer dès l'âge de 6 mois en
nourrices. Je ne peux donc donner beaucoup de détails sur eux, les ayant peu connus. Mon
petit frère à sa naissance a été en partie élevé par ma grand-mère maternelle,
venue habiter chez nous, à ce moment là.
En 1939, mon père s'est engagé volontaire contre l'occupant. Démobilisé en 1940, je
pense avoir été reprise par mes parents, à ce moment là.
De par les lois « antijuives » mes parents doivent abandonner leur ancien commerce. Mon
père sera docker jusqu'en juillet 1942. Je me souviens des restrictions alimentaires, du
port de l'étoile...
Mes parents projettent de passer en zone libre. Un
samedi, ma mère m'attend à la sortie de l'école et m'accompagne directement à Bègles
chez un jeune couple. (Je dois passer la première, la semaine suivante mon petit frère
et enfin mes parents avec ma grand-mère). Ce jour-là, à Bègles, chez ce jeune couple,
je joue à la poupée avec la petite fille de la maison. Mais je suis surprise par
l'immobilité de ma mère, qui me regarde, avec un sourire triste, elle n'en finit pas de
se décider à partir, petite fille, cela me surprend. Je n'ai jamais oublié cette
dernière image de ma mère, comme si, à ce moment là, elle pressentait ce qui allait
arriver...
Le lendemain, je pars avec une femme étrangère pour Valence d'Agen (Tarn et Garonne). Je
suis accueillie par une ancienne nourrice. Qui vit là avec son mari, (forgeron retraité)
et son amant (facteur retraité). Au bout de trois jours, ces gens là sont devenus
brutaux. J'ai subi un viol peu après mon arrivée. Très perturbée physiquement par un
tremblement spectaculaire qui ne s'atténuait pas, on a dû me cacher dans une institution
religieuse. Là, je suis désignée par une religieuse comme le « suppôt du diable »
avec interdiction de me confondre avec les autres élèves. Un mois plus tard, je reviens
chez ces gardiens où les mauvais traitements continuent : Pendaison d'une petite chienne
à laquelle, je m'étais très attachée, au-dessus de mon lit. Une dent cassée. Un ver
de terre dissimulé au fond du bol du petit déjeuner, etc.
Pour ce débarrasser du vieil homme de mari (70 ans) on me mettait dans son lit. Pas ou
très peu de scolarité... L'entretien de leur maison.
Je pense que ces gens-là ont eu une connaissance immédiate de la déportation de mes
parents et ont été dépités de n'avoir pas pu profiter de leur argent.
J'ignore quant à moi, tout des événements extérieurs, la déportation de ma famille,
de mes parents.
Je me suis crue abandonnée et même punie, puisque là on me maltraite :
- C'est l'effondrement total,
- il n'y a plus de repères,
- C'est le vide absolu...
Je tente de me suicider physiquement par hydrocution.
Je tente aussi par un effort de concentration psychique extrême (sur l'idée que la
réalité n'existe pas, que tout cela n'est qu'illusion) par « perdre conscience »
quelques secondes... c'est un exercice auquel je me soumets souvent.
En 1945, l'été, cette famille d'accueil est arrêtée puis incarcérée. Une tante très
éloignée, ayant eu cette adresse par ma mère est venue me chercher.
Je suis repassée rue de la Chartreuse, à Bordeaux dans notre ancien quartier.
Je reconnais une robe de ma mère sur le corps d'une étrangère - la cave de notre
appartement a été creusé à la recherche d'hypothétiques Louis d'Or ?
Quelques mois plus tard, un compagnon de déportation de mon père, me retrouve. Il dit le
décès de mon père le jour de la libération du camp d'Auschwitz... Ils ont fait
ensemble les mines de sel.
J'entrevois un oncle paternel, frère de mon père, Alfred Fogiel. Il se jette à mes
pieds, sanglotant, me demande « pardon ». Il s'est retrouvé avec mon père à
Auschwitz. Il s'est suicidé quelques mois plus tard, ne supportant sans doute pas d'avoir
survécu. Il a été déporté depuis Niort.
J'ai aussi ignoré la déportation de mon petit frère Bernard, avec ma grand-mère Anna
Rawdin -Tous deux sont partis par le convoi du 26 Octobre 1942 - depuis Bordeaux. Eux
aussi, arrêtés par la police française.
Aucun membre de ma famille n'est revenu, soit huit personnes.
Je n'ai aucun souvenir sur la manière dont j'ai appris la disparition définitive de mes
parents, de mon petit frère, de ma grand-mère ... (excepté mon père ?)
A 30 ans, j'ai presque réussi une tentative de suicide
- Pour avoir été confrontée au vide absolue,
- pour avoir été confrontée à la culpabilité du survivant. Culpabilité qui entrave
toute tentative de vie.
- pour avoir perdu le sommeil et usé de somnifère toute ma vie,
- pour avoir été confrontée au deuil impossible.
Je ne sais rien de l'enfance, l'adolescence et enfin de la femme qu'avait pu être ma
mère. Ma connaissance reste archaïque ?
Je suis dans l'ignorance la plus totale pour ce qui concerne mon père, Reste-t-il des
survivants en Pologne ? Avait-il des frères et des soeurs ? Qui étaient mes grands
parents paternels ?? ... Qui était ce père ?
Mon père, ma mère, des termes que je n'ai jamais pu prononcer de ma vie pour en
connaître la résonnance dans la réalité...
Pendant des années, je n'ai cessé d'effectuer inlassablement ce voyage vers « Auschwitz
», avec l'espoir insensé d'aller à la recherche de quelques Traces... De rejoindre mes
parents...Leur disparition a laissé une béance à jamais là... Cet événement a
provoqué un état de sidération tel, que rien ne peut s'élaborer à partir de lui... Il
n'a laissé que désastre et cendres...
Puisse ce procès, par la mise en question d'une période où une partie de l'humanité
est devenue folle, où le meurtre faisait loi, et s'exerçait méthodiquement,
consciencieusement...
Par la mise en question d'un fonctionnement humain, sans valeurs, ni conscience, redonner
à chacun sa juste place et permettre ainsi aux victimes, de se décharger un peu de cette
« culpabilité émissaire ».
Je pense à mes parents, mon petit frère, confrontés à la plus extrême détresse et à
la mort, dans une « absolue et total solitude ».
Le président Castagnède montre les photos de sa mère et de son père. Le père
d'Esther, d'origine polonaise est habillé en militaire, dans un uniforme français.
Michel à mes côtés, me dit « je reconnais sa mère, je l'ai bien connue, on était
voisins, je connaissais bien votre grand-mère et son frère, on jouait souvent ensemble.
Je l'appelais Albert. »
Maître Boulanger « On voit sur la photo que le père d'Esther est en uniforme français,
il était engagé dans les bataillons polonais de l'armée française. »
Le président Castagnède " Je dirai simplement un mot de la famille Plewinsky,
Emmanuel né le 23 avril 1908 et Sgajudko née le 22 septembre 1908, ils sont arrêtés à
Libourne et l'un et l'autre sont déportés par Mérignac, Drancy, puis Auschwitz le 19
juillet 1942. »
Esther regagne sa place.
Le 15 janvier 1998
IL N'Y A AUCUN "AU-DELA" A LA SHOAH
"
Le président Castagnède " Bien, s'il n'y a plus de
questions, y-a-t-il une partie civile pour Hana Rawdin et Albert Fogiel ? »
Maître Boulanger « Oui, Esther Fogiel »
Esther Fogiel, " Mon petit frère Bernard Fogiel 6 ans, et ma
grand-mère Anna Rawdin 66 ans, ont tous deux fait partis de la rafle du 19 octobre t du
convoi du 26 octobre 1942 .
Mon petit frère Bernard aurait dû être épargné, de nationalité Française, les Nazis ne le réclamaient pas. Mais il a bénéficié ! du zèle du responsable du "service des questions Juives "
Il a été dit, au cours des audiences précédentes, qu'ils partaient en camps de travail ! 6 ans et 66 ans?
Ma grand-mère Anna Rawdin, a émigré de Léthonie en 1925, fuyant les pogroms juifs. Mon grand-père était rabin et Anna, son épouse, était une personne très pieuse. Elle habitait avec nous, rue de la Chartreuse, à Bordeaux.
Lorsque je suis passée à notre ancien quartier, l'on m'a dit que ma grand-mère avait été contrainte à avouer où mon père avait caché d'hypothétiques louis d'or Effectivement, j'ai pu constater que le sol de notre cave avait été creusé, la terre rabattue sur les côtés. On m'a dit aussi, que notre appartement avait été fouillé, laissant ma grand-mère et mon petit frère dans le plus grand dénuement, jusqu'au moment de leur déportation.
J'ai le souvenir d'un petit garçon vif, intelligent, avec qui je partageais les jeux dans l'appartement, qui m'accompagnait au piano lorsque je chantais! qui rapportait beaucoup de bons points
Je me suis souvent demandée ce qu'il aurait fait de sa vie, s'il avait vécu?
Le prénom Bernard m'est toujours très sensible; les cheveux très blonds comme les siens, aussi
Je me suis souvent demandée, ce que peut représenter une relation fraternelle dans la vie, quel appui, quel réconfort en l'absence des parents
Lorsque je rencontre des enfants en bas âge, je ne peux m'empêcher de penser que ce sont des enfants comme cela qui ont été exterminés
L'évocation de la situation des enfants à Drancy, par Léon Ziguel, a été un moment insoutennable. Je n'ai pû m'empêcher de penser à ce petit frère, à sa détresse extrême, à sa mort
Aucune élaboration n'est possible après un tel désastre.
IL N'Y A AUCUN "AU-DELA" A LA SHOAH "
Esther
Fogiel
© Bassignac-Turpin, Agence GAMMA
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Anna RAWDIN, née le
23 juillet 1876 à DAMPAPHIE (Lettonie),
déportée de Mérignac à Drancy le 26 octobre 1942, exterminée à l'âge
de 66 ans.
Ainsi que sa tante,
Jeannette Husétowsky et son oncle
Ils laissent deux orphelins
:
Jean et Dora
L'autre fille de Anna Rawdin, Hélène
Britman
(ci-dessous le jour de son mariage)
sera arrêtée puis envoyée à Drancy où, après six mois,
elle sera libérée comme femme de prisonnier de guerre
Anna RAWDIN, née le 23 juillet 1876 à DAMPAPHIE (Lettonie),
déportée de Mérignac à Drancy le 26 octobre 1942, exterminée à l'âge de
66 ans.